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Catégorie : 2015 Le fait religieux au féminin
Le fait religieux au féminin, diaporama d’ambiance de la session 2015
Bénédicte Avon, Édith Stein
Christian Salenson, Ouverture de la session 2015
Le fait religieux au féminin
18-20 mars 2015
Ouverture de la session 2015
Entre le moment où nous avons annoncé la session en mars dernier, le moment où nous l’avons construite, l’été dernier, et aujourd’hui, il y a eu les événements de Paris de début janvier, les attentats contre Charlie Hebdo et contre le supermarché cacher. Ces événements ont marqué profondément la société. Il y a fort à parier qu’il y aura un avant et un après.
On se souvient des événements dramatiques du 11 septembre 2001 à New-York. Avec du recul, ils nous ont appris que les réactions que suscitent de tels événements sont souvent plus graves que les événements eux-mêmes. Les réactions du gouvernement Bush ont été bien plus dramatiques en nombre de morts que ceux provoqués par la chute des tours. La déstabilisation du Proche Orient et le développement de l’islamisme politique sont des conséquences de la réaction américaine. Et plus sournoisement encore, les démocraties elles-mêmes payent un lourd tribut à cette réaction inappropriée, en particulier avec le développement de l’idéologie sécuritaire et les atteintes qu’il porte aux libertés individuelles. Tout cela nous invite à la plus grande prudence et la plus grande sagesse dans les réactions présentes et à venir, alors même que de tels événements ont un effet de révélateur sur les malaises longtemps occultés qui agitent notre société.
Ce n’est pas le lieu et nous n’avons pas les moyens de faire l’analyse politique du malaise sociétal mais comme vous le savez, en ces cas là, on se tourne toujours vers l’Ecole. Nous sommes habitués à ce que la société peu ou prou se défausse ainsi. L’Ecole n’a pas vocation à cautériser les blessures que la société ne gère pas ou même génère. Donc nous prenons avec la distance voulue cette attente coutumière et disproportionnée. L’Ecole apporte toutefois sa contribution aux problèmes sociétaux. Le ministère de l’éducation nationale donne quelques orientations que nous examinons avec bienveillance et vigilance.
La personne humaine avant le citoyen
L’ISTR, comme Institut catholique de formation développe un département au service des religions à l’Ecole. Nous recevons les demandes de formations, y compris celles du gouvernement à la lumière du caractère propre et du caractère universitaire de l’institut. Nous entendons l’urgence qu’il y a à former des citoyens. Ce mot est sur toutes les lèvres. Mais nous devons l’entendre et le recevoir avec retenue. Former des citoyens n’est pas le but de l’École catholique. Écoutons ce que disent les textes officiels de l’Église. « Le but de l’École catholique est la promotion de la personne humaine dans toutes ses dimensions…. » . Est-ce à dire que nous ne voulons pas former des citoyens ? Nous y sommes tout à fait favorables mais cela ne peut pas être le but premier. En revanche nous pensons, nous croyons qu’en ayant le projet éducatif de former des hommes et des femmes libres et responsables, nous formons d’authentiques citoyens, peut-être un peu différents de ce que l’État voudrait. Nous nous souvenons que c’est une vieille histoire et que ce débat a opposé au moment de la révolution française Robespierre et Condorcet. Le premier a trop vouloir éduquer les citoyens dans l’esprit de la révolution risquait d’instrumentaliser l’éducation et de leur faire perdre leur liberté qu’aux yeux de Condorcet le primat accordé à l’instruction garantissait.
Les valeurs vécues de la République
Depuis les événements, nous entendons beaucoup parler des valeurs de la République. Dans l’enseignement catholique, nous sommes attachés aux valeurs de la République. On peut citer Jean-Pierre Chevènement qui n’est pas soupçonnable d’être inféodé à l’Eglise catholique. Il était alors ministre de l’intérieur et des cultes. Il prononça ce discours à Strasbourg lors de l’ordination épiscopale de Joseph Doré archevêque de Strasbourg, évéché concordataire. Il disait ceci : « Les valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité qui ont inspiré le combat républicain sont pour une large part des valeurs chrétiennes laïcisées. La liberté et surtout l’égalité sont largement des inventions chrétiennes. S’agissant de l’égalité, on ne peut qu’admettre l’audace à proprement parler révolutionnaire des Evangiles, faisant surgir cette idée neuve, contraire à toutes les normes et les idées d’un monde romain à la culture fortement hellenisée. Quant à la fraternité, elle est une traduction, à peine une adaptation, de l’agapé du Nouveau testament.[1] » Hélas aujourd’hui nous voyons que la fraternité est souvent remplacée par la solidarité qui n’est qu’une forme édulcorée de la fraternité. Même dans les établissements catholiques on est victime de cette réduction de la fraternité à son sous-produit qu’est la solidarité. Pourquoi ne disons-nous pas que nous faisons des actions de fraternité ? La fraternité est évangélique et elle a inspiré la République. Nous avons donc toutes les raisons pour nous sentir à l’aise dans les valeurs de la république. Nous ne pensons pas que ce les valeurs de la République soit le problème. Qui est contre la liberté, l’égalité, la fraternité ? Le problème se situe plutôt dans le décalage entre les valeurs annoncées et les valeurs vécues réellement. Chacun sait à propos de l’égalité que le fossé ne cesse de se creuser entre riches et pauvres, que l’égalité entre hommes et femmes est un combat qui n’a rien perdu de son actualité. La société serait bien avisée de réduire ce fossé qui s’élargit chaque jour et qui est source de violence. Pour la part qui nous revient, dans l’Ecole catholique nous pouvons enseigner les valeurs de la République ou même un catéchisme républicain. Pourquoi pas ? Mais nous savons d’expérience que les catéchismes n’ont jamais converti personne ! Ce n’est pas leur but. Le problème auquel nous sommes confrontés est moins d’enseigner un catéchisme républicain que de vivre dans l’Ecole les valeurs annoncées: la mixité, la place de ceux qui ont des handicaps sociaux, affectifs, le refus de sélectionner et d’exclure, l’apprentissage de la pluralité culturelle et religieuse…
L’enseignement du fait religieux
L’enseignement du fait religieux quelque peu amorti ces dernières années dans le public, sinon dans le privé, est à nouveau sollicité. Le président de la république, François Hollande, a souhaité, le mercredi 21 janvier, que soit portée « une attention particulière » à l’enseignement du fait religieux. Sa place devrait en être renforcée dans les futurs programmes dès 2016.
Que peut-on attendre de cet enseignement ? On ne peut tout en attendre mais la connaissance objective est religions est utile à ceux qui sont adeptes d’une religion et qui souvent la connaissent mal ou bien même ont une connaissance faussée. Elle est utile aux autres qui peuvent alors dépasser des idées toutes faites, des jugements hâtifs et mieux comprendre l’autre. L’ignorance suscite des peurs et des fantasmes.
Mais il faut dire aussi que cet enseignement contribue aussi à rehausser l’image de l’École. On a trop laissé croire que l’École n’était pas compétente dans le domaine des religions, si bien qu’aujourd’hui des élèves, en toute bonne foi si je puis dire, contestent à des enseignants le savoir et la parole qu’ils ont sur les religions. Les religions elles-mêmes ont besoin de savoir qu’elles sont objet de savoir de la part de ceux qui n’en sont pas nécessairement les adeptes.
Depuis le rapport Debré, les pouvoirs publics ont introduit dans les programmes plus de connaissance du fait religieux. Mais on sait que dans la pratique, les programmes ne sont pas toujours suivis. Aujourd’hui certains demandent un nouveau « renforcement » et de nouvelles ambitions à cet enseignement. Un rapport sénatorial récent préconisait même d’en faire une matière d’enseignement à part entière[1]. « il s’agissait de confier cet enseignement spécifique, doté d’un nombre défini d’heures de cours, à des professeurs volontaires issus de disciplines comme l’histoire-géographie, le français ou la philosophie, dans lesquelles est déjà abordé aujourd’hui le fait religieux ». Jean Baubérot, théoricien notoire de la laïcité, propose de créer un corps de certifiés et d’agrégés à même d’enseigner le fait religieux en tant que discipline à part entière. Éric Vinson, auteur avec sa femme d’un remarquable ouvrage sur Jean Jaures, docteur en théorie politique, enseignant à Sciences-Po et à l’Institut catholique de Paris, dit qu’il faudrait « créer à l’université des départements de ‘sciences des religions capables de former des généralistes des religions rompus, comme en Allemagne, à la pédagogie ».
Ces idées ne sont pas prêtes d’aboutir en France alors que tout cela existe dans les autres démocraties, mais elles montrent que l’enseignement du fait religieux pourrait occuper une place plus importante à l’avenir. Beaucoup d’enseignants cependant avouent manquer eux-mêmes de culture religieuse pour transmettre un savoir sur ces questions. Selon le gouvernement un module spécifique pourrait être intégré à la formation initiale.
Faut-il en revoir les contenus ?
On peut contester le terme de « fait religieux ». Il a été choisi à dessein pour marquer l’objectivité du savoir sans convoquer les croyances ou les jugements de valeur. Certains pensent aujourd’hui qu’il faudrait « une plus grande cohérence entre les contenus, une meilleure progressivité, et des objectifs à atteindre à chaque niveau de la scolarité[2]. L’enseignement du fait religieux accorde une part trop belle « au passé », déplore de son côté Éric Vinson. « Pour ne pas avoir de problème en classe, on préfère parler des dieux de l’Égypte ancienne. Mais c’est aussi de l’Islam d’aujourd’hui qu’il faut parler ! ». L’École doit reconquérir le droit qu’elle a elle-même délaissé, à parler de religion auprès de certains publics qui contestent sur ce point la légitimité de l’enseignant [3].
La laïcité
De même en ce qui concerne la laïcité. L’enseignement catholique est très attaché à la laïcité car la laïcité est la garantie pour les religions de pouvoir exister dans l’espace public sans être inquiétées dès lors qu’elles respectent l’ordre public. Les évêques français ont dit l’attachement de l’Église de France à la laïcité, il y a quelques années dans la lettre aux catholiques de France. Mais on entend des choses très diverses sur la laïcité. Contrairement à ce que l’on entend parfois, la laïcité n’est pas une valeur. Elle est un mode juridique d’organisation de la vie en société. La société n’est pas laïque. L’État est laïc mais la société ne l’est pas. La société n’est pas neutre. La neutralité est celle de l’État, pas de la société. La laïcité n’est pas la religion de ceux qui n’ont pas de religion. Nous sommes tous des laïcs car cette règle de vie s’impose à tous dans la vie de la république. La laïcité est un mode juridique sous le contrôle des droits de l’homme. La laïcité est sous le regard et au service de la liberté religieuse, qui elle est un droit de l’homme, un droit fondamental.
Le gouvernement prévoit de former un millier de professeurs et d’éducateurs à la laïcité d’ici le mois de juillet. A ce jour, on ne sait pas bien ce que sera cette formation ni sur le contenu ni sur le forme et la durée de la formation. Le secrétariat général semble-t-il a donné son accord pour l’enseignement catholique. Nous pensons que nous devons pour ce qui nous concerne d’une part proposer aussi des formations sur la laïcité et d’autre part articuler la laïcité avec les approches européennes et particulièrement ce que dit la constitution européenne sur la liberté religieuse et les droits de l’homme.
Une nouvelle étape
Les événements de janvier, les réactions qu’ils suscitent, la place de l’École nous renvoie chacun là où nous sommes à un examen de nos pratiques et à accentuer encore le travail éducatif que nous faisons. A l’ISTR et avec tous ceux d’entre vous qui sont en formation nous nous sommes sentis confortés dans le travail d’enseignement du fait religieux. Nous en avons fait part aux directeurs diocésains, soulignant le travail déjà accompli et le désir d’accentuer encore ce travail en particulier en direction d’une juste compréhension de la laïcité et d’une connaissance plus approfondie de l’islam.
Nous sommes très attachés à la laïcité (lettre aux catholiques de France) et à son enseignement mais nous sommes vigilants sur les dérives de la laïcité telle que nous l’entendons ces jours-ci. L’Etat est laïque, la société non ! rappelait le cardinal JP Ricard. Une laïcité qui tend à refluer les religions produit l’effet inverse à celui recherché, génère de la violence et se renie elle-même.
