CONCLUSION DE LA SESSION
Christian Salenson
Le moment est venu de conclure cette session sur le fait religieux que nous avions voulu dans le cadre de la participation de l’Enseignement Catholique à l’éducation à la laïcité et aux valeurs de la République voulue par le ministère de l’éducation nationale, dans le contexte que l’on sait. Dominique Santelli en ouverture de la session a rappelé les questions qui se sont posées au lendemain des attentats de Charlie Hebdo et de l’hyper casher. Et avec Laurence de Cock nous avons terminé par là où nous avions commencé : la situation présente dans sa complexité. Ce fut en réponse à ces événements que le gouvernement a lancé une « grande mobilisation pour les valeurs de la République et la laïcité ». Elle reprenait et amplifiait la programmation pour la refondation de l’Ecole du 8 juillet 2013. L’Enseignement Catholique par le moyen du Secrétariat général a fait savoir immédiatement son engagement, dans le respect de sa singularité, en se proposant « d’articuler sereinement projet chrétien d’éducation et laïcité républicaine ». Il ne nous restait plus qu’à nous mettre en route. Le cadre était posé !
Rodrigue Coutouly, proviseur vie scolaire du rectorat d’Aix-Marseille nous a mis d’emblée dans la réalité, évoquant la situation présente après les traumatismes des attentats. Il n’a évité aucun débat, y compris lorsqu’avec beaucoup de liberté il a dit que certaines postures radicales d’enseignants ne faisaient pas droit à la laïcité et a posé le bienfait de travailler avec des élèves qui sont plus sensibles à la tolérance et à la liberté de conscience. Il a montré les limites de la Loi du 15 mars 2004 sur le voile, puisque la question se repose aujourd’hui avec les habits. Il a montré comment la question de la laïcité ne pouvait se résoudre que dans le respect de la liberté de conscience. Il nous a rappelé aussi que tout le monde dans l’École n’avait pas le même statut par rapport à la neutralité, selon que l’on est personnel ou usagers parents ou jeunes. Il nous a invité à développer le débat pédagogique et invité à la liberté que donne l’enseignement catholique allant jusqu’à conclure en nous disant que « La fraternité est notre force de frappe. » !
Comprendre la laïcité
Puis il nous fallait comprendre la laïcité. Dominique Santelli nous a montré que la laïcisation est un long processus avec des étapes : la Révolution française, la semi-laïcité introduite par le compromis napoléonien pour lequel la loi et le code civil sont laïcs, la morale est religieuse, le conflit entre « les deux France » qui n’est pas un conflit entre les catholiques et ceux qui ne l’étaient pas puisque 97 % de la population était catholique mais entre ceux qui voulaient imposer l’hégémonie de l’Eglise catholique et ceux qui, catholiques ou autres, voulaient défendre les acquis de la Révolution.
On nous a dit qu’avec la fin de la Guerre d’Algérie, la chute du mur de Berlin, la révolution iranienne, la crise interne de l’islam nous serions dans un troisième seuil de laïcisation. La laïcité est face à de nouveaux défis, faisant ressurgir des anciens débats, objet d’interprétations anciennes ou nouvelles et de stratégies politiques qui lui font courir de graves dangers, en particulier son instrumentalisation qui à terme la disqualifierait comme principe juridique et esprit pour un vivre ensemble. Marie-Laure Smilovici nous a fait comprendre ce double piège de l’islamisme et de l’islamophobie, qui ce matin encore sévissait sur les ondes de France culture, par une étude très précise du concept d’islamophobie et dénonçant la relation perverse entre le laïcisme et l’islamophobie contre la laïcité sous prétexte de la défendre.
Le juriste Jean Claude Ricci nous a fait comprendre que les lois françaises sur la laïcité étaient sous une instance juridique supérieure la Convention européenne votée en 1950 mais ratifiée qu’en 1974. Et que d’autre part selon ce qu’avait prescrit Aristide Briand l’interprétation de la loi de 1905 avait toujours été libérale.
Enfin ce matin Pierre Marsollier du Secrétariat de l’Enseignement Catholique nous a fait valoir les trois variables incontournables qui jouent dans des définitions de la laïcité et que je vous rappelle pour mémoire : la neutralité de l’état, la liberté comme fin, la cohésion sociale.
