Christian Salenson, Conclusion de la session 2015

Conclusion de la session

 

 

 

 

Il est temps de conclure « à chaud » cette session et de se dire ce que nous avons appris ou mieux compris de l’enseignement du FR d’une part et de son enseignement au féminin d’autre part. Nous avons conscience d’être un peu fous de retenir de tels sujets de session ! Nous conjuguons en effet deux domaines d’irrationalité : le religieux et le rapport au féminin. Chacun sait combien le religieux fait appel à des dimensions affectives qui échappent au contrôle de la raison mais tout autant dès lors que l’on touche la relation masculin féminin, la place des femmes, les constructions sociales, on suscite des réactions qui sont loin d’être raisonnables ou même simplement rationnelles ! Mais ensemble, vous, les intervenants et nous les organisateurs, nous avons pour une part relevé le défi.

 

Tout au long de cette session nous avons réaffirmé que l’enseignement du fait religieux était une contribution décisive dans la construction de personnes libres, capables d’habiter notre culture et d’entrer dans l’intelligence d’un monde complexe. Nous avons affirmé avec non moins de force que le fait religieux au féminin était une contribution décisive à l’apprentissage de la mixité, si on veut bien donner à ce mot toute sa force dialectique.

 

 

Distinction et complémentarité des démarches

 

Tout d’abord nous avons redit avec force la place de l’enseignement du fait religieux sur la base d’une distinction dont nous ne devons jamais nous départir à savoir que l’enseignement du fait religieux est un enseignement scientifique qui ne fait pas appel à la croyance. Cet enseignement se dispense dans l’enseignement des disciplines ou bien parfois dans des parcours de culture religieuse. Mais en aucun cas, il ne peut se confondre avec une démarche confessante comme la catéchèse par exemple.

Nous avons vécu cette double démarche à propos de Marie Madeleine d’une part avec Chantal Guillermain la théologienne et d’autre part avec Patrick Parodi l’historien. Le refus de toute confusion est le premier service que l’on doit à la vérité. Il honore à la fois la catéchèse et l’enseignement du fait religieux. La distinction permet aussi un travail en interdisciplinarité, en convoquant diverses disciplines : telle l’histoire, l’histoire des arts, les lettres avec étude de texte, la catéchèse, etc. Une figure comme Marie Madeleine offre des possibilités passionnantes d’interdisciplinarité, y compris avec visite de terrain.

 

 

La contribution de l’enseignement du Fait religieux.

 

Permettez-moi de redire de manière synthétique les formes diverses que prend cette contribution positive de l’enseignement du fait religieux pour la construction des personnes et leur participation à la vie sociale.

Par l’enseignement du FR nous donnons à des générations montantes un savoir. Cela constitue le premier apport. Il y a des rudiments à connaître du christianisme d’abord, du judaïsme et de l’islam ensuite qui sont incontournables. Nous voyons bien que nous sommes déjà confrontés à la question de l’objectivité de cet enseignement.

 

Ce savoir introduit dans la connaissance d’un patrimoine. Un patrimoine sans lequel on n’habite pas une culture. Un jeune français qui a fait sa scolarité doit pouvoir entrer dans un musée et avoir les rudiments nécessaires pour identifier, une représentation de la Vierge Marie, une Crucifixion, une Visitation. Il devrait connaître quelques grands récits de la Genèse ou aussi du Nouveau Testament, trop souvent oubliés dans les programmes scolaires.

 

Mais nous sommes déjà allés plus loin dans la compréhension du FR que le seul savoir ou l’ouverture à un patrimoine. Nous avons critiqué, l’an dernier en particulier, une approche positiviste au profit d’une intelligence symbolique… Il ne suffit pas de savoir nommer un portail de cathédrale, un clocher ou un minaret. Il faut aussi être apte à comprendre que dans le langage religieux tout est symbolique : le clocher ou le minaret sont des index pointés vers le ciel. Comme on le rappelait au début de la session, les textes religieux se lisent tous au deuxième degré etc. Le littéralisme est un des ingrédients du fondamentalisme religieux dans toutes les religions. Il est une illusion pour le croyant qui croit ainsi pouvoir mettre la main sur Dieu en éliminant toutes les médiations et en identifiant sa tradition religieuse avec le divin.

L’ignorance des phénomènes religieux rend le monde inintelligible. Beaucoup d’experts ne comprennent pas la société parce qu’ils négligent les phénomènes religieux. On a voulu parler des problèmes des banlieues uniquement au travers du chômage, des problèmes sociologiques, s’interdisant de voir la place qu’occupaient l’islam et parfois des formes d’islamisme etc. On a été intoxiqué à la période moderne par le fait de considérer les phénomènes religieux comme de l’obscurantisme ou bien de vouloir croire que les religions allaient disparaître sans prendre la mesure de la force des phénomènes religieux aussi bien dans les mutations sociales que dans les psychologies individuelles.

