Maud Savary et Isabelle Templet, Pour une éducation à la fraternité

POUR UNE EDUCATION A LA FRATERNITE

Maud Savary Isabelle Templet

         I             NOTRE TERREAU

– Population multiculturelle et multi religieuse grassoise

– Peu d’élèves inscrits en aumônerie au Lycée

– Dociles mais facilement ‘fédérables’

– Bon – très bon niveau scolaire

– Environnement familial protégé

– Niveau social souvent très élevé

– Très peu de diversité religieuse

 

  • LES ELEVES
  • Public privilégié
  • Famille en attente de réussite scolaire
  • Discours empreints de préjugés

 

  • ENSEIGNANTS
  • Concentrés sur les programmes et la préparation aux examens
  • Perception de l’éducation à la fraternité au mieux limité au temps de classe

 

  • CULTURE D’ENGAGEMENT A LA SOLIDARITE
  • Commission solidarité
  • Les projets
  • Activités collectives (Rallye, kermesse, marché, Bol de riz)

 

 

 

 

 

 

 

II  DES GRAINES A SEMER

 

  • Nécessité d’un retour au sens profond : prise de conscience : la fraternité
  • Volonté de jardiner
  • Source: notre spiritualité
  • Confiance: DU

 

Pour nous, éduquer à la fraternité, c’est la prise en compte des 3 dimensions de l’homme :

  • Son rapport à la Nature / Terre
  • Son rapport à autrui
  • Son rapport au Spirituel

 

  • MATINEES DE SENSIBILISATION AU COLLEGE

 

  • Sous le prisme des cultures
  • En lien avec la Nature
  • Dans la diversité religieuse

 

Après la thématique de la fête en 2014, de l’engagement en 2015, cette année la fraternité.

Au centre : NOTRE MONDE

6ème : Un monde à découvrir dans sa diversité culturelle

5ème : Un monde à protéger et à préserver

4ème : Un monde où coexister dans la Fraternité (religions + réfugiés)

 

  • ETRE ENSEMBLE POUR DEMAIN

 

S’est inscrit dans le cadre de la SSI qui a mobilisé l’ensemble de l’Institut.

Ecole + Collège : aide aux démarches de développement de nos partenaires    internationaux et de leurs projets

Lycée : NOUVEAUTE : Eveil des consciences

 

Thématiques :

  • Le dialogue interreligieux au service de la construction citoyenne
  • Les réfugiés : de l’accueil à la rencontre
  • La Terre et Nous : concilier développement et protection de l’environnement

 

DES TEMPS FORTS :

  • Préparation philosophique à la pièce Pierre et Mohamed (introduction à la semaine)
  • Cérémonie d’ouverture sur la cour (attentats)
  • Rencontres:

3ème / 2nde : interventions de personnes engagées auprès des migrants, pour l’environnement, au secours catholique ou aux restos du cœur

1ère / Tle : Conférences obligatoires + débats

Coexister

Vivre ensemble à Cannes

Responsable des relations islamo-chrétiennes

Cimade

Amnesty Internationale

Pastorale des Migrants

  • Arbre à palabres
  • Célébration de clôture
  • Echanges informels
  • Chanson sur l’Autre Rive
  • Table Ronde

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

III   UN JARDIN A CULTIVER

 

  • CE QUI A PU ETRE FAIT

      

  • Travail en amont :

Se constituer un carnet d’adresses

Rencontres préliminaires avec les intervenants

Construction collective

Logistique (planning, accueil des intervenants)

  • Communication interne
  • Soutien de la gouvernance (moral, technique, financier)

 

  • CE QUI NOUS A MANQUE

 

  • Adhésion profonde de tous
  • Réactions négatives imprévisibles, dont des graves car à l’encontre du fond du projet
  • Participation des parents et des profs (table ronde)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

IV LES FRUITS RECOLTES

 

  • FRUITS MURS

 

Adultes :

 

  • Le projet a suscité de l’intérêt (association , musées etc) et le l’engagement (migrants)
  • Reconnaissance de la qualité et de la richesse du projet avec des questionnements souvent constructifs
  • Volonté d’avoir une vision globale en rencontrant les intervenants de toutes les thématiques
  • Plaisir de vivre des rencontres d’amitié avec les partenaires de longue date

 

Elèves :

 

  • Plaisir : idem
  • Déconstruction des préjugés
  • Evènements vécus dans l’unité
  • On a bousculé leurs représentations de la mission de l’école (éducation humaine)
  • Possibilité pour les élèves de devenir acteurs (échange culturel et solidaire au Togo)
  • Vision juste de la laïcité et une compréhension plus éclairée du monde

 

  • FRUITS ENCORE VERTS

Comment rendre cette éducation à la fraternité, à la culture de l’autre, à l’altérité davantage féconde pour permettre aux jeunes de s’épanouir de toutes leurs dimensions.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

FICHE POUR LES PRODUCTIONS EN ATELIER

 

1 Dans votre établissement :

Quelle place est donnée à l’éducation, à la fraternité, à la solidarité, à l’interreligieux ?

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2      La population scolaire, le corps enseignant :

Quelles sont les possibilités, les opportunités et la nécessité pour envisager un projet ?

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3      Les moyens possibles :

Quelles ressources et difficultés ?

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4      Les perspectives :

Quel est le scénario dans lequel pourrait s’inscrire ce projet ?

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Monique Damlamian, Les rencontres d’Assise et le projet d’établissement

 

Atelier : Les rencontres d’Assise et le projet d’établissement

 

 

Ce rapide exposé, sur un thème aussi vaste, a pour but d’ouvrir au dialogue dans cet atelier et se saisir de quelques pistes de réflexions. Le but n’est en aucune manière l’écriture d’un projet d’établissement, ce qui signifierait alors que celui-ci est unique. Il y a autant de projets d’établissement que d’établissements. C’est donner à se saisir de cet esprit d’Assise pour déjà une relecture de ce qui se fait déjà de beau dans chaque école, collège, lycée. C’est encore de donner du souffle et du sens aux choix, aux décisions, aux visées que chaque école veut se donner dans son contexte. C’est aussi s’immerger dans le thème de cette session en voyant à quel point les rencontres d’Assise parlent de la laïcité et quelle singulière contribution (caractère propre) elles apportent au questionnement national actuel. A grandes enjambées nous allons parcourir l’histoire des rencontres d’Assise car il est toujours bon de relire l’histoire.

Quelques points forts seront retenus pour notre échange mais ces rencontres sont des sources inépuisables et les points d’ancrage pour une réflexion en équipe, ou mieux encore avec la communauté éducative, sont infinis. Le projet pastoral, qui traverse tout projet et toute la vie d’un établissement pourra y trouver sa force et son sens.

 

 

  1. Les Rencontres d’Assise

Ces rencontres « couvent », maturent en quelque sorte depuis le Concile Vatican II (1962 1965) qui s’est engagé pour la paix dans le dialogue avec l’Autre et qui a donné l’élan notamment dans deux décrets Ad gentes et Nostra ætate. La première rencontre a eu lieu en 1986. Nous ne devons pas penser que de 1965 à 1986 il a eu une longue attente faite de vide. Les situations de rencontres ont été nombreuses, les initiatives remarquables. Mais les rencontres d’Assise sont uniques et relèvent de l’inédit.

La première eut lieu à l’initiative de Jean-Paul II. Le 25 janvier 1986, à Rome, à l’issue de la semaine pour l’unité des chrétiens, le pape invite les catholiques, l’ensemble des chrétiens, tous les croyants, pour la première Rencontre d’Assise. Cette invitation est un « appel » afin de susciter un mouvement mondial de prière pour la paix. Jean-Paul II a clairement expliqué le sens de se rassembler pour prier dans la même ville sans recherche de consensus, de négociation, de concession mais pour être ensemble pour un projet commun. Non pas pour prier ensemble mais être ensemble pour prier. Voilà déjà de quoi nourrir un questionnement en équipe. Le contexte fait écho, cela se déroule dans le cadre de l’Année internationale de la paix proclamée par l’ONU, c’est aussi l’année de la « guerre froide » et de la guerre au Liban. La première Rencontre a lieu le 27 octobre 1986. Elle réunit 130 responsables religieux du monde entier, (bouddhisme, hindouisme, jaïnisme, zoroastrisme, sikhisme, islam, judaïsme, religions traditionnelles africaines et de nombreuses délégations chrétiennes) ainsi qu’une délégation de la W.C.R.P. (conférence mondiale des religions pour la paix). S’y associèrent de nombreux chefs d’Etat.

La deuxième rencontre, en 1993, se déroule sur fond de conflits dans les pays de l’ex-Yougoslavie. Le pape Benoît XVI donne à nouveau rendez-vous aux dirigeants des Églises, des communautés chrétiennes et des grandes religions du monde, pour rappeler l’événement de 1986, mais aussi pour regarder vers l’avenir face aux défis mondiaux, «journée de réflexion, dialogue et prière pour la paix et la justice dans le monde ». Qu’entendons-nous : comment chaque personne et chaque tradition religieuse peut-elle contribuer à la cause de la justice et de la Paix ? Mais aussi comment chacun, différent, peut apporter à l’Autre dans ce projet ?

La troisième rencontre le 29 janvier 2002 se place dans une période de tensions internationales. Cette rencontre est aussi une réponse aux attentats de New- York et à l’administration Bush qui désignait « un axe du mal » et employait dangereusement le mot de « croisade ». Les représentants religieux de toutes les religions élaborèrent un décalogue de la paix qui fut envoyé à tous les dirigeants du monde. Il a été lu le 29 janvier à Assise, par dix représentants de différentes religions, lors de la journée de prière pour la paix.

La rencontre la plus récente (et non la dernière…) a eu lieu le 27 octobre 2011, à l’occasion du 25e anniversaire de la première rencontre. Assise s’ouvre alors aussi à des personnalités du monde de la science et de la culture qui se définissent non-religieux. L’invitation d’humanistes donne à cette rencontre une tonalité particulière. L’intervention de Julia Krysteva est remarquable. Un discours qui lui aussi peut susciter en équipe de beaux débats.

Chaque rencontre d’Assise témoigne que la paix ne se fera que si chacun, croyant ou non croyant en prend la responsabilité. La dernière rencontre, elle, témoigne aux yeux du monde que les religions n’ont pas à déresponsabiliser les non-croyants de cette cause pour l’humanité. Une école « ouverte à tous » ne peut rester sourde à ce message.

 

  1. L’esprit d’Assise, un souffle pour l’établissement

Se réunir à Assise prend un sens « extra-ordinaire », la forme et le fond sont uniques. La Rencontre n’est pas une fin en soi, on se tourne vers la vie du monde. A Assise, il ne s’agissait pas de réunir les chefs des différentes religions ou mieux encore en 2011, d’y inviter aussi les non croyants pour avoir ainsi une photographie de l’instant et attester d’une heureuse convivialité. Pensons aux établissements, du bon climat qui règne…Tant mieux, est-ce suffisant ? L’absence de conflits est-il le seul marqueur de paix ?

A Assise, il fallait se réunir pour regarder ailleurs, plus haut, dans la même direction et s’y engager, avec une foi « explicite et active » dans un dialogue qui ne cherche aucun pouvoir sur l’autre. La liberté de croire est donnée à chaque homme si elle sert l’humanité. L’éducation à la liberté religieuse doit être garantie par la laïcité d’un Etat (si cette laïcité se préserve de conduire à l’inculture religieuse). Au risque de se répéter : voilà encore bien des « puits » à creuser pour un projet d’établissement.

 

Pour relire le projet d’établissement gardons aujourd’hui, de cet esprit d’Assise, que l’on peut :

Faire croître l’unique de chacun vers un dessein commun. (Le dessein commun n’étant pas le pourcentage de réussite au BAC, même si la réussite scolaire est un enjeu majeur)

Faire unité avec l’unique de chacun pour un projet qui nous dépasse. L’Autre possède une part d’humanité que je n’ai pas et qui me manque pour réaliser ce grand projet commun.

 

III. Le projet d’établissement

Qu’est ce qu’un projet d’établissement ? Un projet éducatif ? Un projet pastoral ? Cela peut être clarifié si nécessaire en se reportant au Statut de L’Enseignement Catholique diffusé en 2013.

 

Dans une école, on ne peut pas confier uniquement au hasard la rencontre avec l’altérité. (celle des savoirs, des jeunes, des adultes…) Le projet d’Etablissement doit être vivant, faire vivre chacun et chacune des rencontres à condition que l’on n’inscrive pas « qu’un élève » ou qu’on n’ajoute pas qu’un nouvel « enseignant » dans une équipe, mais une Personne.

