Monique Damlamian, Les rencontres d’Assise et le projet d’établissement

 

Atelier : Les rencontres d’Assise et le projet d’établissement

 

 

Ce rapide exposé, sur un thème aussi vaste, a pour but d’ouvrir au dialogue dans cet atelier et se saisir de quelques pistes de réflexions. Le but n’est en aucune manière l’écriture d’un projet d’établissement, ce qui signifierait alors que celui-ci est unique. Il y a autant de projets d’établissement que d’établissements. C’est donner à se saisir de cet esprit d’Assise pour déjà une relecture de ce qui se fait déjà de beau dans chaque école, collège, lycée. C’est encore de donner du souffle et du sens aux choix, aux décisions, aux visées que chaque école veut se donner dans son contexte. C’est aussi s’immerger dans le thème de cette session en voyant à quel point les rencontres d’Assise parlent de la laïcité et quelle singulière contribution (caractère propre) elles apportent au questionnement national actuel. A grandes enjambées nous allons parcourir l’histoire des rencontres d’Assise car il est toujours bon de relire l’histoire.

Quelques points forts seront retenus pour notre échange mais ces rencontres sont des sources inépuisables et les points d’ancrage pour une réflexion en équipe, ou mieux encore avec la communauté éducative, sont infinis. Le projet pastoral, qui traverse tout projet et toute la vie d’un établissement pourra y trouver sa force et son sens.

 

 

  1. Les Rencontres d’Assise

Ces rencontres « couvent », maturent en quelque sorte depuis le Concile Vatican II (1962 1965) qui s’est engagé pour la paix dans le dialogue avec l’Autre et qui a donné l’élan notamment dans deux décrets Ad gentes et Nostra ætate. La première rencontre a eu lieu en 1986. Nous ne devons pas penser que de 1965 à 1986 il a eu une longue attente faite de vide. Les situations de rencontres ont été nombreuses, les initiatives remarquables. Mais les rencontres d’Assise sont uniques et relèvent de l’inédit.

La première eut lieu à l’initiative de Jean-Paul II. Le 25 janvier 1986, à Rome, à l’issue de la semaine pour l’unité des chrétiens, le pape invite les catholiques, l’ensemble des chrétiens, tous les croyants, pour la première Rencontre d’Assise. Cette invitation est un « appel » afin de susciter un mouvement mondial de prière pour la paix. Jean-Paul II a clairement expliqué le sens de se rassembler pour prier dans la même ville sans recherche de consensus, de négociation, de concession mais pour être ensemble pour un projet commun. Non pas pour prier ensemble mais être ensemble pour prier. Voilà déjà de quoi nourrir un questionnement en équipe. Le contexte fait écho, cela se déroule dans le cadre de l’Année internationale de la paix proclamée par l’ONU, c’est aussi l’année de la « guerre froide » et de la guerre au Liban. La première Rencontre a lieu le 27 octobre 1986. Elle réunit 130 responsables religieux du monde entier, (bouddhisme, hindouisme, jaïnisme, zoroastrisme, sikhisme, islam, judaïsme, religions traditionnelles africaines et de nombreuses délégations chrétiennes) ainsi qu’une délégation de la W.C.R.P. (conférence mondiale des religions pour la paix). S’y associèrent de nombreux chefs d’Etat.

La deuxième rencontre, en 1993, se déroule sur fond de conflits dans les pays de l’ex-Yougoslavie. Le pape Benoît XVI donne à nouveau rendez-vous aux dirigeants des Églises, des communautés chrétiennes et des grandes religions du monde, pour rappeler l’événement de 1986, mais aussi pour regarder vers l’avenir face aux défis mondiaux, «journée de réflexion, dialogue et prière pour la paix et la justice dans le monde ». Qu’entendons-nous : comment chaque personne et chaque tradition religieuse peut-elle contribuer à la cause de la justice et de la Paix ? Mais aussi comment chacun, différent, peut apporter à l’Autre dans ce projet ?

La troisième rencontre le 29 janvier 2002 se place dans une période de tensions internationales. Cette rencontre est aussi une réponse aux attentats de New- York et à l’administration Bush qui désignait « un axe du mal » et employait dangereusement le mot de « croisade ». Les représentants religieux de toutes les religions élaborèrent un décalogue de la paix qui fut envoyé à tous les dirigeants du monde. Il a été lu le 29 janvier à Assise, par dix représentants de différentes religions, lors de la journée de prière pour la paix.