L’enseignement du fait religieux permet une ouverture à l’autre. L’École a besoin de mettre de l’objectivité bienveillante dans la connaissance de la religion de l’autre. L’École doit se démarquer des caricatures qui sont faites d’une religion. Contrairement à ce qu’un musulman de base peut entendre dire, Marie ne fait pas partie de la trinité chrétienne. Et a contrario le chrétien doit savoir qu’il adore le même Dieu qu’un musulman et qu’ensemble ils vénèrent la vierge Marie. Mais il faut aussi entendre parler à l’École de sa propre religion et entendre que ce que l’on en a appris par tradition familiale n’est pas toujours juste.

 

Cette connaissance de soi et de l’autre est déjà une ouverture au dialogue inter-religieux. Il n’est pas réservé aux adultes.

 

 

L’enseignement du fait religieux au féminin

 

Nous avons souhaité aborder le fait religieux au féminin. Quelles conclusions pouvons nous tirer de ce parcours ?

 

Religions et cultures

 

Nous devons repartir du lien qui unit religion et culture. Les religions sont des réserves de symboles, de représentations, de conceptions du monde, de valeurs… Elles façonnent les cultures. On échappe difficilement aux représentations religieuses parfois complètement sécularisées qui façonnent sa culture. Nous le disions en commençant à propos des valeurs de la République qui sont des valeurs chrétiennes sécularisées. La sécularisation n’empêche pas une certaine vie du religieux. On sait aujourd’hui que sécularisation et religions ne s’opposent pas.

 

Les représentations religieuses du féminin

 

Si nous appliquons cette relation au fait féminin, nous pouvons affirmer que les religions ont façonné des compréhensions des femmes, de leur place, de leur rôle, des représentations, un imaginaire etc. La représentation du féminin dans une religion a des interférences dans la représentation du féminin dans la culture. Nous en avons eu une belle démonstration avec la jarre de Pandore. Anne Sophie Luiggi nous a montré la figure ambiguë et disqualifiée de la femme dans la mythologie grecque. Cela ressort d’ailleurs d’une anthropologie grecque largement pessimiste sur l’humanité. Ces représentations par divers canaux ont imprégné notre culture et sont toujours agissantes aujourd’hui.

Mais nous devons tenir a contrario qu’une culture à un moment donné de son histoire agit sur les représentations religieuses. Donc une culture agit aussi sur les représentations religieuses du féminin. Chantal Guillermain et Patrick Parodi ont rappelé l’un et l’autre la compilation faite par le pape Grégoire le grand des trois figures féminines : Marie de Béthanie, la femme pécheresse et Marie de Magdala, ramenant ces trois femmes à une seule figure celle de la pécheresse repentie, ce qui est vous en conviendrait est une réduction pour le moins tendancieuse de la représentation féminine !

Il est bien évident que si, par un retour aux textes, on détricote cette compilation, on va s’autoriser à présenter trois figures féminines forts différentes, depuis la pécheresse chez Simon jusqu’à la femme libérée de ses démons ou bien l’amie intime de Jésus que fut Marie de Béthanie qui n’avait rien d’une pécheresse !

 

L’effacement du fait féminin

 

            Le féminin peut aussi être plus ou moins effacée de la culture. Une culture qui est à dominante masculine voire patriarcale montrera des représentations amputées du féminin, réduites par exemple à la virginité ou à la maternité dans ses représentations religieuses. Mais cela pourra se vivre aussi à travers un effacement plus ou moins grand de l’existence même des figures féminines.

 

L’effacement du féminin entraine des pans entier où la culture se nie elle-même. Nous l’avons bien vu avec la communication de Dominique Santelli. Il y a un effacement culturel du fait religieux au féminin dans l’histoire. L’histoire des femmes dans la seconde moitié du XXe siècle fut une saine réaction à une histoire exclusivement masculine, puis l’histoire mixte est venue montrer l’interdépendance des uns et des autres dans l’histoire. Mais l’histoire ne prend pas nécessairement en compte le fait religieux au féminin. Ainsi dans les manuels scolaires, on peut parler de la colonisation comme s’il n’y avait pas de femmes colons ou de femmes colonisés, et même lorsqu’on écrit une histoire de la colonisation au féminin, on peut encore en oublier le religieux ! Et on écrit alors une histoire de la colonisation sans les femmes missionnaires ni les femmes missionnées ! Cet aveuglement ampute gravement l’histoire et la fausse, mais surtout, sans rien dire d’explicite, cet enseignement de l’histoire reproduit encore et encore un effacement des femmes et du religieux. L’effacement du féminin est alors un message clairement envoyé aux jeunes générations.

