Pierre Montfraix, Les enjeux d’une éducation morale et civique

       Atelier : Les enjeux d’une éducation morale et civique

Documents pour l’atelier :

Document 1 : Le programme d’Enseignement Moral et Civique au lycée, http://www.eduscol.education.fr

Classes de Terminale Professionnelles et Générales : Pluralisme des croyances et laïcité

En classe terminale, l’enseignement moral et civique se centre d’une part sur l’un des piliers fondamentaux des sociétés démocratiques : la reconnaissance du pluralisme des croyances ; d’autre part sur la façon dont s’organisent, dans l’espace démocratique, de grands débats sur les questions éthiques posées par la biologie et la médecine. Pour chaque thème, les questions éthiques, sociales et civiques sont étroitement liées et aucune de ces dimensions ne doit être négligée. Les connaissances sont abordées en vue des compétences à acquérir. Les suggestions de pratiques de classe sont indicatives. Trois démarches sont néanmoins privilégiées pour la mise en œuvre de cet enseignement auquel contribuent toutes les disciplines : le débat argumenté, les projets interdisciplinaires (type TPE) et le partenariat.

 

Compétences Connaissances Exemples de situations et de mises en œuvre
  • Identifier et expliciter les valeurs éthiques et les principes civiques en jeu.

 

  • Mobiliser les connaissances exigibles.

 

  • Développer l’expression personnelle, l’argumentation et le sens critique.

·       S’impliquer dans le travail en équipe.

  • La notion de laïcité. Ses différentes significations. Ses dimensions historique, politique, philosophique et juridique. Les textes actuellement en vigueur.
  • La diversité des croyances et pratiques religieuses dans la société française contemporaine : dimensions juridiques et enjeux sociaux.
  • Exercice des libertés et risques d’emprise sectaire.
  • Étude pluridisciplinaire des différentes façons de concevoir les relations entre l’État et la pluralité des convictions religieuses, au sein des régimes démocratiques (projet interdisciplinaire souhaitable).
  • Une étude de cas à partir des conditions d’élaboration de la loi de 2004 et des débats au sein de la commission Stasi. Analyse des arguments qui s’opposent et des principes éthiques et politiques dont ils relèvent.
  • À partir de situations observées ou de supports divers (littéraires, philosophiques, historiques, cinématographiques…), un débat peut être mené sur la notion de tolérance et ses significations morales, la distinction entre tolérance et droit, les limites de la tolérance…

Document 2 : Abdenour Bidar, Intervention auprès de l’observatoire de la laïcité, Rapport 2015, page 104

Ce nouvel enseignement comprend quatre dimensions qui sont autant d’entrées propices : la sensibilité (rapport à l’autre, transmission d’une culture du respect, de la compréhension, de la tolérance, de la reconnaissance réciproque, etc.) ; le jugement (éducation à la liberté de penser par soi-même, culture de l’esprit critique, etc.) ; la règle et le droit (pédagogie de la loi qui fixe et garantit les mêmes droits et devoirs pour tous, etc.) ; l’engagement responsabilisation des élèves au service de l’intérêt général, d’une solidarité sociale ou humanitaire, etc.). L’heure hebdomadaire d’enseignement moral et civique – à partir de l’école primaire jusqu’au lycée dans toutes ses filières sera complétée par la mise en place d’un parcours citoyen dont la finalité est de s’assurer d’une cohérence et d’une progressivité de la formation morale et civique de l’élève du CP à la terminale. Ces quatre dimensions propres à l’enseignement moral et civique supposent une éthique enseignante revitalisée et remise au centre de la formation. On en trouve la formule notamment dans l’article 12 de la Charte de la laïcité à l’école qui définit l’enseignement laïque, du côté des enseignants, comme un enseignement qui garantit « l’ouverture la plus objective possible à la diversité des visions du monde ». Les enseignants doivent ainsi être en capacité d’enseigner la diversité des visions du monde, y compris religieuse.

