Patrick Parodi, Marie-Madeleine, figure provençale

MARIE MADELEINE, FIGURE PROVENCALE

 

Marie-Madeleine est une figure essentielle du christianisme car elle est à l’origine du troisième tombeau de la Chrétienté à Saint-Maximin-la Sainte Baume (après Jérusalem et Rome).

Pourquoi ce lieu ? Pourquoi ce culte ?

C’est dans les œuvres des traditions que l’explication se trouve.

Sans rentrer dans une explication détaillée, il faut rappeler que l’identité du personnage de Marie-Madeleine pose de nombreuses questions à l’historien, mais c’est un problème classique d’exégèse des Evangiles. En effet, les textes bibliques ne permettent pas de l’identifier clairement car l’action du personnage (essentiellement au moment de la Crucifixion et de la Résurrection) lui accorde une place essentielle. Or, les mêmes textes évoquent d’autres femmes qui entretiennent la confusion. Dès l’Antiquité, la question se pose de l’identité de Marie-Madeleine : est-elle une figure unique comme désignée dans les textes évangéliques sous le nom de Maria de Magdala ? ou la représentation faite est-elle une synthèse d’autres figures féminines qui sont essentiellement la pécheresse qui se jette aux pieds de Jésus durant le repas que le pharisien Simon lui offre en Galilée et celle de Marie, la sœur de Marthe et Lazare, amis de Jésus, le recevant dans leur maison de Béthanie, village de Judée ? Et bien entendu celle désignée sous le nom de Marie de Magdala présente lors de la Crucifixion et la Résurrection ?

Ainsi, sur l’identification entre Marie, sœur de Marthe et Lazare et Marie Magdala.

La thèse de ceux qui en font un seul et même personnage s’appuie essentiellement sur un argument : l’onction faite à Béthanie par Marie serait, dans le cadre d’une logique symbolique, reçue par Jésus comme l’anticipation de sa toilette funéraire (chez Matthieu, Marc et Jean) et ce ne peut-être qu’elle qui soit chargée de celle-ci quelques jours plus tard : elle est donc Marie de Magdala non évoquée auparavant par les mêmes évangélistes. Son geste d’onction anticipée expliquerait son statut particulier, la singularisant parmi les femmes qui accompagnent Jésus et expliquant son identification (Marthe sa sœur n’a pas le même rôle ; elle est une simple servante sans rôle particulier).

Ceux qui s’opposent à l’idée d’identifier Marie et Maria de Magdala utilisent un argument géographique : Maria vient de Magdala, un village de Galilée près du lac de Tibériade en Galilée (on a trouvé des restes immergés, Magdala signifiant probablement «Tour des poissons» en araméen ) alors que les Evangiles n’affectent pas cette désignation à Marthe et Lazare.

 

Ces débats pour identifier les trois femmes en une seule qualifiée de Marie-Madeleine ne sont pas réglés par les textes évangéliques dont il faut rappeler que la construction n’est pas figée avant le Ve siècle (ils sont écrits entre 50 et 120 ap. J.C. et relèvent de traditions différentes). Par ailleurs, ces débats sont en partie liés à la tradition de l’Eglise : le pape Grégoire le grand (590- 604) valide la tradition qui en fait un personnage composite rassemblant les trois figures évoquées. Il lui donne son caractère peccamineux ( elle est la victime de sept démons, symboles des sept vices, symbolisant tout le mal du monde) qui en fait une image forte du Salut, essentiel dans le discours des Pères de l’Eglise comme Saint Augustin, Saint Jérôme ou Saint Ambroise.

C’est cette image qui s’impose dans l’Eglise catholique jusqu’au concile Vatican II qui la présente non plus comme une prostituée repentie mais comme une disciple. Les recherches actuelles des exégètes et des historiens vont dans ce sens.

 

C’est aussi cette représentation qui s’impose dans la tradition provençale de la figure magdalèenne.

 

Comment se construit-cette tradition ?

On pourrait qualifier cette tradition de mythique volée et volage.