Confirmés dans ce travail engagé depuis plusieurs années, nous devons lui donner une force nouvelle. Deux chantiers s’ouvrent devant nous.
D’une part, en connaissances de religions, nous pensons que nous devons proposer à un très large public une formation sur l’islam, conséquente, ouverte, qui ne se contente pas de décrire quelques notions de base mais qui donne une vision scientifique, culturelle et spirituelle de l’islam.
D’autre part, nous devons aussi intervenir dans le domaine de la compréhension de la laïcité, avec la scientificité voulue et le rejet d’une laïcité idéologisée. L’approche de la laïcité doit se conjuguer avec la liberté religieuse comme droit fondamental de l’être humain.
Ce matin nous nous retrouvons nombreux pour notre session annuelle sur le fait religieux. Nous qui sommes ici ce matin, nous savons que cet enseignement est une nécessité pour permettre à des jeunes aujourd’hui d’habiter une culture de s’approprier le patrimoine sans lequel on n’est jamais réellement chez soi dans la culture et la société, mais aussi de s’ouvrir à la dimension symbolique. Cette nouvelle session apporte sa contribution au travail déjà fait les années précédentes.
Eduquer à la paix
Plusieurs d’entre vous ont participé aux sessions annuelles passées. Il y a deux ans, nous l’avions intitulé l’éducation à la paix. Voilà ce que nous écrivions au terme de la session :
Cet enseignement doit ouvrir à cette intelligence des choses et du monde que les religions partagent avec les arts, ouvrir à une autre dimension du réel à laquelle n’a pas accès la seule raison scientifique ou technique et sans laquelle la vie n’est pas totalement humaine. Sans préjuger de la confession de foi propre à chacun, les religions en général ont vocation à ouvrir des chemins vers l’intériorité indispensable à qui recherche la paix. Elles offrent aussi par leurs messages fondateurs des capacités de résistance aux diverses formes de la réduction de l’humain…
La symbolique
L’an dernier nous avions travaillé sur la dimension symbolique car nous pensons que la connaissance des religions comme celle des arts ouvre à cette forme d’intelligence du réel. Et voilà ce que nous en disions dans la conclusion
L’enseignement du FR n’est pas réductible à ce qu’il a été si souvent et que l’on voit dans les manuels, à savoir un enseignement positiviste. Nous entendons par enseignement positiviste le savoir écrasé qui ne donne pas accès au sens. On désigne les éléments d’une architecture religieuse, on se contente de les nommer sans ouvrir à la symbolique des lieux.
Nous savons aussi qu’il n’est pas réductible à une approche patrimoniale par laquelle certes on permet à des gens de ne pas être égaré dans la culture qu’ils habitent, d’avoir accès à ses productions culturelles mais qui en font plus des récepteurs passifs que des acteurs…
Nous avons mieux compris que l’on ne peut pas comprendre le monde dans lequel on vit et la culture dans laquelle nous baignons sans la compréhension du religieux.
Et nous concluions cette session en se disant que l’Un des enjeux majeurs de la prise en compte du fait religieux dans l’enseignement est l’ouverture à l’intelligence symbolique du réel.
Le fait religieux au féminin
Cette année nous avons retenu comme thème : « le fait religieux au féminin ». Pourquoi avoir choisi ce thème et comment rejoint-il les enjeux évoqués précédemment ?Encore une fois, nous ignorions les événements de janvier mais nous pensons qu’avec ce sujet de session, nous ne sommes pas éloignés des enjeux décisifs pour notre société. En parlant du féminin, nous nous situons d’emblée dans l’altérité et pas n’importe quelle altérité mais l’altérité homme/femme. Or elle est la matrice de toutes les formes d’altérité pour l’anthropologie chrétienne. Ce caractère matriciel probablement explique qu’elle soit si mal vécu et qu’elle suscite tant de résistances dans la société et dans l’Eglise.
Nous l’abordons sous l’angle du fait religieux. Ce n’est évidemment pas la seule manière de l’aborder mais nous croyons que cet angle d’attaque a sa pertinence propre. Le fait religieux au féminin, dans notre culture, est victime d’une double ignorance : d’abord celle d’être religieux et ensuite d’être au féminin ! La première des ignorances est celle de la religion et des religions en France dont nous souffrons des effets pervers. La seconde est celle de l’exclusion des femmes de l’histoire, de la culture et aussi de la religion. En effet, considéré comme une affaire d’hommes le fait religieux a longtemps été écrit au masculin. Or les femmes comme les hommes sont au cœur des religions: dieux ou déesses, saints ou saintes, figures anonymes ou héroïnes, soumises ou conquérantes, religieuses ou laïcs, mystiques ou missionnaires, vierges et/ou mères, amoureuses et inspiratrices, elles y occupent une place de choix.
On se propose donc au cours de cette session de considérer comment le fait religieux s’écrit au féminin. Le sujet est original. Le fait religieux est peu abordé en ce sens alors même que la religion véhicule des représentations des hommes, des femmes et de leurs relations qui influencent et peuvent déterminer des manières d’être homme ou femme. Or dans le travail éducatif, un des points majeurs est l’éducation à la mixité. Il ne suffit pas de mettre ensemble des petits garçons et des petites filles pour qu’il y ait mixité. L’enseignement du fait religieux n’est pas le seul angle d’une éducation à la mixité mais on peut penser que l’apprentissage du fait religieux décliné au féminin est une participation à l’éducation à la mixité au sein de l’École.
Voilà le programme …
[1] Ses rédacteurs, Jean-René Lecerf (UMP) et Esther Benbassa (EELV), ont finalement dû supprimer cette proposition qui ne faisait pas l’unanimité
[2] Isabelle Saint-Martin, directrice de l’IESR, institut rattaché à l’École pratique des hautes études
[3] « Étudiant la naissance de l’Islam avec une classe de 5e , j’avais apporté un Coran, se souvient Laurent Gassier, enseignant d’histoire-géo dans le Val-de-Marne. Entre indignation et provocation, un élève m’a alors demandé de lâcher ce livre car selon lui j’étais impur. » Sur le moment, l’enseignant, désarçonné, a reposé l’ouvrage. « Aujourd’hui, je répondrais à ce garçon qu’en classe, le coran est un objet d’étude historique et scientifique », affirme-t-il.
Marc Keraudren, Ouverture de la session 2015
1
OUVERTURE DE LA SESSION « LE FAIT RELIGIEUX AU FEMININ »
ISTR, Marseille, le 18 mars 2015
Chacun d’entre nous a encore en tête les drames de janvier et je ne pouvais pas ouvrir une session comme celle qui nous réunit aujourd’hui ici à Marseille sans y faire référence.
Je le fais de là où je suis, c’est-à-dire comme directeur de Formiris méditerranée, en charge de la formation professionnelle des enseignants des établissements privés sous contrat du territoire.
Deux points à mon intervention.
1- D’abord rappeler que l’Enseignement catholique est au service de la Nation. Et que quand la Nation se mobilise1, l’Ecole catholique se mobilise avec elle.
1 Grande mobilisation de l’Ecole pour les valeurs de la République. 11 mesures. 22 janvier 2015.
2 Pour comprendre le bien fondé des règles de vie – discipline- , reconnaitre le pluralisme des opinions, des convictions et des modes de vie –coexistence des libertés – , construire du lien social et politique –communauté des citoyens-
L’Ecole catholique est aussi l’Ecole de la République. L’Ecole catholique est, tout autant que l’Ecole publique, légitime pour parler des valeurs de la République, pour les vivre de l’intérieur.
Alors oui, chaque établissement doit se sentir concerné et impliqué dans la mise en oeuvre des mesures présentées par la Ministre, le 22 janvier dernier. En évitant toutefois de faire une lecture juxtaposée de ces mesures, mais en veillant à travailler à leur cohérence et à leur synergie.
Enseignement moral et civique à la rentrée 20152, mise en place d’un parcours citoyen de l’école élémentaire à la terminale (occasion pour l’élève de s’impliquer dans la vie de l’établissement, dans des partenariats), accueil de tous pour viser la réussite de chacun, nouveau socle commun à l’école et au collège, lutte contre le décrochage, … Autant d’engagements auxquels l’Ecole de la République est convoquée aujourd’hui.
Certes, nous n’avons pas attendu les annonces ministérielles pour nous saisir de ces questions. Rappelons les engagements pour la réussite auxquels le SGEC nous a invités en avril 2014 par exemple. Rappelons toutes les sessions précédentes qui nous ont réunis ici même.
Mais les paroles d’Abdenour BIDAR, chargé de mission ministériel sur la laïcité lors du séminaire de la DGESCO le 11 mars dernier, nous donnent un aperçu des défis à relever. Que nous dit-il ? Trois choses :
– Nous en avons pour des années à irriguer à nouveau la société sur le partage des valeurs de la République.
– La connaissance et la maîtrise de ces valeurs n’est plus assurée dans l’institution par tous les personnels.
2
– Il y a un besoin de retrouver une culture de l’engagement autour de ces valeurs, qui est une dimension consubstantielle du métier d’enseignant.
Il y a donc pour les années à venir de merveilleuses réflexions à mener au niveau des équipes éducatives et pédagogiques dans les établissements. La formation peut être un des leviers à activer et c’est le sens du soutien financier apporté chaque année aux établissements qui en font la demande, pour être accompagnés dans ce type de réflexion en équipe. Si ce type de session qui nous rassemble est éminemment importante à proposer, je vous invite également à vous mobiliser autour de ses questions, en équipe, avec vos chefs d’établissements, APS et personnels d’éducation…. sans oublier les familles.
2 –Ne pas agir sous l’émotion, en réaction, et dans la précipitation. Inscrivons-nous dans la durée.
En matière d’enseignement des faits religieux3, puis que c’est cela qui nous réunit aujourd’hui, les évènements récents ont marqué une forme de sursaut. Mais attention, l’enseignement des faits religieux ne saurait être présenté comme un antidote à l’extrémisme religieux, comme on le présente parfois.
3 Le ministère parle d’enseignement laîc des faits religieux.
4 Gérald Chaix / historien, ancien recteur, président de l’Institut Européen en sciences des religions (institut fondé en 2002 par Régis Debray) – Lettre de l’Education n°840 du 16 mars 2015
5 Cf. site ISTR
L’objectif premier de cet enseignement n’est pas défensif, nous rappelle justement Gérald Chaix, historien, président de l’IESR, cette semaine4, dans la Lettre de l’Education. Cet enseignement se justifie d’abord pour une raison patrimoniale, au sens où il importe que le religieux, dans sa dimension culturelle, soit accessible à tous et perçu comme un bien commun. Comment sans cela comprendre des pans entiers de notre culture (tel tableau, telle sculpture, telle oeuvre littéraire….) ? Mais la compréhension du passé n’en est pas le seul enjeu : cet enseignement est aussi un moyen de se situer dans le temps présent et de décrypter les événements.
Enfin, il s’agit « d’appréhender les religions comme des systèmes symboliques et idéologiques qui, pour une très grande part de l’humanité, donnent un sens à la vie, individuelle et collective ».
Ces propos de l’ancien recteur feront écho à ceux qui étaient présents ici l’an dernier5.
Alors oui, la crise des événements récents replace cet enseignement au premier plan. Réjouissons-nous en, tout en ayant conscience que si « la crise nécessite une réponse, la réponse dépasse la crise », nous dit Gérald Chaix. Cela nous invite donc à nous inscrire plus que jamais dans la durée.
3
Peut-être faut-il redéfinir les objectifs de cet enseignement en termes de connaissances et de compétences, mais aussi d’attitudes et de comportements.
Simultanéité d’une pédagogie de la laïcité et d’une pédagogie de la liberté, nous dit à présent le Ministère. Des évolutions qui font écho à ce que nous partageons ici avec l’ISTR.
« On attend de l’élève qu’il soit capable de débattre sur ce qu’il croit ou ne croit pas, qu’il sache, même s’il est choqué par une caricature, comprendre ce que la caricaturiste a voulu dire ».
Ce n’est pas une mince affaire pour eux… et pour vous tous qui les accompagnez à l’école.