 

La force des femmes dans l’espace religieux

 

Nous avons vu aussi cet effacement à travers les béguines. Notre culture ignore largement leur histoire, alors même qu’elles ont été décisives dans l’histoire de la mystique et dans l’histoire du laïcat et dans l’histoire des femmes. Elles ont inspiré les mystiques rhénans – Maitre Eckhart entre autres – et à travers eux d’autres grands mystiques comme les mystiques espagnols, Thérèse d’Avila ou Jean de la Croix. Elles ont été une grande force de renouveau dans ce 14e siècle obscur.

 

La force qu’elles apportent se donne à voir aussi dans le fait qu’elles ont dérangé. Je pense que si un homme comme le pape François a fait de la place des femmes dans les responsabilités ecclésiales un des sujets de son pontificat, c’est précisément parce qu’il croit à la force de renouveau que peuvent apporter des femmes et à la fécondité d’un équilibre moins injuste hommes et femmes.

 

 

Les enjeux

 

Matriciel

 

            Dès le début de la session, le philosophe nous avait alertés. En anthropologie, la différence homme/femme est fondamentale. Ce fondement est matriciel. Cette affirmation signifiait que de la manière dont se vit dans une société donnée la relation hommes/femmes, de la même manière, sans tomber dans un déterministe étroit, se vit la relation entre les groupes culturels ou religieux différents.

Dans notre pays, nous avons toujours eu de grandes difficultés avec la différence : les juifs, les arabes, les roms etc. Nous n’avons pas encore fait l’histoire de la colonisation. On peut penser qu’il y aune corrélation entre la place des femmes – par exemple dans les partis politiques auxquels on est obligé d’imposer une loi sur la parité – et l’angoisse que provoque la différence religieuse. Le vivre ensemble, dont il faut soupçonner son inflation dans les discours, passe forcément par des progrès dans la représentation des femmes et de la relation hommes/femmes.

Entre naturalisme et constructivisme

 

Le philosophe nous a aussi alertés sur la relation nature et la culture. Il n’y a pas une approche naturelle du sexe, de la masculinité ou de la féminité, sans quoi on verse dans le naturalisme. On oublie alors que l’homme est un être culturel et que sa grandeur réside précisément dans l’élaboration culturelle qu’il est capable de faire à partir de son existence naturelle. Il est spirituel non dans une sorte de naturalisme qui lui dicterait ses lois mais dans sa capacité de les interpréter. A contrario, l’homme ne peut nier son appartenance au monde des choses et il n’est pas dans un pur constructivisme social des sexes comme on l’entend parfois. Le philosophe éclairait ainsi pour nous les débats sur le genre entre naturalisme et constructivisme, comme l’a repris Dominique Santelli.

 

 

Ecouter la différence

 

            La négation du féminin ou sa disqualification met en danger l’identité des individus et entraine vers des pathologies : le conformisme ou la dérobade par rapport à son propre destin. A cause même de ce qu’est l’être humain dans sa constitution différenciée, la négation, l’effacement, la domination, la disqualification du féminin, sa réduction à la maternité, soit dans une culture donnée soit par le fait des individus fragiles porte gravement atteinte aux personnes et à la société.

 

Les pathologies de la religion et les femmes

 

            En nous emmenant à réfléchir au destin des femmes dans les courants fondamentalistes, Marie Laure faisait la preuve a contrario de l’enjeu d’une éducation au fait religieux au féminin. Les pathologies sont souvent les meilleures révélatrices des enjeux. Si les fondamentalistes veulent à la fois tenir le corps des écritures dans des lectures fondamentalistes et aliéner le corps des femmes c’est qu’ils entendant avoir la main et sur Dieu et sur les femmes. Mais a contrario, cela signifie que c’est en faisant toute leur place aux femmes et au féminin que l’on peut libérer aussi toute la place par rapport au divin… et récproquement

 

 

 

Le fait religieux au féminin un puissant levier de transformation

 

 

            L’enseignement du fait religieux est un puissant moteur pour la transmission d’une culture. Régis Debray, le recteur Joutard, et beaucoup d’autres qui ont cette intelligence de la culture savent qu’on ne peut pas vivre paisiblement dans une culture si on n’en a pas les codes et le religieux est un code déterminant, une clef  ! Ce puissant moteur culturel peut aussi contribuer à une meilleure approche du féminin et partant aussi bien de la vie sociale que de la vie personnelle. Aussi nous pouvons au terme de cette session tirer quelques conséquences et se donner quelques points d’attention pratiques

 

Première remarque : lutter contre l’effacement.

 

Lutter contre l’effacement du féminin dans l’enseignement du fait religieux. Nous l’avons dit tout au long de cette session. Puisque le religieux informe les cultures, alors en travaillant sur les figures religieuses féminines on apporte une contribution majeure aux évolutions culturelles.

