Les violences contre les religions ou quand les religions sont victimes de violence.
INTRODUCTION
Les combats contre les religions ont un aspect multiforme car les religions sont elles-mêmes multiformes ; de fait, les comprendre doit amener à prendre en compte plusieurs éléments. En effet, les religions sont un ensemble de croyances, de pratiques, de traditions qui peuvent être faites dans le cadre d’institutions ecclésiales, plus ou moins organisées ou centralisées.
Ainsi, dans les Etats communistes de Russie et d’Europe de l’est, on ne peut admettre dans le principe politique en vigueur, que la construction d’un homme nouveau par l’idéologie (ce qui oblige à la soumission à celle-ci et à l’admission de sa supériorité intellectuelle et explicative dans l’ordre du monde) puisse être concurrencée par la croyance, la foi en un être supérieur, souvent lui-même explicatif de la construction du monde. Ce n’est pas un seul combat intellectuel : les régimes répriment ceux qui portent la parole de la foi (ou tentent d’en limiter l’influence ou la prégnance). Ainsi, dans la Chine actuelle, si on ne combat pas réellement la foi chrétienne (parce que numériquement elle ne représente pas un danger), on tente de limiter l’influence du Vatican d’où la création d’une deuxième « Eglise » (même si des accords semblent se mettre en place). Cependant, le gouvernement chinois continue sa politique de répression de certaines religions considérées comme trop influentes le bouddhisme tibétain ou l’Islam dans les régions de l’ouest que le pouvoir cherche à coloniser. Autre exemple : les gouvernements républicains français combattent avant tout l’Eglise catholique car elle est porteuse d’une influence politique qu’ils cherchent à combattre mais aussi car ils ont la volonté d’ancrer dans la population l’idée de supériorité des règles républicaines à celles de l’Eglise catholique perçue comme hostile à ce régime. Dans le cas français, on combat l’institution pour que ce qu’elle représente passe comme une autorité secondaire comme les valeurs et la vision du monde qu’elle représente.
De fait, les violences n’ont pas un caractère unique : elles vont de la répression militaire et politique à un combat sur la place des valeurs religieuses ou non-religieuses dans la société ou à la construction de représentations religieuses négatives.
Les combats religieux restent d’actualité et ne se sont pas seulement représentatifs d’une volonté de domination d’une religion sur une autre.
I L’IDENTITE RELIGIEUSE, VICTIME DES VIOLENCES DES REVENDICATIONS NATIONALISTES, ETHNIQUES ET POLITIQUES.
La religion est victime car elle sert de prétexte à un combat politique et subit ainsi une déformation discursive.
Depuis plusieurs années, de très nombreuses villes ont été l’objet d’attaques violentes et meurtrières de la terreur islamiste : Paris, Londres, Nice, Charm-el-Cheikh, New-York, Madrid, Istanbul, etc. revendiqués par des réseaux terroristes divers et plus ou moins lâches Al-Qaïda, Daech, etc. Ces réseaux s’emparent d’une notion pervertie, celle de la guerre sainte, cherchant à nier toute trace du passé et voulant recréer un Islam des premiers temps, celui du Prophète, de ses compagnons et des califes. Ainsi, Ben Laden a-t-il retracé la geste de Mahomet, fuyant l’Arabie saoudite qu’il juge comme impie pour les montagnes afghanes afin de relancer la guerre. C’est une réappropriation de la tradition mais aussi une réinvention de celle-ci, destinée à cacher les échecs des guérillas islamistes sur le modèle afghan au début des années 1990 en Bosnie, Algérie, etc. La religion est ici le prétexte à une dérive religieuse.
Les autres religions sont aussi victimes de cette situation : les juifs ultra-orthodoxes ont résisté Bible en main au plan de démantèlement des colonies en Cisjordanie d’Ariel Sharon et continuent à étendre leur influence aujourd’hui selon le même prétexte religieux. Les évangélistes poussent certains présidents américains à la guerre. Les nationalistes hindous s’en prennent aux chrétiens et aux musulmans en Inde et en Birmanie, ce sont les extrémistes bouddhistes qui chassent les Rohingya. Les exemples actuels ou passés sont multiples, parfois avec la bénédiction d’autorités religieuses, contribuant à une déformation du message religieux et de la place de l’histoire dans sa construction.
Dans un monde d’effondrement des grandes idéologies et des difficultés à comprendre les nouveaux repères culturels, économiques et politiques, l’identitaire trouve alors une source dans le religieux, mais dans un religieux certain et de fait, perçu comme intolérant. Cette forme d’intolérance trouve sa légitimité dans les pratiques du passé qu’elle décontextualise : des croisades aux guerres de religion, des massacres aux conversions forcées. Mais, elle ignore les évolutions et les changements des discours officiels et des pratiques quotidiennes des croyants.