Lors du premier séminaire inter académique sur la laïcité que j’évoquais précédemment, le 11 mars dernier, Florence ROBINE, directrice générale de l’enseignement scolaire, allait dans le même sens en invitant son public de formateurs à aller plus loin que ce qui a été déjà engagé, à donner à cet enseignement une autre envergure, à ne pas le cantonner au seul périmètre de la littérature, de l’histoire et des arts. « Après le temps de la culture sans religion, nous sommes dans le temps de la religion sans culture », nous dit-elle, c’est-à-dire confrontés au fondamentalisme, où la culture est extérieure à la religion.
Ce n’est donc pas un domaine qu’un enseignant peut aborder naïvement. Quelle que soit sa discipline, il lui faut anticiper toutes les questions possibles, tout en sachant qu’il pourra être parfois désarçonné et… qu’il lui faudra différer sa réponse.
Alors, vous l’aurez compris, il y a aussi certainement pour la formation des choses à repenser.
L’Enseignement catholique est partie prenante de la formation de 1000 référents dans le cadre de la « grande mobilisation de l’Ecole ». Des actions de formation seront proposées à la rentrée prochaine.
Mais encore une fois, il ne s’agit pas de le faire sous la pression des médias ou même du politique…. Pas de place pour des BFM de la formation !
Prendre la mesure des défis, trouver différents leviers pour soutenir les démarches de formation engagées, associer actions de sensibilisation et actions d’approfondissement, c’est bien la stratégie de formation qui est engagée sur ce territoire depuis 2009 avec l’ISTR.
Après la session en 2013 « pluralité religieuse et citoyenneté, une éducation à la paix », après celle de 2014 « faits religieux et initiation au symbolisme », voici donc ces nouvelles rencontres de printemps autour de la question du « fait religieux au féminin ».
En proposant ce type de session chaque année maintenant depuis 3 ans, et en relevant ce pari y compris lorsque les subventions de formation de l’Etat diminuent, je veux rappeler ici que la formation ne saurait se réduire à une autre forme de consommation rapide ou à la recherche de la réponse magique à appliquer de retour chez soi, comme on peut l’observer encore trop souvent, mais qu’elle passe nécessairement par des temps comme celui qui vous est proposé durant ces 3 jours.
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C’est le parti pris de ce type de session que de nous réunir, que de prendre le temps d’écouter, de s’écouter, de partager, de réfléchir, pour faire culture commune, pour forger ou consolider nos connaissances, pour appréhender cet enseignement du fait religieux sous un angle nouveau, pour se questionner.
Merci donc à toute l’équipe de l’ISTR de nous permettre ces temps de pause, de respiration, d’introspection… et de convivialité.
Merci à vous tous d’avoir répondu à cette nouvelle invitation aussi nombreux.
Marc Keraudren
Christian Rallo, Jeanne d’Arc (annexes)
Christian Rallo, Enseigner Jeanne d’Arc
Chantal Guillermain, Marie de Magdala, apôtre des apôtres
UNE SACREE MISSION
MARIE de MAGDALA, APOTRE DES APOTRES
J’ajoute quelques mots d’introduction au plan que vous avez sous les yeux.
Sacrés destins que ceux d’Hatchepsout et de Marie Madeleine !
Si on peut parler de la reine d’Egypte Hatchepsout en historien, il est impossible de le faire à propos de Marie M ; nous ne possédons aucune trace, aucun indice, aucun document la concernant, à part les évangiles qui ne sont ni livre d’histoire, ni biographie.
Sa destinée, elle l’a reçue de la première Eglise qui lui a donné un rôle dans l’histoire de la foi chrétienne à sa naissance.
Ce rôle est étonnant, et il n’a pas pu être inventé. En effet, dans le milieu, la culture de l’époque – fin du premier siècle de notre ère – les femmes ne pouvaient pas être entendues comme témoins. Ce pouvait être une gêne d’avoir à dire qu’une information majeure avait été portée –colportée – par une femme. En raison de l’impossibilité de l’inventer, ce fait peut donc constituer une vérité historique.
Je termine avec un petit sourire : on fait souvent remarquer que Jésus de Nazareth n’a choisi que des hommes comme apôtres. Certes, mais le Christ ressuscité, lui, dès lors qu’il est affranchi des limites de temps et d’espace autant que des contingences culturelles, a choisi Marie de Magdala ; et les anges, selon les autres évangiles, les messagers divins, eux aussi, n’envoient que des femmes pour annoncer la Résurrection !
Voilà donc une sacrée mission confiée à Marie de Magdala, je dirais plutôt une mission sacrée qui fait d’elle « l’apôtre des apôtres » selon Hyppolite de Rome (vers 230)[1].
Qui est Marie de Magdala ?
Une femme dont le nom est attesté par les 4 évangélistes !
Une femme de l’entourage de Jésus ; son nom indique qu’elle vient de Magdala, petite ville des bords du lac de Génésareth ; au dire de Luc, elle suit Jésus, après avoir été délivrée de 7 démons – le comble de la possession diabolique ou de la maladie ! Suivre Jésus, c’est dire qu’elle est disciple.
On la trouve dans les 4 évangiles :
à la mort de Jésus :
Au pied de la croix chez Jean
A la mise au tombeau chez les synoptiques
Et au tombeau, le matin de Pâques.
C’est donc une fidèle de Jésus.
La piété populaire en a fait une pécheresse, ce que l’Evangile ne dit pas. Pour cela, on a reporté sur Marie de Magdala d’une part l’image de 2 femmes anonymes :
- une femme adultère (Jn 8)
- une pécheresse notoire (Lc 7), celle-ci, venue sans y être conviée, dans la maison de Simon le Pharisien, couvre les pieds de Jésus de ses larmes et de parfum.
D’autre part, on confond Marie Madeleine avec Marie de Béthanie, (Jn 12), sœur de Marthe et Lazare, qui répand aussi sur les pieds de Jésus un parfum de grand prix.
Cette fusion, cette superposition sont évidentes au sanctuaire de la Sainte Baume.
En langage pictural, on appelle « Madeleine » la représentation d’une femme vêtue seulement de sa longue chevelure.
Les Provençaux ne me pardonneraient pas de passer sous silence le fait que Marie Madeleine est une des Saintes Maries de la Mer, mais là, nous sommes dans la légende et je vous propose de revenir à l’EVANGILE selon St Jean.
Marie de Magdala vient au tombeau de Jésus, le premier jour de la semaine, c’est à dire le lendemain du sabbat, ce jour qui est pour nous le dimanche – dies dominicus – le Jour du Seigneur. Regardons ses attitudes, écoutons ses paroles qui nous montrent le cheminement de Marie ; nous la verrons ainsi passer de l’ignorance : on a enlevé le Seigneur et nous ne savons pas où on l’a mis – à la proclamation de sa foi au Christ ressuscité : J’ai vu le Seigneur.
Marie est seule à venir au tombeau, ce qui prépare sa rencontre personnelle avec le Ressuscité.
Devant le tombeau, elle aperçoit la pierre roulée, elle ne regarde pas plus loin, car un tombeau ouvert ne peut signifier qu’une seule chose : on a enlevé le corps. C’est ce qu’elle vient dire, en courant, aux responsables de la petite communauté, Simon Pierre et l’autre disciple, celui que Jésus aimait. Le « disciple bien-aimé », cette désignation et cet anonymat sont précieux, celui que Jésus aime c’est chaque disciple, chacun de nous ! Elle leur dit : On a enlevé le Seigneur, employant par avance le titre du Ressuscité –titre divin : Le Seigneur.
Passons sur la visite des deux disciples au tombeau. Et retrouvons Marie près de ce tombeau, à l’extérieur tout en pleurs. L’évangéliste insiste sur ces pleurs, mentionnés 4 fois[2].
Avec les anges
Remplie d’inquiétude et de tristesse, Marie se penche à l’intérieur sans y entrer mais assez pour voir : elle est tout tournée vers la mort, mais elle voit, dans ce tombeau, deux anges vêtus de blanc assis à la place du corps de Jésus, l’un à la tête et l’autre aux pieds.
Le blanc est la couleur divine, céleste et les anges sont les messagers de Dieu – le Dieu de la vie ; et s’ils n’annoncent aucune heureuse nouvelle de la part de Dieu, ils sont, en eux-mêmes, un message silencieux de vie, dans ce lieu d’obscurité et de mort. Mais Marie ne le perçoit pas ; elle n’est nullement effrayée de les voir, comme si elle ne les reconnaissait pas, tellement elle est repliée sur son chagrin.
Les anges lui posent une question : Pourquoi pleures-tu ?
La réponse de Marie ressemble à ce qu’elle a dit aux disciples, à une différence près : On a enlevé mon Seigneur et je ne sais pas où on l’a mis. C’est une déclaration personnelle qu’elle exprime aux anges ; à eux elle peut dire son attachement à Jésus et sa détresse, alors que, parlant aux disciples, elle s’était fondue dans leur groupe et avait dit : le Seigneur et nous.
Marie dit le bouleversement qu’elle ressent : à la mort de l’être qu’elle chérit s’ajoute la disparition de son corps. La perte est totale, il ne reste rien qu’elle puisse baigner de ses larmes.
Les anges n’ajoutant rien, Marie se détourne du tombeau : c’est un premier mouvement de détachement de ce lieu de mémoire qui n’a pas su garder le mort qui lui était confié.
Avec Jésus
Premier éloignement de la mort et premier pas vers le Vivant. De fait, elle voit Jésus qui se tenait là ; mais elle ignore que c’est lui. Le Christ est là, il n’est pas absent quand on le cherche, mais son identité n’est pas évidente. Marie ne reconnaît pas Jésus ; le lecteur, lui, sait dans la foi que si Jésus se tient là c’est qu’il est ressuscité ; il est devenu autre parce qu’il est passé par la mort, et par delà la mort il est entré dans le monde de Dieu. Jésus Ressuscité est à la fois le Même et le Tout Autre
Seul le Christ peut se faire reconnaître, ouvrir les yeux sur le Ressuscité.
Jésus pose à Marie la même question que les anges : Femme, pourquoi pleures-tu ? Et il ajoute : Qui cherches-tu ?
Dans l’ignorance qui la caractérise depuis le début de la scène, Marie ne reconnaissant pas Jésus, le prend pour le jardinier. L’évangéliste avait précisé plus haut : Il y avait un jardin au lieu où Jésus avait été crucifié et dans ce jardin, un tombeau neuf. Ce jardin évoque le jardin d’Eden où l’homme avait fait entrer la mort. Aujourd’hui la vie y triomphe.
Qui cherches-tu ? cet ajout nous rappelle la toute première parole de Jésus dans cet évangile, la question posée aux deux disciples du Baptiste qui avaient suivi Jésus et Jésus voyant qu’ils le suivaient leur dit : Que cherchez vous ? Une même question est posée à tout disciple de Jésus.
Et Marie développe sa réponse : Si c’est toi qui l’as emporté, dis-moi où tu l’as mis et je l’enlèverai. Marie parle de Jésus comme « d’un objet inerte » (X L-D), d’une chose morte, elle emploie 3 fois un pronom que la grammaire dit « personnel », mais qui est dramatiquement impersonnel ici !
Elle ne cherche pas Quelqu’un, elle ne cherche pas un Maître à suivre, comme les disciples du début. Elle cherche un cadavre qu’elle voudrait saisir, prendre avec elle pour l’emporter, voire l’enfermer dans sa détresse et dans son souvenir.
Remarquons que l’insistance sur l’incompréhension de Marie souligne l’impréparation totale des disciples à l’événement de la résurrection : ils ne s’y attendaient pas, ils ne l’attendaient pas.
La voix du Bien Aimé
Jésus lui dit : Marie ; elle se retourna et lui dit en hébreu : Rabbouni, ce qui veut dire Maître.
Un mot, un nom –son nom propre et non plus le mot « Femme », terme indifférencié -provoque le retournement et la reconnaissance.
De nouveau Marie se retourne ; comme elle s’était détournée du tombeau vide, elle se détourne du souvenir du cadavre qu’elle cherchait.
