Dominique Santelli, Les monuments aux morts de la Grande Guerre : mémoire de la République ou culte républicain ?

MONUMENTS AUX MORTS DE LA GRANDE GUERRE :

MÉMOIRE DE LA REPUBLIQUE OU CULTE REPUBLICAIN?

Cette réflexion est fortement inspirée des lectures suivantes :

  • Audouin Rouzeau Stéphane et Becker Annette, 2000, 14-18, Retrouver la Guerre, Paris, Folio histoire.
  • Becker Annette, 1988, Les monuments aux morts, patrimoine et mémoire de la Grande Guerre, Paris, Errance.
  • Bouillon Jacques, Petzold Michel, 1999, Mémoire figée, mémoire vivante. Les monuments aux morts, Paris, Citédis.
  • Prost Antoine, 1984, « Les monuments aux morts : Culte républicain ? culte civique ? culte patriotique ? », in Nora Pierre (dir.), Les lieux de mémoires, tome 1 : La République, Paris, Gallimard.
  • Prost Antoine, Winter Jay, 2004, Penser la Grande Guerre. Un essai d’historiographie. Paris, Seuil.
  • Richard Bernard, 2012, Les emblèmes de la République, Paris, CNRS Editions.
  • Rivé Philippe (dir.), 1991, Monuments aux morts de la Première Guerre mondiale, Paris, La Documentation française.

Dans la recherche historique ou dans les programmes scolaires on rencontre plus souvent le mot emblème que symbole.

Maurice Agulhon, dans l’introduction à ses trois ouvrages sur l’imagerie de Marianne de 1789 à nos jours, s’appuie sur l’exemple du bonnet qui dans l’antiquité romaine était mis sur la tête des affranchis, pour faire la distinction entre les deux termes. Le grand historien établit une liaison entre ce bonnet et le bonnet phrygien, une liaison qui nous vient de l’histoire, que l’on possède par la culture, nous dit-il. Le bonnet phrygien associé à la liberté, est donc un symbole. « Après un siècle d’existence l’iconographie de la Marianne, cette femme à bonnet phrygien réduite à un buste, est devenue une convention stable et partout reçue, on l’appellera alors un emblème ».

Lorsqu’un symbole est largement fixé et reconnu, il devient un emblème ; le monogramme RF, sur un bâtiment public ou en en-tête d’un papier officiel, est un emblème, transparent, de la République française; le même terme d’emblème est bien sûr employé spécifiquement pour désigner le drapeau représentatif d’un État.

Maurice Agulhon en définit les « fonctions élémentaires »:

– identifier le pouvoir politique en le distinguant des emblèmes étrangers et de ceux du pouvoir antérieur aboli ; la réalité ainsi figurée doit donc être immédiatement reconnaissable.

– traduire clairement les principes dont se réclame le pouvoir ; les valeurs qu’exprime l’emblème doivent être aisément identifiables.

– produire sur les destinataires un effet favorable ; plaire, entraîner l’adhésion du public visé.

Et nous pouvons ajouter, lorsque les destinataires sont illettrés,

  • être parlant, compréhensible pour un public ne sachant pas lire. L’emblème doit faire sens pour être efficace auprès du public-cible.

Cependant la distinction entre ces deux termes reste fine à tel point que dans les programmes d’éducation civique de troisième les concepteurs ne pouvant trancher parlent de « symboles et emblèmes de la République » !

Sans aucun doute en édifiant dans toute la France des monuments aux morts à la fin de la Grande Guerre a-t-on voulu inscrire dans l’espace de la commune un symbole fort. L’église, la mairie, l’école, le monument aux morts : pas de doute, nous sommes en France. Point cardinal de la géographie communale, le monument aux morts se trouve généralement au centre de chacune des 36 mille communes françaises et c’est le monument le plus fréquent en France. L’édification des premiers monuments aux morts date des lendemains de la guerre de 1870 entre la France et la Prusse. Mais c’est surtout après la grande Guerre de 14 – 18  qu’a débuté une véritable frénésie  commémorative. En 1919, une loi d’hommage aux combattants attribue des subventions aux communes afin de « glorifier les héros morts pour la Patrie ». Dorénavant, ces héros seront honorés le 11 novembre, jour férié, anniversaire de l’Armistice qui marque la fin de la guerre de 14-18. Les commémorations se déroulent selon un cérémonial immuable  avec drapeaux, dépôt de gerbes ou de couronnes, Marseillaise, minute de silence, défilé d’écoliers, discours. Un culte laïque et patriotique est né. Peut on y voir avec l’historien Antoine Prost « le seul exemple de religion civique à la Rousseau » ?