Pourquoi ? Selon les chrétiens d’Orient, le corps de Marie-Madeleine se trouve à Ephèse ce que ne peut ignorer le pape Grégoire le Grand qui fut nonce à Constantinople. Mais, il veut dans le monde occidental en faire un modèle de pénitence, celui de la pécheresse convertie, pardonnée mais éternelle pleureuse, vivant dans un repentir continuel avant d’être sauvée. Absente des Evangiles après la Résurrection, les clercs du haut Moyen Age créent cette figure de femme qui pleure ses fautes (sur le modèle de Marie l’Egyptienne). C’est cette représentation qui inspire la tradition provençale dont le fondement est un texte intitulé « Actes de Saint-Maximin », texte du Ve-VIe siècles aujourd’hui disparu. Ce texte raconte qu’après l’Ascension de Jésus, ses disciples mènent une prédication active qui suscite la colère des élites juives qui mettent en place une véritable répression et chassent les premiers fidèles chrétiens. Parmi ceux-ci se trouvent le disciple Maximin qui part en bateau jusqu’à Marseille avec Marie-Madeleine et d’autres femmes. Elle est alors une disciple recluse, vivant isolée et dans la peine de ses pêchés à la Sainte-Baume avant d’être enterrée à Saint-Maximin.

Se crée alors une littérature hagiographique comme la Vita apolostica, les Récits de la Translation ou l’Histoire du miracle marseillais qui tentent d’expliquer pourquoi Marie-Madeleine est un saint intercesseur essentiel dans le monde occidental où son culte se finalise et connaît une forte expansion. En effet, les usages de culte et les récits l’accompagnant fixent des éléments de la tradition : sa nudité liée à sa pauvreté de pénitente cachée par sa longue chevelure, la communion à l’heure de sa mort, le retrait sans manger ni boire, son origine noble essentielle à l’époque féodale.

Au IXe siècle, une « Une Vie de Sainte Marie-Madeleine » écrite par Raban Maur finalise la légende de la sainte pécheresse qui se retire à la Sainte Baume, élevée chaque jour dans les airs par des anges, puis reçoit la communion de l’évêque Saint Maximin, et meurt au pied de l’autel d’une crypte où elle est ensevelie.

C’est de ce texte que s’empare Geoffroy de Vézelay (1037-1055) abbé clunisien du monastère de Vézelay qui végète depuis sa création en 858. Il obtient de la papauté deux bulles en 1050 et 1058 pour créer un pèlerinage sur l’abbaye, la plaçant sous le patronage de la sainte et affirmant qu’elle possède les reliques.

Des récits divers établissent comment la translation eut lieu à partir de la Provence : transfert direct de Terre Sainte, enlèvement par Eudes, premier abbé de Vézelay, de son corps ainsi que ceux de Marthe et Maximin de la ville d’Aix ravagée par les Sarrasins et finalement, transfert effectué par le moine Badillon en 882 au temps de Charles, fils de l’empereur Lothaire et roi de Provence. Cette dernière version qui s’impose peu à peu. Vezelay effectue en quelque sorte un rapt de l’image de Marie-Madeleine pour créer une tradition à l’origine d’un pèlerinage.

Mais, c’est le texte de la «Légende Dorée», écrite entre 1261 et 1266, de Jacques de Voragine au XIIIe siècle, dont le succès fut immense, qui contribue le plus à imposer l’idée que Marie-Madeleine est avant tout une figure provençale.

Dans ce texte, Jacques de Voragine raconte l’arrivée, sa période d’évangélisation et de pénitence avant sa mort.

Pour l’arrivée, il fixe la composition du groupe dans lequel se trouve Marie-Madeleine : Maximin, un des 72 disciples de Jésus, Marthe, Martille, la suivante de Marthe, Sidoine, l’aveugle guéri par Jésus et Lazare. Celui-ci est mis dans un bateau sans pilote ni rames par les infidèles pour être noyé dans la mer Méditerranée, mais il est sauvé et échoue à Marseille. On peut remarquer que les traditions peuvent modifier la version du texte : sur la composition du groupe (en incluant en plus Marie Jacobé, mère de Jacques et sœur de la Vierge Marie, Marie-Salomé, mère des apôtres Jacques le Majeur et de Jean, et Sarah) et sur le lieu d’arrivée (en Camargue où restent les trois femmes ajoutées) qui amène une dispersion du groupe : Marie-Madeleine et Lazare à Marseille, Marthe à Tarascon, Maximin et Sidoine à Aix.