La rencontre la plus récente (et non la dernière…) a eu lieu le 27 octobre 2011, à l’occasion du 25e anniversaire de la première rencontre. Assise s’ouvre alors aussi à des personnalités du monde de la science et de la culture qui se définissent non-religieux. L’invitation d’humanistes donne à cette rencontre une tonalité particulière. L’intervention de Julia Krysteva est remarquable. Un discours qui lui aussi peut susciter en équipe de beaux débats.

Chaque rencontre d’Assise témoigne que la paix ne se fera que si chacun, croyant ou non croyant en prend la responsabilité. La dernière rencontre, elle, témoigne aux yeux du monde que les religions n’ont pas à déresponsabiliser les non-croyants de cette cause pour l’humanité. Une école « ouverte à tous » ne peut rester sourde à ce message.

 

  1. L’esprit d’Assise, un souffle pour l’établissement

Se réunir à Assise prend un sens « extra-ordinaire », la forme et le fond sont uniques. La Rencontre n’est pas une fin en soi, on se tourne vers la vie du monde. A Assise, il ne s’agissait pas de réunir les chefs des différentes religions ou mieux encore en 2011, d’y inviter aussi les non croyants pour avoir ainsi une photographie de l’instant et attester d’une heureuse convivialité. Pensons aux établissements, du bon climat qui règne…Tant mieux, est-ce suffisant ? L’absence de conflits est-il le seul marqueur de paix ?

A Assise, il fallait se réunir pour regarder ailleurs, plus haut, dans la même direction et s’y engager, avec une foi « explicite et active » dans un dialogue qui ne cherche aucun pouvoir sur l’autre. La liberté de croire est donnée à chaque homme si elle sert l’humanité. L’éducation à la liberté religieuse doit être garantie par la laïcité d’un Etat (si cette laïcité se préserve de conduire à l’inculture religieuse). Au risque de se répéter : voilà encore bien des « puits » à creuser pour un projet d’établissement.

 

Pour relire le projet d’établissement gardons aujourd’hui, de cet esprit d’Assise, que l’on peut :

Faire croître l’unique de chacun vers un dessein commun. (Le dessein commun n’étant pas le pourcentage de réussite au BAC, même si la réussite scolaire est un enjeu majeur)

Faire unité avec l’unique de chacun pour un projet qui nous dépasse. L’Autre possède une part d’humanité que je n’ai pas et qui me manque pour réaliser ce grand projet commun.

 

III. Le projet d’établissement

Qu’est ce qu’un projet d’établissement ? Un projet éducatif ? Un projet pastoral ? Cela peut être clarifié si nécessaire en se reportant au Statut de L’Enseignement Catholique diffusé en 2013.

 

Dans une école, on ne peut pas confier uniquement au hasard la rencontre avec l’altérité. (celle des savoirs, des jeunes, des adultes…) Le projet d’Etablissement doit être vivant, faire vivre chacun et chacune des rencontres à condition que l’on n’inscrive pas « qu’un élève » ou qu’on n’ajoute pas qu’un nouvel « enseignant » dans une équipe, mais une Personne.

On peut lire dans le Statut de l’Enseignement Catholique (2013) à l’article 24: «Elle (l’école catholique ) est ordonnée à l’homme, considéré dans son unité et sa totalité, (…) corps et âme, cœur et conscience, pensée et volonté » [1] A la lumière de ces rencontres nous allons ici retenir quelques pistes pour le projet d’établissement. Comme cela a été souligné, il y en a bien d’autres. Pensons tout simplement à la symbolique présente dans ces rencontres d’Assise (espaces, temps, gestes, paroles…) et à celle qui inévitablement est présente dans nos écoles. En être conscient est déjà une belle avancée.

 

  1. Les points d’interrogation.

Posons une interrogation sur ce qui pouvait se penser comme la vérité et posons « un point d’interrogation à l’endroit du plus sérieux. » (Julia Krystéva, Discours à Assise 2011, https://www.youtube.com/watch?v=2o2_9AkpuWI). Vatican II et les rencontres d’Assise nous invitent à devenir curieux de l’Autre, en avoir l’appétit, le goût. Mais aussi, l »enfant, le jeune, l’éducateur… doit devenir curieux de sa propre culture, de ses croyances ou non-croyances, les mettre à distance, les observer dans leur histoire et non les vivre simplement selon les règles.. Cela ne peut se faire que sous condition d’altérité. Ma culture, ma croyance ou ma non-croyance ne peuvent s’identifier que par « un autre » avant, maintenant, ici ou ailleurs.

