Eduquer à la fraternité – reprise de la 1ere journée
Catherine Pagès
Je ne sais pas vous, mais moi, je me demande toujours comment je vais être déplacée, bousculée la première journée. Déplacée mais vers où ? Comment ?
Mais ce qui m’est apparu plutôt dans ce début de session, c’est du bonheur.
Mais pourquoi donc ?
Parce que la fraternité, c’est d’abord une expérience. Oh, une expérience pas forcément facile, en creux et en plein, en échecs et en petites joies, en bonheurs et malheurs, en balbutiements, mais jamais univoque, et toujours la fraternité nous concerne, donne du sens à notre existence, à notre manière d’être au monde.
Les intervenants nous ont accompagné-es pour penser cette fraternité. Leurs pensées se sont croisées, nous permettant de faire des liens pour commencer à mieux cerner ce qu’est cette fraternité.
Car, au début, il semble bien que ce soit un mot qui nous met dans l’embarras.
Et pourtant, nous sommes très vite rentrés dans le concret, la fraternité, ce n’est pas un concept. La fraternité, ce sont des visages. La fraternité, elle se vit. Dès lors, éduquer à la Fraternité, c’est de l’ordre de la vie. Et donc, ça n’a pas de fin. En vocabulaire chrétien, on parlerait d’initiation. En vocabulaire plus laïc, on s’appuiera sur la métaphore du jardin, de la forêt : cultiver la fraternité, comme on cultive son jardin, avec attention, respect du rythme, des plantes et de la terre et de tous les animaux qui y trouvent refuge.
Mais il s’agit de ne pas aller trop vite, et comprendre ce dont on parle.
Toute la journée, nous avons vu qu’il nous fallait tenir deux choses : la fraternité est une valeur que la république française s’est choisie et c’est une expérience qui interroge l’humanité depuis toujours.
En tant que valeur de la République, elle est indissociable de la liberté et de l’égalité. Mais elle a une place à part. Elle serait la condition nécessaire à une véritable égalité vécue en liberté.
Il nous a fallu faire un peu d’histoire de France récente, un peu plus de 200 ans et dépoussiérer des idées reçues. La fraternité n’est pas inscrite sur le fronton de la République comme une évidence constitutive de ce qu’est la France. Si le mot croise celui de liberté et d’égalité dès 1789, s’il est inscrit dans la déclaration de droits de l’homme de 1790, Il fait débat dans la politique du XIXème s. Il faut attendre 1945, et ce n’est surement pas un hasard que ce soit après ce conflit mondial majeur, pour qu’il soit retenu comme devise de la quatrième et cinquième république.
Il nous faut donc continuer et comprendre qu’elle est son lien avec l’égalité et la liberté.
C’est ce qu’on fait les philosophes.
Monsieur Bidar est parti de l’expérience du silence. Lors des manifestations après les attentats de 2015, le silence s’est imposé. On n’avait plus de mots. On peut tenir ensemble deux interprétations à ce silence qui ne s’excluent pas : c’était un silence de communion, une intériorité partagée et aussi un désarroi collectif : qu’est ce donc qui nous rassemble par rapport à tout ce qui nous divise ? La fraternité semble être la grande oubliée de la devise. La devise républicaine ne fait pas consensus dans la société parce qu’il y a un trop grand écart ressenti entre le faire et le dire. Et pourtant, la fraternité semble s’imposer devant la pauvreté d’un vivre ensemble comme seul contrat social. Les mots de Abdenour Bidar et de Xavier Manzano sont extrêmement sévères quand à la situation de la société qui a transformé les notions d’égalité et de liberté dans un rapport d’individualité, qui favorise un libéralisme économique hégémonique.
Un deuxième facteur de division est de faire fraternité entre soi, à l’intérieur d’une communauté. Une fraternité contre les autres.
Alors, comment s’en sortir ? La fraternité serait elle le chemin qui permettrait de trouver ce qui nous rassemble ?
La fraternité ne se décrète pas, mais elle se cultive et curieusement passe d’abord par un travail sur soi, cultiver sa dimension intérieure, par ce qui nous fait être vraiment humain.
Ainsi la lutte est politique et spirituelle.