On peut lire dans le Statut de l’Enseignement Catholique (2013) à l’article 24: «Elle (l’école catholique ) est ordonnée à l’homme, considéré dans son unité et sa totalité, (…) corps et âme, cœur et conscience, pensée et volonté » [1] A la lumière de ces rencontres nous allons ici retenir quelques pistes pour le projet d’établissement. Comme cela a été souligné, il y en a bien d’autres. Pensons tout simplement à la symbolique présente dans ces rencontres d’Assise (espaces, temps, gestes, paroles…) et à celle qui inévitablement est présente dans nos écoles. En être conscient est déjà une belle avancée.

 

  1. Les points d’interrogation.

Posons une interrogation sur ce qui pouvait se penser comme la vérité et posons « un point d’interrogation à l’endroit du plus sérieux. » (Julia Krystéva, Discours à Assise 2011, https://www.youtube.com/watch?v=2o2_9AkpuWI). Vatican II et les rencontres d’Assise nous invitent à devenir curieux de l’Autre, en avoir l’appétit, le goût. Mais aussi, l »enfant, le jeune, l’éducateur… doit devenir curieux de sa propre culture, de ses croyances ou non-croyances, les mettre à distance, les observer dans leur histoire et non les vivre simplement selon les règles.. Cela ne peut se faire que sous condition d’altérité. Ma culture, ma croyance ou ma non-croyance ne peuvent s’identifier que par « un autre » avant, maintenant, ici ou ailleurs.

Là toutes les rencontres et donc toutes les disciplines sont concernées (donc tout éducateur).Il faut apprendre non pas des réponses, selon le schéma classique d’une école, mais apprendre à poser ensemble des questions. Il faut non pas creuser des « puits de sciences » (Tous les actes de barbarie du XXé siècle n’ont pas été commis par des gens incultes et les plus grands diplômés du monde n’oeuvrent pas tous pour un discours de paix.) mais des puits qui provoquent à chaque pelletée, un étonnement. Un enfant ou un adulte qui questionne, c’est un établissement qui a réussi son pari sur la vie. Les adultes de l’école doivent engager leur réflexion de façon différente dans la rencontre avec les savoirs. Ils ne sont pas seulement une acquisition de connaissances et compétences mais doivent participer à la connaissance et à la re-connaissance de l’Autre et de soi et à la connaissance du monde. Une fois encore, cela ne peut se faire que sous condition d’altérité. Si tout le monde est catholique, je n’ai pas à me définir comme catholique et donc je ne m’interroge plus! C’est bien le problème de la démocratie qui n’a plus à s’affirmer face au totalitarisme de l’Est depuis 1989. Eduquer les nouveaux venus c’est « les préparer à la tâche de renouveler un monde commun » (Jean-Marc Aveline, Sur le chemin de l’autre,, Chemins de Dialogue, 2010, p 17), le questionner et non pas leur donner une caisse à outils pour se débrouiller dans la vie. Décider ensemble, en équipe, de s’engager dans ces enjeux pour la vie humaine, c’est former des élèves« chercheurs d’autres », des élèves « questionneurs d’évidences » qui ont à nourrir leur « en soi », non le taire. Commençons à poser des points d’interrogation sur l’établissement, non pour mettre tout en doute, mais pour « se lire ». Et posons aussi des points d’interrogation sur nous-mêmes, encore une fois non dans le but de se fragiliser mais de se préparer à la rencontre. Un projet d’établissement, inspiré des rencontres d’Assise, doit permettre à l’équipe d’initiateurs qu’elle est de s’initier : Quelle altérité sommes nous pour les autres ? Quels enseignants ? Quel accompagnateurs ?…-Qu’entendons-nous par culture ? Quels sont les faits culturels qui nous animent ? Est-ce que nous pouvons lire le pluriculturel qui nous habite ? – Comment définissons-nous valeurs culturelles, éthiques, morales ? – Comment définissons-nous le religieux ? -Comment interprétons-nous « liberté religieuse », « laïcité » , « respect »? Et tant d’autres questions qui ne trouveront des réponses que si l’Autre existe.

 

  1. L’accueil et le respect

Cela nous conduit à nous saisir de deux questions pour illustrer ce propos. Quel sens donnons-nous à deux mots qui fleurissent si abondamment dans les projets d’établissement : l’accueil, le respect. Des termes employés « à toutes les sauces », des incontournables dits, écrits, portés en étendards.

L’accueil :

Tout commence ainsi dans un établissement catholique, comme à la sécu, comme au bureau de poste, comme à l’hôpital…Alors quelle différence pouvons-nous signifier et faire vivre ? Et si, comme à Assise, nous passions de l’accueil (indispensable dans sa forme) à l’hospitalité ! La rencontre d’Abraham serait pour nous un bon lieu de réflexion pour démarrer. Et si nous nous disions que dans ce jeune, ce nouvel employé d’entretien, il y a du divin ou du génie selon la formule de l’humaniste, athée, Julia Kritéva.

L’hospitalité est souvent empêchée par deux craintes, celle de l’étranger que je ne connais pas, et celle de la dépossession de ce que je suis, de ce que j’ai. Nous ne pouvons échapper au flash de certaines situations dans les établissements où l’étranger (jeune ou adulte) révèle ces craintes.

 

Nous ne reviendrons pas sur l’hospitalité dans l’histoire et les cultures bien que cela soit passionnant et d’un bon enseignement, sans oublier le sens qu’elle prend dans la Bible. Le lien d’hospitalité est rarement égalitaire. Chez autrui, on ne fait pas comme chez soi même si l’hôte a des droits, ce sont ceux accordés par le maître de maison. La relation est, de fait, complexe et il se peut qu’elle aboutisse au sentiment pour l’accueillant d’être envahi et pour celui qui est accueilli, d’être piégé.

Il est important également de considérer que l’hôte provoque forcément un changement dans le lieu d’accueil. Selon les codes, au terme du séjour l’hôte doit raccompagner son hôte jusqu’à l’extérieur de sa maison,(entrée en sixième, orientation, changement d’établissement, mutation…) c’est là une marque de respect à son égard. Raccompagner sur le seuil, c’est aussi une manière de réinvestir son chez soi, de récupérer son intérieur et se retrouver (enfin?) comme avant ! Nous laisserons à chacun le soin d’illustrer… On a accueilli chez soi mais ce que l’on donne n’est qu’un prêt, une concession provisoire. C’est ce qui se passe dans un établissement, que l’on nomme l’accueil, et qui doit se passer ainsi, y compris pour le chef d’établissement qui est hôte et hôte pour un temps dans un lieu qui n’est pas le sien mais qu’on lui a confié pour un temps.

L’hospitalité inspirée des Rencontres d’Assise est autre, elle est « un partage de l’en soi » et ici, l’accueil devient différent de celui de la Sécu. Du chaleureux et indispensable accueil dans l’établissement, nous passons à l’hospitalité « divine ». Il ne s’agit plus ici d’hébergement dans un lieu mais d’hébergement en soi. Se laisser habiter pour combler l’attente, l’espace (le point d’interrogation) volontairement laissé pour recevoir l’autre et lui offrir, dans une égale réciprocité, d’occuper la place qu’il m’aura réservée. Les codes sont plus importants ici que nulle part ailleurs car tout se joue à la fois dans l’intime et l’infini. Le mot « code » devient donc inapproprié, on lui préférera celui d’engagement, un engagement réciproque qui garantisse à chacun la liberté et la dignité. L’autre est semblable mais il n’est pas le même, c’est par sa singularité qu’il révèle la mienne. L’hospitalité est alors l’espace de la relation à l’autre, qui oublie dans cet instant, le statut social, l’âge, le pays d’origine ou le pays d’accueil. C’est là que les hommes se dépouillent pour s’habiller d’ humanité . « Il leur dit: «N’emportez rien pour la route, ni bâton, ni sac, ni pain, ni argent ; n’ayez pas chacun une tunique de rechange. Si vous trouvez l’hospitalité dans une maison, restez-y ; c’est de là que vous repartirez » (Evangile de Jean, 1 , 45-51). Cela à condition que le moi n’englobe pas tout l’espace sous peine de ne jamais accueillir et en même temps, se garder de libérer tout l’espace sous peine de trahir l’ensemble mon histoire. L’hospitalité doit être vue comme une pensée positive et la frontière entre l’Autre et moi perçue non pas comme un mur de séparation mais comme espace de rencontre qui me préservera de penser que ma manière d’être est la seule manière d’être au monde. Il ne peut y avoir d’accueil au sens d’hospitalité sans réciprocité . On doit préparer les jeunes à ces rencontres, avec l’Autre, avec le monde. La peur de l’étrange peut être remplacée par une merveilleuse curiosité de ce que je n’ai pas car comme le dit Jacques Derrida « (…) nous sommes irréductiblement exposés à la venue de l’autre » et cela déjà dans la famille, lors d’une naissance.

Nous avons quitté, sans la rejeter, l’hospitalité qui fait œuvre de solidarité, de civilité pour une hospitalité en soi, d’une immense gratuité, offerte au monde, pour le bien commun.

 

le respect

On différenciera le respect des lois et règles civiques du pays natal ou accueillant, qui peuvent variées d’un pays à l’autre ou des règles qui peuvent varier d’un établissement à un autre, du respect universel de la personne. En suivant le raisonnement de Kant, nous pouvons dire que le respect à avoir de l’autre ne tient pas à sa fonction ou ses « qualités », ce qui crée une relation inégalitaire bien qu’indispensable dans une société, mais à une seule valeur : sa part d’humanité ou sa part de divin. S’il est mon semblable en humanité, je n’ai rien à lui imposer de ce que je suis, je n’ai pas à le craindre puisqu’il est lui même aussi porteur d’une part d’humanité que je n’ai pas. Pensons à la dignité acquise et donnée par le fait même d’être vu et entendu « Je t’ai vu quand tu étais sous le figuier » (Evangile de Jean, 1 , 45-51). C’est porter « attention » à l’autre, prendre du temps pour l’entendre et de ce fait m’écouter, dans la réciprocité. « Pouvons-nous nous abreuver mutuellement ? C’est au goût de l’eau que l’on en juge. » (Christian de Chergé, « L’invincible Espérance », Lettre de Ligugé. N° 217 Bayard Editions, 1997 p.73-74).

Selon la pensée de Kant, l’estime de soi ou celle de l’autre doit passer par les « critères de l’universalité » (Paul Ricoeur, Soi-même comme un autre, ED du Seuil, 1990, p 242 243). Là, la Déclaration des Droits de l’Homme (ou la Convention Européenne des Droits de l’Homme) et le décalogue sont à lire et relire en équipe, sans doute…Ce ne sont pas que des affiches sur un mur de classe ou un cours bouclé en septembre une bonne fois pour toute. Ce sont des supports objectifs qui étayent la critique mieux qu’un avis d’enseignant. Il est vital non seulement de respecter et défendre la dignité de tout être humain mais également de respecter et défendre la pluralité qui est la plus belle preuve de liberté que l’homme ait jamais reçue (laïcité) et « que le sens de ces différences nous soient un jour dévoilée par Dieu, selon l’heureuse formule du Coran » , verset 118 de la Sourate de Houd.

 

 

  1. Ni les Rencontres d’Assise ni le vie d’un établissement ne sont une fin en soi.

La vocation de l’école, comme celle de l’église est de l’ordre d’un service à une tâche qui la dépasse, elle n’est ni l’origine ni le but de la mission. L’unité n’a pas pour but l’unité dans l’école. La vie d’un établissement n’est pas un but en soi, elle devrait être remplie, certes, mais pour le déborder. La réussite à l’école ou la réussite de l’école n’est pas une fin en soi, elle doit permettre non de réussir dans la vie mais de réussir sa vie. On ne doit pas chercher seulement comment bien vivre ensemble à l’école (Maxime savait et aimait vivre avec Mohamed, mais pourrait-il vivre avec l’Islam ?) mais bien oeuvrer ensemble, ici, maintenant, pour ailleurs, pour plus tard, dans un but commun pour l’humanité. Les Rencontres D’Assise n’étaient pas destinées à s’auto-alimenter et n’avaient pas leurs finalités en elles-mêmes, pas plus que le projet d’établissement ou le projet pastoral ne sont là pour faire vivre l’école « en état de sainteté » derrière ses portes. Rappelons que le temps de catéchèse est destiné à faire découvrir comment un chrétien peut devenir l’hôte de chacun, par le texte vivant qu’est la Bible pour un croyant. Rappelons aussi que la prière est un acte libre de dialogue et non une simple récitation connue de l’ensemble des élèves pour la messe des familles. Ou alors, pourquoi continuer à prier hors de l’école ? Si l’établissement n’a que pour but d’être rempli dans un espace et un temps donné, nous ne serons pas surpris que certains consentent à dissimuler leurs croyances (y compris pour celui qui accueille) ou leur non-croyance. Consensus, compromis, concession… Certains établissements transforment la catéchèse en « art et religions », pour faire soft, pendant que d’autres rejoignent l’école coranique après avoir assisté à la messe obligatoire (Paris vaut bien une messe). Pas de concession mais un espace où chacun peut dire « Voilà ce que moi, je crois », comme à Assise. Une autre illustration, toute virtuelle… : « Combien d’heures avons-nous accordé aux « temps forts » ? Vite rattrapons en mars les 3 heures de février ! » Assez de « temps forts » ! Les temps forts ne sont pas programmables. Les temps forts, tels que nous les appelons ne prendront du sens s’ils n’ont pas comme unique but d’afficher « la couleur » de l’école aux yeux du quartier. Si seuls les temps forts sont programmés, que de temps faibles il nous reste à vivre ! Relisons les Rencontres d’Assise et découvrons que les temps forts se vivent dans chaque recoin, avant et après, dans les espaces ou les temps et qu’ils sont signes de rencontre, non des plages horaires sur des agendas ou des parenthèses dans le quotidien d’un établissement.