 

 

 

 

 

Petit point historiographique

Les premiers historiens à s’intéresser aux monuments aux morts et aux cérémonies commémoratives dans les années 1970 ont été George Mosse[1] aux Etats Unis, Antoine Prost[2] en France, Reinhart Kosseleck en Allemagne, Ken Inglis[3] en Australie. On peut dire que leurs recherches, tant par la nouveauté de l’objet que de l’approche ont permis en quelque sorte « d’inventer » les monuments aux morts. Depuis, les études sur ce thème d’histoire culturelle ont proliféré, tant au niveau local qu’au niveau national.

 

Les monuments aux morts sont le reflet d’une France républicaine laïque et encore fortement catholique

En effet ils sont les miroirs de cette violence de masse qui caractérise le premier conflit du XXème siècle. 1 400 000 morts côté français, 1 700 000 morts côté allemand : phénomène nouveau en Europe, « mort de masse » dans une « guerre qui a été totale ». A la fin de la guerre 2 Français sur 3 sont endeuillés par la perte d’un proche et pratiquement toutes les communes de France ont érigé un monument à la mémoire des soldats morts.

La généralisation des monuments dit l’ampleur du traumatisme : 138 000 monuments sont construits en quelques années. La France se couvre alors d’un gris manteau de monuments aux morts.

Ces œuvres présentent un double témoignage, sur le déroulement de la guerre et sur les mentalités des survivants. Si les hommes sont avant tout représentés dans leur rôle de combattant, d’autres messages apparaissent : les souffrances des civils, des femmes en particulier, la ferveur religieuse et patriotique mais aussi la haine de la guerre.

Ils célèbrent certes la victoire mais aussi la Patrie, la République… Ils correspondent à des mises en scène du pouvoir.

Ces monuments, pensés et réalisés de 1914 aux années 1930 sont reflets de leur temps, comme toute production artistique et intellectuelle et avec eux un nouvel art est né en réponse au conflit extraordinaire que fut la Grande Guerre. Ces monuments font donc partie intégrante de notre patrimoine. Si certains de ces monuments furent simplement achetés sur catalogue, de véritables œuvres furent aussi commandées aux meilleurs sculpteur et sculptrice de l’époque tels Maillol, Bourdelle ou Emilie Rolez.

Dès 1916 se pose la question de l’hommage à rendre aux victimes de cette guerre dont la liste s’allonge chaque jour. Le 10 février 1916, dans un article intitulé « le suffrage des morts » (reproduit plus tard dans l’âme française, tome VIII, 1919) Maurice Barrès propose de donner le droit de vote à « ces morts que nous savons meilleurs que nous mêmes ». Pour ce faire il demande que « les veuves des soldats morts pour la patrie disposent du bulletin de vote de celui qui ne peut plus défendre les intérêts de sa petite famille ». Cette proposition ne sera pas suivie (malheureusement ?) mais elle dit des choses du sentiment que l’on éprouve dès 1916 à l’égard de ces soldats morts : sentiment tellement fort que l’on est prêt à donner le droit de vote post-mortem aux femmes !

Dans beaucoup de commune dès le lendemain de l’armistice des décisions sont prises en conseil municipal pour faire ériger un monument. La loi du 25 octobre 1919 dite « loi sur la commémoration et la glorification des Morts pour la France » fixe en particulier les modalités d’attribution par l’état d’une subvention allant de 4% à 25% du montant global du coût du monument « en proportion de l’effort et des sacrifices qu’elles feront en vue de glorifier les héros morts pour la patrie ».

Typologie des monuments aux morts

Il est des préjugés tenaces qui veulent que les monuments aux morts expriment le nationalisme cocardier à l’image de ce poilu triomphant qui surmonte généralement la construction. Or les poilus sont minoritaires sur les places des villages. De plus ces monuments constituent un ensemble de signes bien plus complexes que je vais essayer de lire avec vous.