C’est alors le discours modéré des religions qui est non perçu soit par les extrémistes qui ne trouvent dans la religion qu’un prétexte de revendications (identitaires ou autres) soit par les tenants d’une laïcité dure refusant toute expression ou reconnaissance du fait religieux.
La religion est victime car elle est niée dans son rôle identitaire et culturel.
Ce sont le plus souvent les Etats totalitaires et porteurs d’une idéologie qui refusent de reconnaître cette place.
On peut prendre l’exemple chinois car il ne se limite pas à une seule répression mais la politique chinoise comprend souvent plusieurs aspects dans la violence exercée contre les religions :
- L’accusation de ne pas favoriser la modernité. Celle-ci naît au début du XXe siècle quand l’Empire est remplacé par la République déclarée en 1912. En effet, l’Empire avait une religion, le confucianisme, qui n’a pas de structure nationale mais laisse la place à de multiples cultes locaux et saints locaux qui ont une fonction sociale. Par ailleurs, la démarche spirituelle individuelle est avantagée et retrouve même une certaine vigueur à la fin de l’Empire, cherchant de multiples inspirations. Cependant, la République s’inspire des démocraties modernes, notamment française, en considérant l’organisation religieuse comme archaïque et contraire à l’impératif de modernisation (les échecs de la Chine au XIXe siècle et début XXe face aux Occidentaux et le Japon, plus détachés du fait religieux, en sont vus comme l’argument essentiel). Si la tolérance religieuse est reconnue, l’Etat s’attaque aux « superstitions » religieuses qui ne peuvent être clairement associées à une religion reconnue et refuse la reconnaissance de toute religion nationale. Les répressions sont nombreuses : destructions des lieux de culte, interdiction de fêtes et de rituels, surveillance des ministres de culte. Cette approche contribue au développement des religions minoritaires qu’elles soient en complicité ou en hostilité au régime et au changement du confucianisme, devenu davantage une approche philosophique (moyen pour les pratiquants de préserver cette religion nationale) et une pratique personnelle d’hygiène de vie.
Le paradoxe de cette situation est l’apparition de pratiques comme le qigong, sorte de technique de santé, inspiré des pratiques anciennes, dans les années 1980-1990, encouragées par le gouvernement, les présentant même comme cause de la réussite économique de la Chine. Le développement de ces techniques, aux dimensions spirituelles mais ayant une présentation moderne, à travers les techniques de méditation, respiration, etc. est important. Il a pu aboutir au mouvement du Falungong, nostalgique des valeurs anciennes et regrettant l’esprit altruiste (y compris de la période révolutionnaire). Celui-ci peut alors se présenter comme un combat final entre les forces du bien et les forces du mal, représentées par les politiques corrompus ou usant de la violence. Ce discours apocalyptique provoque la répression violente par le régime depuis 1999.
- La religion opposée à une maîtrise territoriale. Depuis, les années 1950, dans une perspective de contrôle des frontières, la Chine veut contrôler des régions occidentales peuplées par des populations qui sont soit de confession de bouddhisme tibétain soit de confession musulmane. Si dans les régions de Tibet, les violences du régime de Mao ont permis très vite un peuplement Han et une colonisation progressive (le bouddhisme tibétain est poursuivi mais surveillé, organisé et dans un cadre imposé par le régime, malgré l’existence d’une dissidence) mais se calment quelque peu. Cependant, dans le Xianjiang, la politique répressive se poursuit : à la suite d’affrontements interethniques en 2009 dans la région (elle est traditionnellement un lieu de tensions entre les Ouïgours, musulmans sunnites turcophones et le pouvoir qui a du mal à y imposer son autorité depuis le XIXe siècle), le gouvernement chinois refuse toute expression religieuse non contrôlée. Ainsi, il reprend des politiques traditionnelles dites « d’éducation aux lois ». Profitant de l’engagement de certains Ouïgours dans le combat islamiste terroriste auprès d’Al-Qaïda (avec quelques attentats sur le territoire chinois) et d’un retour à un certain conservatisme dans des quartiers de villes ou des campagnes (forme d’affirmation identitaire), il s’en prend aux 11 millions d’habitants musulmans de la région. Ainsi, sans faire de distinction entre les formes d’opposition (de la violence terroriste à la simple résistance pacifique religieuse de volonté de respect des traditions ou à l’opposition intellectuelle de défense des droits des individus), la répression est multiforme : cours obligatoire pour les personnes jugées trop zélées sur le plan religieux, camps d’enfermement sans critères précis d’arrestation mais visant essentiellement les individus ayant participé à une prière collective ou appris l’Islam à des enfants, ayant des contacts dans des pays considérés comme suspects car musulmans comme l’Egypte, la Malaisie ou la Turquie, détenant une version du Coran non autorisée (environ entre 1 et 2 millions de personnes concernées), etc. Pendant ces moments, il s’agit de dénoncer l’Islam, apprendre le chinois et faire louange du Parti communiste chinois. Cette violence ne se limite pas à la seule région mais s’étend sur out le territoire voire même prend une dimension internationale par la poursuite en Europe des membres de la diaspora.