Un établissement qui initie pour ailleurs et demain c’est un établissement qui offre aussi à l’Autre la liberté car « Celui qui ne connaît que les normes de son pays est poussé à s’y soumettre » (Tzvetan Todorov, La peur des Barbares, Biblio essai, R Laffont, 2008, p 292)

 

  1. Faire unité pour un dessein commun

Les religions n’ont pas à déresponsabiliser les non-croyants de cette cause pour l’humanité. Si la catéchèse a bien un projet d’humanisation, elle ne peut le faire seule et pour ne pas s’imposer elle doit clairement reconnaître que les chemins vers Dieu sont multiples. Croyant ou non-croyant, l’homme ne peut, aujourd’hui, à lui seul, s’emparer du dessein de construction de Paix, pas plus que l’Eglise catholique ne peut entreprendre seule ce projet. Comment envisager de prendre en charge, au nom de l’humanité, une cause commune, en excluant une partie de l’humanité ! C’est bien le témoignage d’Assise. J’ai besoin de l’autre parce qu’il possède l’étrange que je ne connais pas et qui fait de moi un être différent de lui mais ce n’est cependant pas mon propre besoin que j’assouvis mais un besoin qui nous dépasse tous les deux. Il n’est pas là pour me compléter mais compléter cette image de l’humanité dont je ne détiens qu’une parcelle et qui est toujours en recherche de justice, vérité et de liberté. Le projet d’établissement doit accepter une mise de fonds à perte (comme les prêtres pendant la messe) s’il a aussi, au travers de toutes ses actions d’enseignement et d’apprentissage, une prétention à l’universel.

 

 

Conclusion

A la source d’Assise, comment l’école catholique d’enseignement peut-elle s’emparer de la pluralité des croyances/non-croyances, des cultures, des histoires individuelles pour apporter sa contribution au grand dessein d’unité et de paix pour l’humanité? Le comment  est d’une importance capitale car « Si tous les moyens sont bons pour imposer l’unité, le liberté de chacun est menacée. » (Tzetan Todorov, L’esprit des Lumières, R Laffont, poche, 2006, p 117)

Nous avons vu combien il semble essentiel de relire l’existant dans les établissements pour mettre en évidence la contribution originale apportée à la laïcité par le souffle d’Assise. La nécessité de recevoir l’Autre chez soi et en soi pour affirmer, dans la réciprocité, qui nous sommes, parcelle indispensable et singulière de l’humanité. Ne pas hésiter à mettre des points d’interrogation, surtout sur les évidences. En mettre un aussi sur « unité » afin de ne pas le confondre avec uniformité qui ruinerait l’indispensable pluralité. Et enfin être sainement prétentieux  pour les jeunes, les nouveaux venus: le projet doit prétendre, au travers du quotidien, à l’universel. Cela montre à quel point l’école doit être transparente dans son projet éducatif, son projet d’établissement et qu’elle reconnaisse qu’elle a besoin de l’élève pour apprendre à lire.

Sommes-nous si loin de la laïcité dans nos établissements catholiques ? Nous pouvons maintenant en débattre.

 

 

« Agir pour des choses lointaines au moment où triomphait l’hitlérisme, aux heures sourdes de cette nuit sans heures – indépendamment de toute évaluation de « forces en présence »- c’est, sans doute, le sommet de la noblesse » (Emmanuel Levinas, Humanisme de l’autre homme, biblio essai, livre de poche, 1972, p 47)

Monique Damlamian

 

 

 

 

Bibliographie

 

Nostra ætate. Déclaration sur les relations de l’Eglise avec les religions non-chrétiennes, Rome 1965

Déclaration sur l’éducation chrétienne, Gravissimum Educationis,, Rome 1965,

Le décalogue d’Assise pour la paix, 2002

Intervention du Pape BENOÎT XVI Assise, Basilique Sainte-Marie-des-Anges Jeudi 27 octobre 2011

Le discours de Julia Krysteva à Assise, 2011, https://www.youtube.com/watch?v=2o2_9AkpuWI

et

Statut de l’enseignement catholique en France, SGEC, 1er juin 2013

et

Jean-Marc Aveline, Sur le chemin de l’autre, Chemins de Dialogue, 2010

Fadi Daou et Nayla Tabbara, l’hospitalité divine, Association Chemins de Dialogue, 2013

Jacques Derrida, De l’hospitalité, ed Calmann Levy, 1997

Anne Gotman, Le sens de l’hospitalité. Coll. Le lien social – PUF, 2001.et http://sciences-croisees.com/N9/Gotman2.pdf

Julia Krysteva, Cet incroyable besoin de croire, Bayard 2007

Emmanuel Levinas, Humanisme de l’autre homme, biblio essai, livre de poche, 1972

Amin Maalouf, Les identités meurtrières, Livre de poche, Grasset, 2001

Paul Ricoeur, Soi-même comme un autre, Editions du seuil, 1990,

Christian Salenson, Une double liberté pour l’enseignant, Chemin vers l’autre , Chemin de dialogue 2010

Tzetan Todorov, L’esprit des Lumières, R Laffont, poche, 2006

Tzvetan Todorov, La peur des Barbares, Biblio essai, R Laffont, 2008

 

[1]          Statut de l’enseignement catholique en France, SGEC, 1er juin 2013.art 24

Pierre Montfraix, Les enjeux d’une éducation morale et civique

       Atelier : Les enjeux d’une éducation morale et civique

Documents pour l’atelier :

Document 1 : Le programme d’Enseignement Moral et Civique au lycée, http://www.eduscol.education.fr

Classes de Terminale Professionnelles et Générales : Pluralisme des croyances et laïcité

En classe terminale, l’enseignement moral et civique se centre d’une part sur l’un des piliers fondamentaux des sociétés démocratiques : la reconnaissance du pluralisme des croyances ; d’autre part sur la façon dont s’organisent, dans l’espace démocratique, de grands débats sur les questions éthiques posées par la biologie et la médecine. Pour chaque thème, les questions éthiques, sociales et civiques sont étroitement liées et aucune de ces dimensions ne doit être négligée. Les connaissances sont abordées en vue des compétences à acquérir. Les suggestions de pratiques de classe sont indicatives. Trois démarches sont néanmoins privilégiées pour la mise en œuvre de cet enseignement auquel contribuent toutes les disciplines : le débat argumenté, les projets interdisciplinaires (type TPE) et le partenariat.

 

Compétences Connaissances Exemples de situations et de mises en œuvre
  • Identifier et expliciter les valeurs éthiques et les principes civiques en jeu.

 

  • Mobiliser les connaissances exigibles.

 

  • Développer l’expression personnelle, l’argumentation et le sens critique.

·       S’impliquer dans le travail en équipe.

  • La notion de laïcité. Ses différentes significations. Ses dimensions historique, politique, philosophique et juridique. Les textes actuellement en vigueur.
  • La diversité des croyances et pratiques religieuses dans la société française contemporaine : dimensions juridiques et enjeux sociaux.
  • Exercice des libertés et risques d’emprise sectaire.
  • Étude pluridisciplinaire des différentes façons de concevoir les relations entre l’État et la pluralité des convictions religieuses, au sein des régimes démocratiques (projet interdisciplinaire souhaitable).
  • Une étude de cas à partir des conditions d’élaboration de la loi de 2004 et des débats au sein de la commission Stasi. Analyse des arguments qui s’opposent et des principes éthiques et politiques dont ils relèvent.
  • À partir de situations observées ou de supports divers (littéraires, philosophiques, historiques, cinématographiques…), un débat peut être mené sur la notion de tolérance et ses significations morales, la distinction entre tolérance et droit, les limites de la tolérance…

Document 2 : Abdenour Bidar, Intervention auprès de l’observatoire de la laïcité, Rapport 2015, page 104

Ce nouvel enseignement comprend quatre dimensions qui sont autant d’entrées propices : la sensibilité (rapport à l’autre, transmission d’une culture du respect, de la compréhension, de la tolérance, de la reconnaissance réciproque, etc.) ; le jugement (éducation à la liberté de penser par soi-même, culture de l’esprit critique, etc.) ; la règle et le droit (pédagogie de la loi qui fixe et garantit les mêmes droits et devoirs pour tous, etc.) ; l’engagement responsabilisation des élèves au service de l’intérêt général, d’une solidarité sociale ou humanitaire, etc.). L’heure hebdomadaire d’enseignement moral et civique – à partir de l’école primaire jusqu’au lycée dans toutes ses filières sera complétée par la mise en place d’un parcours citoyen dont la finalité est de s’assurer d’une cohérence et d’une progressivité de la formation morale et civique de l’élève du CP à la terminale. Ces quatre dimensions propres à l’enseignement moral et civique supposent une éthique enseignante revitalisée et remise au centre de la formation. On en trouve la formule notamment dans l’article 12 de la Charte de la laïcité à l’école qui définit l’enseignement laïque, du côté des enseignants, comme un enseignement qui garantit « l’ouverture la plus objective possible à la diversité des visions du monde ». Les enseignants doivent ainsi être en capacité d’enseigner la diversité des visions du monde, y compris religieuse.

 

Document 3 : Régis Debray, « L’enseignement du fait religieux dans l’école laïque », Rapport au ministre de l’éducation, 2002, pages 12 et suivantes.

Le principe de laïcité place la liberté de conscience (celle d’avoir ou non une religion) en amont et au-dessus de ce qu’on appelle dans certains pays la “ liberté religieuse ” (celle de pouvoir choisir une religion pourvu qu’on en ait une). En ce sens, la laïcité n’est pas une option spirituelle parmi d’autres, elle est ce qui rend possible leur coexistence, car ce qui est commun en droit à tous les hommes doit avoir le pas sur ce qui les sépare en fait. La faculté d’accéder à la globalité de l’expérience humaine, inhérente à tous les individus doués de raison, implique chemin faisant la lutte contre l’analphabétisme religieux et l’étude des systèmes de croyances existants. Aussi ne peut-on séparer principe de laïcité et étude du religieux (d’où l’intitulé du module suggéré plus loin). Mieux : il importe de commencer par une première leçon sur les fondements et obligations d’un principe somme toute peu banal, qu’on aurait tort de croire entré dans les mœurs, et dont les fureurs environnantes ne cessent d’accroître la pertinence. Loin qu’on puisse y voir une dérogation, une concession à des lobbies ou l’effet d’un inexorable grignotage, mener à bien les projets ici développés exige de l’École publique qu’elle se montre non pas un petit peu moins mais encore plus laïque, en s’adossant d’entrée de jeu à un ordre de valeurs clairement assumé, non moins contraignantes que celles des religieux et opposables à certains d’entre eux le cas échéant. (Chacun son credo. Nous respectons le vôtre. Respectez le nôtre…). Tout en veillant à comprendre autant que possible le sens symbolique et existentiel pour les croyants des rituels et des dogmes, la démarche proposée doit d’emblée et ouvertement reconnaître ses propres limites. Elle ne peut ni ne doit prétendre viser le cœur battant de la foi vécue, encore moins se substituer à ceux dont c’est la vocation. L’adhésion personnelle n’est pas de son ressort, pas plus que son refus. A l’intérieur et en fonction même de cette autolimitation, l’esprit de laïcité ne devrait rien avoir à redouter ici.

(…)

La relégation du fait religieux hors des enceintes de la transmission rationnelle et publiquement contrôlée des connaissances, favorise la pathologie du terrain au lieu de l’assainir. Le marché des crédulités, la presse et la librairie gonflent d’elles-mêmes la vague ésotérique et irrationaliste. L’École républicaine ne doit-elle pas faire contrepoids à l’audimat, aux charlatans et aux passions sectaires ?