Jésus a appelé Marie par son nom ; dire le nom de quelqu’un c’est le rejoindre dans sa singularité, s’adresser à l’intime de son cœur. En entendant son nom, Marie reconnaît son Maître qui est là et qui l’appelle (comme il la appelé Marthe et Marie les sœurs de Lazare). Elle a reconnu la voix de son Maître, la voix du Bien Aimé ; mais attention ce n’est pas le timbre de la voix de Jésus qui a provoqué la reconnaissance ; d’ailleurs, Jésus lui a déjà parlé. Le timbre de voix est un élément matériel qui n’entre pas dans ce cheminement de reconnaissance et de foi ; (on peut dire la même chose des pèlerins d’Emmaüs qui reconnaissent Jésus non pas au geste concret de la fraction du pain mais à la signification du pain rompu).
Marie a reconnu la Personne qui la connaît par son nom, comme le bon Pasteur qui connaît ses brebis et les appelle, chacune par son nom pour les inviter à le suivre (Jn 10,3). Elle a reconnu dans cet appel personnel « celui que son cœur aime », comme l’épouse du Cantique des Cantiques (cf. texte infra). La Tradition la plus ancienne de l’Eglise a fait ce rapprochement.
Elle a reconnu et retrouvé son Maître bien aimé et dit : Rabbouni ! Un diminutif plein d’affection : « mon petit Maître ».
Cependant, à cet instant, Marie croit renouer avec Jésus les relations passées, celles d’avant hier, d’avant la Passion, comme si Jésus était revenu à la vie de la même manière que Lazare avait repris le cours de sa vie ordinaire : on avait donné un repas en son honneur.
Mais Jésus Ressuscité vit d’une vie absolument neuve que Marie va devoir découvrir. Jésus vient restaurer le lien que la mort avait rompu, il va conduire Marie à une nouvelle relation avec lui, lui faire connaître sa présence nouvelle, dans une dernière étape de son chemin de foi : une foi pas à pas.
Cesse de me toucher, ne me retiens pas…
On a pu recenser 12 traductions différentes de cette phrase.
Jean suppose sans doute que Marie a fait le même geste d’adoration et d’affection que les saintes femmes dans l’évangile de Matthieu, qui se prosternent aux pieds du Ressuscité (28, 9).
Jésus avait laissé Marie de Béthanie oindre ses pieds de parfum, en un geste d’amour et de ferveur.
Jésus s’était livré aux mains des gardes et des bourreaux, à leurs gestes de haine et de violence.
Son corps n’est pas devenu intouchable, sacré parce qu’il a passé la mort. Il va présenter ses mains et ses pieds à Thomas : Avance ta main et mets-la dans mon côté.
Il s’agit d’autre chose que de toucher ; il s’agit d’un nouveau mode de présence, d’une relation nouvelle : présence et relation transformées qui ne tombent pas sous les sens. Les mains ne peuvent se refermer sur elles et les portes closes ne pourront leur faire obstacle. Le Ressuscité échappe à tout prise. Pour entrer dans cette nouveauté, quelque chose doit cesser et laisser place à une autre réalité. ‘Ne me touche pas’ n’est pas une interdiction ; ‘cesse de’ indique un changement, une modification.
Je ne suis pas encore monté vers mon Père
On peut parler de « délai pédagogique », comme une étape destinée à nous faire comprendre. Pour Jean, l’élévation ou exaltation – il parle aussi de glorification – exprime une double réalité : la mort de Jésus sur la croix et sa résurrection. Jésus est élevé sur la croix en même temps qu’au ciel[3].
Je ne suis pas monté… mais va : on sent comme une hâte de Jésus. Alors pourquoi cette halte auprès de Marie ? En venant dans le monde, en prenant chair d’humanité, Jésus s’est engagé dans un compagnonnage fraternel, il s’est mis en fratrie avec les hommes, ce qui l’a conduit à la mort, notre lot commun. Ressuscité, Jésus a voulu rejoindre ses disciples, se relier à eux en la personne de Marie ; il ne veut pas monter seul auprès de son Père. C’est ce qu’il fait dire aux disciples.
Mais, va vers mes frères et dis-leur
« Le refus opposé à Marie ne signifie pas une volonté de séparation » (X L-D) de la part de Jésus. Par rapport à cette présence nouvelle que Jésus reçoit de son Père du ciel, il y a mieux à faire que se replier, se figer sur le passé ; c’est pourquoi, dans un mouvement dynamique, Jésus envoie Marie vers ses disciples qu’il appelle « ses frères ». Marie reçoit ici sa mission d’apôtre des apôtres.
Déjà, Jésus ne considérait pas ses disciples comme des serviteurs : Je ne vous appelle pas serviteurs… je vous appelle mes amis, car tout ce que j’ai appris de mon Père je vous l’ai fait connaître (15,15). C’est maintenant que Jésus fait connaître à ses amis, à ses frères, ce qu’il a appris du Père et c’est à travers la mission de Marie qu’il fait cette révélation qui tient dans ces mots :
Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu.
Tel est le message que Marie de Magdala est chargée de porter aux apôtres. Nous savons qu’une femme n’était pas habilitée à porter témoignage : l’autorité du Ressuscité le permet.
Mon Père mon Dieu – votre Père votre Dieu. Vous pouvez voir les citations qui montrent que les mots ‘Dieu’ et ‘Père’ sont souvent employés ensemble ; ces mots semblent complémentaires et pourtant on cherche la formule qui les ajuste. Bien sûr les Juifs considéraient le Dieu d’Israël comme le Père du peuple qu’il s’est choisi : « Notre Père et notre Roi » est une prière juive ancienne, mais c’est la communauté qui s’adresse ainsi à Dieu. Tandis que Jésus appelait Dieu son propre Père, au grand scandale de ses auditeurs.
Ici, Jésus fait connaître Dieu qui est Père, son Dieu qui est son Père : Père, je leur ai fait connaître ton nom. Ton Nom de Père, ton cœur de Père, et l’amour qui habite ton cœur.
Dieu est le Père de Jésus d’abord mais pas exclusivement ; et c’est cela que Jésus veut révéler aux hommes, parce que ceux-ci méconnaissent le visage de Dieu, depuis que le serpent les a trompés en caricaturant Dieu.
Telle est la mission de Jésus : révéler l’amour de Dieu Père ; pour cela il est sorti du Père et il retourne au Père, une fois sa mission accomplie.
Les Juifs croient, nous le disions, que Dieu est le Père de leur peuple, mais cet amour ils le revendiquent comme un dû qui leur est réservé, selon une conception restrictive de l’Election. Alors que Jésus révèle que cet amour est un Don fait par le Père à tous les hommes, ses enfants. Un don fait aussi par Jésus qui ne s’approprie pas le titre de Fils Unique, mais qui veut partager cette filiation avec tous ceux qu’il nomme « ses frères ».
Cette relation filiale entre Dieu et les hommes, exprimée ici, est en quelque sorte la formule de l’Alliance Nouvelle. La Première Alliance disait : Vous serez mon peuple, je serai votre Dieu. Elle devient, par Jésus, « Vous êtes mes fils, je suis votre Père.
Et le nom d’Alliance, le tétragramme imprononçable confié à Moïse, YHWH devient ABBA, ce nom d’indicible douceur qu’emploie Jésus lorsqu’il parle à son Père.
On sait que Jean ne transmet pas la prière du Notre Père ; cette phrase en tient lieu, elle joue le même rôle : « Dieu est votre Père parce que je suis devenu votre Frère » dit Jésus, et, de ce fait, ses disciples peuvent ensemble avec Jésus et comme lui, appeler Dieu, « Notre Père ».
Telle est la mission confiée à Marie de Magdala : annoncer aux disciples de Jésus qu’ils sont ses frères, fils d’un même Père. Voilà l’excellente nouvelle, l’Evangile que Marie est chargée de proclamer. Ce faisant, Marie désigne Dieu comme Père, elle désigne le Père ; ce qui est une fonction éminemment féminine.
Le parcours de Marie
C’est un parcours de foi : de repliement en retournement, de révélation en découverte, Marie retrouve son Maître, et discerne son Seigneur, Elle revient vers les disciples pour leur annoncer : J’ai vu le Seigneur et il m’a dit cela.
Son expérience rejoint celle des deux disciples que nous avons quittés tout à l’heure et son attachement personnel à Jésus trouve sa vraie dimension au sein de la communauté des frères de Jésus.
Au dire de la foi chrétienne
Jésus monte vers Dieu son Père, il monte au ciel d’où il est venu. Ce qui advient à Jésus nous est promis et nous attend. Père – a dit Jésus – ceux que tu m’as donnés –donnés comme frères – je veux que là où je suis, ils soient aussi avec moi (17,24). La volonté de Jésus, explicite, ne diffère en rien de la volonté de son Père, elle en est même l’expression : donc Jésus veut que nous vivions avec lui auprès du Père qui nous aime du même amour. Il veut nous conduire jusqu’à Notre Père.
Cette Vie dans laquelle Jésus est entré – et c’est la sienne – il veut que nous y entrions aussi. Notre Résurrection, notre vie en Dieu, fait donc partie intégrante de cette Bonne Nouvelle que Marie est envoyée annoncer.
Frères de Jésus et fils de Dieu : cette affirmation implique, et entraine le fait que nous sommes frères les uns des autres. Voilà, pour les chrétiens, l’origine de la fraternité, dont Christian disait, ce matin, qu’elle est « une valeur d’inspiration chrétienne ».
Un jeu de relations nouvelles est ouvert, dans lesquelles hommes et femmes peuvent se donner la main comme des frères et sœurs.
Evangile selon St Jean (20, 1 – 18)
- Le premier jour de la semaine, Marie de Magdala vient de bonne heure au tombeau, comme il faisait encore sombre, et elle aperçoit la pierre enlevée du tombeau.
- Elle court alors et vient trouver Simon-Pierre, ainsi que l’autre disciple, celui que Jésus aimait, et elle leur dit : « On a enlevé le Seigneur et nous ne savons pas où on l’a mis. »
- Marie se tenait près du tombeau, au-dehors, tout en pleurs. Or, tout en pleurant, elle se pencha vers l’intérieur du tombeau
- et elle voit deux anges, assis là où avait reposé le corps de Jésus, l’un à la tête et l’autre aux pieds.
- Ceux-ci lui disent : « Femme, pourquoi pleures-tu ? » Elle leur dit : « Parce qu’on a enlevé mon Seigneur, et je ne sais pas où on l’a mis. »
- Ayant dit cela, elle se retourna, et elle voit Jésus qui se tenait là, mais elle ne savait pas que c’était Jésus.
- Jésus lui dit : « Femme, pourquoi pleures-tu? Qui cherches-tu? » Le prenant pour le jardinier, elle lui dit : « Seigneur, si c’est toi qui l’as emporté, dis-moi où tu l’as mis et je l’enlèverai. »
- Jésus lui dit : « Marie! » Se retournant, elle lui dit en hébreu : « Rabbouni! » ce qui veut dire « Maître ».
- Jésus lui dit : « Ne me touche pas, car je ne suis pas encore monté vers le Père. Mais va trouver mes frères et dis-leur : je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. »
- Marie de Magdala vient annoncer aux disciples qu’elle a vu le Seigneur et qu’il lui a dit cela.
Qui est Marie de Magdala,?
Avec les anges
Avec Jésus
La voix du Bien Aimé :
Cesse de me toucher
Mais va vers mes frères
Je monte vers mon Père
Le parcours de Marie de Magdala
Du Cantique des Cantiques (3, 1 – 4)
- Sur ma couche, la nuit, j’ai cherché celui que mon cœur aime. Je l’ai cherché, mais ne l’ai point trouvé.
- Je me lèverai donc, et parcourrai la ville. Dans les rues et sur les places, je chercherai celui que mon cœur aime. Je l’ai cherché, mais ne l’ai point trouvé.