  • Premier ensemble de signes : leur localisation qui n’est pas neutre. Où les cosntruit-on ? : place de l’église, cour de l’école, place de la mairie, dans le cimetière…
  • Second ensemble de signes : la présence ou non de statue. Quelle statue ? La plus fréquente est certes celle du poilu mais ce n’est pas la seule…Qu’expriment ces statues ? réalistes, idéalisées, allégories…
  • Troisième ensemble de signes: les inscriptions sur les monuments : du laconique « à nos morts » à l’épigraphe héroïque « Gloire à nos héros »

En combinant ces trois groupes de signes on peut établir une typologie des monuments aux morts :

  • Monument civique :

Les plus fréquents, les plus laïques, les plus républicains. Dépouillé à l’extrême, juste une croix de guerre. Exemples en Cévennes mais aussi en Corse ! Il est à la fois républicain et laïque car il évite de rendre le sentiment des citoyens sur le conflit qui vient de se terminer et ne comporte aucun emblème religieux.

  • Monument patriotique-républicain :

Il comporte des inscriptions claires : « morts pour la patrie… » « gloire… » « à nos héros… ». Parfois le poème de Victor Hugo Hymne, Les chants du crépuscule, 3. Le poilu y est idéalisé.

Parfois le patriotisme vire au nationalisme : le coq, le drapeau, une victoire…

  • Monument patriotiquefunéraire:

On y voit un poilu en train de mourir… plus près de l’église ou du cimetière que de la mairie. On y glorifie le sacrifice des morts. Parfois il tend vers le calvaire.

  • Monument funéraire:

Certains représentent avec réalisme le poilu mourant, pleuré par des personnes (femmes). Ces monuments soulignent l’ampleur des pertes et du deuil.

  • Monument funéraire-pacifiste :

On peut y lire des inscriptions explicites : « guerre à la guerre », « maudite soit la guerre ». Ces monuments sont le reflet d’une réalité complexe qui garde mémoire des individus.

 

Si la plupart de ces monuments étaient achetés sur catalogue certains étaient commandés à des sculpteurs et sculptrice de renom :

Maxime Réal del Sarte est l’auteur d’un cinquantaine de monuments que l’on retrouve dans toute la France. Une de ses œuvres les plus connues est Terre de France. Clémenceau a félicité le sculpteur en ces termes «  cette œuvre est belle et puissante, il s’en dégage toute l’âme de la France »[4] Réal avait lui même perdu un bras dans la conflit. La tombe est bien là, l’homme est bien mort mais les moissons nouvelles sont hautes, la vie fait oublier la mort ! Le nom du monument s’éclaire : la France est riche du sang de ses morts, loin d’être appauvrie par leur disparition, elle est revigorée par leur sacrifice.

A Compiègne son monument représente simplement une femme, le fichu sur la tête comme pour se rendre à l’Eglise (il est catholique).

Autre sculpteur, Charles Henri Pourquet, surnommé le « statuaire de la douleur ». Entre 1920 et 1922 il en a vendu un nombre très important de monuments intitulés Résistance… Le soldat, jambes écartées, l’air sévère, le fusil bien calé incarne le « on ne passe pas ». Pas de nuance, pas de tristesse. L’action seule est rappelée, on sent la tension de l’attente.

Emilie Rolez est une des rares femmes à avoir exécutée un monument aux morts à Equeurdreville dans la banlieue de Cherbourg. Une mère et ses deux enfants. Solitude de ces trois êtres…leur père n’est pas mort en héros « aux enfants d’ Equeurdreville morts pendant la guerre ». Constat : la guerre a tué. Et comme si le message n’était pas assez clair elle grave : « que maudite soit la guerre » !! Ici le pacifisme est militant.

Héros et héroïnes

Les monuments sont à l’image d’une histoire par les grands hommes…

Chaque commune rend hommage Aux Enfants de la commune Morts pour la France. Les majuscules disent des choses…disent l’admiration des survivants. On peut d’ailleurs remarquer que l’on dit en France « monuments aux morts » alors que dans les pays anglo-saxon on parle de « monuments de la Guerre ». Sont ainsi liés la commune qui revendique son initiative collective, les morts destinataires de l’hommage et la France qui reçoit leur sacrifice.

La guerre n’a pas fait de tous les Français des combattants mais tous les Français ont participé à la guerre ! Les femmes y sont certes parfois présentes mais le plus souvent comme symbole, sous forme d’allégories de la Victoire, de la Liberté, de la République…rarement Marianne ! Comme si l’idée même du monument la remplace. En célébrant ceux qui sont morts pour la patrie on célèbre la patrie.