Jacques de Voragine insiste ensuite sur la période de prédication faite à Marseille avec Lazare ; le rôle de sainte et d’évangélisatrice est confirmé par les miracles accomplis et par la destruction des temples païens. Elle y prêche en sa compagnie (Lazare est considéré comme le premier évêque de Marseille) Elle y accomplit un miracle lors de sa période de prédication à Marseille. Marie-Madeleine convainc avec difficulté un notable païen d’entendre sa prédication par le biais de sa femme ; en récompense, sa femme tombe enceinte ce qu’il attendait depuis longtemps mais il veut aller à Rome entendre les arguments du pape Pierre. Sa femme insiste pour le suivre. Au cours du voyage, une tempête violente secoue le bateau : la femme donne naissance à un garçon mais meurt dans l’accouchement. Les marins veulent jeter le corps de la défunte mais également le nouveau-né, condamné à disparaître faute de lait maternel, à la mer mais le mari ne peut s’y résoudre et paye les marins pour déposer le corps et l’enfant sur une île déserte. Au retour, quelques années plus tard, le mari reprend le bateau qui passe non loin de l’îlot où il a déposé sa femme et son garçon. Il paye alors les marins pour accoster et trouve un petit garçon jouant avec les coquillages sur la plage. Celui-ci l’amène à sa femme qui lui avoue que c’est Marie-Madeleine qui quotidiennement a veillé sur elle et l’enfant et a permis sa résurrection. A leur arrivée à Marseille, le notable et sa femme détruisent les temples païens et se convertissent en prédicateurs chrétiens

Sa mission accomplie, elle se retire et entame sa longue période de pénitence à la Sainte-Baume.

 

De plus, le texte de Voragine s’inscrit dans une période de succès populaire de la sainte en Europe, notamment en Allemagne et en Angleterre.

C’est cette tradition qui pousse à rechercher les reliques de la sainte à Saint-Maximin.

On peut le voir la tradition sur Marie-Madeleine est née en Bourgogne à Vézelay mais elle situe la vie de la sainte en Provence. C’est au XIIIe siècle que cette tradition est importée véritablement en Provence et est qualifiée de fondatrice.

Elle s’inscrit dans un contexte de contestation dès le XIIe siècle de la tradition bourguignonne car ressemblant au récit de la translation des reliques de Lazare entre Marseille et Autun si bien que le pèlerinage à l’abbaye bourguignonne est estimé sans fondement par des évêques, notamment l’évêque Norgand d’Autun qui l’interdit. Dans le conflit qui opposa l’évêque et les moines de Vézelay, le pape Pascal II prit position en faveur de ces derniers par la bulle de 1103.

Cependant, le doute persista malgré le succès du pèlerinage à Vézelay : c’est pourquoi, sans doute à la demande du roi Louis IX, qui avait fait un pèlerinage à la Sainte-Baume en 1254, une «revelatio » fut organisée : il s’agit de montrer les reliques publiquement et de les faire vérifier par l’autorité pontificale. Celle-ci eut lieu en septembre 1265, on montra les reliques et on trouva des billets du roi Charles de Provence, fils de Lothaire, du IXe siècle qui confirme leur authenticité. Mais, ce qui fut découvert ne constituait pas un corps entier ce qui redonne vigueur à une tradition provençale ancienne mais peu prégnante en mettant en avant que le corps pouvait toujours être enseveli à St Maximin et n’avait pas été déplacé.

Le texte du IXe siècle de Raban Maur redevient la base de la tradition dès le 13e siècle puisque celui-ci fixe l’ensevelissement de la sainte dans la ville de Rodan ou Villalata (deux des noms attribués au bourg avant l’actuel ; c’est un point stratégique de la vallée avec un castrum entouré de quelques villae de riches). Le neveu de Louis IX, Charles, prince de Salerne (son père Charles Ier est comte de Provence et roi de Naples) : celui-ci fit entamer dès 1278 des fouilles à St Maximin-la-Sainte-Baume pour retrouver les reliques de la sainte, consignées plus tardivement par le cardinal Philippe de Cabassole, évêque de Cavaillon et Bernard Gui, moine de l’ordre des Prêcheurs.