- Les gardes m’ont rencontrée, ceux qui font la ronde dans la ville : « Avez-vous vu celui que cœur aime ? »
- A peine les avais-je dépassés, j’ai trouvé celui que mon cœur aime. Je l’ai saisi et ne le lâcherai point que je ne l’ai fait entrer dans la maison de ma mère…
Jn 5, 18 Il appelait Dieu son propre Père
8, 41 Nous n’avons qu’un seul Père : Dieu
8, 42 Si Dieu était votre Père, vous m’aimeriez, car lui m’a envoyé
8, 54 Mon Père, lui dont vous dites « Il est notre Dieu »
6, 46 Celui qui vient de Dieu, celui-là a vu le Père
13, 3 Il était venu de Dieu, il s’en allait vers Dieu
17, 11 Je viens vers Toi, Père
20, 17 Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu
[1] Expression reprise par Augustin : « L’Esprit Saint fit de Marie Madeleine l’apôtre des apôtres » (Sermon 132) et par Bernard de Clairvaux : « envoyées par l’ange, elles réalisent l’œuvre d’un évangéliste. Elles deviennent les apôtres des apôtres lorsqu’elles se hâtent d’annoncer le salut du Seigneur »
[2] Vous allez pleurer et vous lamenter. Vous serez dans la tristesse, mais votre tristesse se changera en joie (16,20).
[3] Cf. 3,14 Il faut que soit élevé le Fils de l’Homme ; 8,28 Quand vous aurez élevé le Fils de l’Homme, vous saurez que Je Suis ; 12,32 Et moi, élevé de terre, j’attirerai tous les hommes à moi. Il signifiait par là de quelle mort il allait mourir.
Anne-Sophie Luiggi, La représentation de la femme chez Hésiode
La représentation de la femme chez Hésiode
Introduction :
Je vous propose de démarrer en douceur cette matinée par un voyage dans des temps reculés. Nous allons partir à la rencontre d’Hésiode, auteur grec du VIIIème siècle avant JC. Il faut donc accepter de laisser un peu de côté notre vision du monde d’homme et de femme du XXIème siècle pour avancer à la découverte des représentations de la femme chez cet auteur. Il a composé en effet deux récits de création de la femme dans la Théogonie et les Travaux et les Jours à partir desquels il brosse ensuite un portrait, non dénué de misogynie, sur les femmes de son époque. Il est intéressant de constater que la Bible propose également deux versions datées du IX ème siècle environ av JC de la création d’Eve. Je vous propose d’alterner des analyses de textes que je projetterai , même s’ils sont denses pour ceux qui souhaitent lire, mais bien sûr, pour ceux qui le préfèrent, laissez-vous bercer par la musicalité des extraits. Par ailleurs, je vais également présenter des œuvres d’art. J’en commenterai certaines, mais pas toutes. C’est parfois simplement pour le plaisir des yeux.
Nous étudierons donc la pluralité des variantes afin de dégager les grandes caractéristiques de la femme. Or, cette dernière chez Hésiode n’incarnerait-elle pas une figure de l’ambiguïté et par là-même, n’annoncerait-elle pas toute condition mortelle ?
Nous verrons au cours de notre vagabondage littéraire dans les textes d’Hésiode dans quel contexte apparaît la femme. Pour cela, il faudra rappeler l’organisation du monde avant son arrivée. Nous nous pencherons ensuite sur les étapes des deux récits de fabrication afin d’en dégager les significations dans et pour la société grecque qui les a produits. Nous analyserons alors en parallèle l’imagerie antique à travers deux vases pour montrer comment les œuvres d’art ont repris et modifié aussi la vision d’Hésiode. Enfin, après avoir étudié ce que dit Hésiode de ses contemporaines, nous présenterons rapidement l’influence qu’il a pu avoir dans l’Antiquité sur la perception des femmes.
Présentation d’Hésiode
Mais tout d’abord qui est Hésiode ? Nous ne savons pas grand chose de lui. On admet en général qu’il a vécu au VIII ème siècle av JC, à peu près comme Homère. Quelques indications tirées de son œuvre nous renseignent sur ses origines, ses différends avec son frère et son activité poétique. Il a vécu en Béotie, au pied de l’Hélicon. Il possédait là des champs qu’il cultivait tout en exerçant le métier d’aède. Il raconte en effet dans la Théogonie qu’alors qu’il gardait les moutons sur le mont Hélicon, il entendit les muses l’appeler à devenir poète et à chanter les dieux. A la mort de son père, le domaine familial fut divisé entre Hésiode et son frère Persès, qui réclama plus que son dû. Un conflit s’ensuivit auquel il fait allusion dans les Travaux et les Jours.
Présentation de ses œuvres
J’ai déjà cité les deux poèmes authentiques[1] qui nous sont parvenus de lui : la Théogonie et les Travaux et les Jours.
Dans cette dernière œuvre, à partir de son cas personnel puisqu’il est en procès avec son frère, le poète réfléchit à l’instinct de lutte qui est en l’homme : ἒρις en grec. Cette lutte peut être une émulation féconde et heureuse lorsqu’elle est tournée vers le travail. Il donne alors de nombreux conseils pour mener à bien les travaux agricoles ou la navigation. En revanche, si la lutte se fait violence, elle perd l’homme. Le mythe de Prométhée et de Pandore, la première femme, va alors montrer que le travail seul doit assurer la vie de l’homme. Nul ne peut s’y dérober sous peine d’être puni, comme Prométhée l’a été lors de la création de Pandore. Tel est le message qu’il délivre à son frère Persès.
Dans la Théogonie, Hésiode raconte comment est née sa vocation poétique avant d’entamer un hymne aux Muses. Ensuite, commence la théogonie qui est aussi une cosmogonie. En effet, il raconte à la fois la naissance de l’univers ( une cosmogonie) , qui marque aussi le début des différentes générations divines (théogonie). Au milieu de cette théogonie, catalogue des générations divines se trouve le mythe de Prométhée et de la première femme qui va nous intéresser plus particulièrement. La Théogonie s’achève sur les dieux de l’Olympe avant que ne commence un nouveau catalogue : l’héroogonie, le catalogue des héros (demi-dieux) nés des amours d’une déesse et d’un mortel.
Les catalogues qui énoncent la succession des générations divines alternent avec des récits qui sont étiologiques, c’est-à- dire qu’ils découvrent dans le passé une justification du présent. Ils expliquent donc, grâce au passé, le présent tel qu’il est vécu par Hésiode. Ainsi, nous verrons qu’à travers cette première femme, Hésiode transmet sa vision des relations hommes / femmes. Par ailleurs, ces récits racontent comment Zeus a établi son pouvoir. Il s’agit en quelque sorte de la geste de Zeus. Dans l’épisode de Prométhée et de la première femme, Zeus établit sa domination sur les hommes.
Pour comprendre l’arrivée de cette première femme, il faut d’abord s’immerger dans la cosmogonie d’Hésiode.
I L’organisation du monde avant l’arrivée de la première femme
1 Ouranos
Il raconte qu’au début, il y a le Chaos traduit souvent par l’Abîme, Gaia(la Terre ) et Eros (l’Amour). De la Terre elle-même va naître Ouranos (le Ciel Etoilé).
Des embrassements du Ciel, elle va donner naissance à plusieurs êtres terribles que leur père va prendre en haine dès le début et qu’à peine nés, il va enfouir dans la Terre, dans Gaïa pour s’en débarrasser. Pour n’en nommer que quelques-uns dont les noms sont évocateurs :
-Les cyclopes qui ont un cœur violent et un seul œil,
-3 géants Hécatonchires, c’est-à-dire qu’ils possèdent 100 mains,
-les Titans dont Japet et surtout Cronos qui est qualifié en grec de agkulomhths, c’est-à-dire le fourbe, le rusé. Mais le terme grec est extraordinairement imagé, car ἀγκύλη signifie tout objet recourbé, et cela va de l’articulation (d’où ankyloser) à l’ancre du bateau.
Or, précisément, c’est Cronos qui va se charger d’émasculer son père, Ouranos, avec un objet recourbé, une serpe. En effet, Gaia, sa mère, souffre excessivement de conserver dans ses profondeurs tous les enfants qu’elle ne peut pas laisser venir à la lumière à cause d’Ouranos, qui, lui, trouve cette situation plaisante. Elle ourdit donc une ruse et c’est Cronos qui l’accomplit, mettant ainsi fin à la domination d’Ouranos.
2 Cronos
Commence alors la 2ème génération des dieux dominée par Cronos qui va s’unir à Rhéa, sa sœur et donner ainsi naissance à la génération des dieux olympiens dont les noms vous sont sans doute familiers : Déméter (déesse maternelle de la terre, liée à l’agriculture), Héra (protectrice des femmes mariées), Hadès (dieu des Enfers, des morts) , Poséidon (Dieu de la mer) et Zeus. Or, une nouvelle fois, une lutte va s’engager entre le père et ses enfants. En effet, Cronos a été averti par Ouranos et Gaia que l’un des ses fils le détrônerait. Aussi avale-t-il systématiquement toute sa progéniture. Finalement, c’est Zeus, qui, caché à la naissance et remplacé par une pierre emmaillotée que donne sa mère à son père, c’est Zeus donc qui, grâce à sa force et son adresse, va réussir à vaincre son père Cronos, l’obligeant ainsi à recracher tous ses enfants.
Malgré les apparences, je vous mène peu à peu vers l’apparition de la première femme. Mais il va nous falloir encore emprunter quelques chemins de traverse avant d’en arriver à la belle demoiselle. Il faut encore parler d’éléments masculins avant d’en arriver à la femme. Pour le moment vous remarquerez que le principe féminin n’existe qu’à travers les déesses. On pourrait d’ailleurs se demander dans quelle mesure les déesses agissent comme on l’attendrait de personnages féminins. Cela pourrait être l’objet d’une autre intervention…
3 Zeus et Prométhée
Il me faut d’abord vous parler de deux frères Prométhée et Epiméthée. Ce sont les fils de Japet, qui est ….un Titan, frère de Cronos, comme vous vous en souvenez bien. L’étymologie nous renseigne immédiatement sur la personnalité de ces deux frères : le préfixe pro signifie avant, alors qu’ ἐpi après. Méthée vient du verbe μανθάνω qui signifie comprendre. Promothée, c’est aussi un adjectif qui signifie prévoyant, prudent. C’est celui qui comprend avant, tandis qu’Epiméthée ne comprend qu’après et donc trop tard… C’est assurément le maladroit, l’irréfléchi.
Pour compléter cette présentation des deux frères, je vais me tourner vers l’autre œuvre d’Hésiode, les Travaux et les Jours.
Au début, à l’époque de l’âge d’or, au temps de Cronos, les hommes (de sexe masculin uniquement) vivent comme des dieux : sans travailler, dans l’abondance et la paix. Ils sont jeunes, sans soucis et participent aux festins des dieux. Quand ils meurent, ils s’endorment.
Avec le règne de Zeus , qui organise et hiérarchise le monde, qui répartit l’apanage des dieux, c’est-à-dire les honneurs et les privilèges réservés à chacun des dieux, va se poser désormais la question de la séparation entre les hommes et les dieux. Menée par Prométhée, l’opération prend un tour dramatique pour, après de multiples rebondissements, mener à la création de la première femme, Pandore.
Devant les dieux et les hommes réunis encore dans une même assemblée, Prométhée mène un bœuf qui a été immolé. Il le découpe et fait deux tas. L’un est composé d’os recouverts de graisse appétissante, tandis que dans l’autre, la viande, la partie comestible, est cachée dans la peau et l’estomac peu attirant (gasthr en grec) du bœuf. Il propose alors à Zeus de choisir le paquet qui lui convient. Ce dernier a parfaitement compris la ruse, mais choisit la graisse et les os. Une fois la graisse ôtée, Zeus se met très en colère. On peut s’interroger sur la raison pour laquelle Zeus, étonnamment, accepte de se laisser tromper par Prométhée. Jean-Pierre Vernant dans l’Univers, les dieux, les hommes montre que ce récit fixe la façon dont les hommes, dans la Grèce Antique, doivent entrer en communication avec les dieux à travers le sacrifice. Sur l’autel sont brûlés des aromates au milieu desquels les os de la bête sacrifiée sont déposés. La part des dieux monte donc vers les cieux sous la forme de fumée odorante tandis que les hommes font griller la viande et la mangent.
