REPRISE DU VENDREDI
Si mercredi, j’ai eu l’impression que nous faisions bouger les lignes de ce qui est habituellement penser sur la laïcité, hier, j’ai eu l’impression que nous commencions à construire, que des liens pouvaient se faire entre les différentes interventions pour approcher avec plus de justesse le concept de laïcité.
La laïcité n’est pas une valeur, elle n’est pas une fin en soi, pas un but. Elle n’est pas non plus une opinion ou une religion ou encore la religion des sans religions.
Mais elle est un principe juridique. Elle est un moyen, elle permet une organisation de la société.
Elle est au service d’un vivre ensemble,
Comment dès lors le monde de l’éducation est-il convoqué ? Christian Salenson nous a rappelé qu’Anna Arendt voyait une double responsabilité aux éducateurs : ils sont des passeurs qui permettent aux jeunes d’entrer dans le monde avec confiance tout en leur donnant des moyens pour qu’ils puissent apporter leur touche propre, y apporter leur contestation et inventer quelque chose de nouveau. C’est cette perspective que nous ne quitterons pas au cours des interventions.
Le but de la laïcité serait de mettre des conditions favorables à l’éducation à l’altérité. A condition que la laïcité ne se comprenne pas a-minima par mode d’intégration ou d’assimilation.
Si la laïcité n’est pas une valeur, alors qu’elles sont les valeurs de la République ? Xavier Manzano a opéré quelques distinctions.
Les valeurs de la Républiques sont annoncées dans sa devise : Liberté-Egalité-Fraternité. L’état est au service de ces valeurs et met en place une organisation permettant leur mise en œuvre dans la société. Mais ces mots ne sont pas univoques, et comment les comprend-on pour en faire le socle de notre société ? Quel est leur fondement ? Comment les interpréter ? Pas de réponses simplificatrices à ces questions. Pour y répondre, l’éducateur aura à introduire à la complexité des conceptions et développer la nature plurielle de ces valeurs. Il aura à favoriser le débat.
Pour mieux comprendre, il faut se demander qu’est-ce qui peut motiver l’être humain à désirer « vivre ensemble » sous l’egide des valeurs de Liberté-Egalité-Fraternité?
Pour répondre à cette question, Xavier Manzano nous a fait faire un détour par la question de la sociabilité de l’être humain. Est-il un être « par nature » social ou par « convenance » ? Grosso modo, en restant dans le cadre de l’Europe, la philosophie grecque et la religion chrétienne pensent que la vie en société est inhérente à la nature de l’être humain et cette pensée a eu court en Europe jusqu’à la fin du moyen-âge. Les guerres de religions, les grands découvertes ont marqué une cassure, une contestation de cette conception, et les philosophes de la période moderne ont tenté de trouver un autre principe qui fonderait la vie sociale. L’homme est alors envisagé comme un individu, qui vivra mieux en mutualisant ses moyens qu’en restant seul. C’est une vie sociale de convenance.
Ces deux manières de considérer la sociabilité de l’être humain colorent différemment la notion de vivre ensemble et surtout interprètent différemment les notions de Liberté-Egalité-Fraternité, leur relations et interdépendances. Les valeurs de Liberté-Egalité-Fraternité ne sont pas universelles.
Dès lors, éduquer à ces valeurs doit d’abord introduire à cette complexité et ne pas prétendre trop vite à leur universalité. Dans les établissements catholiques d’enseignement, l’éducation à ces valeurs se situe sous l’angle de l’anthropologie chrétienne qui inspire leur caractère propre. Xavier Manzano pose alors la question : Existe-t-il une morale laïque et républicaine ?
Par la loi de 1905, la République s’engage à assurer la liberté de conscience. On rappelle ainsi que c’est l’état qui est laïque et qu’il se donne les moyens pour que, au sein de la société, la liberté de conscience et la liberté religieuse puissent s’exercer.
Ainsi, on peut dégager trois entités : l’état, la société civile, la personne dont il faut réfléchir à leur nature et rôle respectif dans la définition d’une morale « laïque ».