Au fur et à mesure que nous avancions dans la réflexion nous mettions à distance des approches réductrices ou des dérives de la laïcité. Au fond il s’agissait de dire que la laïcité n’appartient à personne parce qu’elle s’adresse à tous, qu’elle n’est pas une religion ni de quelques uns ni la religion de ceux qui n’ont pas de religion, ni la religion de tous les français, qu’elle n’est pas une valeur au même titre que les valeurs de la République et ultimement garder la loi et l’esprit de la Loi de 1905 qui s’est voulue une loi d’apaisement pour un vivre ensemble dans le respect de tous.
Comprendre les valeurs de la république
On s’était aussi fixé comme objectif de comprendre les valeurs de la République puisque nous sommes dans une grande mobilisation pour ces valeurs. Le philosophe, Xavier Manzano, a fait son travail de philosophe. Il a interrogé les fondements et distingué pour ne pas confondre. Ainsi il nous a montré des fondements différents de ces valeurs selon que l’on était dans une époque qui pensait l’homme dans son appartenance sociale d’abord ou selon qu’il est considéré d’abord comme un individu et qu’il doit organiser le vivre ensemble par contrat. Ainsi cela peut aboutir à des conflits d’interprétation.
On l’avait interrogé sur la morale laïque. Il nous a aussi éclairé sur différents niveaux de compréhension de la morale : morale laïque qui stricto sensu est la morale qu’un citoyen vit par rapport à l’Etat, la morale civile qui renvoie à la société civile et la morale personnelle qui transcende ces deux niveaux précédents en ce qu’elle renvoie aux choix éthiques de toute personne, inspirés par ses convictions religieuses et philosophiques.
Ensuite on s’est dit que la laïcité n’était pas une valeur éthique, mais une valeur sociétale, un éthos, et qu’elle avait besoin de valeurs pour vivre. Si la laïcité est un mode de vivre ensemble, les valeurs de la République lui insuffle le souffle dont on a besoin pour ce vivre ensemble. Comme nous l’a dit Laurence de Cock, ne disons pas trop vite qu’on serait en présence d’une perte des valeurs de la République !
La liberté religieuse
Nous avions délibérément intitulé cette session : « laïcité et liberté religieuse ». En effet il était hors de question de laisser croire que la laïcité est un en-soi autosuffisant. De même qu’elle a besoin de valeurs pour lui donner de l’âme, de même il est légitime de s’interroger sur ce qui fonde la laïcité. Si la laïcité est la manière dont en France on organise ce vivre ensemble entre croyances et opinions philosophiques alors que d’autres ont d’autres modes d’organisation, il faut donc que nous soyons sous un principe supérieur qui est en même temps un principe supérieur de jugement et d’évaluation. Il ne peut être autre que celui des droits de l’homme, et donc de la liberté religieuse et de la liberté d’expression. Il nous fallait alors comprendre comment cette liberté religieuse trouve progressivement son affirmation depuis 1776 jusqu’à aujourd’hui et d’autre part comment l’Eglise catholique reprend cette expression à son compte et lui donne son expression originale, en particulier en disant qu’elle n’est pas seulement un droit positif mais qu’elle est un droit naturel, un droit qui non seulement permet de vivre ensemble mais un droit qui appartient en propre à la personne humaine, au-delà des contenus de croyances ou d’une idée statique de la vérité.
Nous avons pu affirmer alors qu’un lien étroit unit la laïcité, les valeurs de la République et la liberté religieuse, cette dernière fondant la laïcité, elle-même irriguée par les valeurs de la République.
Et l’École ?
Il nous fallait considérer comment l’École est convoquée dans son travail de transmission de la laïcité et des valeurs de la République et pour nous, à cause du caractère propre comment l’école catholique se saisissait de la question. En effet il fallait établir la cohérence entre l’anthropologie chrétienne qui guide le projet éducatif, cette notion de laïcité et ces valeurs de la République. Il n’était pas question de se « rallier à la laïcité » parce que nous ne pourrions pas faire autrement ! Mais bien de montrer qu’en un sens on peut dire que l’école catholique est laïque et qu’elle l’est d’autant plus qu’elle est fidèle à son anthropologie et à son sens de l’éducation dans le projet éducatif de chaque établissement. En effet, il nous a été dit par Pierre Marsollier qu’il n’y a pas de projet éducatif de l’enseignement catholique mais des projets éducatifs singuliers selon les établissements, inspirés par un riche patrimoine éducatif. Plus encore l’École permet de ne pas confondre séparation des Eglises et de l’Etat et privatisation de la religion, neutralité de l’Etat et neutralisation de l’expression des différences – dont je rappelle qu’elles sont la condition pour avoir accès à l’universel – fraternité et uniformisation. La devise de chaque établissement pourrait être celle de l’Europe : « in varietate concordium ».
