Valérie Marmoy, Reprise de la journée de jeudi

Reprise de la journée du jeudi 22 mars 2018 lors de la session de l’ISTR sur l’enseignement du fait religieux « Eduquer à la fraternité » par Valérie Marmoy.

 

C’est à l’école de Claire Ly  avec beaucoup d’humilité, que je viens partager avec vous mon point de vue partial et partiel, mon émotion de la journée d’hier et plus globalement de ce qu’on a vécu ces deux jours.

Oui j’ai dit émotion, d’ailleurs quand j’ai commencé à écrire, j’ai été perplexe parce que j’avais bien écouté et on nous a dit  que l’émotion ce n’était pas forcément une bonne chose, qu’elle ne nourrissait rien, qu’elle ne permettait pas la réflexion, qu’elle n’ouvrait sur rien. Et pourtant j’en étais remplie, donc je n’avais rien compris.

Pourtant comment rester insensible à cette histoire de fraternité, cette saga familiale et fraternelle qu’on a vu s’incarner dans des personnes de conviction et d’une profonde humanité. Et puis je me suis souvenu qu’on a parlé aussi de l’importance de la  relecture, de mettre des mots, de verbaliser pour structurer et c’est ce que j’ai essayé de faire. Et à la réflexion, il a beaucoup été question de mots, de vocabulaire, de paroles pendant cette journée.

On a tous la tête plein d’images. Pour moi Saint Loup, ça sent la lavande et le ciste cotonneux, et bizarrement ça me fait penser de suite à une fratrie, celle de Marcel Pagnol et de son frère, le petit Paul dans  « La gloire de mon père ».

Et déjà une rivalité dans la possession des collines  entre Marcel né à Aubagne et Paul à Saint Loup, entre Marcel le bavard et Paul le silencieux, entre Marcel celui qui part et Paul celui qui reste Aujourd’hui quand je penserai à Saint Loup je verrai aussi au milieu des personnages de Pagnol ; des enfants, des papys, des mamans, des maitres et des maitresses, qui courent à en perdre haleine. Qui courent à la découverte de l’autre, qui courent à la découverte de la différence mais de la ressemblance aussi ; qui courent parce que la fraternité ça nous engage à travers tout notre corps. Mais qui parlent aussi, parce que la fraternité ça se dit et même à 3 ans ça passe  par la Parole, une parole qui n’est pas en panne,  à la différence de ce qu’on a vu pour Caïn et Abel. D’ailleurs il n’y a rien d’immobile et de muet, rien qui soit en panne chez Berengère Sylvestre.

Pascal Balmand ne se sent pas bien et il a choisi le vocabulaire d’Audiard pour nous le dire, il oscille entre indigestion et urticaire. La faute aux mots valises trop utilisés et usés. Des mots comme vivre ensemble, cohabiter communauté, valeurs. Il nous décrit notre  société éparpillée ventilée façon puzzle. Une société qui a besoin de renouer le dialogue, de recréer du lien et où nos écoles peuvent être des réponses à ce besoin.

Pourquoi ? Pas parce que les autres le font mal, mais parce que notre manière, particulière, c’est partir de la personne, du singulier, pour faire du commun, pour faire du nous et pas du « on », pas de l’indifférencié.

Pourquoi ? Parce qu’on sait qu’on ne peut pas se supporter mais qu’on peut faire alliance. Parce qu’on sait que l’Evangile ce ne sont  pas des valeurs, mais des vertus, que la fraternité ne se transmet pas mais se cultive s’éduque (Rodrigue Coutouly et Abdennour Bidar le savent avec nous).

Pourquoi ? Parce qu’on sait qu’un je n’existe que par rapport à un tu, que la question « Suis-je le gardien de mon frère ? » se pose dans le quotidien. Parce qu’on sait qu’une communauté est bien plus que la somme des personnes qui la composent. Et que n’en déplaisent à tous les climato sceptiques de l’Evangile, si climat évangélique il y a c’est à travers cette communauté et sa manière d’être éducatrice,  à travers ses pratiques, ce qu’elle met en place, le règlement intérieur, les sanctions, la cantine, les pratiques pédagogiques, l’évaluation, qu’il se vit, se montre et se dit.

 

« Tu es mon sang, ma sœur, Ismène ma chérie » Sophocle.