Le thème obsessionnel d’Aristide Maillol, la femme, va de fait se retrouver sur toutes les commandes qui lui sont faites, à l’exception du guerrier mort de Banyuls. Il se livre à l’allégorie personnifiant les communes comme celle de Céret, Port -Vendre ou d’Elne. Par pudeur ou par peur du scandale il les couvre d’un voile. Il dit alors « sa joie d’être arrivé à faire de la sculpture utile »[5]. Sculpture qui contrairement à toute son œuvre ne doit pas être sexuée « J’ai supprimé tout détail. Avant tout, il ne faut pas que ce soit une bonne femme. Il faut que ce soit éternel ».

 

Après les avoir décrit il nous faut maintenant nous interroger sur les usages des monuments aux morts et des cérémonies de 1918 à nos jours

Nouveau lieu « sacré » de la commune

Les monuments aux morts au fil des années d’après guerre deviennent comme un second pôle spirituel de la commune, le pôle laïque, lieu « sacré » d’un culte permanent aux morts de la guerre. Il est le lieu d’un deuil collectif, local et national. D’autant plus que les corps enterrés dans les cimetières militaires des lignes de front seront rarement rapatriés. Le monument aux morts est alors un lieu du recueillement, un substitut de la tombe que l’on fleurit les jours anniversaire.

En juillet 1924 un arrêté du conseil d’état classe désormais les monuments non plus dans la catégorie « monuments commémoratifs » mais dans celle de « monuments funéraires ». Désormais les monuments érigés dans l’espace public peuvent comporter des signes religieux Jusque là ceux qui en comportaient, dans les régions de forte pratique religieuse étaient obligés d’être dans des cimetières.

« Pour la génération perdue on a créé un ensemble parfaitement tragique : unité de temps, le 11 novembre ; unité de lieu, le monument aux morts ; unité d’action, la cérémonie commémorative. Selon les pays, le 11 novembre devint ou non un jour férié (à partir de 1922 seulement en France), mais partout il est jour de recueillement. Dans la plupart des pays se cristallisa probablement alors l’une des rares expressions abouties de « religion civile »[6]

Que ce soit lors des inaugurations ou du 11 novembre se met en place autour des monuments des cérémonies qui prennent souvent l’allure de célébration laïque. S’installe très vite un rituel (silence, chant, symbole, geste, paroles, énoncé des noms suivi d’une psalmodie « mort au champ d’honneur », dépôt de gerbe, minute de silence, discours, Marseillaise…) rituel emprunté au catholicisme encore très prégnant.

Ainsi les cérémonies du 11 novembre deviennent le lieu privilégié non d’une mémoire de la République mais d’un culte républicain, véritable religion civile avec un culte ouvert (sur la place publique ouverte à tous) et un culte laïque (sans prêtre la plupart du temps mais où le citoyen se célèbre lui même).

« La plupart du temps » car dans les régions de forte tradition catholique comme la Loire ou la Vendée, le clergé joue un rôle central dans les cérémonies du 11 novembre. Après la messe le prêtre garde sa chasuble et une procession se forme pour se rendre au monument. En tête du cortège les enfants de cœur portant la croix processionnelle et des cierges allumés. Parfois le long du parcours on chante des cantiques. Ou alors c’est le silence…religieux ! Au monument à nouveau le silence ou alors on chante le De profundis. Parfois même le prêtre donne l’absoute au monument.

Parfois avant ou après la minute de silence (forme laïcisée de la prière) on énumère les noms des morts de la commune. Or à cette époque dans de nombreuses paroisses, le prône débutait par le nécrologe : le prêtre lisait la liste des noms des morts et l’on disait un Pater pour eux à la fin. Ensuite venait le sermon. De même au monument aux morts, le discours suit en général l’appel des morts. Ensuite par un geste de piété on fleurit le monument aux morts (comme quelques jours auparavant on a fleuri les tombes des cimetières). Puis on entonne parfois la Marseillaise mais pas obligatoirement ! Dans certains villages c’est la chorale paroissiale qui reprend des psaumes ou des cantiques.

Ainsi les cérémonies du 11 novembre apparaissent comme le seul culte républicain qui ait réussi et suscité l’unité populaire.