Là toutes les rencontres et donc toutes les disciplines sont concernées (donc tout éducateur).Il faut apprendre non pas des réponses, selon le schéma classique d’une école, mais apprendre à poser ensemble des questions. Il faut non pas creuser des « puits de sciences » (Tous les actes de barbarie du XXé siècle n’ont pas été commis par des gens incultes et les plus grands diplômés du monde n’oeuvrent pas tous pour un discours de paix.) mais des puits qui provoquent à chaque pelletée, un étonnement. Un enfant ou un adulte qui questionne, c’est un établissement qui a réussi son pari sur la vie. Les adultes de l’école doivent engager leur réflexion de façon différente dans la rencontre avec les savoirs. Ils ne sont pas seulement une acquisition de connaissances et compétences mais doivent participer à la connaissance et à la re-connaissance de l’Autre et de soi et à la connaissance du monde. Une fois encore, cela ne peut se faire que sous condition d’altérité. Si tout le monde est catholique, je n’ai pas à me définir comme catholique et donc je ne m’interroge plus! C’est bien le problème de la démocratie qui n’a plus à s’affirmer face au totalitarisme de l’Est depuis 1989. Eduquer les nouveaux venus c’est « les préparer à la tâche de renouveler un monde commun » (Jean-Marc Aveline, Sur le chemin de l’autre,, Chemins de Dialogue, 2010, p 17), le questionner et non pas leur donner une caisse à outils pour se débrouiller dans la vie. Décider ensemble, en équipe, de s’engager dans ces enjeux pour la vie humaine, c’est former des élèves« chercheurs d’autres », des élèves « questionneurs d’évidences » qui ont à nourrir leur « en soi », non le taire. Commençons à poser des points d’interrogation sur l’établissement, non pour mettre tout en doute, mais pour « se lire ». Et posons aussi des points d’interrogation sur nous-mêmes, encore une fois non dans le but de se fragiliser mais de se préparer à la rencontre. Un projet d’établissement, inspiré des rencontres d’Assise, doit permettre à l’équipe d’initiateurs qu’elle est de s’initier : Quelle altérité sommes nous pour les autres ? Quels enseignants ? Quel accompagnateurs ?…-Qu’entendons-nous par culture ? Quels sont les faits culturels qui nous animent ? Est-ce que nous pouvons lire le pluriculturel qui nous habite ? – Comment définissons-nous valeurs culturelles, éthiques, morales ? – Comment définissons-nous le religieux ? -Comment interprétons-nous « liberté religieuse », « laïcité » , « respect »? Et tant d’autres questions qui ne trouveront des réponses que si l’Autre existe.

 

  1. L’accueil et le respect

Cela nous conduit à nous saisir de deux questions pour illustrer ce propos. Quel sens donnons-nous à deux mots qui fleurissent si abondamment dans les projets d’établissement : l’accueil, le respect. Des termes employés « à toutes les sauces », des incontournables dits, écrits, portés en étendards.

L’accueil :

Tout commence ainsi dans un établissement catholique, comme à la sécu, comme au bureau de poste, comme à l’hôpital…Alors quelle différence pouvons-nous signifier et faire vivre ? Et si, comme à Assise, nous passions de l’accueil (indispensable dans sa forme) à l’hospitalité ! La rencontre d’Abraham serait pour nous un bon lieu de réflexion pour démarrer. Et si nous nous disions que dans ce jeune, ce nouvel employé d’entretien, il y a du divin ou du génie selon la formule de l’humaniste, athée, Julia Kritéva.

L’hospitalité est souvent empêchée par deux craintes, celle de l’étranger que je ne connais pas, et celle de la dépossession de ce que je suis, de ce que j’ai. Nous ne pouvons échapper au flash de certaines situations dans les établissements où l’étranger (jeune ou adulte) révèle ces craintes.

 

Nous ne reviendrons pas sur l’hospitalité dans l’histoire et les cultures bien que cela soit passionnant et d’un bon enseignement, sans oublier le sens qu’elle prend dans la Bible. Le lien d’hospitalité est rarement égalitaire. Chez autrui, on ne fait pas comme chez soi même si l’hôte a des droits, ce sont ceux accordés par le maître de maison. La relation est, de fait, complexe et il se peut qu’elle aboutisse au sentiment pour l’accueillant d’être envahi et pour celui qui est accueilli, d’être piégé.