S’abstenir n’est pas guérir. Le Penseur de Rodin qui envoie promener au loin la Bible d’un coup de pied négligent (vu dans une caricature) oublie que le Livre Saint ne disparaît pas pour autant dans la nature, ou n’est pas perdu pour tout le monde. Il en sera donné ailleurs (hors contrat) des lectures fondamentalistes, d’autant plus pernicieuses que les jeunes endoctrinés n’auront reçu aucun éclairage qualifié sur ce texte de référence. Il a été prouvé qu’une connaissance objective et circonstanciée des textes saints comme de leurs propres traditions conduit nombre de jeunes intégristes à secouer la tutelle d’autorités fanatisantes, parfois ignares ou incompétentes. Pas plus que le savant et le témoin ne s’invalident l’un l’autre, l’approche objectivante et l’approche confessante ne se font concurrence, pourvu que les deux puissent exister et prospérer simultanément (ce que permettent la liberté de conscience et notamment les diverses Facultés de théologie, dont certaines sont d’État, comme en Alsace-Moselle). Preuve en est que les deux peuvent coexister dans certaines personnes (un exégète peut être critique et ordonné). L’optique de foi et l’optique de connaissance ne font pas un jeu à somme nulle. Cette dernière commence par faire le partage, à titre liminaire, entre le religieux comme objet de culture (entrant dans le cahier des charges de l’instruction publique qui a pour obligation d’examiner l’apport des différentes religions à l’institution symbolique de l’humanité) et le religieux comme objet de culte (exigeant un volontariat personnel, dans le cadre d’associations privées). La laïcité n’est concernée que par ce qui est commun à tous, à savoir les empreintes visibles et tangibles des diverses fois collectives sur le monde que les humains ont en partage, sans se mêler, par prudence et pudeur, de ce qui n’est commun qu’à plusieurs, à savoir les expériences intimes.

 

Document 4 : Philippe Meirieu : Savoir et croire : vers une « pédagogie de la laïcité » ?, www.cafepedagogique.net, 19 février 2016

Une démarche jamais achevée

Nous avons à impulser, par un travail inséparablement expérimental et historique, concret et épistémologique, une quête qui évite au sujet de s’enkyster, de s’enfermer, de s’identifier à un moment donné de son évolution et de sa configuration entre « savoir » et « croire ».

(….)

C’est que les savoirs scientifiques peuvent parfaitement être acquis sans que soit intégré le principe éthique qui constitue, en deçà mais aussi au-delà de leur acquisition, la condition d’une véritable « science à hauteur d’homme » : convaincre sans vaincre. Car, c’est bien cela qui trame toute l’épistémologie des sciences ; c’est bien cela qui permet à la science de progresser et de nous émanciper des pouvoirs arbitraires comme des préjugés archaïques ; c’est bien cela qui fait de la science un vecteur d’humanisation… Or, « convaincre sans vaincre » n’a rien de spontané : cela s’apprend et se construit dans l’éducation, cela se transmet de génération en génération par des éducateurs qui savent montrer qu’il y a là, tout à la fois, un renoncement nécessaire à la violence qui nous habite et une source de satisfactions immenses, individuelles et collectives.

C’est dire que l’apprentissage du débat argumenté, avec un protocole rigoureux et sur des objets précis, doit être pleinement intégré à l’École, non comme un « supplément d’âme » et en dehors des disciplines scolaires traditionnelles, mais au sein de ces dernières et en garantissant l’implication de chacun et de chacune dans le processus. (…) S’exprimer et se justifier, expliquer et démontrer représentent, en effet, des apprentissages absolument fondamentaux. C’est par là que l’élève sera amené, dans l’effort même que le groupe et l’enseignant soutiendront avec bienveillance, à élucider le statut de ce qu’il énonce. C’est dans le travail de formulation que se trouve la clé de la compréhension et de la distinction assumée sereinement entre le savoir et le croire. Qui est privé de cette interlocution est condamné à tâtonner sans fin et menacé de confusion mentale : sans étayages psychiques extérieurs, il ne peut se structurer mentalement et reste vulnérable face à toutes les intimidations comme à toutes les emprises.

Mais le débat argumenté est encore bien plus que cela : c’est aussi la reconnaissance de l’autre comme un « autre soi-même » et, pour reprendre la belle expression de Paul Ricoeur, de « soi-même comme un autre ». Débattre avec l’autre, c’est se reconnaître comme faisant partie du même monde. C’est reconnaître l’autre comme un interlocuteur qui mérite d’être convaincu et dont l’adhésion m’importe plus que la soumission parce qu’il est, comme moi, un être de raison. Débattre avec l’autre, c’est accepter aussi que je peux être « affecté » par lui : non seulement, parce qu’il peut me permettre de voir des pans entiers de la réalité qui me sont invisibles, mais qu’aussi parce qu’il peut avoir compris mieux que moi certaines choses et qu’ainsi ses objections sont infiniment précieuses. Comme le dit encore Paul Ricoeur, « la tolérance n’est pas une concession faite à l’autre, c’est l’acceptation du fait que je n’ai pas la vérité tout seul ». Qui peut dire, aujourd’hui, que ce n’est pas là un enjeu pédagogique majeur ?

 

Document 5 : Ressources pour la classe sur le site Eduscol

 

Fiche : Intérêts et enjeux du principe de laïcité dans notre société

 

 

Fiche : La laïcité et l’expression des croyances religieuses

 

Document 6 : Alain Bergougnioux, « Pour un enseignement laïque de la morale », Rapport au ministre de l’éducation, avril 2013?

 

  • Un enseignement laïc de la morale est l’occasion d’un rééquilibrage et d’un rappel. Pour tous les agents publics, fonctionnaires ou contractuels, le principe de laïcité implique une absolue neutralité afin d’assurer le plein respect de la liberté de conscience des élèves et de leurs familles. La neutralité est celle des agents et non des élèves. La neutralité à laquelle sont ainsi soumis tous les personnels de l’éducation a en effet pour finalité d’assurer le respect de la liberté des usagers du service public, de leurs croyances ou incroyances. Leur liberté n’a de limites que dans les obligations inhérentes au fonctionnement du service public, du respect des programmes, des horaires ou des tenues impliquées par des enseignements particuliers, aux exigences de l’ordre public et de la santé publique. À ces limites s’ajoute l’interdit posé par le législateur, en ce qui concerne les élèves, du port de tout signe religieux ostensible visant à prohiber toute forme de pression ou de prosélytisme au sein des établissements scolaires et des classes. L’enseignement laïque de la morale est aussi l’occasion de rappeler le principe de la liberté de conscience, dans les seules limites ici rappelées. Mais la neutralité de l’enseignant et des autres personnels ainsi que le respect de toutes les convictions ne peut s’ériger en obstacle à la transmission des valeurs républicaines et constitutionnelles. Le respect de toutes les convictions ne peut, par exemple, conduire à transiger sur les principes de l’égalité entre les hommes et les femmes, le refus des discriminations ou la dignité de toute personne. L’enseignement laïque de la morale, fondé sur les valeurs républicaines que les enseignants ont le devoir de transmettre, est l’occasion de rappeler le cadre d’exercice de la liberté.
  • Les bornes juridiques sont ici la condition d’une éthique laïque. Si la laïcité, en effet, n’est pas seulement neutralité, mais aussi liberté, à tout instant, dans sa pratique, l’enseignant est confronté à l’exigence éthique : transmettre sans imposer, sans faire violence aux croyances des élèves et de leurs familles, avoir constamment à l’esprit le souci du commun, de l’intérêt général afin de ne pas heurter les intérêts privés, faire taire ses propres préjugés et ses propres croyances. Par son objet même, un enseignement laïque de la morale requiert de revitaliser une éthique laïque, condition d’une laïcité mieux intériorisée, mieux comprise et donc mieux mise en pratique.

 

 

 

Document 7 : Régis Debray, Didier Leschi « La laïcité au quotidien, Folio, 2016, page 36.

 

Certains maires ont supprimé les menus de substitution dans les écoles de la ville les jours où il ya du porc au menu. Cette substitution est répréhensible.

La cantine scolaire n’est certes pas un droit. Ce n’est pas une raison pour que les enfants ne puissent pas avoir le choix de ce qu’ils mangent. L’apprentissage de la vie en commun passe par la non séparation des petits en fonction de leurs origines ou confessions. Pas de tables à part, nide places réservées dans la salle commune, où s’impose la convivialité. Pas de menu imposé non plus. Le self service peut le permettre. Un enfant scolarisé dans le public doit avoir la faculté de ne pas enfreindre la règle qu’il pratique au sein de sa famille (ne pas manger de porc, mais aussi de la viande de bœuf, ou de la viande tout court). Mais il ne doit pas, non plus, être assigné par les adultes à un régime alimentaire en fonction de ce que ces derniers pensent être ses origines réelles ou supposée.

 

 

Lydia Bozouklian, Charte Nationale pour l’éducation au vivre ensemble au Liban (annexe)

La présente charte fut ratifiée lors d’une cérémonie publique le 15 mars 2013 par le Ministre de l’Education libanais, la Présidente du Centre de Recherche et de Développement Pédagogiques, le Coordinateur de la Fédération des Institutions Educatives Privées au Liban et le Président de la Fondation Adyan. 

CHARTE NATIONALE 

POUR L’EDUCATION AU VIVRE ENSEMBLE AU LIBAN 

Dans le cadre de la citoyenneté inclusive

Préambule 

La diversité culturelle et religieuse au Liban a de tout temps défini le tissu social et constitué un élément concepteur de l’identité nationale. L’affiliation religieuse joue également un rôle primordial dans la formation de la personnalité, des idées et du comportement du citoyen libanais, influençant même ses relations avec les autres et ses activités dans la sphère publique. La constitution Libanaise prône le respect de cette dimension spirituelle ainsi que cette diversité religieuse, en garantissant la liberté de croyance d’une part et le respect par l’Etat de tous les rites et traditions d’autre part1. Ainsi, la Constitution stipule-t-elle qu’aucune légitimité ne serait accordée à quelconque autorité contredisant de part sa nature ou son activité le Pacte de vie commune2.

1 Constitution Libanaise, article 9.

2 Constitution Libanaise, introduction, j

3 Déclaration de l’UNESCO sur la diversité culturelle (2001), art.1 et 2

4 “L’Education: un trésor est caché dedans”, rapport de la Commission internationale sur l’éducation pour le vingt et unième siècle, publications de l’UNESCO, 1996.

La Constitution place donc la diversité religieuse au coeur du contrat social libanais et garantit la liberté d’exprimer cette diversité en religion comme en éducation. Elle voit en cette diversité riche et interactive un élément de la culture nationale commune (l’expérience populaire de vie commune, la gestion partagée du secteur public, les congés religieux officiels, les valeurs communes, le patrimoine et les sites religieux touristiques, …), faisant du Liban le modèle de l’entité nationale et la culture commune fondées sur l’unité dans la diversité et la volonté de vivre ensemble.

Cette réalité nationale s’avère conforme aux chartes internationales ; en effet, la Déclaration Universelle de l’UNESCO relative à la diversité culturelle considère cette dernière comme étant une source d’échange, de rénovation et d’innovation dont l’existence serait tout aussi indispensable pour l’être humain tout comme la diversité biologique est indispensable aux êtres vivants. Ainsi la déclaration met-elle l’accent sur les politiques visant à promouvoir la cohérence sociale et la paix en garantissant la participation et l’interaction de tous les citoyens, quelque soit leur appartenance, dans le cadre d’une société civile active couvant cette diversité3. Selon le rapport de la commission internationale de l’UNESCO sur l’éducation pour le XXIème siècle4, l’éducation devrait constituer un processus continu dont les objectifs principaux comprendraient la promotion des principes de coexistence et l’entretien de relations avec des individus ou groupes d’appartenances différentes.

Par ailleurs, dans son article 26 réclamant le droit à l’éducation pour tous, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme insiste sur une éducation globale qui doit viser l’épanouissement de la personnalité humaine, le renforcement des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et qui doit favoriser la compréhension, la tolérance et l’amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux ou religieux5.

5 Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (1948), article 26.

L’éducation au Vivre Ensemble au Liban se présente ainsi telle la réponse aux règles constitutionnelles instituant l’entité nationale conformément aux instruments internationaux et aux valeurs spirituelles prônant le développement de l’humanité et la civilisation de l’Homme. Elle pourvoit aux jeunes générations la capacité de vivre à la lumière de la mondialisation, du rapprochement et de l’interaction entre les peuples. En outre, cette éducation est en elle même un objectif stratégique de première importance eu égard à la gravité des séquelles laissées par les guerres et conflits intérieurs sur la société Libanaise, la cohésion sociale ainsi que sur les individus et leur confiance vis-à-vis de leur pays comme des autres.

La société libanaise souffre aujourd’hui du poids de sa mémoire surchargée de violence ainsi que d’une ségrégation sociale selon les affiliations religieuses, et de la propagation de stéréotypes et préjugés déformés sur l’Autre. L’appartenance religieuse est par ailleurs souvent exploitée pour des fins de mobilisation politique et afin de raviver les mentalités confessionnelles et fanatiques renfermées. C’est ainsi que nait le fanatisme communautaire aux dépends de la citoyenneté basée sur le partenariat entre les citoyens et sur les valeurs communes. Viennent s’y ajouter certaines mauvaises interprétations des religions qui attisent de plus en plus les orientations vers l’isolation, la claustration et l’intolérance, déformant le message des religions abrahamiques et leur appel à la paix, la justice, l’amour et le service des nations et la solidarité entre les peuples.