Mais ce récit reste très ambigu comme le souligne toujours Jean-Pierre Vernant dans son article sur Pandore, car, si dans un premier temps, les dieux semblent perdants, en réfléchissant, les apparences peuvent être trompeuses, comme dans l’histoire de Pandore précisément. En effet, les hommes conservent la viande, ce qui signifie qu’ils ont besoin de se nourrir pour vivre, qu’ils sont obligés de chercher dans leur environnement des ressources d’énergie sans quoi ils meurent. Les dieux, en revanche, n’absorbent que de l’ambroisie et du nectar, nourriture et boisson d’immortalité. En outre, la moelle contenue dans les os est en relation pour les Grecs avec le cerveau, mais aussi avec la semence masculine. Elle symbolise donc la fécondité, la descendance, la vitalité d’un animal tandis que la chair dévorée par les hommes, n’est que de la viande morte. Désormais donc, à travers la tromperie de Prométhée, sont signifiées la vitalité et l’immortalité des dieux tandis que les hommes sont marqués du sceau de la finitude et de la mortalité. Ce partage aux apparences trompeuses révèle une issue trompeuse aussi : les vainqueurs ne sont pas ceux que l’on croit.
Zeus, furieux, décide non seulement de cacher le blé, les hommes devront travailler pour le faire pousser, mais aussi de faire disparaître le feu. Là encore, Prométhée intervient et cache le feu dans une sorte de roseau creux pour le donner aux hommes. La réaction de Zeus est alors extrêmement violente. Il faut punir Prométhée et surtout les hommes en utilisant les mêmes armes que l’adversaire : des apparences trompeuses.
Cette punition sera la première femme, punition d’autant plus terrible que les hommes chériront ce qui leur causera nombre de souffrances.
II La fabrication de la femme
- La fabrication de la première femme dans la Théogonie
Je cède désormais la parole à Hésiode dans la Théogonie. Voici d’abord la création à proprement parler de la première femme, qui est sous la forme d’une ekphrasis, c’est-à-dire qu’il décrit une véritable œuvre d’art :
Je vais citer le texte, puis je le commenterai :
« Aussitôt en place du feu, il créa un mal, destiné aux humains. Avec de la terre, l’illustre Boiteux[2] (Héphaïstos), modela un être tout pareil à une chaste vierge, par le vouloir du Cronide. La déesse aux yeux pers[3], Athéna[4], lui noua sa ceinture, après l’avoir parée d’une robe blanche, tandis que de son front ses mains faisaient tomber un voile aux mille broderies, merveille pour les yeux. Autour de sa tête, elle posa un diadème d’or forgé par l’illustre boiteux lui-même, de ses mains adroites, pour plaire à Zeus son père : il portait d’innombrables ciselures, merveille pour les yeux, image des bêtes que par milliers nourrissent la terre et les mers ; Héphaïstos en avait mis des milliers –et un charme infini illuminait le bijou –véritables merveilles, toutes semblables à des êtres vivants.
Et quand en place d’un bien, Zeus eut créé ce mal si beau, il l’amena où étaient dieux et hommes, superbement paré par La vierge aux yeux pers, la fille du dieu fort ; et les dieux immortels et les hommes mortels allaient s’émerveillant à la vue de ce piège, profond et sans issue, destiné aux humains. Car c’est de celle-là qu’est sortie la race, l’engeance maudite des femmes, terrible fléau installé au milieu des hommes mortels. »
Vient ensuite une réflexion d’Hésiode sur les femmes de son époque que nous analyserons ultérieurement.
Revenons-en à cette première femme. Comment est-elle présentée?
Avec elle apparaît l’ambiguïté
En effet, il s’agit d’un mal, κακόν en grec (pensez à la cacophonie). Le texte s’ouvre et se ferme de façon concentrique et un peu obsédante sur cette idée. Elle est un piège destiné aux humains, qui n’ont pourtant rien fait de mal. Il n’y a là aucune culpabilité ou faute. C’est Prométhée qui a agi avec ruse, ce sont les hommes qui sont victimes de cette même ruse.
Cependant ce mal est beau comme le dit le Grec dans un superbe oxymore : καλὸν κακόν: un beau mal. C’est une véritable merveille à regarder. Le mot θαῦμα merveille en grec est récurrent dans ce passage. L’effet sur les spectateurs est évoqué : tous, qu’ils soient hommes ou dieux tombent sous son charme. Pourquoi est-elle si belle ? Parce que c’est une véritable œuvre d’art : elle est modelée avec de la glaise comme une poterie, elle porte un voile aux mille broderies et son diadème d’or est ciselé d’un décor animal où foisonne la vie.
Cette femme est donc une image, une construction, un artefact, réalisé par les dieux Héphaïstos et par Athéna, qui introduit dans le monde l’ambiguïté : elle est un καλὸν κακόν, un beau mal. L’expression résonne de façon très poétique en grec, mais beaucoup moins en français
Une vierge que l’on va marier
En outre, elle est, de toute évidence, la première femme : elle est donc créée à l’image du féminin qui existe déjà : les déesses et en l’occurrence des déesses vierges comme Athéna. Vierge se dit παρθένος en Grec : pensez au Parthénon, le temple dédié à Athéna à Athènes . C’est d’ailleurs précisément Athéna qui l’habille comme une jeune fille que l’on va marier ainsi que l’attestent le voile et la couronne. La première femme n’est donc pas une Aphrodite nue, sensuelle, mais c’est un corps de vierge vêtu, couronné et paré.
Ce mannequin est ainsi recouvert de ses plus beaux atours, un peu comme les os étaient recouverts auparavant de la graisse. Zeus répond à Prométhée par ses propres armes. L’apparence est attirante, mais la réalité sera décevante. καλὸν κακόν, souvenez-vous en grec…
- Etude d’une coupe
Dans l’Antiquité, c’est l’aspect de la fabrication de cette première femme qui a souvent retenu l’attention des peintres de vase qui ont voulu représenter cet épisode, mais avec des variantes par rapport au texte d’Hésiode.
Cette coupe à fond blanc attribuée au peintre de Tarquinia date de 470, 460 av JC.
On distingue clairement entre deux personnages une femme[5] debout, représentée face à nous comme l’indique la position de son corps. Si l’on regarde attentivement cette figure un peu plus petite que les deux autres, on peut déceler une certaine raideur : ses jambes sont jointes, les bras sont le long de son corps tandis que sa tête est tournée vers Athéna qui ajuste son vêtement. La déesse Athéna est aisément reconnaissable parce qu’elle porte l’égide ornée d’un gorgonéion et bordée de serpents[6]. En outre, son nom est inscrit au dessus d’elle. De l’autre côté, il s’agit du dieu Héphaïstos comme l’indique la légende en grec. Il est vêtu d’un chiton court et brun et tient dans la main gauche un outil. Le vase est en mauvais état et plusieurs hypothèses ont été proposées pour définir l’outil : un maillet ou un stylet. Difficile de trancher comme l’explique François Lissarrague dans La fabrique de Pandore : naissance d’images. Le mouvement de main d’Héphaïstos vient compléter celui d ‘Athéna pour orner cette figure centrale qui ressemble véritablement à un mannequin. Cette association des deux dieux n’est pas surprenante car ils possèdent tous les deux le savoir technique et artisanal[7].
Deux différences avec le texte d’Hésiode : la femme évoque non pas un être modelé à partir de la glaise, mais plutôt une statue en marbre. De même, le terme ἀνησιδώρα est à traduire par celle qui fait monter tous les dons. Cet adjectif est souvent attribué à la terre. Vous verrez tout à l’heure que cette indication a son importance. Ce terme est proche étymologiquement du nom Pandore, puisque le radical dore vient de δῶρον en grec qui est le cadeau, le présent, que l’on retrouve dans les deux mots.
Enfin, allez-vous me dire, voici le nom tant attendu de cette première femme.
- Le récit de la création de la femme dans Les Travaux et les Jours
Cependant, il n’apparaît que dans le deuxième récit de la création de la femme qui se trouve dans les Travaux et les Jours. Zeus prend la parole après le vol du feu et s’adresse courroucé à Prométhée. Je cite Hésiode :
« Fils de Japet, qui en sais plus que tous les autres, tu ris d’avoir volé le feu et trompé mon âme pour ton plus grand malheur, à toi comme aux hommes à naître : moi en place du feu, je leur ferai présent d’un mal (encore ce κακόν) en qui tous, au fond du cœur se complairont à entourer d’amour leur propre malheur.
Il dit et éclate de rire le père des dieux et des hommes et il commande à l’illustre Héphaïstos de tremper d’eau un peu de terre sans tarder, d’y mettre la voix et les forces d’un être humain et d’en former, à l’image des déesses immortelles, un beau corps aimable de vierge. Athéna lui apprendra ses travaux, le métier qui tisse mille couleurs ; Aphrodite d’or sur son front lui répandra la grâce, le douloureux désir, les soucis qui brisent les membres, tandis qu’un esprit impudent, un cœur artificieux seront sur l’ordre de Zeus, mis en elle par Hermès, le Messager, le tueur d’Argos[8].
Il dit et tous obéissent au seigneur Zeus, fils de Cronos. En hâte, l’illustre Boiteux (Héphaïstos) modèle dans la terre la forme d’une chaste vierge, selon le vouloir du Cronide. La déesse aux yeux pers, Athéna, la pare et lui noue sa ceinture. Autour de son cou, les grâces divines, l’auguste Persuasion mettent des colliers d’or ; tout autour d’elle les Heures aux beaux cheveux disposent en guirlandes des fleurs printanières. Pallas Athéné (Athéna) ajuste sur son corps toute sa parure. Et dans son sein, le Messager, tueur d’Argos, crée mensonges, mots trompeurs, cœur artificieux, ainsi que le veut Zeus aux lourds grondements. Puis héraut des dieux, il met en elle la parole et à cette femme il donne le nom de Pandore, parce que ce sont tous les habitants de l’Olympe (pan veut dire tout) qui, avec ce présent (δῶρον), font présent du malheur aux hommes qui mangent le pain.
Son piège ainsi creusé aux bords abrupts et sans issue, le Père des dieux dépêche à Epiméthée, avec le présent des dieux l’illustre Tueur d’Argos, rapide messager. Epiméthée ne songe point à ce que lui a dit Prométhée : que jamais il n’accepte un présent de Zeus Olympien, mais le renvoie à qui l’envoie, s’il veut épargner un malheur aux mortels. Il accepte et quand il subit son malheur, comprend. »
Dans ce texte, la femme porte un nom, Pandore, souvent compris comme celle qui a tous les dons. Hésiode donne ici une étymologie différente : c’est le présent de tous les dieux aux hommes.
Commençons par comparer ce récit de création au premier. Ce qui est intéressant, c’est qu’il est un peu redondant à double titre. Sa structure d’abord est répétitive puisque les paroles de Zeus annoncent ce qui va se produire ensuite.
Par ailleurs, certains éléments de la théogonie réapparaissent : Athéna et Héphaïstos sont toujours là. Ce que je vous avais dit à propos d’Athéna liée aux travaux manuels est confirmé : c’est l’art du tissage, activité féminine par excellence en Grèce. Il suffit de songer à Pénélope qui tisse le jour, mais défait la nuit son ouvrage pour échapper à ses prétendants en attendant le retour d’Ulysse.
De plus, la femme est toujours pétrie à partir de la terre à l’image d’une vierge et ornée de beaux attributs : le diadème est remplacé par des colliers d’or et des guirlandes de fleurs printanières.
Cependant, d’autres dieux interviennent.
– Aphrodite et les Grâces divines mettent particulièrement en valeur son charme. Cet attrait irrésistible n’est pas sans danger puisque le désir est douloureux et qu’il est associé aux soucis qui brisent les membres.
-Hermès, le dieu messager donne la parole aux femmes. En revanche, elle n’est que mensonges. Or, la tricherie et la sournoiserie faisaient partie des attributs de ce dieu. Il était par exemple le dieu des voleurs. Le jour de sa naissance, il avait même osé voler les bœufs d’Apollon, en les faisant partir à reculons, afin qu’on ne puisse pas suivre sa trace. Il est donc expert en matière de tromperies.
