FICHE DE LECTURE, Isabelle Saint-Martin, Peut-on parler des religions à l’école ?

Fiche de lecture

Isabelle Saint-Martin « Peut-on parler des religions à l’école ? »

L’auteure : Isabelle Saint-Martin est directrice d’études à l’EPHE (section des Sciences religieuses). Elle a dirigé l’Institut Européen en Sciences des Religions de 2011 à 2018. Depuis le rapport Debray, elle s’est impliquée dans les formations sur l’enseignement des faits religieux et sur la place des religions dans le cadre de la laïcité française. En 2018, elle a co-dirigé la rédaction de l’ouvrage « Faits religieux et Manuels d’histoire » aux éditions de L’arbre bleu.

L’objectif du livre : Dans le contexte du débat actuel sur la laïcité, Isabelle Saint-Martin analyse les conditions d’un enseignement des faits religieux à l’école. A cet égard, l’ouvrage peut être considéré comme un passionnant manuel à l’usage des enseignants et de tous les acteurs de l’école (publique et privée).

La problématique : « En quoi parler des faits religieux n’est pas une entorse à la laïcité mais la pleine mise en œuvre d’un enseignement qui ne s’interdit aucun champ du savoir », « Comment s’y prendre pour préserver la neutralité de l’enseignement sans esquiver le propos par des stratégies de contournement ? » (p.13). Pour répondre à ces questions difficiles qu’elle analyse en détail, Isabelle Saint-Martin choisi d’exploiter l’histoire de l’art. De son point de vue, cet angle présente le double avantage d’être interdisciplinaire et de passer par la sensibilité pour faire comprendre la laïcité.

Le plan : L’ouvrage est composé de 5 chapitres.

  • Chapitre 1 : De l’histoire des religions à l’approche laïque des faits religieux.

Après avoir rappelé que le thème de la religion à l’école est ravivé par les attentats de 2015 et 2016, l’auteure reconstruit l’histoire de cette question. Trois périodes sont clairement identifiées. De 1881-1882 à 1980, la religion est marginalisée dans l’école, voire évacuée (p. 26). Au début des années 80 et jusqu’au rapport Debray (2002), le système éducatif prend peu à peu la mesure des effets pédagogiques et sociaux de l’inculture religieuse (p. 31). Le rapport Debray de 2002 inaugure une nouvelle manière d’aborder le problème. En rentrant par le « fait » religieux l’Éducation Nationale réalise sa mission formative et s’interdit en même temps tout jugement de valeur en ne travaillant que le « phénomène religieux » (p.37).

  • Chapitre 2 : Objectifs et critiques, les arguments en présence.

Le fait de proposer un enseignement des faits religieux cherche à atteindre un double objectif : étendre les connaissances et renforcer les compétences des élèves dans une société multiculturelle (p.47). Dans un premier temps, Isabelle Saint-Martin analyse les différentes positions sur le contenu d’un tel enseignement. Elles se répartissent entre ceux qui le trouvent superficiel (voire risqué) et ceux qui en regrettent la pauvreté car oublieux du sens du religieux (p.50). Dans un second temps, l’auteure montre qu’en contextualisant les phénomènes religieux et en apprenant à dissocier le discours symbolique du discours scientifique, l’école construit les conditions d’une citoyenneté plurielle (p.55). Enfin, l’enseignement des faits religieux, parce qu’il génère du débat, doit favoriser la construction d’un « respect mutuel » des différents convictions (p.59).

  • Chapitre 3 : État des lieux, méthodes et contenus.