Leur récit mêle le vraisemblable et le merveilleux a pour double objectif d’attester de la sainteté de la découverte mais aussi de confier aux Prêcheurs, les Dominicains, la constitution de tout futur pèlerinage. On a donc le croisement de deux légendes : provençale et dominicaine qui contribue à la construction de la représentation de la sainte.

Selon ce récit, c’est sous l’inspiration de Marie-Madeleine que le prince Charles se dépouille de ses attributs royaux, participe aux travaux, indique où doivent mener les recherches et découvre un nouveau sarcophage. Quand celui-ci est ouvert, une odeur merveilleuse se fait sentir ; les ossements sont presque complets, seule manque la mâchoire inférieure. Enfin, autre signe de divinité : la langue est intacte et un rameau de fenouil vert en surgit. Les ossements sont soumis à l’examen des évêques de la région et un morceau de liège se dissout alors et laisse apparaître un papyrus qui dit « L’an de la nativité du Seigneur 710, le sixième jour de décembre, dans la nuit et très secrètement, sous le règne du très pieux Eudes, roi des Frans, au temps des ravages de la perfide nation des Sarrasins, ce corps de la très chère et vénérable sainte Marie Madeleine a été, par la crainte de la dite perfide nation, transféré de son tombeau d’albâtre dans ce tombeau de marbre, après avoir enlevé le corps de Sidoine, parce qu’il y était mieux caché… ». Lors de la cérémonie de l’élévation de 1280, un autre fait miraculeux devait attester aussi de l’authenticité : un globe de cire est découvert parmi les reliques et une fois rompu, délivre une tablette de bois enduite de cire sur laquelle est écrit la phrase suivante en latin « Ici repose le corps de la bienheureuse Marie Madeleine ».

D’ailleurs, dès 1279, on explique la tradition de Vézelay par le fait que le moine qui aurait emporté le corps de Marie-Madeleine jusqu’en Bourgogne s’est tout simplement trompé de corps.

D’ailleurs, les textes de tradition provençale, toujours sous l’impulsion de Jacques de Voragine, recréent une mythique de la persistance d’un culte magdalanéen. Selon ce texte, un prêtre, qui avait choisi une retraite non loin de là, s’y rend (lors de son chemin, Jacques de Voragine montre qu’il est incapable physiquement de faire demi-tour car le voyage a un coût physique). Il interpelle l’habitant de la grotte (inquiet de savoir qui est l’occupant) et Marie-Madeleine se présente et invite le prêtre à annoncer à St Maximin qu’elle viendra le jour de Pâques prochain pour mourir ce qu’il fait. Le jour dit, St Maximin voit Marie-Madeleine debout dans le chœur, le visage illuminé, entouré par les anges, au-dessus du sol. Il lui donne l’extrême-onction avant qu’elle ne meure : pendant 7 jours, après son embaumement et son ensevelissement, une odeur suave se répand dans le lieu. Il l’enterre dans la crypte d’une petite église bénédictine de la ville. Se développerait alors le culte autour de la sainte (St Maximin fut enterré à ses côtés selon ses vœux) dans un oratoire (qui est devenu la crypte de la basilique actuelle). Or, l’historien Victor Saxer a démontré que le culte de la sainte n’est pas visible en dehors de quelques pèlerinages à la grotte et qu’il n’a pas grande importance dans la culture religieuse provençale.

Il faut attendre la construction de la basilique ( celle-ci connait une phase rapide de construction les premières années de 1295 à 1300 avant de ralentir et s’arrêter en 1335) pour que se développe un pèlerinage d’importance.

 

Des tombes anciennes, faites deux de pierres et deux de briques et tuiles, ont été retrouvées lors des travaux de restauration de 1859 : on a alors supposé que ce sont les tombeaux primitifs des saints.

Conclusion : La figure de Marie-Madeleine est une figure qui s’apparente à la région provençale dès le Moyen-âge mais cette régionalisation de l’image de la sainte est davantage liée à un processus d’appropriation de la sainte par les ordres religieux, basée sur des légendes mises progressivement mises en forme sur le plan littéraire qu’à un véritable cheminement historique. Elle témoigne de l’importance de la symbolique qu’elle dégage.

Patrick Parodi