 

Document 3 : Régis Debray, « L’enseignement du fait religieux dans l’école laïque », Rapport au ministre de l’éducation, 2002, pages 12 et suivantes.

Le principe de laïcité place la liberté de conscience (celle d’avoir ou non une religion) en amont et au-dessus de ce qu’on appelle dans certains pays la “ liberté religieuse ” (celle de pouvoir choisir une religion pourvu qu’on en ait une). En ce sens, la laïcité n’est pas une option spirituelle parmi d’autres, elle est ce qui rend possible leur coexistence, car ce qui est commun en droit à tous les hommes doit avoir le pas sur ce qui les sépare en fait. La faculté d’accéder à la globalité de l’expérience humaine, inhérente à tous les individus doués de raison, implique chemin faisant la lutte contre l’analphabétisme religieux et l’étude des systèmes de croyances existants. Aussi ne peut-on séparer principe de laïcité et étude du religieux (d’où l’intitulé du module suggéré plus loin). Mieux : il importe de commencer par une première leçon sur les fondements et obligations d’un principe somme toute peu banal, qu’on aurait tort de croire entré dans les mœurs, et dont les fureurs environnantes ne cessent d’accroître la pertinence. Loin qu’on puisse y voir une dérogation, une concession à des lobbies ou l’effet d’un inexorable grignotage, mener à bien les projets ici développés exige de l’École publique qu’elle se montre non pas un petit peu moins mais encore plus laïque, en s’adossant d’entrée de jeu à un ordre de valeurs clairement assumé, non moins contraignantes que celles des religieux et opposables à certains d’entre eux le cas échéant. (Chacun son credo. Nous respectons le vôtre. Respectez le nôtre…). Tout en veillant à comprendre autant que possible le sens symbolique et existentiel pour les croyants des rituels et des dogmes, la démarche proposée doit d’emblée et ouvertement reconnaître ses propres limites. Elle ne peut ni ne doit prétendre viser le cœur battant de la foi vécue, encore moins se substituer à ceux dont c’est la vocation. L’adhésion personnelle n’est pas de son ressort, pas plus que son refus. A l’intérieur et en fonction même de cette autolimitation, l’esprit de laïcité ne devrait rien avoir à redouter ici.

(…)

La relégation du fait religieux hors des enceintes de la transmission rationnelle et publiquement contrôlée des connaissances, favorise la pathologie du terrain au lieu de l’assainir. Le marché des crédulités, la presse et la librairie gonflent d’elles-mêmes la vague ésotérique et irrationaliste. L’École républicaine ne doit-elle pas faire contrepoids à l’audimat, aux charlatans et aux passions sectaires ?

S’abstenir n’est pas guérir. Le Penseur de Rodin qui envoie promener au loin la Bible d’un coup de pied négligent (vu dans une caricature) oublie que le Livre Saint ne disparaît pas pour autant dans la nature, ou n’est pas perdu pour tout le monde. Il en sera donné ailleurs (hors contrat) des lectures fondamentalistes, d’autant plus pernicieuses que les jeunes endoctrinés n’auront reçu aucun éclairage qualifié sur ce texte de référence. Il a été prouvé qu’une connaissance objective et circonstanciée des textes saints comme de leurs propres traditions conduit nombre de jeunes intégristes à secouer la tutelle d’autorités fanatisantes, parfois ignares ou incompétentes. Pas plus que le savant et le témoin ne s’invalident l’un l’autre, l’approche objectivante et l’approche confessante ne se font concurrence, pourvu que les deux puissent exister et prospérer simultanément (ce que permettent la liberté de conscience et notamment les diverses Facultés de théologie, dont certaines sont d’État, comme en Alsace-Moselle). Preuve en est que les deux peuvent coexister dans certaines personnes (un exégète peut être critique et ordonné). L’optique de foi et l’optique de connaissance ne font pas un jeu à somme nulle. Cette dernière commence par faire le partage, à titre liminaire, entre le religieux comme objet de culture (entrant dans le cahier des charges de l’instruction publique qui a pour obligation d’examiner l’apport des différentes religions à l’institution symbolique de l’humanité) et le religieux comme objet de culte (exigeant un volontariat personnel, dans le cadre d’associations privées). La laïcité n’est concernée que par ce qui est commun à tous, à savoir les empreintes visibles et tangibles des diverses fois collectives sur le monde que les humains ont en partage, sans se mêler, par prudence et pudeur, de ce qui n’est commun qu’à plusieurs, à savoir les expériences intimes.