- La religion vue comme une entité étrangère et non nationaliste. En Chine, en 1957, le pouvoir crée « une association catholique patriotique » qui nomme les évêques et refuse toute autorité du Vatican. Ce n’est pas la force numérique des catholiques qui inquiète (12 millions en 2018) mais c’est la capacité de l’autorité papale à attirer et faire perdre leur sentiment d’attachement nationaliste aux croyants. Malgré un accord intervenu en 2018, prévoyant une reconnaissance entre la Chine continentale et le Vatican (un de derniers Etats à reconnaître Taïwan) et un processus reconnu de nomination des évêques, la pression sur les chrétiens restent fortes dans une perspective de sinisation des religions venues de l’étranger. La Chine détient en 2019 aussi le triste record de la première place en ce qui concerne la détention.
1 131 chrétiens y ont été arrêtés ou emprisonnés en 2018. Avec des persécutions en très forte hausse, le pays passe de la 43 e place à la 27e place des pays les plus persécuteurs envers les minorités religieuses. Dans la région du Xinjiang, 6 000 chrétiens ouïghours (tous les Ouïghours ne sont pas musulmans) auraient été envoyés dans des « camps de rééducation ». Le gouvernement attend de l’Église qu’elle « réponde aux exigences du PCC ». Un processus de sinisation est à l’œuvre. Contrôle et identification des croyants se développent via les nouvelles technologies.
Bilan : en Chine, la situation est alors très complexe sur le plan religieux. En raison du refus du pouvoir de voir apparaître toute forme d’organisation ou de structure pour les religions, celles-ci se tournent vers une pratique plus individualiste plutôt que sur des obligations sociales collectives. De fait, se crée un plus grand foisonnement des pratiques religieuses d’où la difficulté pour l’Etat à arriver à les maîtriser ou à se mettre en situation de dialogue d’où sa volonté de sinisation.
II L’EXEMPLE FRANÇAIS : UN COMBAT CONTRE UNE INSTITUTION POUR LA FAIRE PASSER AU SECOND PLAN TANT SUR LE NIVEAU POLITIQUE QU’INTELLECTUEL A L’ECHELLE COLLECTIVE.
Pour la France, ce qui est plus complexe, c’est ce qui fut nommé le combat laïque, aux multiples aspects et qui n’a pas les mêmes dimensions selon les époques. On peut partir de la construction de la loi votée en 1905 intitulée Loi de Séparation de l’Eglise et de l’Etat qui marque la fin d’un combat laïque et républicain contre l’Eglise qui prend des dimensions politiques et intellectuelles.
Une loi peut-être une loi de combat ou d’apaisement. La Loi de séparation de 9 décembre 1905 mérite d’être qualifiée de loi d’apaisement. Il ne s’agit pas ici d’en faire l’inventaire mais d’en donner trois articles essentiels :
Ainsi, l’article 1 déclare que « La République assure la liberté de conscience et garantit le libre exercice des cultes ». Les quelques mesures restrictives sont prises dans l’intérêt de l’ordre public et relèvent du droit commun. Le gouvernement ne dispose plus de moyens de pression : nomination des évêques par le pape (14 dès le début 1906), libre assemblée épiscopale des évêques en mai 1906 (la première fois depuis le régime concordataire), liberté des synodes pour les protestants et régime de liberté pour les cultes non reconnus.
Dans l’article 2, la République « ne reconnaît, ni ne subventionne aucun culte » sauf les aumôneries dans les lieux publics (écoles, hôpitaux, asiles et prisons). De fait, les Eglises c’est-à-dire les organisations religieuses deviennent des corps constitués indépendants de droit privé. Par ailleurs, la loi ne subventionne pas les cultes mais peut subventionner des écoles et des associations de diverse nature (sportive, culturelle, caritative, etc.) d’origine confessionnelle.
Dans l’article 4, il est prévu que, dans un délai d’un an, les édifices de culte seront confiés à des associations cultuelles qui sont chargées du culte, c’est-à-dire passent sous la responsabilité de l’Eglise. Cet article provoque un fort débat entre des laïques conciliateurs et des laïques qui estiment les concessions trop lourdes ou qui veulent continuer le combat. Pour ces derniers, cet article permet à l’Eglise de conserver un poids essentiel et empêcherait l’éventuelle naissance d’un catholicisme républicain.