On pense souvent aux intellectuels comme à des êtres d’une grande intelligence mais parfois un peu arides. D’intelligence il en est question et oh combien, avec Anne Sophie Luigi qui nous guide et nous fait voyager à travers le temps, les lieux et les œuvres. Mais d’aridité surement pas. C’est avec beaucoup de finesse, de justesse et de délicatesse qu’elle nous offre, nous ouvre l’histoire d’Antigone à travers ses différents auteurs. J’ai écouté Sophocle, chez qui elle est le fruit d’une famille incestueuse, avec une fraternité meurtrière,  qui se décline sur le mode de la violence et se tue elle-même, et j’ai entendu en arrière  fond la voix et les mots de Xavier Manzano, endogamie, inceste social, repli sur soi,  ressentiment.

Quand elle devient Afghane, A Kandahar, c’est sa solitude et sa dignité  qui m’a touchée et qui met en questionnement la puissance de l’armée américaine. Anouilh lui, en réponse à l’horreur de la guerre  en fait le symbole du refus de la compromission, de la collaboration, de la médiocrité, l’image d’une fraternité en quête d’absolue, d’exigence, qui dépasse celui qui en est l’objet et devient mortifère.

Et puis on la retrouve à Beyrouth, avec « le 4eme mur », où l’on s’émerveille du fait  que si elle ne peut pas faire la paix, elle peut permettre à la guerre de se taire, un moment, juste un moment.

 

C’est Claire Ly qui m’a éclairée sur l’intelligence.  En Asie l’intelligence c’est : une pensée juste, de l’énergie spirituelle, de la foi, de la méditation. Peut-être Anne Sophie est-elle bouddhiste ?  Claire Ly non plus n’est pas à l’aise avec les mots, avec les grands mots comme  valeurs, des mots qui la fatiguent beaucoup car elle n’aime pas classer juger, prôner, exclure.

Au Cambodge on n’a pas besoin d’en parler de la fraternité car on ne se situe que dans la relation, on n’existe que les uns avec les autres. C’est donné, ce n’est pas un choix, et parfois on le subi. Ce sont les khmers rouges qui ont parlé  de fraternité les premiers, mais pour instaurer un vaste programme de déshumanisation, de construction d’une société pure où l’égalité et la fraternité sont défigurées.

Mais pourtant, la fraternité résiste, la vie résiste comme la sève des arbres pendant l’hiver, on ne la voit pas mais elle est toujours là. Et à un moment on se dit qu’on est allé trop loin, qu’il y a une limite à l’inacceptable et ça part de profond, de l’intérieur, des entrailles.

Alors oui, Claire a pu renaitre à une vie autre, transformée mais en laissant sa culture d’origine en dialogue avec celle du pays qui l’a adoptée comme une promesse, comme un    «  je » irremplaçable, qui introduit son initiative dans ce monde.

 

Et la religion me direz-vous, ou plutôt les religions ? L’altérité religieuse peut nous permettre d’entrer en fraternité comme Charles de Foucault, louis Massignon et Christian de chergé. Trois sauvetages, trois conversions.

Une fraternité qui se construit dans la ressemblance et la dissemblance, en expérimentant ses limites, qui se construit aussi malgré la violence, celle des autres et la mienne, malgré la guerre, parce que je sais que moi aussi je ne suis pas innocent.

La fraternité c’est une richesse et une promesse et dans ce monde nouveau qui est en train de naître l’Eglise donne à notre école un but, celui d’être le lieu premier de l’éducation à la relation, parce que la relation, le dialogue est une nécessité pour la paix, pour la fraternité.

Juifs,  chrétiens, musulmans, 3 frères un père, Abraham. On mesure le chemin encore à parcourir pour parvenir à un dialogue entre eux mais est ce qu’on mesure qu’en travaillant dans nos écoles à l’accueil et à l’ouverture à tous on contribue, de manière modeste mais définitive à  cet avènement de la fraternité.

Un dernier mot, hospitalité ? dont Colette Hamza est la gardienne. Pourquoi parce que le chapitre 13 de la lettre aux Hébreux

«  N’oubliez pas l’hospitalité : elle a permis à certains, sans le savoir, de recevoir chez eux des anges. »

Des anges, des messagers ont en a reçu pendant ces deux jours, qui sont venus nous visiter pour nous rendre plus intelligent, à l’asiatique c’est-à-dire nous permettre d’avoir une pensée plus juste, nous transmettre leur foi dans cette fraternité possible, nous donner de l’énergie pour le mettre en œuvre.

Et  tant pis si je suis émue, je vais terminer avec de la poésie, celle de Charles Péguy

«La fraternité C’est une grand et noble sentiment, vieux comme le monde, qui a fait le monde…. »

Et aussi celle de Sœur Lidvine Nguemeta

« Ma sœur, c’est un monde, je suis un monde. »