Il est important également de considérer que l’hôte provoque forcément un changement dans le lieu d’accueil. Selon les codes, au terme du séjour l’hôte doit raccompagner son hôte jusqu’à l’extérieur de sa maison,(entrée en sixième, orientation, changement d’établissement, mutation…) c’est là une marque de respect à son égard. Raccompagner sur le seuil, c’est aussi une manière de réinvestir son chez soi, de récupérer son intérieur et se retrouver (enfin?) comme avant ! Nous laisserons à chacun le soin d’illustrer… On a accueilli chez soi mais ce que l’on donne n’est qu’un prêt, une concession provisoire. C’est ce qui se passe dans un établissement, que l’on nomme l’accueil, et qui doit se passer ainsi, y compris pour le chef d’établissement qui est hôte et hôte pour un temps dans un lieu qui n’est pas le sien mais qu’on lui a confié pour un temps.

L’hospitalité inspirée des Rencontres d’Assise est autre, elle est « un partage de l’en soi » et ici, l’accueil devient différent de celui de la Sécu. Du chaleureux et indispensable accueil dans l’établissement, nous passons à l’hospitalité « divine ». Il ne s’agit plus ici d’hébergement dans un lieu mais d’hébergement en soi. Se laisser habiter pour combler l’attente, l’espace (le point d’interrogation) volontairement laissé pour recevoir l’autre et lui offrir, dans une égale réciprocité, d’occuper la place qu’il m’aura réservée. Les codes sont plus importants ici que nulle part ailleurs car tout se joue à la fois dans l’intime et l’infini. Le mot « code » devient donc inapproprié, on lui préférera celui d’engagement, un engagement réciproque qui garantisse à chacun la liberté et la dignité. L’autre est semblable mais il n’est pas le même, c’est par sa singularité qu’il révèle la mienne. L’hospitalité est alors l’espace de la relation à l’autre, qui oublie dans cet instant, le statut social, l’âge, le pays d’origine ou le pays d’accueil. C’est là que les hommes se dépouillent pour s’habiller d’ humanité . « Il leur dit: «N’emportez rien pour la route, ni bâton, ni sac, ni pain, ni argent ; n’ayez pas chacun une tunique de rechange. Si vous trouvez l’hospitalité dans une maison, restez-y ; c’est de là que vous repartirez » (Evangile de Jean, 1 , 45-51). Cela à condition que le moi n’englobe pas tout l’espace sous peine de ne jamais accueillir et en même temps, se garder de libérer tout l’espace sous peine de trahir l’ensemble mon histoire. L’hospitalité doit être vue comme une pensée positive et la frontière entre l’Autre et moi perçue non pas comme un mur de séparation mais comme espace de rencontre qui me préservera de penser que ma manière d’être est la seule manière d’être au monde. Il ne peut y avoir d’accueil au sens d’hospitalité sans réciprocité . On doit préparer les jeunes à ces rencontres, avec l’Autre, avec le monde. La peur de l’étrange peut être remplacée par une merveilleuse curiosité de ce que je n’ai pas car comme le dit Jacques Derrida « (…) nous sommes irréductiblement exposés à la venue de l’autre » et cela déjà dans la famille, lors d’une naissance.

Nous avons quitté, sans la rejeter, l’hospitalité qui fait œuvre de solidarité, de civilité pour une hospitalité en soi, d’une immense gratuité, offerte au monde, pour le bien commun.

 

le respect

On différenciera le respect des lois et règles civiques du pays natal ou accueillant, qui peuvent variées d’un pays à l’autre ou des règles qui peuvent varier d’un établissement à un autre, du respect universel de la personne. En suivant le raisonnement de Kant, nous pouvons dire que le respect à avoir de l’autre ne tient pas à sa fonction ou ses « qualités », ce qui crée une relation inégalitaire bien qu’indispensable dans une société, mais à une seule valeur : sa part d’humanité ou sa part de divin. S’il est mon semblable en humanité, je n’ai rien à lui imposer de ce que je suis, je n’ai pas à le craindre puisqu’il est lui même aussi porteur d’une part d’humanité que je n’ai pas. Pensons à la dignité acquise et donnée par le fait même d’être vu et entendu « Je t’ai vu quand tu étais sous le figuier » (Evangile de Jean, 1 , 45-51). C’est porter « attention » à l’autre, prendre du temps pour l’entendre et de ce fait m’écouter, dans la réciprocité. « Pouvons-nous nous abreuver mutuellement ? C’est au goût de l’eau que l’on en juge. » (Christian de Chergé, « L’invincible Espérance », Lettre de Ligugé. N° 217 Bayard Editions, 1997 p.73-74).