 

Document 4 : Philippe Meirieu : Savoir et croire : vers une « pédagogie de la laïcité » ?, www.cafepedagogique.net, 19 février 2016

Une démarche jamais achevée

Nous avons à impulser, par un travail inséparablement expérimental et historique, concret et épistémologique, une quête qui évite au sujet de s’enkyster, de s’enfermer, de s’identifier à un moment donné de son évolution et de sa configuration entre « savoir » et « croire ».

(….)

C’est que les savoirs scientifiques peuvent parfaitement être acquis sans que soit intégré le principe éthique qui constitue, en deçà mais aussi au-delà de leur acquisition, la condition d’une véritable « science à hauteur d’homme » : convaincre sans vaincre. Car, c’est bien cela qui trame toute l’épistémologie des sciences ; c’est bien cela qui permet à la science de progresser et de nous émanciper des pouvoirs arbitraires comme des préjugés archaïques ; c’est bien cela qui fait de la science un vecteur d’humanisation… Or, « convaincre sans vaincre » n’a rien de spontané : cela s’apprend et se construit dans l’éducation, cela se transmet de génération en génération par des éducateurs qui savent montrer qu’il y a là, tout à la fois, un renoncement nécessaire à la violence qui nous habite et une source de satisfactions immenses, individuelles et collectives.

C’est dire que l’apprentissage du débat argumenté, avec un protocole rigoureux et sur des objets précis, doit être pleinement intégré à l’École, non comme un « supplément d’âme » et en dehors des disciplines scolaires traditionnelles, mais au sein de ces dernières et en garantissant l’implication de chacun et de chacune dans le processus. (…) S’exprimer et se justifier, expliquer et démontrer représentent, en effet, des apprentissages absolument fondamentaux. C’est par là que l’élève sera amené, dans l’effort même que le groupe et l’enseignant soutiendront avec bienveillance, à élucider le statut de ce qu’il énonce. C’est dans le travail de formulation que se trouve la clé de la compréhension et de la distinction assumée sereinement entre le savoir et le croire. Qui est privé de cette interlocution est condamné à tâtonner sans fin et menacé de confusion mentale : sans étayages psychiques extérieurs, il ne peut se structurer mentalement et reste vulnérable face à toutes les intimidations comme à toutes les emprises.

Mais le débat argumenté est encore bien plus que cela : c’est aussi la reconnaissance de l’autre comme un « autre soi-même » et, pour reprendre la belle expression de Paul Ricoeur, de « soi-même comme un autre ». Débattre avec l’autre, c’est se reconnaître comme faisant partie du même monde. C’est reconnaître l’autre comme un interlocuteur qui mérite d’être convaincu et dont l’adhésion m’importe plus que la soumission parce qu’il est, comme moi, un être de raison. Débattre avec l’autre, c’est accepter aussi que je peux être « affecté » par lui : non seulement, parce qu’il peut me permettre de voir des pans entiers de la réalité qui me sont invisibles, mais qu’aussi parce qu’il peut avoir compris mieux que moi certaines choses et qu’ainsi ses objections sont infiniment précieuses. Comme le dit encore Paul Ricoeur, « la tolérance n’est pas une concession faite à l’autre, c’est l’acceptation du fait que je n’ai pas la vérité tout seul ». Qui peut dire, aujourd’hui, que ce n’est pas là un enjeu pédagogique majeur ?