Sur ce s’explique l’importance de l’éducation au vivre ensemble qui dépasse la simple diffusion d’une certaine culture religieuse ou l’approche de la citoyenneté de part sa dimension individuelle ou légale séparée de la réalité libanaise. C’est une éducation qui requiert le renforcement de la capacité des jeunes à percevoir la diversité religieuse dans le contexte libanais comme étant un élément du patrimoine national commun, et à prendre conscience de ses facteurs qui renforcent l’appartenance à une entité nationale unifiante. L’éducation au vivre ensemble se fait à partir de la promotion des valeurs de la citoyenneté inclusive qui couve cette diversité culturelle et religieuse en mettant en exergue ses racines spirituelles et dimensions humaines globales afin qu’elle devienne un outil de dissuasion contre les mentalités fanatiques et intolérantes.

Cette approche de l’Education au Vivre Ensemble à la lumière de la citoyenneté inclusive va de pair avec le plan de réforme éducative adopté par le conseil des ministres en 1994 ainsi qu’avec les programmes éducatifs prévus par le décret no 10227 du 8\5\1997. L’accent y est mis sur la formation d’un citoyen qui :

 Puise son patrimoine spirituel dans les religions abrahamiques et s’attache aux valeurs et éthiques humaines,

 Prend conscience de son histoire nationale loin de toute ségrégation obtuse afin d’aboutir à une société unie et ouverte,

 OEuvre pour la promotion de l’intérêt public et se soumet aux règles du Pacte de vie commune,

 OEuvre pour la consolidation de l’esprit de paix en soi ainsi que dans les relations individuelles ou sociales nationales.

Afin de pouvoir réaliser les objectifs escomptés de l’éducation, indispensable est l’entente, voire même l’unanimité, entre toutes les parties concernées (partant des étudiants eux-mêmes, leurs parents, pour arriver aux éducateurs, formateurs, directeurs et décideurs de politiques et programmes éducatifs dans les deux secteurs privé comme public) vis-à-vis d’une approche commune relative à cette question fondamentale. Ainsi, cette Charte Nationale pour l’Education au Vivre Ensemble dans le cadre de la Citoyenneté Inclusive fut-elle élaborée pour incarner la détermination des partenaires susmentionnés face à ce défi et cette responsabilité commune. La charte présente en effet le cadre conceptuel, les politiques et mécanismes pouvant mener aux objectifs visés en toute harmonie et efficacité.

Chapitre Premier 

Concepts fondamentaux et 

principes généraux 

Article premier: le modèle culturel Libanais 

Le Liban se présente comme un modèle culturel voire même un message pour le monde de par sa capacité à reconnaître, respecter et protéger les spécificités culturelles des communautés religieuses constituant son tissu social d’une part, et affirmer l’unité nationale et la cohésion sociale d’autre part. Il constitue en effet un espace commun d’interaction et d’harmonie entre les citoyens de diverses affiliations, fondé sur l’égalité des droits et des devoirs ainsi que sur le respect des lois et valeurs communes.

Article deux : la citoyenneté inclusive au lieu de la fusion et du confessionnalisme 

La citoyenneté inclusive ne peut se réaliser au Liban qu’après avoir repoussé les dangers de fusion et de confessionnalisme ; le concept de fusion, dans son sens large, prévoit une union qui naît de la fonte de tous dans le même creuset, et qui dévêtit donc notre société de la diversité qui fait sa richesse et donne au citoyen l’impression de renier une part importante de soi. Quant à la mentalité confessionnelle, elle est introvertie, enferme les citoyens dans un cercle de fanatismes et leur fait perdre toute marge de participation et de responsabilité basée sur les constantes nationales communes. Une approche saine de la citoyenneté supposerait donc de considérer la diversité culturelle et religieuse du Liban comme étant un élément de l’identité nationale et la culture générale d’une part, et de voir en cette citoyenneté un espace vital commun permettant d’affirmer l’identité nationale et de participer à la vie publique.

Article trois : l’éducation au Vivre Ensemble 

Une citoyenneté efficace et responsable demande l’élaboration d’un projet éducatif couvrant la diversité culturelle et religieuse de la société libanaise afin d’éviter que les appartenances religieuses personnelles des étudiants ne prennent le dessus sur leur identité nationale ; ainsi, au contraire, grâce à l’éducation à la citoyenneté, l’étudiant découvrira en soi une place pour son caractère culturel propre mais également pour les autres et apprendra à respecter et apprécier les spécificités de l’Autre en tant qu’éléments de sa culture nationale générale. Cette approche renforce la cohésion sociale, ravive la société civile et consolide la paix civile en facilitant les interactions sociales et culturelles trans-religieuses. Elle aide également à promouvoir et propager les capacités innovatrices à travers le pays. L’éducation au vivre ensemble contribue ainsi à l’émergence d’une société dont la sécurité, l’ouverture, la coopération et le partage seraient les principaux piliers.

Article quatre : l’école, un espace sûr pour le dialogue et la rencontre 

Les institutions éducatives au Liban contribuent énormément à l’instauration de la culture nationale et la paix civile lorsqu’elles offrent aux étudiants un espace sûr afin d’expérimenter et d’établir des liens avec les autres à partir du dialogue objectif et du respect de la différence, loin de toute influence confessionnelle, partisane ou de quelconque autre nature. L’école constituerait par conséquent un spécimen de la société rêvée, où l’éducation au vivre ensemble dans le cadre de la citoyenneté inclusive fait partie intégrante du projet éducatif et moral.

Article cinq : la diversité interculturelle dans la vie publique 

Cette approche requiert l’élaboration de programmes éducatifs présentant la diversité religieuse dans le contexte libanais comme un élément évident de la vie publique. L’éducation traiterait donc ses dimensions historique, culturelle, sociale et spirituelle à partir d’une approche objective et positive. « L’alphabétisation religieuse » aiderait à découvrir l’Autre selon l’image qu’il a de lui-même, à se connaître mutuellement et à consolider le sentiment de tranquillité à l’égard des relations interreligieuses, ne laissant plus de place à l’ignorance ou à la réticence et l’hostilité qui en découlent. C’est une approche fondée sur la compréhension et le respect des particularités de l’Autre ; elle met en avant les points communs qui aident à prendre conscience de la responsabilité sociale et nationale partagée. L’étudiant réalisera ainsi les valeurs de la vie publique puisées dans les références religieuses et humaines communes, et sera prêt à s’y engager.

Article six : l’approche éducative basée sur les compétences dans la gestion de la différence 

L’élaboration de programmes éducatifs à partir de l’approche par compétence vise à renforcer les capacités de l’étudiant afin qu’il puisse user du savoir acquis à l’école dans sa vie quotidienne et dans le développement de ses pratiques sociales. A ces fins, l’éducation au vivre ensemble ne devrait point se résumer à l’introduction du pluralisme religieux comme étant une simple matière cognitive sans aucun lien avec la réalité ou l’attitude et la personnalité de l’étudiant ; mais au contraire, le pluralisme religieux se doit d’être vu en tant que facteur de réalisation des objectifs éducatifs à travers les diverses disciplines. Cela requiert la mise en place d’un projet éducatif global permettant de libérer les mentalités des étudiants des résidus du confessionnalisme, les rendant capables d’être positifs face à la différence, de résoudre leurs conflits de manière pacifique, et de voir en la diversité un élément vital de l’identité nationale qui fait leur fierté.

Article sept : l’étudiant, facteur de changement social 

L’approche éducative basée sur les compétences place l’étudiant au centre du processus d’apprentissage et accorde une importance particulière aux circonstances de la vie quotidienne au lieu de séparer le contenu pédagogique de ses contextes réalistes. L’éducation au vivre ensemble dans le cadre de la citoyenneté inclusive devrait donc se pencher sur les expériences et problématiques des étudiants eux-mêmes afin de les armer des compétences

appropriées non seulement pour comprendre et analyser ces réalités mais pour y laisser une empreinte positive également. L’étudiant peut donc être un agent de changement fondamental dans son environnement familial et social. Cette approche encourage ainsi les jeunes à participer à la vie publique et pose les bases d’une pratique nationale consciente et responsable.

Article huit : l’éducation au dialogue par le dialogue 

Le dialogue avec l’autre et la communication entre les groupes culturels et religieux ne devraient pas uniquement figurer parmi les éléments de l’éducation au vivre ensemble, mais parmi les principaux outils de cette éducation. En effet, l’éducation au vivre ensemble dans le cadre de la citoyenneté inclusive passe par le dialogue d’autant plus qu’elle y mène. Ainsi, la gestion positive de la diversité devient-elle un objectif comme un moyen du processus éducatif. Cela demande d’assurer les circonstances adéquates permettant aux étudiants, dans quelconque environnement mixte ou homogène soient-ils, de pratiquer le dialogue et les activités communes interreligieuses. De là naît la culture de la citoyenneté inclusive, fruit de l’expérience de la coexistence et du partenariat social libéré de toute intolérance.

Article neuf : un projet de développement de toute la communauté scolaire 

L’école n’est point à l’écart de la société qui l’entoure mais au contraire subit sa réalité ; en effet, élèves, éducateurs et directeurs portent tous en eux les idées, les raisonnements et les émotions de cet environnement. D’où la nécessité pour le projet éducatif général de l’école de prendre en considération les problématiques en rapport avec le contexte local et national, ainsi que l’impact des médias et nouvelles technologies sur les positions et les opinions. Le processus éducatif devrait également garantir une marge à l’esprit critique afin de reconsidérer et analyser les tendances prévalentes à partir des principes et des valeurs de la coexistence. Cela nécessite la communication avec les familles d’élèves et leur participation à l’adoption et la mise en application du projet éducatif d’une part, et d’autre part la coopération avec les organisations concernées de la société civile et les diverses institutions médiatiques. Ainsi, l’éducation au vivre ensemble deviendrait un facteur d’éveil, de changement et de développement durable de toute la communauté scolaire.

Article dix : le rôle primordial des éducateurs et éducatrices 

L’éducation au vivre ensemble demande un engagement de la part de toute la famille scolaire, en particulier de la part des éducateurs et éducatrices, quelques soient leurs domaines de compétences ou leurs responsabilités pédagogiques. En effet, l’éducateur a une influence notoire sur les élèves ; il est l’exemple à suivre, il transmet les valeurs et aide dans la consolidation des compétences requises pour la réalisation des objectifs du système éducatifs. C’est pourquoi les éducateurs et éducatrices se doivent de recevoir une formation continue afin d’accomplir leur mission de manière efficace selon le concept de la citoyenneté inclusive.

Article onze : le rôle de l’éducation religieuse dans la promotion de la coexistence 

L’éducation au vivre ensemble est différente de l’éducation religieuse privée ; mais lorsque la première aide à promouvoir le respect du patrimoine religieux dans sa diversité et met en relief la place qu’il occupe dans la vie publique, les deux deviennent complémentaires. D’autre part, l’éducation religieuse renforce la coexistence en affirmant l’appel des religions au respect de l’Autre, de ses croyances et ses traditions ainsi qu’à l’ouverture et la solidarité sociale, et en mettant l’accent sur les valeurs et croyances communes afin d’éviter tout isolement dans l’identité religieuse privée. L’éducation religieuse aide également les élèves à découvrir l’harmonie entre les valeurs de la citoyenneté et de la coexistence et les préceptes religieux.

Article 12 : la coopération entre la société civile et les secteurs privé et public 

L’éducation au vivre ensemble demande une coopération continue ainsi qu’un partenariat durable entre le secteur privé et le secteur public, comme entre ces deux et la société civile, celle-ci constituant le champ d’expériences des résultats du processus éducatif. Le secteur privé contribue à la réalisation des objectifs de l’éducation au vivre ensemble dans le cadre de la citoyenneté inclusive par son adoption de son approche et la mise en application de ses programmes en les adaptant aux particularités de ses institutions religieuses ou laïques.

Article treize : la charte et le développement continu 

Cette charte représente le cadre national régulateur de l’éducation au vivre ensemble et identifie ses indicateurs de succès. En effet, elle est l’une des références principales du processus de développement des programmes pédagogiques ; elle encourage les institutions concernées à intégrer le concept de citoyenneté inclusive dans le contexte éducatif comme au niveau des politiques et pratiques, d’une manière adaptée aux particularités culturelles et démographiques de chacune d’entre elles. C’est la raison pour laquelle la charte requiert un engagement profond, une forte coopération ainsi que de bonnes intentions de la part des responsables et décideurs en éducation comme en politique. Elle nécessite de plus le suivi de l’application, l’évaluation et le développement continu, ainsi que de la persévérance et de la patience en l’attente des objectifs escomptés.