A ces trois entités, correspondent trois niveaux de morale qui collaborent et se coordonnent :
– intériorité incommunicable de la personne
– morale civile, qui convoque la participation de l’état, des religions, des courants de pensées, …
– morale personnelle
L’agora, le débat est le meilleur moyen pour coordonner la morale civile et la morale personnelle, le bien commun et le bonheur personnel.
Christian Salenson nous a fait faire un pas de plus en montrant le lien intrinsèque de la laïcité et la liberté religieuse, titre de notre session.
Pour une vie en société harmonieuse et qui vise à la paix, le politique et les religions doivent s’articuler. Pour ce faire, ils ne peuvent se confondre et doivent donc être séparés. Politique et religions sont des nécessités l’un pour l’autre et pour exercer leur responsabilité propre. La laïcité est une forme de séparation. Les religions peuvent nourrir le politique et le politique doit imposer un cadre extérieur de régulation aux religions.
Ainsi, en France, nous vivons sous le régime de la laïcité, nous sommes donc tous laïques. L’Église a reconnu le caractère positif de la laïcité, comme cadre d’un vivre ensemble respectueux de la liberté de conscience de chacun. Avec la laïcité, l’état entend garantir la liberté religieuse et la liberté d’expression, deux droits fondamentaux des droits humains et qui ne vont pas l’un sans l’autre. Les confusions entre neutralité de l’état et société civile plurielle, entre la sphère privée et droit privé, etc brouillent le débat dans l’espace médiatique.
La laïcité rappelle Cazeneuve, ministre de l’intérieur et des cultes, est une société qui donne sa place à tous[1]. L’École Catholique se retrouve bien là et ce sera sa manière de vivre la Liberté – l’Egalité – la Fraternité qui éduquera plus sûrement aux valeurs de la République. Il dit encore : Faire vivre les valeurs républicaines qui sont largement celles de l’Évangile constitue pour moi une des clés du renouveau. Ce discours est un exemple de l’articulation du politique et des religions.
Dans les sociétés, la notion de liberté religieuse n’est pas très évidente, et l’Église a résisté longtemps à cette idée. Mais avec le concile Vatican II, c’est sans ambiguïté qu’elle reconnaît la liberté religieuse comme constitutive des droits humains, et qu’elle reconnaît avec respect la foi des autres et de ceux qui ne se reconnaissent pas dans une religion.
Ces mises au point ouvrent un large champ de recherche pour l’école catholique, en commençant par un regard sur nos pratiques. Certaines sont à réajuster, d’autres à poursuivre, et beaucoup à inventer. La crise actuelle démontre l’urgence d’une éducation à l’altérité. L’Évangile nous en donne les clés. Nous avons de solides appuis avec les intuitions des congrégations et les textes du magistère. Le débat dans la société civile apporte aussi sa contribution.
Dans mon atelier, nous avons travaillé sur la charte pour l’éducation au vivre ensemble au Liban. Les apports de la session m’ont permis de lire cette charte avec des lunettes plus ajustées que si je l’avais lu la semaine dernière. En effet, avant hier, le « vivre ensemble » me semblait être une évidence un peu universelle. Ce n’est pas le cas, et il faut contextualiser cette expression et connaître ce que les auteurs en disent. L’intérêt de cet atelier était de regarder les propositions d’éducation au vivre ensemble dans un cadre de société différent de celui que nous connaissons. En France, la laïcité forme le cadre pour le vivre ensemble. Au Liban, c’est la notion de citoyenneté inclusive qui sert de cadre dans une société moins sécularisée qu’en France et plus marquée dans son histoire par la pluralité religieuse. La citoyenneté inclusive va alors proposer de passer d’une sorte de juxtaposition des communautés religieuses variées à une réelle co-existence partagée. Une fois posés ces différents contextes, les réflexions et les réponses concrètes proposées sont des apports pour notre recherche de l’éducation à l’altérité. Ouf, fin d’après-midi, Dominique Chansel nous a proposé de nous décentrer en nous proposant un double voyage dans l’histoire de l’Italie et du rapport de l’état et de l’X° à travers les images du cinéma italien et principalement de la comédie. Il a fait avancer le smilblic tout en nous détendant. Merci !
CATHERINE PAGÈS
[1] Discours de clôture des débats aux États généraux du christianisme organisés par La Vie dans la cathédrale de Strasbourg par Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur . (du 2 au 4 octobre 2015)