En outre, nous avions remarqué que la jeune vierge semblait parée comme une mariée dans la Théogonie. Dans les Travaux et les Jours, le mari apparaît : il s’agit d’Epiméthée. Rappelez-vous, c’est le frère de Prométhée qui pense avant. Lui, à la différence de Prométhée, ne pense qu’après, c’est l’irréfléchi.
Hermès va donc trouver Epiméthée avec « son piège ainsi creusé, aux bords abrupts et sans issue, δόλον αἰπύν ». Cette formule apparaissait déjà dans la Théogonie lorsque la femme était présentée à l’assemblée des dieux et des hommes qui tombait sous son charme. Pandore est bien ici encore conduite devant un tiers pour user de son pouvoir de séduction.
Je vous propose maintenant d’étudier un vase qui reprend des éléments de cette scène tout en apportant là encore des modifications par rapport au récit d’Hésiode. Il s’agit d’un cratère, c’est-à-dire un vase à large ouverture qui servait à mêler l’eau et le vin. Il date environ de 450av JC.
- Analyse du cratère
Zeus se tient debout à gauche du cratère. Hermès s’éloigne de lui en le regardant. Ce dieu est aisément identifiable grâce au caducée qu’il tient en main et qui est un bâton en forme de huit brisé autour duquel sont enroulés deux serpents. En outre, il porte des ailes aux mollets, évoquant ainsi ses sandales ailées et est coiffé d’un couvre chef également ailé. Il vient sans doute de recevoir l’ordre de mener Pandore vers Epiméthée. Ce dernier est précisément le personnage suivant. Il porte un chiton et un maillet. Nous pourrions le confondre avec Héphaïstos, mais son nom est inscrit au-dessus de lui, ôtant ainsi tout doute. En revanche, le maillet renvoie au métier de l’artisan, bien qu’Epiméthée n’ait pas participé à la fabrication de sa future épouse, Pandore dont le nom apparaît explicitement.
Des éléments habituels de la scène de noce sont représentés : Eros, le dieu amour, tend une bandelette au-dessus de la mariée qui porte une couronne et un voile.
Or, il faut remarquer une étrangeté: la femme semble sortir, émerger du sol en ἂνοδος selon la formule grecque. Or, cette représentation ne correspond pas au schéma classique de fabrication de Pandore et si son nom n’était pas clairement indiqué, nous pourrions avoir quelques difficultés pour l’identifier. Cependant, il existe malgré tout une logique. En effet, le schéma de l’ ἂνοδος, c’est-à-dire de l’émergence de la terre, de la montée est utilisé par les peintres pour évoquer des naissances ou des renaissances. Or , ici le peintre souligne particulièrement l’homologie qui peut exister entre Pandore et Gaia, la Terre. La femme n’est pas modelée avec de la glaise, mais elle est sortie de terre comme Gaia dans la peinture contemporaine. Rétrospectivement, cela permet aussi de mieux comprendre pourquoi sur la coupe à fond blanc l’ adjectif ἀνησιδώρα, habituellement attribué à Gaia , la Terre, était employé pour Pandore.
- De la jarre …
Mais revenons au texte d’Hésiode et avançons : « Or, la race humaine vivait auparavant sur la terre à l’écart et à l’abri des peines (κακῶν), de la dure fatigue, des maladies douloureuses , qui apportent le trépas aux hommes. Mais la femme, enlevant de ses mains le large couvercle de la jarre (πίθος), les dispersa par le monde et prépara aux hommes de tristes soucis. Seul, l’Espoir (ἐλπίς) restait là, à l’intérieur de son infrangible prison, sans passer les lèvres de la jarre, et ne s’en envola pas au dehors, car Pandore déjà avait replacé le couvercle, par le vouloir de Zeus, assembleur de nuées, qui porte l’égide. Mais des tristesses en revanche errent innombrables au milieu des hommes : la terre est pleine de maux, la mer en est pleine ! Les maladies, les unes de jour, les autres de nuit, à leur guise, visitent les hommes, apportant la souffrance aux mortels-en silence car le sage Zeus leur a refusé la parole. »
Ce passage de la jarre, plus souvent connu aujourd’hui sous le nom de boîte de Pandore est souvent interprété comme le récit de la faute de Pandore qui introduit dans le monde le mal et l’absence d’espoir. Cependant, Jean-Pierre Vernant dans un article intitulé Pandora montre que ce récipient de terre qui contient habituellement les réserves de la maison est une sorte de « prolongement ou de doublet » de Pandore. Elles sont toutes deux un mélange de terre et d’eau qui est ensuite pétri. En outre, Pandore semble creuse comme la jarre. En effet, la préposition en qui signifie dans est récurrente lors de la fabrication de Pandore : « un esprit impudent (…) est mis en elle par Hermès », « dans son sein, Le Messager (…) crée mensonges ». Pandore, à l’image de la jarre, semble donc receler une cavité, évoquée aussi par l’expression « piège profond » qui la qualifie. En outre, le terme de lèvres (ceiloς) qui, en grec, peut être employé pour une personne, mais aussi pour désigner le bord d’un vase, permet de jouer sur la polysémie et humanise cette jarre. Enfin, elles répandent toutes deux des calamités : « tristes soucis, souffrances » sont des peines qu’elles engendrent toutes deux. Cependant, si celles qui sortent de la jarre sont silencieuses, l’attirante Pandore prononce des paroles fallacieuses… Là s’arrête donc la comparaison. Quoique… l’espoir, ἐλπίς, qui reste au fond de la jarre est aussi ambiguë que Pandore : l’expectative rend heureux quand il s’agit d’attendre un événement joyeux, cela peut vite devenir une attente douloureuse quand l’avenir ne présage rien de bon. Ainsi donc ce que renferme la jarre, comme Pandore, καλὸν κακόν, est ambigu, comme la destinée depuis des mortels. En effet, lorsque les hommes vivaient avec les dieux, ils n’éprouvaient aucune forme d’ ἐλπίς puisqu’ils étaient comblés. De même, les animaux ignorent tout de cet état puisqu’ils sont ancrés dans le présent, sans projection consciente dans le futur. Avec cet épisode de la jarre, c’est la condition humaine qui est dévoilée : l’homme au sens large est sur le mode de l’ ἐλπίς, c’est-à-dire qu’il oscille entre espoir et crainte.
…à la boîte?
Pourquoi parlons-nous aujourd’hui plus souvent de boîte de Pandore que de jarre de Pandore ? Pour Dora et Erwin Panofsky, la modification provient d’une confusion d’Erasme au XVIème siècle. En effet, il aurait associé au personnage de Pandore celui de Psyché qui, dans l’Ane d’or[9] d’Apulée (IIème siècle après JC, seul roman latin qui nous soit parvenu en entier) est obligée par Vénus d’aller chercher le coffret de beauté (puxίς ) de Perséphone dans les Enfers. Elle l’ouvre et succombe à un sommeil de mort. Aujourd’hui, l’expression la boîte de Pandore est devenue proverbiale et les peintres la représentent surtout sous cette forme de boîte et non de jarre.
III. De la femme aux femmes
- Les métaphores de l’abeille et du frelon
J’avais souligné en introduction que le mythe permettait à Hésiode d’interpréter son quotidien, de trouver une explication à ce qu’il vit. Ainsi, la souffrance humaine peut être comprise comme la conséquence de l’ouverture de la jarre, résultat de l’obéissance de Pandore aux ordres de Zeus. Ce n’est donc que le fruit de la vengeance de Zeus. Pandore n’est pas responsable, de même qu’elle ne peut être tenue pour responsable d’être un beau mal καλὸν κακόν. Cependant, de cet archétype de la femme est sortie pour Hésiode la race des femmes, sans intervention masculine apparemment…Commence alors un passage dans la Théogonie où les femmes sont présentées de façon extrêmement péjorative à travers la métaphore du frelon. Les hommes, quant à eux, sont des abeilles:
« Car c’est de celle-là qu’est sortie la race, l’engeance maudite des femmes, terrible fléau installé au milieu des hommes mortels. Elles ne s’accommodent pas de la pauvreté odieuse, mais de la seule abondance. Ainsi, dans les abris où nichent les essaims, les abeilles nourrissent les frelons que partout suivent œuvre de mal. Tandis qu’elles, sans repos, jusqu’au coucher du Soleil, s’empressent chaque jour à former des rayons de cire blanche, ils demeurent, eux, à l’abri des ruches et engrangent dans leur ventre le fruit des peines d’autrui. »
Je vous propose d’analyser d’abord cette métaphore. Pour commencer d’un point de vue scientifique, elle est un peu maladroite. En effet, Hésiode compare les hommes à des abeilles qui est un mot féminin en grec mέlissa, mais surtout il associe les femmes à des frelons, khfήn en grec qui est masculin et qui désigne le faux bourdon, l’abeille mâle ! La métaphore perd un peu de sa pertinence… Ce qui intéresse notre auteur c’est de montrer l’opposition qui règne entre les deux espèces : pour les abeilles, un dur labeur incessant, pour les frelons, l’inactivité et l’abondance de nourriture. Le terme de ventre gastήr renvoie directement à l’être humain. Il s’agit de l’organe de la digestion, mais aussi des entrailles, de l’endroit où l’enfant est porté. Or, ici, seule la fonction d’absorption et de digestion est évoquée. La femme n’est donc pas présentée comme capable de reproduire, mais uniquement comme un être presque boulimique. Souvenez-vous de la répartition qu’avait faite Prométhée lors du sacrifice. Le ventre recouvrait les os qui pouvaient décevoir. De même, le ventre du frelon et donc de la femme cache un mal : une faim insatiable qui épuise l’abeille…
- Vivre heureux sans femme ou mourir heureux avec des enfants ?
Hésiode arrête ensuite la métaphore et présente alors deux possibilités pour l’homme, en tant que sexe masculin:
-soit le refus du mariage :
« celui qui, fuyant, avec le mariage, les œuvres de souci qu’apportent les femmes, refuse de se marier, et qui lorsqu’il atteint la vieillesse maudite, n’a pas d’appui pour ses vieux jours, celui-là sans doute ne voit pas le pain lui manquer, tant qu’il vit, mais dès qu’il meurt, son bien est partagé entre collatéraux. »
De façon assez implicite, Hésiode est obligé de reconnaître que la femme est indispensable pour obtenir des héritiers et éviter ainsi de partager ou de dilapider le patrimoine au moment du décès. C’est ici le paysan propriétaire qui parle. Ainsi donc l’homme est confronté à un dilemme que l’on peut résumer ainsi je crois: vivre heureux sans femme, ou bien mourir heureux avec des héritiers…Vision assez péjorative de la femme.
-Vient ensuite l’évocation de celui qui a choisi le mariage :
« Et celui, en revanche, qui dans son lot, trouve le mariage, peut rencontrer sans doute une bonne épouse, de sain jugement ; mais, même alors il voit toute sa vie le mal compenser le bien ; et s’il tombe sur une espèce folle, alors, sa vie durant, il porte en sa poitrine un chagrin qui ne quitte plus son âme ni son cœur, et son mal est sans remède. »
Le terme κακόν le mal, revient à plusieurs reprises ici. Il faut vraiment le comprendre comme des ennuis, des tracas, des désagréments. Il n’y a pas de valeur morale comme dans la Genèse. Après donc une évocation plus positive de la femme, parce qu’il faut quand même l’envisager retombe le lourd couperet de l’évocation du mal qu’apporte inévitablement la femme. La fin est un peu plus énigmatique : s’il tombe sur une espèce folle : on peut comprendre cette proposition comme l’évocation d’une femme folle, après la femme au jugement sain. Mais on peut aussi considérer, le grec le permet, qu’ « espèce, genέqlh », est à comprendre au sens de descendant, postérité. A ce moment-là, même le seul avantage qu’apporte la femme, les héritiers, se mue en désagrément…Les deux versions, à mon avis, sont acceptables…
- Une épouse ambiguë…
Dans les Travaux et les Jours, les réflexions sur les femmes ne suivent pas directement le récit de création de la femme. Nous avons vu qu’il s’achevait sur une sentence très générale qui concerne la condition humaine (v100 à 105) : « les maladies les unes de jour, les autres de nuit, à leur guise, visitent les hommes, apportant la souffrance aux mortels-en silence car le sage Zeus leur a refusé la parole. Ainsi donc il n’est nul moyen d’échapper aux desseins de Zeus. »
Si l’on retrouve un peu plus loin dans l’œuvre les métaphores de l’abeille et du frelon ( v303 à 305) présentes dans la Théogonie, les comparés diffèrent. En effet, cette fois-ci, il s’agit de distinguer les hommes inactifs des hommes qui travaillent. Hésiode démontre alors à son frère les bienfaits du travail.