 

Document 5 : Ressources pour la classe sur le site Eduscol

 

Fiche : Intérêts et enjeux du principe de laïcité dans notre société

 

 

Fiche : La laïcité et l’expression des croyances religieuses

 

Document 6 : Alain Bergougnioux, « Pour un enseignement laïque de la morale », Rapport au ministre de l’éducation, avril 2013?

 

  • Un enseignement laïc de la morale est l’occasion d’un rééquilibrage et d’un rappel. Pour tous les agents publics, fonctionnaires ou contractuels, le principe de laïcité implique une absolue neutralité afin d’assurer le plein respect de la liberté de conscience des élèves et de leurs familles. La neutralité est celle des agents et non des élèves. La neutralité à laquelle sont ainsi soumis tous les personnels de l’éducation a en effet pour finalité d’assurer le respect de la liberté des usagers du service public, de leurs croyances ou incroyances. Leur liberté n’a de limites que dans les obligations inhérentes au fonctionnement du service public, du respect des programmes, des horaires ou des tenues impliquées par des enseignements particuliers, aux exigences de l’ordre public et de la santé publique. À ces limites s’ajoute l’interdit posé par le législateur, en ce qui concerne les élèves, du port de tout signe religieux ostensible visant à prohiber toute forme de pression ou de prosélytisme au sein des établissements scolaires et des classes. L’enseignement laïque de la morale est aussi l’occasion de rappeler le principe de la liberté de conscience, dans les seules limites ici rappelées. Mais la neutralité de l’enseignant et des autres personnels ainsi que le respect de toutes les convictions ne peut s’ériger en obstacle à la transmission des valeurs républicaines et constitutionnelles. Le respect de toutes les convictions ne peut, par exemple, conduire à transiger sur les principes de l’égalité entre les hommes et les femmes, le refus des discriminations ou la dignité de toute personne. L’enseignement laïque de la morale, fondé sur les valeurs républicaines que les enseignants ont le devoir de transmettre, est l’occasion de rappeler le cadre d’exercice de la liberté.
  • Les bornes juridiques sont ici la condition d’une éthique laïque. Si la laïcité, en effet, n’est pas seulement neutralité, mais aussi liberté, à tout instant, dans sa pratique, l’enseignant est confronté à l’exigence éthique : transmettre sans imposer, sans faire violence aux croyances des élèves et de leurs familles, avoir constamment à l’esprit le souci du commun, de l’intérêt général afin de ne pas heurter les intérêts privés, faire taire ses propres préjugés et ses propres croyances. Par son objet même, un enseignement laïque de la morale requiert de revitaliser une éthique laïque, condition d’une laïcité mieux intériorisée, mieux comprise et donc mieux mise en pratique.

 

 

 

Document 7 : Régis Debray, Didier Leschi « La laïcité au quotidien, Folio, 2016, page 36.

 

Certains maires ont supprimé les menus de substitution dans les écoles de la ville les jours où il ya du porc au menu. Cette substitution est répréhensible.

La cantine scolaire n’est certes pas un droit. Ce n’est pas une raison pour que les enfants ne puissent pas avoir le choix de ce qu’ils mangent. L’apprentissage de la vie en commun passe par la non séparation des petits en fonction de leurs origines ou confessions. Pas de tables à part, nide places réservées dans la salle commune, où s’impose la convivialité. Pas de menu imposé non plus. Le self service peut le permettre. Un enfant scolarisé dans le public doit avoir la faculté de ne pas enfreindre la règle qu’il pratique au sein de sa famille (ne pas manger de porc, mais aussi de la viande de bœuf, ou de la viande tout court). Mais il ne doit pas, non plus, être assigné par les adultes à un régime alimentaire en fonction de ce que ces derniers pensent être ses origines réelles ou supposée.