Chapitre Deux 

Les politiques pédagogiques 

Article quatorze: les objectifs pédagogiques escomptés 

L’éducation au vivre ensemble vise à former un citoyen :

 Engagé aux valeurs de la citoyenneté inclusive allant au-delà de l’environnement scolaire, surmontant les mentalités confessionnelles et renfermées et consolidant son appartenance à une entité nationale globale,

 Capable d’aborder la diversité religieuse avec objectivité, de comprendre et de respecter les particularités de chaque religion, de prendre conscience des valeurs communes et de la responsabilité sociale et nationale partagée,

 S’attelant, grâce aux compétences acquises, à faire sienne les valeurs et les positions de la diversité, à contribuer au renforcement de la cohésion sociale et à opérer un changement positif au sein de la société,

 Faisant preuve d’esprit critique et de responsabilité face aux conflits en rapport avec les slogans religieux, et capable d’en faire une opportunité de sensibilisation aux dangers de l’exploitation des religions dans les conflits politiques et aux conséquences du fanatisme et de la discrimination,

 Fier d’appartenir à un réseau de relations nationales interreligieuses.

Article quinze : la croissance progressive et intégrée 

L’éducation au vivre ensemble se fait selon une politique pédagogique cumulative qui mène à la formation de la personnalité de l’élève suivant quatre dimensions complémentaires, à savoir : Homme, citoyen, croyant, actif.

Etapes de l’éducation de base :

a- Le premier cycle de l’éducation de base met l’accent sur l’aspect humain en général, l’appartenance à la famille humaine dont tous les membres sont égaux dans la dignité ; ainsi se développe un sentiment de solidarité avec tout être humain, et un refus de toute forme de discrimination ou de racisme.

b- Le deuxième cycle de l’éducation de base se concentre sur la citoyenneté, les valeurs de la vie publique, l’amour de la nation, le respect de la sphère publique et la prise de conscience des droits et devoirs du citoyen.

c- Le troisième cycle de l’éducation de base est celui de l’acceptation de la différence et de la diversité religieuse en tant que source d’enrichissement de la culture nationale globale. L’objectif y est donc de découvrir cette diversité, de se connaitre et de

communiquer entre confessions, avec un accent particulier sur les valeurs communes, l’ouverture, le rejet du fanatisme et de l’isolation.

Etapes de l’éducation secondaire :

a- Le cycle secondaire se penche sur la découverte de la diversité religieuse dans ses dimensions mondiale et culturelle, ainsi que des problématiques de conflit et de dialogue s’y rattachant. L’élève pourra ainsi se créer une image réaliste de la diversité religieuse, dans un esprit totalement indépendant, une capacité d’auto critique et à partir d’un rejet des stéréotypes. Il sera également introduit au concept de résolution pacifique des conflits et acquerra l’esprit de service et de responsabilité dans la promotion de la paix et la justice, afin de faire du Liban un modèle voire même un message de coexistence.

Toutefois, mettre l’accent sur l’une des quatre dimensions susmentionnées ( homme\ citoyen\ croyant\ actif) à travers les quatre cycles ne signifie pas d’identifier une seule dimension pour chaque cycle, mais au contraire, il s’agit de les aborder toutes du point de vue de leur lien à l’éducation au vivre ensemble dans le cadre de la citoyenneté inclusive, cependant suivant divers contextes, à savoir : l’aspect humain, la citoyenneté, la diversité religieuse, et enfin l’engagement et la responsabilité dans les relations ainsi que le maintien de la cohésion sociale et l’instauration de la paix.

Article seize : la citoyenneté, base de l’éducation au vivre ensemble 

Selon la Charte, la citoyenneté inclusive serait le contexte sain pour comprendre la diversité, apprendre à l’apprécier et promouvoir la culture de la coexistence. L’éducation au vivre ensemble commence par l’approfondissement du sens de l’appartenance nationale, l’amour de la patrie et le respect de ses emblèmes (drapeau Libanais, hymne national…), ainsi que par la fierté de l’identité nationale, la confiance à l’égard des institutions de l’Etat, le service de l’intérêt général et le respect de la sphère publique. Ce contexte naturel serait donc favorable au développement de l’individu, car il y découvrirait les dimensions de sa citoyenneté individuelle et commune, allant des droits et des libertés à la participation dans la société civile et la vie publique ; un contexte qui présente au citoyen l’opportunité de s’ouvrir et s’adapter à la diversité culturelle et religieuse constituant la société. Cette approche de la citoyenneté inclusive génère une nouvelle mentalité de collaboration et de vision commune vis-à-vis de l’avenir et de l’intérêt général.

Article dix-sept : la vision positive de la diversité comme réalité culturelle 

L’éducation au vivre ensemble considère la diversité religieuse comme étant un phénomène en rapport avec la réalité ainsi que l’un des éléments de la culture nationale générale. Ainsi oeuvre-t-elle pour emmener l’élève d’une position de crainte, de rejet ou de dédain à l’égard de l’Autre (différent de par son appartenance religieuse), à la conviction que cette diversité est bien une opportunité d’enrichissement mutuel. Cela requiert une connaissance objective des différentes religions, confessions et rites, qui se ferait selon la manière dont les croyants eux-mêmes se présentent et présentent leur religion ; une connaissance objective qui ne peut 10 

être atteinte que par le dialogue et les relations amiables et honnêtes entre les élèves de différentes appartenances religieuses.

Article dix huit : mettre l’accent sur les valeurs communes 

Les religions ne peuvent se résumer à un système de convictions et slogans propre à chacune ; elles portent en elles un message laissant une marque particulière sur la vie et guidant le croyant vers le bien selon des valeurs et des concepts spirituels qui en découlent. Par conséquent, l’accent se doit d’être mis sur les valeurs communes entre les religions et confessions afin que l’appartenance religieuse ne soit plus synonyme d’identité collective différente, et afin que les élèves découvrent qu’à travers leurs diverses appartenances, ils sont tous en quête du bien et de l’amélioration de soi comme de la société.

Article dix-neuf : l’éducation aux valeurs de la citoyenneté inclusive 

A la culture de la vie commune se rattache une série de valeurs communes entre les religions aux dimensions spirituelles et humaines ; valeurs qui se doivent d’être propager et ancrer dans les esprits des élèves par le biais de l’éducation et l’apprentissage scolaire afin de guider leur comportement à l’avenir, que ce soit à l’université, au travail ou dans la société. Les éducateurs, éducatrices et parents sont également appelés à adopter ses valeurs parmi lesquelles le respect de la dignité et la vie de l’homme, le rejet de toutes les formes de discrimination, l’ouverture à l’autre et l’acceptation de la différence, le respect des lieux et des symboles sacrés, la paix avec soi et les autres, la justice, l’honnêteté, le refus des double mesures, la crédibilité, la solidarité, le service, la charité et la compassion.

Article vingt : le renforcement des capacités pour le dialogue et la coexistence 

L’éducation au vivre ensemble suppose qu’une attention particulière soit accordée à certaines compétences afin de promouvoir la capacité de communiquer, dialoguer et apprendre de la différence. A cet égard, les principales compétences à consolider chez l’élève seraient : l’écoute, le respect des opinions différentes, la flexibilité mentale permettant de comprendre l’autre à partir de sa propre réalité et d’éviter les préjugés injustifiés, la modestie, l’aptitude à admettre la vérité exprimée par les autres, la tolérance intérieure permettant de découvrir les espaces communs, la reconnaissance du lien avec l’Autre, la solidarité et la compassion humaine afin d’adopter les causes justes des autres.

Article vingt et un : promouvoir l’objectivité et la liberté intellectuelle 

L’approche de la diversité culturelle dans le cadre de la citoyenneté et l’éducation au vivre ensemble requiert la formation des élèves afin qu’ils s’éloignent de la généralisation, qu’ils se libèrent des stéréotypes, des préjugés et du fanatisme, et qu’ils soient capables d’aborder ces sujets avec modération et objectivité. Ainsi, cette approche tente-t-elle d’habiliter les élèves à acquérir l’indépendance intellectuelle afin d’exprimer leur points de vue librement, à développer leur compétences analytiques et esprit critique afin d’éviter les approches confessionnelles des évènements, à être plus objectifs dans leur vision des choses afin d’être à l’abri des positions fanatiques et être en mesure d’y faire face pour servir l’intérêt général. 11 

Article vingt deux : purifier la mémoire et tirer les leçons du passé 

L’éducation au vivre ensemble ne peut négliger les affres du passé ayant souvent causé des conflits sanglants voire même annihilants entre les confessions libanaises ou même au sein d’une même confession. Une mémoire surchargée de violence et portant les cicatrices du passé génère troubles et angoisse et affaiblit la confiance en l’Autre souvent accusé de ces souffrances rien que par son appartenance confessionnelle. L’éducation au vivre ensemble demande une relecture méthodique du passé, de ses aspects positifs comme négatifs, afin d’en tirer les leçons et pouvoir se libérer de son effet sur le présent. Cela suppose d’admettre qu’à chacun ses circonstances passées et sa propre version des événements, afin que cette relecture se fasse à la lumière d’une vision commune de l’avenir ainsi que d’une conviction que les objectifs légitimes ne sont atteints qu’à travers la pratique démocratique, et jamais arrachées par la force.

Article vingt trois : l’ouverture à la diversité dans tous les contextes scolaires 

Les mélanges interculturels dans les écoles libanaises varient selon les environnements démographiques ou les politiques générales des établissements scolaires privés. En effet, certaines écoles tirent un profit direct de la diversité religieuse et confessionnelle au niveau des éducateurs ou des élèves en expérimentant la vie en commun, l’enrichissement mutuel et la coexistence. D’autres écoles optent pour un corps professionnel et une communauté d’élèves homogènes de par leur appartenance religieuse ou confessionnelle. Dans les deux cas, l’éducation au vivre ensemble nécessite l’adoption de politiques pédagogiques encourageant l’ouverture à la diversité culturelle et religieuse et oeuvrant pour sa mise en application selon les mécanismes proposés par la présente charte.

Article vingt quatre : la complémentarité entre l’éducation formelle et non-formelle avec un accent sur les activités extracurriculaires 

L’éducation globale au vivre ensemble basée sur l’approche par compétences atteint ses objectifs par l’intégration dans l’éducation formelle des approches de l’éducation non-formelles et activités extracurriculaires offrant aux élèves l’opportunité d’apprendre par la pratique, d’acquérir les compétences requises par l’expérience et d’interagir avec leurs camarades dans des contextes stimulants et adéquats.

Article vingt cinq : le partenariat avec les médias 

L’éducation au vivre ensemble suppose un certain recours aux médias traditionnels et nouveaux (sites web, réseaux sociaux) soit à travers la production et la propagation d’un contenu éducatif, soit par la mise en place de chaines et sites éducatifs, ou encore par des partenariats avec des institutions médiatiques qui pourraient contribuer à la réalisation des objectifs de cette charte nationale. 12 

Article vingt six : l’engagement au programme national pour l’éducation au vivre ensemble 

Le succès de ce plan éducatif dépend de son adoption par toutes les institutions concernées. Ceci commence par la mise en place d’un projet éducatif propre à l’école en rapport avec ce concept, pour ensuite l’adopter en tant que cadre moral et l’intégrer dans les programmes et activités. Le succès est également tributaire de l’aptitude des écoles publiques et privées à mettre en application les programmes et utiliser les livres spécifiques publiés par le Centre de Recherche et de Développement Pédagogiques, de manière générale dans toutes les matières. 13 

Chapitre trois 

Les mécanismes proposés 

Les concepts, principes et politiques susmentionnés guident les parties concernées par l’éducation au vivre ensemble vers l’élaboration de stratégies convenables afin de réaliser les objectifs escomptés, déterminent l’horizon national commun de ce travail, et identifient les possibilités de coopération, de développement et d’initiatives innovatrices à tous les niveaux.

Ci-dessous une liste non exhaustive de mécanismes proposés pouvant servir les fins de ce projet éducatif à l’heure actuelle ; des mécanismes se devant d’être évalués et développés de manière continue.

Article vingt sept : dans le contexte scolaire général 

a- Mettre en place des jumelages entre des écoles de différents environnements religieux.

b- Mentionner les congés religieux officiels avec leur explication dans l’agenda scolaire.

c- Suspendre les cours à l’occasion de tous les congés officiels et célébrer les fêtes religieuses chrétiennes et musulmanes à l’école.

d- Profiter des occasions religieuses principales (Ramadan, Noël…) pour inviter les élèves, la famille et la communauté de l’école à comprendre l’origine de ces occasions, exprimer une solidarité avec les autres, respecter et partager leurs sens sociaux et religieux (des repas de Iftar communs, décoration de Noël…).