Et l’on ne peut s’empêcher de penser à J-J Rousseau, qui au dernier chapitre du Contrat social, développe la nécessité d’une religion civile. « Il y a donc une profession de foi purement civile dont il appartient au souverain de fixer les articles, non pas précisément comme dogme de religion, mais comme sentiments de sociabilité sans lequel il est impossible d’être bon citoyen ni sujet fidèle… Il importe à l’État que chaque citoyen ait une religion qui lui fasse aimer ses devoirs : mais les dogmes de cette religion n’intéressent ni l’État ni ses membres qu’autant que ces dogmes se rapportent à la morale et aux devoirs que celui qui la professe est tenu de remplir envers autrui. » Le culte des morts tel qu’il se constitue et se pratique entre les deux guerres est sans doute le seul exemple historique de religion civile au sens de Rousseau. Les monuments aux morts sont devenus le lieu privilégié non d’une mémoire de la République mais d’un culte républicain, d’une religion civile dont les particularités méritent d’être rassemblées pour conclure :

C’est un culte ouvert : sur la place publique, lieu central qui appartient à tout le monde

C’est un culte laïque : où le dieu, le prêtre et le croyant se fondent dans le citoyen.

 

Et aujourd’hui qu’en est-il ? Sont-ils le lieu d’une mémoire figée ou d’une mémoire vivante ?

Longtemps ces monuments ont eu une double fonction : maintien au cœur de la cité du souvenir des habitants « morts pour la France » et rappel des valeurs pour lesquelles ils sont tombés. Souvent les élèves participaient aux cérémonies du 11 novembre, prenant ainsi une leçon d’instruction civique. Ils étaient alors une mémoire vivante[7]

Aujourd’hui quelle est leur signification ? Force est de constater qu’ils ne suscitent plus la ferveur populaire. Ils ont retrouvé leur fonction première de lieu de mémoire de la guerre devant lesquels lors de cérémonies factices on ne fait qu’entretenir le souvenir du passé sans impact sur le présent.

En novembre 2008, alors que pour la première fois il n’y avait plus de poilus pour assister aux commémorations de l’armistice, une commission présidée par l’historien André Kaspi remettait au gouvernement un rapport concernant « la modernisation des commémorations publiques ». Cette commission concluait que les commémorations étaient trop nombreuses et proposait qu’on les réduire à trois dates : « le 11 novembre pour commémorer les morts du passé et du présent, le 8 mai pour rappeler la victoire sur la nazisme et la barbarie, le 14 juillet qui exalte les valeurs de la Révolution française. »[8] Kaspi n’a pas été suivi…

Il va être intéressant de voir comment la République va commémorer le centenaire de la première guerre mondiale. Dans son discours du mois de novembre dernier François Hollande a dresser la liste des initiatives qui jalonneront l’année : la réhabilitation symbolique des 600 fusillés pour désobéissance, une place d’honneur pour 14 – 18 lors du défilé du 14 juillet, un mémorial international… Mais mémoire et politique faisant rarement bon ménage on peut s’attendre à ce qu’une guerre en déclenche d’autres (70 ans de la Libération) et que ce soit à nouveau l’occasion d’écrire une nouvelle page du roman national (mythifier l’unité nationale)!

 

Conclusion :

Avec cet exemple nous pouvons élargir notre compréhension de l’injonction qui nous est faite d’enseigner le fait religieux, que ce soit à travers le socle ou à travers les programmes du cycle 3 à la terminale. Il y a un fait religieux qui se donne à voir facilement (l’islam en cours d’histoire, la Bible en cours de français, …) mais il y a du fait religieux bien plus diffus. Le fait religieux peut être à l’oeuvre en dehors des formes instituées de la religion comme on vient de le voir. Qu’est donc une cérémonie du 11 novembre si ce n’est un culte républicain ?

L’entrée par les symboles en cours d’histoire, par les sens donc, donne peut être davantage accès au sens que les discours moralisateurs des cours d’éducation civique qui visent à formater de bons petits citoyens !

 

[1] Mosse Georges L., 1990, De la Grande Guerre au totalitarisme. La brutalisation des sociétés européennes, Paris, Hachette, 1999.

[2] Prost Antoine, 1977, Les Anciens combattants et la société française, 1914-1939, Paris, Presses de la FNSP.

[3] Inglis Kenneth S., 1998, Sacred Places. War Memorials in the Australian Landscap, Melbourne, Melbourne University Press.

[4] cité par Annette Becker page 25

[5] Annette Becker, page 60

[6] Audouin Rouzeau

[7] Bouillon Jacques, Petzold Michel, 1999, Mémoire figée, mémoire vivante. Les monuments aux morts, Paris, Citédis.

[8] Rapport de la Commission de réflexion sur la modernisation des commémorations publiques, sous la présidence d’André Kaspi, novembre 2008, page 9.