De même en catéchèse… faire droit aux figures féminines, comme Jésus lui-même l’a fait dans les Ecritures donnant une place aux femmes révolutionnaire par rapport à la mentalité de ce temps.

 

 

Deuxième remarque

 

 

Dans l’enseignement du fait religieux dans les disciplines ou dans des parcours de culture religieuse se donner toute une vigilance pour sortir uniquement des représentations masculines.

En catéchèse : se réinterroger sur les femmes bibliques dont on parle et celles dont on ne parle jamais ? Samaritaine, Esther, Judith. Ou bien dans la tradition quand on parle évoque les grandes figures veiller à ne pas évoquer que des personnages masculins ou bien ne pas les dissocier de leurs amies femmes comme c’est si souvent le cas : par exemple François d’Assise et Claire, etc.

 

 

Troisième remarque

 

Exercer le regard critique : le sien mais aussi celui des élèves. Je repense à l’anthropologie grecque et à son pessimisme. Il faut avoir conscience que l’on hérite de ces anthropologies pessimistes sur l’être humain et sur les femmes en particulier et exercer un regard critique afin de ne pas les reproduire.

Comment enseigner Jeanne d’Arc ? Eric et Christian nous ont montré comment une même figure a été l’objet de stratégies diverses. La manière dont nous l’enseignons, les représentations que nous transmettons contribuent à façonner des représentations du féminin et à le transmettre.

 

Anthropologie chrétienne

 

Permettez moi d’inscrire ce travail sur l’horizon du caractère propre. Cette session n’est pas le lieu pour faire de la théologie. Aussi je ne déploierai pas cette pensée mais je l’évoquerai pour éclairer ce qui ne sollicite pas la confession de foi, à savoir l’anthropologie chrétienne. Rappelons que pour être dans l’enseignement catholique, il n’est pas demandé aux enseignants d’être chrétien, c’est-à-dire de confesser la foi (il en va différemment pour les APS et pour les chefs d’établissement). En revanche il est demandé à ceux qui sont dans l’enseignement catholique comme enseignants ou comme personnel éducatif d’adhérer à l’anthropologie chrétienne, c’est–à-dire à la représentation de l’homme qui est dans les Évangiles.

 

Hommes et femmes il les fit

 

Dans le récit de la création, éminemment symbolique et donc saturé de sens, Dieu crée mâle et femme. Marie Balmary et Paul Beauchamp ont fait remarqué le changement de vocabulaire en hébreu. Quand Dieu crée, il crée mâle et femme et ils deviennent hommes et femmes quand ils se rencontrent, se reconnaissent et se parlent. Cette expérience est fondatrice dans la vie de tous les êtres humains quels que soient par ailleurs leur état de vie.

Aucun ne peut prétendre à lui seul être humain. On est pleinement humain dans et par la relation et le langage. Chacun reçoit son humanité de l’autre qui le connaît et qui le reconnaît : « voilà la chair de ma chair, et l’os de mes os. »

 

La relation de Jésus aux femmes

 

Jésus crée un nouvel ordre de la relation donnant une place nouvelle à l’enfant, demandant de séparer Dieu et César, et choisissant des femmes qui constituent un groupe à l’instar de celui des apôtres. Dans les textes sacrés, l’annonce de l’acte central de la révélation chrétienne se fait par une femme, Marie Magdeleine, dont on a pu noter au passage qu’elle n’avait rien perdu de son charme et qu’elle avait encore de nombreux amoureux ! Bref Jésus introduit un nouvel ordre des relations entre hommes et femmes qu’il faudrait étudier théologiquement.

 

Il n’y a plus ni homme, ni femme

 

Cet ordre nouveau des relations, Paul l’explique aux Corinthiens: Il n’y a plus ni homme ni femme. Il ne nie pas la différence dans une sorte de confusion des genres. Il dit l’unité et l’égalité en dehors de laquelle la différence se pervertit dans la division embusquée dans nos représentations culturelles. Cette bonne nouvelle n’a pas encore trouvé sa réalisation ni dans l’Église, ni dans la société.

L’enjeu est extrêmement important puisque Paul ajoute : « il n’y a plus ni juifs ni païens », ce qui renvoie à l’unité et à la différence entre croyants. « Il n’y a plus ni esclaves ni hommes libres », ce qui renvoie à l’égale dignité entre personnes de conditions culturelles différentes. Nous comprenons alors pourquoi cette différence des sexes est matricielle dès lors qu’elle est vécue dans cet ordre nouveau de relation qui bannit tout machisme ou toute attitude castratrice de femmes mères à l’excès.

 

Cette bonne nouvelle nous y goûtons jusqu’à l’ivresse parfois dans la beauté de nos relations hommes/femmes, dans la complicité et le dialogue authentique avec des amis d’autres religions ou agnostiques, dans des relations sociales apaisées.

 

Je vous remercie.

 

 

 

 

Christian Salenson