Selon la pensée de Kant, l’estime de soi ou celle de l’autre doit passer par les « critères de l’universalité » (Paul Ricoeur, Soi-même comme un autre, ED du Seuil, 1990, p 242 243). Là, la Déclaration des Droits de l’Homme (ou la Convention Européenne des Droits de l’Homme) et le décalogue sont à lire et relire en équipe, sans doute…Ce ne sont pas que des affiches sur un mur de classe ou un cours bouclé en septembre une bonne fois pour toute. Ce sont des supports objectifs qui étayent la critique mieux qu’un avis d’enseignant. Il est vital non seulement de respecter et défendre la dignité de tout être humain mais également de respecter et défendre la pluralité qui est la plus belle preuve de liberté que l’homme ait jamais reçue (laïcité) et « que le sens de ces différences nous soient un jour dévoilée par Dieu, selon l’heureuse formule du Coran » , verset 118 de la Sourate de Houd.

 

 

  1. Ni les Rencontres d’Assise ni le vie d’un établissement ne sont une fin en soi.

La vocation de l’école, comme celle de l’église est de l’ordre d’un service à une tâche qui la dépasse, elle n’est ni l’origine ni le but de la mission. L’unité n’a pas pour but l’unité dans l’école. La vie d’un établissement n’est pas un but en soi, elle devrait être remplie, certes, mais pour le déborder. La réussite à l’école ou la réussite de l’école n’est pas une fin en soi, elle doit permettre non de réussir dans la vie mais de réussir sa vie. On ne doit pas chercher seulement comment bien vivre ensemble à l’école (Maxime savait et aimait vivre avec Mohamed, mais pourrait-il vivre avec l’Islam ?) mais bien oeuvrer ensemble, ici, maintenant, pour ailleurs, pour plus tard, dans un but commun pour l’humanité. Les Rencontres D’Assise n’étaient pas destinées à s’auto-alimenter et n’avaient pas leurs finalités en elles-mêmes, pas plus que le projet d’établissement ou le projet pastoral ne sont là pour faire vivre l’école « en état de sainteté » derrière ses portes. Rappelons que le temps de catéchèse est destiné à faire découvrir comment un chrétien peut devenir l’hôte de chacun, par le texte vivant qu’est la Bible pour un croyant. Rappelons aussi que la prière est un acte libre de dialogue et non une simple récitation connue de l’ensemble des élèves pour la messe des familles. Ou alors, pourquoi continuer à prier hors de l’école ? Si l’établissement n’a que pour but d’être rempli dans un espace et un temps donné, nous ne serons pas surpris que certains consentent à dissimuler leurs croyances (y compris pour celui qui accueille) ou leur non-croyance. Consensus, compromis, concession… Certains établissements transforment la catéchèse en « art et religions », pour faire soft, pendant que d’autres rejoignent l’école coranique après avoir assisté à la messe obligatoire (Paris vaut bien une messe). Pas de concession mais un espace où chacun peut dire « Voilà ce que moi, je crois », comme à Assise. Une autre illustration, toute virtuelle… : « Combien d’heures avons-nous accordé aux « temps forts » ? Vite rattrapons en mars les 3 heures de février ! » Assez de « temps forts » ! Les temps forts ne sont pas programmables. Les temps forts, tels que nous les appelons ne prendront du sens s’ils n’ont pas comme unique but d’afficher « la couleur » de l’école aux yeux du quartier. Si seuls les temps forts sont programmés, que de temps faibles il nous reste à vivre ! Relisons les Rencontres d’Assise et découvrons que les temps forts se vivent dans chaque recoin, avant et après, dans les espaces ou les temps et qu’ils sont signes de rencontre, non des plages horaires sur des agendas ou des parenthèses dans le quotidien d’un établissement.

Un établissement qui initie pour ailleurs et demain c’est un établissement qui offre aussi à l’Autre la liberté car « Celui qui ne connaît que les normes de son pays est poussé à s’y soumettre » (Tzvetan Todorov, La peur des Barbares, Biblio essai, R Laffont, 2008, p 292)

 