B1- Dans le temps long.
Cette loi ne peut s’expliquer sans faire référence aux relations des régimes politiques français avec la religion et les Eglises qui la représentent.
Il faut bien prendre en compte le facteur numérique : en France, les religions minoritaires (essentiellement protestante et juive) ne représentent pas un danger politique même si elles peuvent être victimes de représentations négatives pour certains courants politiques.
De fait, il sera essentiellement abordé la question des relations des régimes politiques avec l’Eglise catholique.
Je vais rappeler rapidement quelques points qui sont créateurs de continuité, certes insuffisamment explicatives :
-les relations politiques entre la monarchie d’Ancien Régime et l’Eglise catholique. Cette monarchie se veut à la fois fidèle à la foi chrétienne et a combattu les « hérétiques » des cathares aux protestants, dans une optique de confortation de son pouvoir et à la fois force politique capable de ne pas être dominée par la force politique papale d’où le concept du gallicanisme (la papauté n’est vécue comme une seule autorité spirituelle mais le pouvoir sur l’organisation de l’Eglise est entre les mains de l’Etat),
– la représentation des membres de l’Eglise comme constitutifs d’un ordre social. En effet, sous l’Ancien Régime, le clergé constitue un ordre social au même titre que la noblesse et le reste de la population dite du « Tiers-Etat ». Cet ordre du clergé qui avait ses tribunaux particuliers, ses lois ou ses privilèges fiscaux, composé de 60 000 moines ou religieuses et de70 000 prêtres et évêques répartis dans 135 diocèses en 1789, verse une subvention à l’Etat et a une certaine autonomie. Ces avantages en font un ordre social considéré comme privilégié même s’il y a une véritable inégalité dans ses membres : les évêques sont issus de la noblesse et les prêtres de la classe moyenne.
– le basculement religieux dans les années 1770-1780 : en effet, l’époque des Lumières marque des mutations dans l’organisation des Etats et dans les aspirations spirituelles ou les pratiques dévotionnelles de la population (il ne s’agit pas d’un reflux religieux ni d’irreligion). Cela pousse à s’interroger sur la place de la religion dans la société et de multiples interrogations (sort des minorités et question de la tolérance par exemple). Cela fragilise l’Eglise (et au-delà la base de l’absolutisme monarchique) : la question de son rapport avec l’Etat est nette (ce n’est pas combat entre athées et croyants).
Ces deux points jouent alors un rôle important dans la perception des populations envers cet ordre. En effet, lors de l’Assemblée de 1789, les évêques sont surreprésentés (14% des députés), témoignant de leur influence politique et de leur capacité à travailler ensemble (notamment dans le cadre de l’Assemblée générale annuelle). Leur rôle politique apparaît comme conservateur voire antirévolutionnaire.
Enfin, l’Assemblée constituante débat de la réorganisation du clergé en 1790 et décrète le 12 juillet 1790 la Constitution civile du clergé. Selon ce texte, soumis au pape, les membres du clergé doivent prêtre serment de fidélité à la Nation, à la loi et au roi. Fin novembre 1790, face au silence de la papauté, l’Assemblée ordonne les prestations de serment. En mars et avril 1791, le pape condamne le texte et toute la Révolution ce qui provoque une vague anticléricale (engouement pour des pièces de théâtre hostiles au clergé régulier). Le clergé se retrouve scindé entre les « jureurs » assermentés et les « réfractaires » : la France se retrouve dans une bataille religieuse à la dimension politique aggravé par l’interdiction faite aux réfractaires d’exercer toute activité. Ce combat d’abord politique a aussi alors une dimension sociale : en effet, si la population ne remet pas en cause les fondements théologiques, elle porte un regard critique envers les fonctions considérées comme privilégiées et inutiles (les chanoines et les ordres réguliers). En revanche, elle se montre très favorable aux activités d’enseignement ou d’assistance médicale de l’Eglise et souhaite leur développement en mettant fin aux privilèges du haut-clergé.