Article vingt huit : les activités extracurriculaires 

a- Etablir des clubs pour l’éducation au vivre ensemble à l’école, suivant l’exemple des clubs « Alwan ».

b- Organiser des visites dans des lieux religieux afin de rencontrer les autres et connaitre le patrimoine national ainsi que les particularités culturelles des familles spirituelles.

c- Effectuer des visites mutuelles entre les écoles, incluant élèves, éducateurs, éducatrices et parents.

d- Organiser, avec l’aide des élèves, des activités sociales de sensibilisation sur la coexistence et la diversité religieuse qui viseraient l’école dans son contexte général.

e- Organiser des activités communes entre élèves et parents, et d’autres pour les parents, autour des questions de citoyenneté et de coexistence.

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Article vingt neuf: les activités générales 

a- Coopérer avec les organisations des la société civile pour l’organisation d’activités sociales bénévoles regroupant des élèves de diverses écoles publiques et privées et leur permettant de se mettre au service de la société.

b- Lancer des programmes nationaux autour du thème de la coexistence tels que des compétitions, des festivals, des camps…

Article trente : du côté des élèves 

a- Former les élèves au bénévolat, au service public, à l’assistance des autres suivant leur besoin et non selon leur appartenance religieuse. Leurs capacités devraient être renforcées et ils devraient être encouragés à prendre des initiatives et décisions ainsi et à assumer leurs responsabilités.

b- Profiter de la diversité religieuse entre les élèves afin d’en faire une source d’enrichissement du processus éducatif, et éviter toute marginalisation d’élèves appartenant à une minorité religieuse par rapport au contexte général.

Article trente et un : dans les programmes pédagogiques 

a- Profiter du processus de développement des programmes pédagogiques par le Centre de Recherche et de Développement Pédagogiques afin d’intégrer le concept de l’éducation au vivre ensemble comme il se présente dans cette charte, de manière verticale et horizontale dans les programmes adéquats.

b- Elaborer un programme unifié pour la culture religieuse et les valeurs communes.

c- Intégrer le concept de l’éducation au vivre ensemble dans les matières en rapport avec l’innovation et la création tel que le dessin, la musique, le théâtre, etc.

d- Ajouter une dimension pratique à la sociologie et la rattacher à l’activité civique et bénévole des élèves.

e- Se référer à des textes religieux appelant à la paix, la solidarité humaine et l’acceptation de l’autre, et les intégrer dans les matières littéraires adéquates.

f- Evoquer les expériences de diverses personnalités religieuses ainsi que les différentes initiatives relatives à la culture du dialogue, la réconciliation et l’instauration de la paix dans le cadre des matières adéquates.

g- Utiliser des textes littéraires sur les fêtes religieuses et leurs sens en cours de langue Arabe.

Article trente deux : les ressources 

a- Equiper les bibliothèques des écoles des ressources nécessaires, à savoir livres, film, etc.

b- Pourvoir le soutien continu aux écoles par l’acheminement des ressources disponibles, la mise en place de partenariats avec des autorités et entités locales (municipalités…) ainsi que des organisations de la société civile et des bailleurs de fonds, locaux et internationaux.

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c- Etablir un observatoire afin d’assurer le suivi du changement au niveau du comportement des élèves à l’égard de la coexistence et afin d’encourager les études académiques et de terrain et pouvoir en profiter.

d- Mettre en place un site web public pour diffuser des ressources électroniques, exposer les activités et l’interaction des écoles sur ce plan, en plus des réseaux sociaux.

Article trente trois : les éducateurs, éducatrices et responsables du processus éducatifs 

a- Organiser des sessions de formation ouvertes à tous les éducateurs, éducatrices et directeurs, dans les deux secteurs privé et public, afin qu’ils puissent facilement aborder les thèmes de la pluralité et la religion et mieux gérer le fanatisme et les conflits confessionnels.

b- Former des éducateurs et éducatrices spécialisés dans le domaine de la diversité religieuse et capables de gérer les activités extracurriculaires pertinentes.

c- Intégrer les matières de l’éducation à la citoyenneté inclusive dans les programmes des facultés et des instituts d’éducation.

d- Etablir un cadre durable pour la formation professionnelle afin de renforcer les capacités des éducateurs et répondre de façon continue à leurs besoins sur ce plan.

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Annexe 

Contexte et élaboration de la Charte 

Cette charte fut élaborée dans le cadre du projet « Stratégie Nationale de l’Education à la Citoyenneté et à la Coexistence » mis en place par le Département d’Education Scolaire à la Coexistence de la Fondation Adyan en collaboration avec le Ministère de l’Education et le Centre de Recherche et de Développement Pédagogiques. Les éléments et idées compris dans la Charte furent le fruit de séries de consultations et de groupes de réflexion regroupant des élèves, éducateurs, directeurs et parents des écoles suivantes : Collège Nadia Aoun (Ecole secondaire publique pour les filles, Beyrouth), Collège Saint Georges (Hadath), Montana International College (Deek el Mehdi), Collège Hussein Massoud (Ecole secondaire publique mixte, Bchamoun), Institut Mar Abda (Deir El Kamar), Collège des Soeurs de la Sainte Famille Française (Jounieh), Collège Al Kawthar – Fondation Al Mabarrat (Bir Hassan), Ecole Evangéliste Nationale Mixte (Saida), Collège Carmel Saint Joseph (Al Mechref), Collège Ali Ben Abi Taleb – Association Al Makassed (Beyrouth). Cette charte est également le produit d’ateliers de consultations et de révisions de par le Centre de Recherche et de Développement Pédagogiques et la Direction Générale de l’Education au sein du Ministère de l’Education. Le développement de la charte inclut aussi des ateliers avec des responsables des sections éducatives dans les institutions religieuses et la Fédération des Institutions Educatives Privées au Liban, comprenant : le Secrétariat Général des Ecoles Catholiques, les écoles de l’association caritative Islamique Al Makassed, les écoles de l’association caritative Islamique Al Mabarrat, les écoles de l’association Druze Al Irfan, l’association de l’éducation religieuse islamique – Al Mustafa, la famille des écoles orthodoxes au Liban, la ligue des écoles Evangéliques au Liban, les écoles de l’association Amal, l’association Islamique pour l’éducation – Ecoles Al Mahdi, les écoles de l’association islamique caritative Aamel, le syndicat des écoles privées, l’association caritative culturelle- institut d’arts islamique, l’association Al Islah Wal Riaya, écoles de l’institut Arabe, le syndicat des écoles académiques privées, les écoles de l’association Rafik Hariri, le syndicat des chefs d’établissement scolaires au Liban. Des organisations de la société civile travaillant dans le domaine de l’éducation à la citoyenneté et le dialogue ont également pris part à l’élaboration du contenu de la charte dans le cadre d’un atelier commun avec la Commission Nationale pour l’UNESCO, regroupant des représentants du bureau régional de l’UNESCO (Beyrouth), du groupe « Wahdatouna Khalasouna », du Groupe Arabe pour le Dialogue Islamo-Chrétien, le Sustainable Democracy Centre (SDC), le Permanent Peace Movement, le Comité Libanais pour l’éducation, le Centre des Etudes Libanaises (CLS), l’association Alef des Droits de l’Homme, l’association Dialogue pour la Vie et la Réconciliation, World Vision, l’association Al Safadi, les associations Al Sadr, l’association GLADIC, l’association « Nahwa Al Muwatiniyya » et l’association « Linaltaki ». La couverture : Peinture murale réalisée par les membres du Club Alwan dans l’Ecole Publique Mixte de Bchamoun 

Adyan 

Fondation Libanaise pour les Etudes Interreligieuses et la Solidarité Spirituelle

Beyrouth, le 15 mars 2013 

Lydia Bozouklian, Le concept de citoyenneté inclusive au Liban à travers la fondation Adyan

Le concept de citoyenneté inclusive au Liban, à travers la fondation « Adyan »

 

 

  1. Présentation de la fondation ADYAN :

(« Adyan » en arabe, signifie : les religions.)

 

« Adyan » est une fondation libanaise, fondée en 2006 par des membres de confessions chrétiennes et musulmanes. Elle est enregistrée en tant qu’organisation non-gouvernementale et sans but lucratif (ONG). C’est donc une organisation indépendante qui travaille au Liban mais également sur un plan international.

 

A travers ses quatre départements, Adyan œuvre pour la valorisation de la diversité religieuse, et pour la promotion du vivre-ensemble et de la gestion de la diversité entre les individus et les communautés, aux niveaux sociaux, politiques, éducatifs et spirituels.

 

 

  1. Le département d’études interculturelles :

 

Le département d’études interculturelles est une unité académique, ayant pour but d’offrir une meilleure compréhension des questions religieuses, surtout dans leur rapport à la gestion de la diversité et à l’espace public.

 

L’enseignement en ligne par exemple, permet un partenariat avec des universités d’Europe et du monde arabe. Les cours étant intégrés dans chacun des programmes d’études des universités partenaires, ils préparent les étudiants à vivre, travailler et interagir dans un contexte mondial et multiculturel.

Des exemples d’e-cours :

  • Diversité religieuse et intégration dans la région méditerranéenne
  • Introduction au Dialogue interculturel et interreligieux
  • Minorités religieuses et vie publique en Europe et dans le monde arabe

 

  1. Le département d’éducation scolaire à la coexistence :

 

Le département d’éducation scolaire à la coexistence vise à favoriser le rôle de l’éducation comme un outil, pour la paix durable au Liban et à l’étranger.

 

Son principal objectif est de favoriser l’éducation à la citoyenneté inclusive, le pluralisme religieux et la coexistence dans les écoles.

 

  • Le département agit à différents niveaux et dans plusieurs domaines :

 

  • Il développe du matériel pédagogique qui traite de la citoyenneté, du pluralisme religieux et de la coexistence.
  • Il forme des jeunes dans leur rôle de citoyens actifs dans la construction de la paix.
  • Il met en avant la formation professionnelle pour les éducateurs.
  • Il participe à un programme de réforme publique.
  • Il fait des recherches et publications sur l’éducation à la Citoyenneté et à la coexistence.

 

  • Il a également mis en place les Clubs Alwan, pour l’éducation à la construction de la paix :

(« Alwan » signifie, couleurs, en arabe.)

 

Alwan est un programme mis en œuvre dans les écoles sous forme de clubs de jeunes pour les élèves du secondaire. Comme on l’a déjà dit, il vise à promouvoir le rôle des jeunes comme citoyens actifs pour la consolidation de la paix à travers:

 

  • Le renforcement du savoir, et de la compréhension de la diversité religieuse, l’histoire récente du Liban, et les mécanismes reliés à l’identité individuelle et collective.
  • La création de réseaux intercommunautaires, par le biais de voyages éducatifs et d’actions communes.

 

Ainsi, ces activités interclubs renforcent la collaboration entre jeunes de différentes régions et de différentes affiliations communautaires.

 

Alwan est actuellement mis en œuvre dans 32 écoles privées et publiques de différentes régions et milieux socioreligieux y compris les principales fédérations d’écoles privées.

 

D’ailleurs, en 2013, le programme Alwan a été choisi par les Nations Unis comme modèle international et a reçu le second prix du « Vivre ensemble pacifique dans un monde de diversités » ( Living Together Peacefully in a Diverse World) pour son programme d’éducation à la citoyenneté inclusive et à la coexistence.

 

 

  1. Le département de Solidarité et le département Média:

 

Les départements d’études interculturelles et d’éducation scolaire à la coexistence ont été mis en avant dans cet exposé, de par leur lien avec notre sujet, mais il faut savoir que dans les programmes du département de Solidarité, Adyan rassemble des personnes de différentes communautés, que ce soit lors d’un évènement spiritual ou de projets de solidarité sociale , en les aidant à découvrir leurs valeurs communes et à construire des relations authentiques.

 

Quant au département Media, il est très actif sur le plan de la communication : articles de journaux, reportages télévisés, interviews, documentaires, campagnes telle que celle de 2013 : « Our Diversity Enriches Us, it is the Beauty in Us » / Notre diversité, c’est ce qui nous enrichit, c’est la beauté qui est en nous.

Adyan est également présent sur You Tube, Twitter et Facebook.

 

Il était essentiel de présenter Adyan et de mesurer son action au Liban, avant de vous parler du congrès international auquel j’ai participé en tant que représentante de l’ISTR, les 24 et 25 avril 2015 à Beyrouth.

Vous l’aurez compris, je n’interviens pas en tant que « spécialiste du Liban », mais en tant que témoin de ce congrès.

Je commencerai par vous faire partager des extraits d’un article paru au lendemain du Congrès, dans le journal libanais francophone L’Orient Le Jour.