Les pensées de Xavier Manzano et de Abdenour Bidar se rejoignent là : la fraternité passe par une prise de conscience : « je ne suis rien sans l’autre et je suis fragile. » Et par une transformation : « j’accepte cette fragilité. » Et tout deux nous parlent de vulnérabilité comme fragilité acceptée. Car l’autre est aussi dans le même cas que moi. Ce n’est pas rien, accepter d’être vulnérable, accepter d’être atteint. Mais c’est le chemin qui permet à l’homme de grandir, d’être un être humain accompli. C’est un chemin de bonheur. C’est l’accueil de l’autre pour ce qu’il est. C’est ce qui a permis à Colette Hamza de nous dire en ouverture, que l’hospitalité est le visage de la fraternité.
Le deuxième volet du caractère de l’être humain en recherche de fraternité, et c’est important que ce soit un inspecteur d’académie qui le dise, c’est accepter que nous soyons traversé par quelque chose qui nous dépasse. Une façon d’être au monde et d’être relié à quelque chose de plus grand : la création, Dieu, l’univers, la terre, quelle que soit l’expression que l’on emploie pour le désigner.
Xavier nous fait prendre du recul par une réflexion sur la famille, ce qui la constitue et ce qui permet de ne pas être enfermé dans les seuls liens du sang. Ce qui permet la famille, ce sont trois choses : la filiation, l’alliance et la germanité. Mais ces trois choses ne sont pas forcément sur le même plan ; selon la manière dont on va les interpréter et les articuler, cela donnera la manière dont la société va les vivre.
La filiation permet l’enracinement. La germanité l’ouverture à l’autre, trans-familial, on ne peut réduire la fraternité à la fraternité de sang…
Il y a aussi tous les frères et les sœurs données et reçues, par la vie, dans la vie.
Filiation et germanité dépendent de toute façon de l’alliance. Qui dit alliance, dit prohibition de l’inceste pour obliger à sortir de soi, obliger à l’exogamie. Cela vaut pour la cellule familiale mais aussi pour la société et notre manière d’habiter la maison commune, première étymologie de la famille.
L’harmonisation de l’alliance, la filiation et la germanité permet de prendre conscience que nous sommes « une multitude d’uniques » comme dirait Christian de Chergé. Notre place est unique dans l’humanité et d’une richesse singulière. Quand on a conscience de cette richesse singulière on peut s’ouvrir à la richesse singulière de l’autre et lui faire sa place.
Le philosophe laisse alors la place à la réflexion biblique. La bible nous raconte une histoire de famille. D’une famille qui devient un peuple. Et comme c’est une histoire singulière, lue et relue, elle concerne chacun ; c’est pourquoi la bible est un grand texte, qui s’adresse à chacun, pour peu qu’on apprenne à la lire.
Qui est capable d’être frère ? La bible est faite d’anti-héros et d’échecs. Il faudra attendre 40 chapitres pour que l’esquisse d’une fraternité réussie se mette en place avec Joseph, et non sans mal.
Quand la bible s’interroge sur la fratrie, nous dit Marie-Laure Durand, elle pose la question de la place que nous prenons dans la vie. La fratrie de sang révèle deux peurs : peur de prendre sa place et peur de perdre sa place. La parole est ce qui fait fraternité ; on parle de sa place. Sinon la question devient : comment se débarrasser de son frère pour lui prendre sa place ?
Jésus, par son statut de Fils, va nous donner un statut de frère.
Ainsi, la fraternité n’est pas un sentiment. Elle consiste à pendre sa place et à garantir à l’autre qu’il pourra prendre sa place propre.
Si vous n’aviez pas été convaincu que la fraternité est une expérience, que tenter de la vivre donne du bonheur, Françoise et Lidivine sont venues vous y initier.
Françoise nous a raconté une expérience avec les jeunes autour du mot fraternité qui a été possible grâce à un patient travail de liens tissés avec une équipe de professeurs et un regard tellement aimant sur les personnes. Réfléchir à la fraternité en la vivant…
La sororité se donne à vivre, avec, à la fois, le risque qu’elle enferme et l’inconnu sur lequel elle ouvre. Elle n’est possible que si elle participe à la sortie de soi. C’est une clé de lecture. Lidivine nous a partagé son expérience. Et renchérit sur la juste place que nous pouvons prendre dans la vie et que permet en fraternité. Un chemin d’acceptation de soi et de la différence de l’autre, un chemin d’humilité qui permet de trouver sa place et laisser les autres trouver la leur.