Lorsqu’il parle des femmes, il lui explique qu’il faut avoir d’abord dans cet ordre : « une maison, une femme et un bœuf » (v405). Il précise d’ailleurs une femme achetée, non pas épousée pour qu’elle puisse suivre le bœuf. La femme est donc appréciée en tant qu’elle est utile pour les travaux des champs, presque un objet. Un peu plus loin (v 602, 603), il lui conseille de prendre une servante sans enfants car une servante qui a été mère est toujours plus pénible. Enfin, il évoque le mariage (à partir du vers 695). L’âge idéal est autour de 30 ans pour l’homme. Il faut épouser une vierge « pour lui donner de sages principes » et de préférence qui habite non loin.
Il ajoute alors du vers 702 au vers 705 : « Il n’est pas pour l’homme de meilleure aubaine qu’une bonne épouse, ni en revanche de pire malheur qu’une mauvaise, toujours à l’affût de la table, qui, si vigoureux que soit son mari, le consume sans torche et le livre à une vieillesse prématurée. »
Hésiode conçoit donc la bonne épouse sans évoquer le moindre inconvénient en contrepartie. Il est même assez élogieux puisqu’il emploie l’adjectif agaqh. leur idéal de l’homme : καλὸς καὶ ἀγαθός : . La femme en semble proche. Il n’est bien sûr pas question d’amour dans le mariage grec. C’est un contrat qui doit apporter des bénéfices au mari. Hésiode évoque un peu plus loin ce qu’elle doit savoir faire : tisser entre autres.. Seule la raison doit intervenir. Il présente d’ailleurs les charmes féminins qui peuvent étourdir la raison (aux vers 373 à 375) : « qu’une femme n’aille pas non plus, avec sa croupe attifée, te faire perdre le sens ; son babil flatteur n’en veut qu’à ta grange : qui se fie à une femme, se fie à des voleurs ». Souvenez-vous d’Hermès, dieu des voleurs qui a versé dans la femme des paroles mensongères. De plus, elle est impure et pour lui, il est »dangereux de se laver dans l’eau où s’est baignée une femme ». Cette crainte est de nature religieuse. J’arrête ici mes circonvolutions pour en revenir au premier texte.
La mauvaise épouse vient ensuite : on retrouve les caractéristiques précédemment évoquées : elle n’est que ventre, elle ingurgite, elle dévore, elle affame son mari. C’est un parasite. Le mot apparaît clairement au . En outre, elle le consume sans doute à travers l’acte sexuel, évoqué peut-être par la vigueur. Elle le grille littéralement[10]. Or, rappelez-vous, Prométhée avait volé le feu caché dans un roseau pour les hommes. Zeus s’est vengé : la mauvaise épouse cache un feu qui brûle son conjoint.
Hésiode représente donc ici la femme comme un être qui doit être intégré dans un ensemble plus vaste pour la bonne marche de l’exploitation agricole. Elle peut apporter des avantages, mais il faut s’en méfier car elle est ambiguë, impure et peut causer la perte de l’homme.
- Quelles conséquences a pu avoir cette représentation de la femme chez Hésiode dans la Grèce antique ?
Cette négativité d’Hésiode se retrouve dans de nombreux textes grecs qui considèrent la femme comme une autre importune et dangereuse. Ainsi, Pauline Schmitt Pantel montre-t-elle dans son article la création de la femme, un enjeu pour l’histoire des femmes que de « de Sémonide, poète archaïque, à Euripide, auteur tragique du Vème siècle av JC , la femme est créature de Zeus et , dans sa cohésion, la race des femmes menace l’unité de la société masculine. Cette fidélité à Hésiode est née bien sûr de la rencontre entre un texte fondateur et une pratique politique : l’exclusion des femmes de la cité grecque où elles n’ont aucun statut civil et politique. Et cette permanence du discours sur l’origine unique des femmes est d’autant plus remarquable que prolifèrent dans les cités les discours sur l’origine du premier homme. Chaque cité se forge l’histoire de son premier mâle, son premier citoyen, comme marque de son identité. » Voici quelques exemples de misogynie grecque. Carcinos, poète tragique du Vème siècle av JC dit par exemple : « O Zeus, à quoi bon dire du mal des femmes ? N’est-il pas suffisant de dire : C’est une femme ? » Hippolyte dans la pièce éponyme d’Euripide s’exclame: « O Zeus, pourquoi donc as-tu donné droit de cité sous le soleil aux femmes, cette fausse monnaie qui fait le mal des hommes? Si tu voulais perpétuer la race humaine, il ne fallait pas la faire naître d’elles ». Cela dit, il faut replacer aussi ces paroles dans leur contexte : Hippolyte, précisément fuit l’amour des femmes. Il n’est donc guère surprenant de trouver de tels propos dans sa bouche. Aristophane, auteur comique du Vème siècle av JC, dans l’Assemblée des femmes reflète bien cette misogynie grecque : « Elles font la vie intenable à leurs maris comme dans le temps, elles ont des amants chez elles comme dans le temps, elles achètent des friandises en cachette comme dans le temps, elles aiment le vin bien corsé comme dans le temps ».
Pauline Schmitt Pantel montre cependant qu’ensuite, avec Plutarque ( I,IIème siècle ap JC) s’esquisse un timide changement dans le discours grec sur la valeur des femmes dans les limites de l’amour conjugal.
Cependant, on s’aperçoit que si, dans la littérature grecque, le récit d’Hésiode a souvent été repris, il a été aussi parfois modifié, faisant de temps en temps disparaître l’image négative de la femme. Ainsi Esope, fabuliste du VII,VI ème av JC , a-t-il repris dans l’épisode de la jarre. Cependant, cette fois-ci, elle a été confiée à l’humanité en général et c’est l’homme, qui, curieux, l’a ouverte, ne conservant que l’espoir au fond. Lucien, au IIème siècle ap JC, s’amuse à parodier certains éléments d’Hésiode dans Prométhée et le Caucase. Prométhée doit être crucifié au Caucase sur ordre de Zeus par Hermès et Héphaïstos. Les chefs d’accusation (les os, le modelage des hommes (dans certains écrits, c’est en effet Prométhée qui les a modelés), le vol du feu) lui sont rappelés.
Il explique alors qu’il a créé les hommes pour qu’ils honorent les dieux tandis que la femme a été modelée pour que les dieux en tombent amoureux. La misogynie d’Hésiode tend à disparaître.
Conclusion
Pour conclure, Pandore est donc une παρθένος qui devient une gunή, c’est-à-dire une épouse offerte à Epiméthée. Elle arrive dans un univers où jusqu’alors les hommes et les dieux partageaient des festins dans une atmosphère joyeuse et insouciante d’abondance. Par sa fabrication, elle arrive en second lieu dans un univers déjà créé. Elle est une monnaie d’échange entre les hommes et les dieux et n’est donc pas dans une relation égale avec les hommes qui la reçoivent. Elle est un piège merveilleusement beau et attirant tendu aux hommes par les dieux, sans que l’on puisse imputer une quelconque responsabilité aux humains. Aucune faute, aucun péché n’a été commis par les hommes. Pandore, elle-même exécute les ordres de Zeus. Seul Prométhée doit être accusé, mais les hommes sont punis. Pour ce faire, Zeus a utilisé les mêmes armes que son adversaire : le feu, le ventre, une apparence attirante, mais une réalité décevante….Figure de l’ambiguïté, Pandore incarne l’écart entre l’être et le paraître, la nature et l’imitation, le vrai et le faux…elle sera souvent source d’inspiration pour les philosophes et les peintres.
A travers ce mythe, il est sans doute possible de s’interroger sur la nature de la femme qui est créée. Serait-ce vraiment la femme, le féminin ? Ne serait-ce pas plutôt une certaine catégorie de femme, à savoir l’épouse, nécessaire au paysan propriétaire qui, comme Hésiode, cherche à transmettre son patrimoine à travers des enfants ? C’est en tout cas ce que suggère Violaine Sebillotte Cuchet dans son article Pandore, première épouse.
Il faut observer que cependant le mythe de création insiste peu sur les qualités de l’épouse : le tissage est à peine évoqué et la procréation absente. La femme n’est donc pas modelée sous l’image canonique de la bonne épouse reproductrice. Ce n’est que dans les propos plus généraux d’Hésiode sur ses contemporaines que ces notions-là apparaissent, plus ou moins explicitement. Il y a donc une asymétrie dans les rôles des sexes masculins et féminins. La femme apparaît surtout comme oisive et avide tandis que l’homme s’échine à travailler dans la peine. Même les souffrances de l’enfantement que l’on trouve dans la Bible ne sont pas évoquées. C’est donc un portrait plutôt négatif de la femme que nous brosse Hésiode.
Cependant, la première femme apparaît aussi comme le dernier acte d’un scénario commencé bien avant elle. Il y a eu l’institution du sacrifice qui distingue les hommes des dieux, mais aussi des bêtes. Est venue ensuite la nécessité de labourer les champs. Enfin, le feu permet aux hommes de cuire leur nourriture et de l’utiliser pour la métallurgie. Pandore arrive alors incarnant ainsi l’institution de la famille monogamique et du mariage. Elle permet à l’homme se démarquer définitivement de l’animalité et du divin, mais tout en restant en communication avec l’un et l’autre, grâce au sacrifice notamment. Par son altérité, elle achève de construire le monde. Finalement, ne serait-ce pas grâce à la femme, que les mâles accèdent à leur véritable condition d’êtres humains civilisés, qui, placés sous le signe de l’ambiguïté, oscillent entre espoir et crainte, l’ ἐλπίς de la jarre, diraient les Grecs ?
[1] Il y a aussi le Bouclier qui n’est pas authentique et des fragments.
[2] Héphaïstos : Dieu grec du feu et des Arts artisanaux particulièrement ceux pour lesquels on utilise le feu. Comme il était boiteux de naissance, Héra le jeta du haut de l’Olympe. Ou bien, ayant pris le parti de sa mère pendant une querelle entre ses parents Zeus et Héra, Zeus le jeta sur la terre. Mari d’Aphrodite.
[3] γλαυκῶπις : s, aux yeux de chouette, aux yeux verts.
[4] Athéna : déesse de la guerre, déesse de la filature et du tissage. Personnification de la sagesse, de la stratégie. Fille de Zeus et de Métis. (que Zeus a avalée car peur qu’elle ne donne naissance à un fils plus fort que lui). Héphaïstos a ouvert la tête de Zeus avec une hache. Elle est sortie casquée.
[5] Elle porte une tunique, le peplos étant plus court.
[6] L’égide est une peau de chèvre qui sert de cuirasse à Athéna. Le Gorgoneion est une représentation de la tête de la Gorgone, Méduse qui était monstrueuse. Sa tête était hérissée de serpents et son regard était terrifiant. Quiconque la regardait restait pétrifié.
[7] Héphaïstos est le dieu forgeron tandis qu’Athéna est associée au tissage
[8] Il a tué Argos sur l’ordre de Zeus, le gardien aux 100 yeux de Io transformée en génisse à cause de la jalousie d’Héra.
[9] Ane d’or : Vénus est jalouse de Psyché qui est très belle et envoie Cupidon la rendre amoureuse de quelque créature désagréable à voir. Finalement, c’est Cupidon lui-même qui en tombe amoureux. Il lui rend visite dans un palais dans l’obscurité avec interdiction de le voir. Un jour, elle transgresse cet interdit. Cupidon, furieux, l’abandonne. Psyché recherche partout son amant. Vénus exige d’elle plusieurs exploits. Des fourmis l’aident. Il ne lui reste qu’une seule tâche : rapporter le coffret de beauté de Perséphone.
[10] Eύw : faire griller, passer au feu, consumer (de chagrin…), brûler au soleil, dessécher