En refusant de créer un enseignement dédié des faits religieux mais en choisissant de les intégrer dans diverses disciplines, l’Éducation Nationale permet leur contextualisation.  Isabelle Saint-Martin analyse d’abord rapidement la place des faits religieux dans les nouveaux programmes de l’école au lycée (p.67 à 75). Puis, dans une lecture critique plus approfondie, elle développe la manière dont les manuels abordent les trois principales religions : la Bible (p.79), le judaïsme (p.80), l’islam (p.81), le christianisme (p.84). Ensuite, elle s’attarde sur quelques limites de l’économie actuelle des programmes : les difficultés à expliquer l’évolution des systèmes religieux (p.85), celles liées à la différenciation entre les discours scientifiques et religieux (p.88), le paradoxe d’avoir à enseigner les faits religieux dans une société de plus en plus sécularisée (p.92). Enfin, elle s’interroge sur les différentes sensibilités des partisans de cet enseignement : ceux qui veulent utiliser l’histoire pour « mettre à distance les croyances » (p.98) afin de renforcer la capacité critique des élèves et ceux qui, s’éloignant de l’histoire, privilégient une approche phénoménologique plus ouverte à l’interreligieux (p.99).

  • Chapitre 4 : Du bon usage des œuvres d’art

L’auteure, rappelant le déficit culturel des jeunes générations en mal d’interprétation symbolique, propose de questionner le fait religieux à partir des œuvres d’art. Car, en effet, le constat est sans appel : sans références, nombre d’élèves ne peuvent identifier le sens d’une œuvre ni les contextes symboliques et intellectuels de leur production (p.113). Or, selon le B.O. n° 32 du 28 août 2008, l’objectif de l’histoire des arts consiste à « donner à chacun une conscience commune : celle d’appartenir à l’histoire des cultures et des civilisations, à l’histoire du monde » (p.115). Il s’agit donc bien d’exploiter l’histoire des arts pour conduire les jeunes à partager un patrimoine commun, éventuellement spirituel, ainsi « réconcilier le sensé et le sensible » (p.124). Deux espaces peuvent être exploités. D’abord, malgré les réticences de certains parents, visiter des lieux de culte permet de comparer des traditions religieuses parce que ce sont les seuls monuments qui « vivent encore leur vie intégrale » (p.129). Ensuite, les musées permettent de « déplacer les regards » en transformant le statut d’un d’objet rituel ou liturgique en objet d’art (p.134). Cette transformation dédramatise l’étude des faits religieux en « décloisonnant les univers culturels ».

  • Chapitre 5 : Voir au-delà des illustrations

Ce dernier chapitre a pour objet d’analyser le « défi de la représentation » et d’en montrer toutes les richesses pour l’éducation des jeunes. Par exemple, après avoir rappelé les rapports entre image et religion pour le judaïsme (p. 142), puis pour le christianisme (p.146), Isabelle Saint-Martin aborde le cas de l’islam (p. 152). Trop souvent associée à une religion sans image, l’auteure démontre pourtant qu’il n’interdit pas les représentations. De même, en travaillant des exemples de représentations extraites des grands textes sacrés elle éclaire certaines incompréhensions contemporaines (p.161), notamment quand elle les raccroche à leur dimension symbolique (p.168) ou rituelle comme les icônes par exemple (p.173).  Elle montre d’ailleurs comment l’interrogation sur le sacré n’est pas qu’une question religieuse mais concerne de la même manière la figuration laïque (p.182). Finalement, en abordant le religieux par les arts et leur histoire on favorise la construction de l’esprit critique des élèves. Toutefois, Isabelle Saint-Martin avertit les lecteurs de ne pas minorer les risques de conflit de loyauté qu’une telle approche peut faire émerger chez certains (p.186).

Pour Conclure : « Peut-on parler des religions à l’école ? » est le livre indispensable pour tous ceux qui s’interrogent sur les moyens de faire coexister questions religieuses et laïcité dans l’école française. En explicitant la richesse de l’entrée par les « faits religieux », Isabelle Saint-Martin montre avec brio que le pari n’est pas insurmontable. Son érudition artistique et sa maîtrise des contraintes scolaires donnent une mine de renseignements et d’idée à tous les pédagogues soucieux de se saisir de la question. L’ouvrage devrait devenir le livre de chevet de tous les étudiants du D.U. « La religion, les religions » mais aussi de tous les éducateurs de l’enseignement catholique.

Albin Michel, septembre 2019
221 pages, 18€