 

 

  1. L’article du journal libanais francophone, L’Orient Le Jour, du 1er mai 2015 :

 

« A l’initiative de la Fondation Adyan,… un symposium international vient de se tenir à Beyrouth sur le thème de « l’éducation à la citoyenneté inclusive de la diversité (religieuse et culturelle) pour un vivre-ensemble pacifique ». L’événement était placé sous le patronage du ministre de l’Éducation nationale et a bénéficié de l’appui du gouvernement britannique. »

 

Il faut savoir que Adyan est soutenu par l’ambassade du Royaume Uni à Beyrouth, à travers le FCO : the United Kingdom ‘s Foreign and Commonwealth Office.

 

« Il s’est tenu en présence d’une trentaine de participants… »

Ces participants venaient des pays suivants : Liban, Egypte, Royaume Uni, Oman, Irak, Tunis, Palestine, France, Autriche, Grèce, Jordanie, Maroc.

  1. Repenser l’éducation civique :

 

« Il s’agit de repenser notre éducation civique, explique en substance Nayla Tabbara (43 ans)… »

Nayla Tabbara, est Professeur de sciences religieuses et islamiques, Co-fondatrice d’Adyan, Directrice du Département d’études interculturelles, et c’est aussi notre personne de référence à l’ISTR, qui a eu l’occasion de la recevoir. Et c’est d’ailleurs, Nayla Tabbara qui a invité l’ISTR à participer à ce congrès pour présenter le travail du Département d’Etudes et de recherches sur les religions à l’Ecole.

L’article fait référence au discours de la soirée d’ouverture qui avait un caractère très officiel de par la présence de personnalités ainsi que de la presse.

 

« Une éducation à la citoyenneté inclusive de la diversité, » et un développement d’ « une approche critique de l’extrémisme », s’imposent « désormais non seulement au Liban, mais partout dans le monde »

« La Fondation Adyan y travaille depuis des années, en coordination avec le Centre de recherche et de développement pédagogiques (CRDP) et le ministère de l’Éducation nationale.

En outre, un institut vient d’être lancé par la Fondation, pour le développement de programmes de formation,… [et il] se propose comme référence dans le monde arabe concernant l’éducation à la citoyenneté interculturelle, les religions et la chose publique, et enfin les relations interreligieuses et interculturelles. »

 

  1. Enquêtes :

 

« Pour bien cibler son approche, la Fondation Adyan a eu recours à des études de perception des professeurs et des élèves.

Ces études…, [menées par l’agence Ipsos] ont déjà donné des fruits sous la forme d’une « charte nationale » pour l’éducation à la citoyenneté, et d’un nouveau manuel pour les classes de première sur le thème « Philosophie et civilisation », qui sera utilisé pour la première fois à la prochaine rentrée scolaire.

Une formation adéquate est en cours pour un certain nombre de professeurs qui vont conduire cette expérience-pilote.

« Les concepts que nous développons ne seront pas seulement pour le Liban, précise Nayla Tabbara. Nous pressentons déjà que dans des pays comme l’Irak, la Palestine, la Tunisie ou Oman, ils feront la différence. »

« Même au Liban, cette approche pourrait être modulée en fonction des régions où se fait l’apprentissage. On n’apprend pas de la même façon à Beyrouth et au Akkar », nuance-t-elle. »

(La région du Akkar est une région pauvre, située au nord du Liban, près de la frontière syrienne)

 

  1. Un monde pluriel :

 

« Le monde entier devient un monde pluriel, explique encore Nayla Tabbara. Une citoyenneté inclusive de la diversité s’impose désormais aussi bien en Orient qu’en Occident.

En Europe, l’approche est multiculturelle. Nous voulons et nous travaillons à ce qu’elle devienne interculturelle. Un dialogue ou une communication superficielle sont apparus insuffisants. Il faut aussi travailler sur les mémoires, les aspirations profondes. »

« Au Liban, notre culture est un peu comme celle de l’Europe. Il y a coexistence, mais pas véritable connaissance de l’autre.

Dans certains domaines, le travail est entièrement à refaire. Nous avons grandi avec un livre d’éducation civique où la fierté que l’on peut tirer de l’identité libanaise était absente, perdue dans les programmes. »

Du discours de Nayla Tabbara, on réalise que les programmes mis en circulation étaient inspirés d’une philosophie ou d’une idéologie de l’intégration nationale, du nivellement identitaire, de la suppression de la diversité, « alors même que ce qui fait le Liban, c’est la diversité. Une philosophie politique de la participation plutôt que de la tolérance »… »

 

Nous voyons bien que dans ce discours d’ouverture, tous les mots ont leur importance : idéologie de l’intégration nationale, nivellement identitaire, suppression de la diversité, d’une part et, philosophie politique de la participation, d’autre part.

 

A travers cet article, on prend déjà bien la mesure de « la multi-dimension » sur laquelle Adyan travaille :

  • régionale, nationale et internationale
  • évidemment, toutes les dimensions religieuses
  • Elle prend en compte les différents acteurs : professeurs, étudiants mais travaille en partenariat avec le, Ministère de l’Education, ou bien le Centre pour la Recherche et le Développement, ou bien encore avec des partenaires comme, l’ambassade du Royaume Uni à Beyrouth ou bien encore l’ONU.

 

Ce congrès, c’est en quelque sorte un point culminant, qui sous-entend un long travail en amont, comprenant également d’autres congrès internationaux, tel que celui de novembre 2012 sur le thème : « Religion et Démocratie en Europe et dans le monde Arabe ».

 

Celui-ci s’est néanmoins fixé pour objectif d’examiner le rôle de l’éducation dans son action pour la paix et la coexistence.

Je vous rappelle son titre : « Intercultural Citizenship Education for Peace and Coexistence » / Education à la citoyenneté inclusive pour un vivre ensemble pacifique.

 

  • Le Congrès d’avril 2015 :

 

Le congrès présentait 4 volets :

 

  • Citoyenneté, pluralité et éducation en tant que concepts (ou en tant que débat conceptuel)
  • Citoyenneté inclusive en tant que paradigme pour les réformes de l’éducation dans les pays arabes ?
  • Partage d’expériences
  • L’éducation pour dé-radicaliser

 

J’ai fait le choix de mettre en avant le volet numéro 1, et de n’évoquer que le volet 2, parce que je ne voulais pas perdre le lien avec notre sujet : le concept de citoyenneté inclusive au Liban, et avec la question qui nous est posée en toile de fond, à savoir, en quoi cette éducation peut-elle contribuer « à une culture de la rencontre » ?

 

Le concept de citoyenneté a été abordé à travers plusieurs dimensions, et ce qui suit, n’est au fond qu’une vision personnelle empreinte probablement d’une perception « à la française » ainsi que de toutes les formations suivies à l’ISTR.

 

Tout d’abord, la citoyenneté abordée d’un point de vue culturel, appelons la, «la citoyenneté culturelle » où le combat mené, serait celui du droit à l’égalité sans mettre en avant l’identité. Cela évite ou éviterait tout monopole d’une minorité, partant du principe que l’hégémonie culturelle conduit à l’isolation et à l’exclusion. C’est pourquoi, il faut prendre en compte des facteurs comme la pauvreté, ce, pour empêcher le monopole des plus riches.

Dans cette optique, la sphère publique est celle qui unit ; elle doit rassembler des publics différents. De ce fait, coexister, c’est alors, trouver un système qui passe de la sphère privée à la sphère publique sans confrontation, sans exclusion, et sans violence. Il faut travailler ensemble pour défendre un intérêt commun, sans être isolé des autres : se voir les uns, les autres, et interagir, c’est-à-dire, se voir les uns, les autres, comme des composants sans tenir compte de la taille ou de la densité des différents composants.

 

Nous commençons à nous rendre compte que ce que l’on examine, c’est l’individu dans sa relation à l’autre. Rappelons qu’au Liban, une forme tribale a défini les frontières qui séparent un individu des autres, d’où « l’absence de citoyenneté », en quelque sorte.

La citoyenneté, ce serait alors de, maintenir ce qui caractérise le domaine privé, ne pas chercher à effacer ce domaine, et de garder cette caractéristique dans la sphère publique, en partant du principe que ce qui vous est étranger, n’est pas ennemi. D’où, l’émergence d’une autre dimension : « la citoyenneté sociale », c’est-à-dire ce qui permet à chaque individu de prendre une part active dans une société, comme si cette société était composée de « facteurs organiques ».

 

En fait, toutes les caractéristiques de la société civile ont été analysées comme suit dans le contexte contemporain du monde arabe :

– une combinaison de sévères conditions économiques et politiques sous les régimes autoritaires

– un intérêt pour une citoyenneté individuelle

– la jeunesse, les femmes et les médias jouant un rôle

– la présence de minorités (ethniques, religieuses, sexuelles)

– la présence de réfugiés, en grands nombres

– quant à l’’éducation, on note 40% de la population en dessous de 18 ans avec une faible fréquentation de l’école ; des enseignants peu formés, recevant de bas salaires ; des moyens insuffisants et une pédagogie peu adaptée, essentiellement basée sur la mémorisation et non sur l’interaction.

 

Le futur est néanmoins envisagé avec la prise en compte d’une motivation civique forte. Le droit à la démocratie est vu comme « impulsé » par la présence de réfugiés et de minorités, entre autres.

Il y a une ouverture à une identité multiple, une citoyenneté à la fois multiculturelle et internationale (global citizenship). L’UNESCO, dans son canevas qui sert de guide aux programmes sur la citoyenneté « mondialisée», Global Citizenship Curriculum Guiding Framework (2015), prend en compte les identités locales, nationales, internationales ainsi que leurs interactions.

 

En ayant en tête ces caractéristiques, on peut alors examiner la question de la citoyenneté inclusive, vu  comme un changement nécessaire :

Il doit y avoir un équilibre entre espace national et espace mondial. C’est ce que l’on sous-entend aussi dans la citoyenneté inclusive de la diversité. Elle englobe dans la sphère politique, des valeurs humaines, elle met sur un même plan société civile et sphère publique où des personnes étrangères les unes aux autres, se rencontrent pour devenir des partenaires.

 

Il y a nécessité à surmonter les dimensions idéologiques de la citoyenneté : La question du besoin d’une nouvelle ligne de conduite, d’un nouveau modèle de citoyenneté se pose. On doit donner de l’importance à la dimension humaine, au développement culturel ; les cultures qui se mondialisent doivent rester ouvertes aux cultures locales.

On doit faire face à des questions telles que l’immigration en Méditerranée, le terrorisme.

 

La construction de l’individu doit passer par l’éducation. L’éducation doit à la fois être basée sur cette citoyenneté, et, doit former à cette citoyenneté. Cette citoyenneté, on ne la découvre pas, on la crée, on l’invente et comme c’est un processus, il y a aussi un processus d’expérimentation.

Il doit y avoir un « intra-dialogue », à l’intérieur du groupe lui-même et un « inter-dialogue ». La question, qui a été soulevée, c’est celle de savoir comment harmoniser tout cela, tout en reconnaissant quelquefois des impossibilités.

 

Je crois que ce qui ressort c’est que la citoyenneté dont il est question, passe par un agir qui permet à la sphère privé d’être présente dans la sphère publique et que c’est l’éducation qui permet à ce processus, de se mettre en place. C’est cette sphère privée qui regroupe les diversités. On dépasse la notion du vivre ensemble dans le respect de l’autre, sans pour autant la nier. On est dans la construction dont le résultat serait toutes les composantes à la fois. Et j’ajouterai, toutes les composantes agissantes, sans qu’aucune n’ait le monopole.

 

 

Et Adyan dans tout cela ?

 

Son but, on l’aura compris, c’est de réformer la politique de l’éducation en fournissant un cadre qui veut promouvoir la citoyenneté inclusive pour une coexistence solide et pacifique.

Les réformes pédagogiques, les réformes des programmes, et les réformes dans la formation des enseignants ne peuvent alors que s’imposer comme évidentes.

 

Malgré la complexité des mécanismes, Adyan a réussi à être un acteur dans la réforme de l’éducation parce que la fondation a mis en place un réseau de partenaires : l’UNESCO, le ministère de l’éducation et de la recherche libanais, tous les acteurs sociaux : parents, élèves, professeurs, écoles (plus de 32 écoles publiques et privées).

Elle s’est donnée les moyens : laboratoire de recherches, travail sur la formation des professeurs, campagne auprès des médias.

Elle montre sa capacité à agir, s’impliquer, s’adapter et se renouveler tout en restant cohérente. Elle peut tout aussi bien collaborer avec toutes les institutions religieuses du Liban sur un projet de matériel pédagogique utilisé dans des cours de culture religieuse (chrétienne et islamique), que travailler avec les institutions politiques pour élaborer une charte pour l’éducation au vivre ensemble. Et c’est d’ailleurs une lecture de cette charte que je vous invite à faire maintenant afin qu’à travers cet exemple, chacun puisse s’approprier en quelque sorte, ce concept.

 

 

Lydia Bozouklian.