  1. Faire unité pour un dessein commun

Les religions n’ont pas à déresponsabiliser les non-croyants de cette cause pour l’humanité. Si la catéchèse a bien un projet d’humanisation, elle ne peut le faire seule et pour ne pas s’imposer elle doit clairement reconnaître que les chemins vers Dieu sont multiples. Croyant ou non-croyant, l’homme ne peut, aujourd’hui, à lui seul, s’emparer du dessein de construction de Paix, pas plus que l’Eglise catholique ne peut entreprendre seule ce projet. Comment envisager de prendre en charge, au nom de l’humanité, une cause commune, en excluant une partie de l’humanité ! C’est bien le témoignage d’Assise. J’ai besoin de l’autre parce qu’il possède l’étrange que je ne connais pas et qui fait de moi un être différent de lui mais ce n’est cependant pas mon propre besoin que j’assouvis mais un besoin qui nous dépasse tous les deux. Il n’est pas là pour me compléter mais compléter cette image de l’humanité dont je ne détiens qu’une parcelle et qui est toujours en recherche de justice, vérité et de liberté. Le projet d’établissement doit accepter une mise de fonds à perte (comme les prêtres pendant la messe) s’il a aussi, au travers de toutes ses actions d’enseignement et d’apprentissage, une prétention à l’universel.

 

 

Conclusion

A la source d’Assise, comment l’école catholique d’enseignement peut-elle s’emparer de la pluralité des croyances/non-croyances, des cultures, des histoires individuelles pour apporter sa contribution au grand dessein d’unité et de paix pour l’humanité? Le comment  est d’une importance capitale car « Si tous les moyens sont bons pour imposer l’unité, le liberté de chacun est menacée. » (Tzetan Todorov, L’esprit des Lumières, R Laffont, poche, 2006, p 117)

Nous avons vu combien il semble essentiel de relire l’existant dans les établissements pour mettre en évidence la contribution originale apportée à la laïcité par le souffle d’Assise. La nécessité de recevoir l’Autre chez soi et en soi pour affirmer, dans la réciprocité, qui nous sommes, parcelle indispensable et singulière de l’humanité. Ne pas hésiter à mettre des points d’interrogation, surtout sur les évidences. En mettre un aussi sur « unité » afin de ne pas le confondre avec uniformité qui ruinerait l’indispensable pluralité. Et enfin être sainement prétentieux  pour les jeunes, les nouveaux venus: le projet doit prétendre, au travers du quotidien, à l’universel. Cela montre à quel point l’école doit être transparente dans son projet éducatif, son projet d’établissement et qu’elle reconnaisse qu’elle a besoin de l’élève pour apprendre à lire.

Sommes-nous si loin de la laïcité dans nos établissements catholiques ? Nous pouvons maintenant en débattre.

 

 

« Agir pour des choses lointaines au moment où triomphait l’hitlérisme, aux heures sourdes de cette nuit sans heures – indépendamment de toute évaluation de « forces en présence »- c’est, sans doute, le sommet de la noblesse » (Emmanuel Levinas, Humanisme de l’autre homme, biblio essai, livre de poche, 1972, p 47)

Monique Damlamian

 

 

 

 

Bibliographie

 

Nostra ætate. Déclaration sur les relations de l’Eglise avec les religions non-chrétiennes, Rome 1965

Déclaration sur l’éducation chrétienne, Gravissimum Educationis,, Rome 1965,

Le décalogue d’Assise pour la paix, 2002

Intervention du Pape BENOÎT XVI Assise, Basilique Sainte-Marie-des-Anges Jeudi 27 octobre 2011

Le discours de Julia Krysteva à Assise, 2011, https://www.youtube.com/watch?v=2o2_9AkpuWI

et

Statut de l’enseignement catholique en France, SGEC, 1er juin 2013

et

Jean-Marc Aveline, Sur le chemin de l’autre, Chemins de Dialogue, 2010

Fadi Daou et Nayla Tabbara, l’hospitalité divine, Association Chemins de Dialogue, 2013

Jacques Derrida, De l’hospitalité, ed Calmann Levy, 1997

Anne Gotman, Le sens de l’hospitalité. Coll. Le lien social – PUF, 2001.et http://sciences-croisees.com/N9/Gotman2.pdf

Julia Krysteva, Cet incroyable besoin de croire, Bayard 2007

Emmanuel Levinas, Humanisme de l’autre homme, biblio essai, livre de poche, 1972

Amin Maalouf, Les identités meurtrières, Livre de poche, Grasset, 2001

Paul Ricoeur, Soi-même comme un autre, Editions du seuil, 1990,

Christian Salenson, Une double liberté pour l’enseignant, Chemin vers l’autre , Chemin de dialogue 2010

Tzetan Todorov, L’esprit des Lumières, R Laffont, poche, 2006

Tzvetan Todorov, La peur des Barbares, Biblio essai, R Laffont, 2008

 

[1]          Statut de l’enseignement catholique en France, SGEC, 1er juin 2013.art 24