La Révolution marque bien la naissance d’une conception qui traverse la vie publique et politique français jusqu’à 1905 : sortir l’Eglise du champ politique et lui reconnaître son seul rôle éducatif ou d’entraide tout en restant fidèle au respect du principe de foi. Même pendant la période de la Terreur (dont les limites chronologiques sont discutées) : le 07 mai 1794, la Convention décrète sur l’ordre de Robespierre l’existence de l’Etre suprême et celle de l’immortalité de l’âme. Il entend ainsi faire acte fondateur en donnant une base morale à la République : certes, il a combattu l’Eglise catholique en s’associant à la politique de la Constituante mais s’est opposé avec fermeté aux déclamations hostiles à la religion en tant que telle. Il s’est opposé aux hébertistes, convaincu que la déchristianisation ne plaît pas au peuple attaché à l’existence d’un Dieu juste et croit en la nécessité d’une règle morale pour la nouvelle société que la raison ne suffit pas à construire. Il y a une autre lecture de l’Etre suprême : donner au pouvoir en place, à la dictature, une dimension morale que la politique violente mise en place n’offre pas. Les députés se montrent sceptiques envers cette position et le manifestent lors de la fête de l’Etre suprême le 08 juin 1794. La population n’adhère pas à ce principe, étant attachée à la religion chrétienne.
De même, la Révolution se marque par un autre processus : la déchristianisation de l’espace public. Ainsi, dans les fêtes publiques et les cérémonies officielles, les symboles utilisés portent des références nouvelles comme la nature ou l’Antiquité, panthéonisation de personnes reconnues comme symboles de la Nation, cérémonies laïques associées aux cérémonies religieuses (baptême, mariage, enterrements), calendrier révolutionnaire (qui ne fait pas de référence religieuse mais qui échoue en raison de la faible adhésion des populations).
Enfin, naît la réelle volonté de séparer Eglise et Etat. Le 21 février 1795 (loi du 3 ventôse an III), la loi rétablit la liberté des cultes et établit la Séparation de l’Eglise et de l’Etat. La reconstruction des cultes est difficile car elle doit s’inscrire dans la Constitution : ainsi, le calendrier décadaire (sur 10 jours) rend les cérémonies religieuses impossibles à tenir. Cette politique républicaine alterne entre conciliation et restriction d’où une montée de l’irréligion, de la dégradation des lieux de culte (on veut se débarrasser de leurs symboles), etc. et une difficulté à trouver un équilibre entre Etat et religion.
C’est Napoléon Bonaparte qui, par le Concordat de 1802, trouve un équilibre ; convaincu qu’une société ne peut vivre sans dieu et que les cultes révolutionnaires ont échoué, il veut remettre en avant les valeurs qu’il attribue à l’Eglise, surtout celle du respect des autorités, pilier de l’identité sociale (on respecte l’autorité du père dans le Code civil de 1804). Pour lui, il faut pacifier le paysage religieux : récupération des églises et chapelles par le clergé, non-tenue de manifestions non-religieuses dans celles-ci, cérémonie envers le pape décédé Pie VI et rencontre avec le pape Pie VII, etc. Le Concordat prévoit que les évêques soient nommés par le Premier Consul (puis l’Empereur, le Roi et enfin les gouvernements des Républiques) et investis canoniquement par le pape.
Tout au long du XIXe siècle, le Concordat n’est pas remis en cause même si sous la Troisième République, les tensions entre l’Eglise et l’Etat sont fortes. En effet, après 1870, dans un pays où le gouvernement est républicain et démocratique mais où l’opinion publique tend vers une restauration monarchique, les politiques tendent à affaiblir toutes les valeurs qui peuvent aller dans ce sens. C’est pourquoi, ce n’est pas la religion catholique qui est attaquée mais l’Eglise plus directement. Il s’agit d’affaiblir son influence et ainsi rendre plus essentielles les valeurs de la République dans la sphère publique, les valeurs et principes religieux devant être limités à la sphère privée.
B2- Dans le temps court.
La présence du gouvernement Emile Combes
Le 27 avril et 11 mai 1902, au cours d’un scrutin qui mobilise beaucoup les électeurs, les radicaux l’emportent ; ils sont alors dirigés par Léon Bourgeois à l’Assemblée nationale et surtout par Emile Combes au gouvernement (celui-ci remplace le libéral et modéré Waldeck-Rousseau qui démissionne en évoquant son état de santé mais est surtout gêné par l’anticléricalisme affiché par la nouvelle coalition politique).
Le 07 juin 1902, le nouveau gouvernement est formé et s’appuie sur une majorité parlementaire composée de quatre groupes politiques : les radicaux, les radicaux-socialistes, l’Union démocratique socialiste et les socialistes. Cette majorité, intitulée Délégation des Gauches a pour objectif essentiel de préparer le travail parlementaire et assurer la cohésion du gouvernement et du groupe majoritaire des députés.
Dès le début, Emile Combes affirme sa volonté de s’attaquer au « péril clérical ».
L’anticléricalisme a été très fort à la suite de l’Affaire Dreyfus. En effet, les Assomptionnistes du journal La Croix ou les jésuites, perçus comme ceux qui confessent et influencent l’armée ont fait oublier que parmi l’Eglise, beaucoup sont partisans de Dreyfus si bien que la gauche, victorieuse des élections de 1902 veut prendre sa revanche.