L’éducation à la laïcité nous est apparue comme une chance dès lors que la laïcité n’était pas une neutralisation de la vie en société et donc de la vie de l’établissement mais a contrario un développement de l’éducation à l’altérité.
Les valeurs de la République de l’aveu même d’au moins deux ministres de l’intérieur et des cultes, dont l’actuel, sont « tout droit sorties de l’Evangile » selon l’expression de Chevènement. L’anthropologie de l’Enseignement Catholique n’a donc en théorie aucune peine à se retrouver dans ces valeurs. Mais nous avons fait valoir que les valeurs ne se transmettent pas par mode d’enseignement mais par mode d’initiation. La manière dont elles sont vécues au sein même de l’établissement est plus importante et valide ou non leur enseignement. Laurence de Cock a insisté sur la transmission de pratiques inspirées de ces valeurs plus que sur leur enseignement.
Quant à la liberté religieuse et la liberté d’expression, elle nous interroge sur tout ce qui pourrait d’une manière ou d’un autre ne pas respecter les appartenances religieuses diverses au sein des établissements. Mais nous n’en sommes pas restés là car la liberté religieuse ne consiste pas simplement à respecter les différentes croyances. Elle pourrait alors s’écraser dans une sorte de neutralité. La liberté religieuse demande que chaque enfant, chaque jeune puisse développer sa foi, sa religion, ses opinions, avec l’aide de la raison. L’enseignement catholique a des marges de liberté en ces domaines. Et là nous ne savons pas faire… pas encore ! Il va falloir faire preuve de créativité, d’inventivité…
Dans cette reprise, nous ne pouvons encore reprendre ce qui s’est dit et vécu dans les ateliers car nous n’avons pas encore la connaissance des textes mais nous avons noté que la formule de cette année plus riche et plus légère avait recueilli une grande satisfaction. Nous savons simplement que les pistes éducatives proposées pour les ateliers ont impressionné le délégué du Secrétariat général. Nous mettrons en ligne les textes des ateliers.
Conclusion
Il nous a semblé que cette session avait une progression nous conduisant à déplacer quelques fausses idées, à démonter quelques représentations, voire à en montrer la perversité. Je pense à l’islamophobie. Puis nous avons mis en place progressivement une approche de la laïcité et de ses variables. Nous avons conjugué la laïcité avec les valeurs de la république et avec la liberté religieuse… toujours en quête de cohérence en particulier avec « le caractère propre » car nous ne pouvons bien nous ne pouvons pas faire le grand écart, conviction que Pierre Marsollier est venue magistralement consolider.
Permettez-nous une confidence ! Vous n’imaginez pas la force que vous nous donnez lorsque nous vous voyons arriver avec le sourire aux lèvres et lorsque nous voyions votre joie d’être là et de bénéficier de cette belle richesse intellectuelle. Vous êtes notre force dans le travail que nous faisons ! Nous n’aurions pas cette énergie sans vous !
Avec Dominique Santelli, nous voulons remercier tous les intervenants, Valérie et Catherine de l’équipe du département qui se sont acquittées avec brio du travail de relecture des journées. Marie Laure qui a fait le power point que beaucoup ont demandé. Un remerciement particulier va aux animateurs d’ateliers dont quelques uns ont vu monter leur taux d’adrénaline : Colette, Boris, Anne Sophie, Christian, Pierre, Maud et isabelle, Jacques, Lydia, Monique. Nous voulons remercier chaleureusement celles qui ont fait le travail de l’ombre : Monique, fidèle compagne de beaucoup de formations, Stéphanie qui a géré les ateliers avec dextérité et simplicité, Corinne, Isabelle, Hélène et Lydia qui ont été à nos petits soins pour nous revitaliser d’un café ou d’une viennoiserie et qui ont tellement à cœur de porter avec nous ce travail ! Marc pour son soutien indéfectible et son amitié bienveillante. Et Marie Françoise qui, avec sa force de conviction pourra se faire l’ambassadrice de cette formation auprès des directeurs diocésains.
Annonce de la prochaine session : « Aller à la rencontre de l’islam » ! Belle perspective !