La pression sur les Congrégations enseignantes.
Cette volonté anticléricale prend une dimension symboliquement violente. En effet, Emile Combes utilise tous les outils de loi pour affaiblir l’Eglise et ce qu’elle représente dans la société et surtout sur le plan politique. Il s’agit de mettre fin à l’emprise politique de l’Eglise.
L’exemple le plus marquant est celui des Chartreux. Avant la Révolution, la Chartreuse constitue un lieu d’Assistance publique : expulsés en 1792, les moines reviennent en 1816 et produisent de la liqueur pour retrouver leur richesse d’antan. Cette activité leur permet d’offrir du travail, de construire un hôpital et des activités charitables. Mais, l’Etat n’a jamais reconnu leur congrégation. En 1880, lors de la courte bataille de Jules Ferry contre les congrégations non-autorisées, il laisse les Chartreux tranquilles en raison de leur popularité. Mais, pour Combes, elle est la congrégation, industrielle et commerciale, riche et influente qu’il veut combattre. C’est pourquoi le 28 avril 1903, les forces de l’ordre enfoncent la porte de service : 23 moines sont amenés, encadrés chacun par deux gendarmes, sous les cris de la foule. Le colonel de Coubertin, chef des deux escadrons de dragons, démissionne le lendemain, honteux de la mission qu’il a dû remplir.
De fait, toutes les congrégations sont dissoutes si bien que les religieux n’ont que pour solution d’intégrer la vie séculière ou de quitter la France : l’armée les déloge. Pour les congrégations enseignantes, on attend la fin de l’année scolaire pour appliquer l’expulsion : 1716 établissements religieux d’enseignement sont alors fermés pour les hommes et 10 000 pour les femmes.
Les expulsions se font parfois dans un climat tendu et parfois violent, essentiellement dans les régions très catholiques (ailleurs, l’opinion publique est quelque peu indifférente).
Mais, en Bretagne, le combat s’inscrit dans un combat contre l’Etat français ; ainsi, en septembre 1902, Emile Combes demande aux préfets des différents bretons de vérifier que le catéchisme se fait en langue française et de suspendre le traitement des prêtres si ce n’est pas le cas. Les prêtres trouvent soutien auprès des élus bretons alors que Combes s’appuie sur les républicains hors Bretagne. Combes suspend les traitements des prêtres en 1903 jusqu’au milieu 1904, persuadé que le contenu de l’enseignement du catéchisme en breton comprend des aspects politiques, absents de la version française. Il contribue à conforter l’idée que la culture bretonne est liée à la foi catholique.
Le 07 juillet 1904, une loi interdit tout enseignement congréganiste, y compris pour les congrégations autorisées, dans un délai de dix ans, et n’autorise plus les religieux à se présenter au concours de l’agrégation et enlève tout signe religieux des cours de justice. Pour beaucoup de catholiques, la question de l’exil se pose et de nombreux parents envoient leurs enfants étudier à l’étranger dans des établissements religieux.
Cependant, les établissements religieux ne ferment pas tous de manière définitive : en effet, plus de la moitié d’entre eux ouvrent sous une forme laïcisée et parfois cela permet renouvellement et modernisation dans les pratiques pédagogiques et dans le contenu enseigné. Cependant, mis à part quelques ajustements, l’enseignement reste le même avec dans le personnel, des religieux laïcisés. Combes veut remédier à cette situation en refusant à ce personnel religieux laïcisé (avec autorisation de leur hiérarchie et sans habit spécifique) d’enseigner qu’au même endroit qu’auparavant pour les obliger à un déplacement perturbant, dans un lieu où ils ne sont pas connus. Ce projet est cependant rejeté par le Sénat (même si la Chambre l’adopte) car il est considéré comme attentatoire aux libertés individuelles.
De plus, se pose la question des manuels utilisés par les enseignants. En mars 1903, le Conseil supérieur de l’Instruction publique interdit la réédition de l’Histoire de France du père Loriquet. Sont particulièrement condamnés les chapitres sur la Réforme protestante, qualifiées dans l’ouvrage, de secte favorable aux inclinaisons malsaines humaines et sur les philosophes du XVIIIe siècle, vus comme des auteurs d’infamies, remplies de contradictions et encourageant à tous les crimes.
De même, Emile Combes manifeste aussi une certaine provocation : en septembre 1903, il décide de faire un bilan de sa politique au cours de l’inauguration d’un monument en hommage à Ernest Renan à Tréguier en Bretagne. La statue de Renan est au pied de la cathédrale et Emile Combes intervient le jour de la messe pour annoncer son intention d’interdire tout enseignement religieux. Cette provocation est vue comme une atteinte à la foi par les catholiques locaux qui organisent une contre-manifestation à faible distance. Il faut alors mobiliser 6000 soldats pour séparer les deux manifestations.
Cette politique ne se limite pas aux seules frontières françaises : en effet, les relations avec la papauté connaissent un tournant décisif. Combes rompt les relations avec le Vatican : en effet, le président du Conseil prévoit de se rendre à Rome à l’invitation du roi italien Victor-Emmanuel III mais le pape Pie X considère que cela serait une offense ( en fonction depuis août 1903 et plus intransigeant que son prédécesseur Léon XIII). En effet, le Vatican ne reconnaît pas la prise de Rome par le royaume italien et le pape considère la présence d’un officiel français comme une offense. Mais, Emile Combes effectue sa visite du 24 au 25 avril 1904 provoquant des manifestations enthousiastes des anticléricaux italiens. Le pape se plaint auprès des puissances catholiques et de multiples incidents amènent une rupture : le 31 juillet 1904, l’ambassade du Vatican est fermée et la mission du nonce terminée (par ailleurs, selon les Concordat, les évêques ne peuvent quitter leur diocèse sans autorisation du diocèse mais les évêques de Laval et de Dijon se rendent à Rome sans la demander). Pour Emile Combes, c’est la papauté qui ne veut plus du Concordat en le respectant pas.
Le contexte du vote de la Loi de la Séparation de l’Eglise et de l’Etat.
De 1902 à 1904, sous le gouvernement d’Emile Combes, la situation est donc tendue entre l’Eglise et les autorités françaises.
Lorsque le gouvernement français annonce sa décision de voter une loi de Séparation en septembre 1904, le sujet est déjà présent dans l’opinion publique. Cependant, cette décision est très discutée, outre entre ceux qui veulent le maintien du Concordat, mais aussi entre partisans de la laïcité. On peut distinguer trois courants :
- – l’extrême gauche, libre-penseuse et antireligieuse, comptant entre 50 et 60 députés, multiplie les propositions qui prévoient de déclarer comme biens nationaux les propriétés ecclésiastiques et de confier la gestion des églises par un comité d’éducation qui pourrait proposer d’autres activités à leur intérieur que les seules activités religieuses. Leur but est alors, en s’inspirant de la Révolution française, de réduire à néant toute influence religieuse,
- – le deuxième courant parie sur une implosion de l’Eglise. Selon leur stratégie, la Séparation de l’Eglise et de l’Etat doit permettre à l’institution ecclésiastique, privée de tout soutien financier et juridique, de se retrouver en situation difficile. En effet, selon ce courant, l’Eglise se retrouverait en situation de concurrence religieuse si bien que des prêtres ou des fidèles passeraient à la Réforme ou rejoindraient des courants schismatiques du catholicisme. C’est ce courant qui alimente des associations comme celle du prêtre devenu pasteur, Félix Meillon, destinée à créer des regroupements de prêtres et fidèles hors de toute hiérarchie ecclésiale (entreprise soutenue par Georges Clémenceau) ou qui peut retrouver des liens avec les lois présentées entre 1902 et 1905 sous Emile Combes. Ce dernier craint un contre-pouvoir épiscopal (crainte permanente en France depuis la Révolution) et cherche à interdire toute réunion d’Eglises au-delà de l’échelon départemental en octobre 1904 en vue d’une Séparation qui laisserait alors l’Eglise hors-contrôle gouvernemental. Le but est d’empêcher la construction d’une hiérarchie homogène, capable de donner des consignes aux prêtres et fidèles,
- – un troisième courant modéré est à l’origine des travaux préparatoires, menés depuis 1903, dont est issue la loi de Séparation. Ce courant regroupe des politiques de tendance politique et de sensibilité diverses : les députés socialiste Francis de Pressens, fils de pasteur et auteur de la proposition de loi déposée le 07 avril 1903, Jaurès et Briand ou le radical Ferdinand Buisson. Cependant, elle est considérée comme trop hostile au sentiment religieux comme les députés catholiques ou protestants.
- Le contexte est plus calme avec la démission d’Emile Combes, à la suite du scandale des fiches (on espionne les officiers militaires catholiques et on inscrit cela sur des fiches permettant de freiner ou ralentir leur carrière). Le ministère Rouvier poursuit sa politique mais en positions plus fragile.
Le 04 mars 1905, un projet de loi a été adoptée en commission parlementaire et débattu en séance dès le 21 mars. Mais, le projet préparé dès 1903 en Commission parlementaire n’est pas accepté car considéré comme anti-religieux. En effet, cette loi comporte des éléments anticléricaux (comme la possibilité de célébrer des fêtes civiques dans les églises, hors des heures de culte) mais offre la possibilité de leur gestion à des associations cultuelles. C’est le projet retouché par Aristide Briand qui ne veut pas apparaître comme anti-religieux ou hostile à l’Eglise qui est finalement adopté. C’est pourquoi on peut parler de loi d’apaisement.
Cependant, quelques conflits demeurent, notamment au sujet de la gestion des lieux des biens de l’Eglise. Pour les lieux cultuels, ils sont confiés gratuitement à des associations cultuelles qui se constituent progressivement : elles doivent en assurer les frais de réparation, d’assurances etc. mais dès 1907 Etat et collectivités locales peuvent participer aux frais. Des terrains, avec des baux emphytéotiques de 99 ans (et les emprunts pour une construction garantis par les collectivités locales) sont cédés. Pour les bâtiments à usage non-cultuel, ils doivent devenir propriété de l’Etat dans un délai de cinq ans
Cependant, pour bien déterminer les biens de l’Eglise, le gouvernement décide de faire un inventaire des 70 000 biens et de leur contenu en décembre 1905 mais c’est la circulaire de février 1906 permettant l’ouverture des tabernacles qui crée des tensions et des violences pendant deux mois. Le gouvernement est même renversé et c’est Clémenceau, pourtant anticlérical, qui empêche les inventaires en cas de tensions.
De son côté, la hiérarchie catholique tente de calmer ses partisans en vue d’arriver à une conciliation. Les intellectuels catholiques vont dans ce sens. Le 26 mars 1906, l’Eglise accepte la Séparation ce que confirment les évêques français réunis en assemblée en janvier 1907. Le régime de Séparation est peu à peu précisé et accepté.
C’est la papauté qui condamne la loi dès février 1906, notamment à travers l’encyclique Vehementer nos de Pie X et crée une rupture des relations diplomatiques qui reprennent en 1921 (après des années de discussion et de modération).
Bilan : On voit bien que, dès le 18e siècle, les gouvernements tentent de trouver un équilibre avec l’Eglise. Ce combat est accompagné de réelles violences aux multiples facettes.
III FORGER DES REPRESENTATIONS NEGATIVES SUR LES RELIGIONS.
Sur les juifs.C’est la religion qui a été et est la plus touchée par les représentations négatives. Cela s’explique essentiellement par le fait qu’elle est une minorité à l’échelle mondiale (hormis Israël). De plus, sa population étant peu importante (Il y a 14 millions de juifs soit 0,2% de la population mondiale dont 1/3 vit en Israël mais moins qu’avant la Shoah soit 17 millions de juifs en 1939), toute sa population est considérée comme pratiquante et croyante même si la réalité est quelque plus complexe.On peut voir que des représentations négatives sont profondément ancrées et contribuent à alimenter des attitudes racistes et antisémites. Les représentations négatives perdent peu à peu leur dimension religieuse (même si elles s’en nourrissent) dès le 18eme et 19eme siècles : la population juive perd peu à peu son image de peuple déicide auprès des chrétiens même si elle peut être utilisée par des auteurs antisémites (l’Eglise la refuse dans son catéchisme du Concile de Trente en 1566 et la récuse au Concile de Vatican II en 1965). L’antisémitisme laïc se nourrit de ces représentations.Les clichés les plus fréquents se retrouvent autour de quelques points clés :Le « juif » est présenté comme un manipulateur qui cherché à contrôler le monde de l’argent et de la communication. Cette image vient de la fameuse histoire du « prêt à usure » du Moyen-âge : selon les règles chrétiennes, un chrétien ne peut prêter de l’argent avec un taux d’intérêt à un autre chrétien. Pour le faire, il doit passer par un intermédiaire c’est-à-dire quelqu’un d’une autre religion. Or, les nobles chrétiens veulent faire fructifier leur argent et utilisent des populations juives à cet effet. En conséquence, le juif n’est qu’un intermédiaire (un contrôleur qui donne l’amende mais ne la perçoit pas mais est insulté pour cela). Il n’est en rien un financier qui tisse des liens avec d’autres de sa communauté (il existe cependant une forme de solidarité qui permet d’atténuer les difficultés). Par ailleurs, le niveau de vie des populations juives est équivalent à celui des populations qui l’environnent : ces minorités sont relativement protégées dans certaines villes si on a besoin de leurs services dans l’artisanat et le commerce. Mais, dès le 12e siècle en Europe occidentale et 17e siècle, les populations juives voient leur niveau de vie s’aggraver (la vie commerciale et artisanale se fait dans des confréries ou des corporations dont elles sont exclues) et subissent des violences, reprenant ces clichés fortement mâtinés de discours religieux (Judas l’Iscariote qui a vendu Jésus aux Romains est une image courante).La réussite de la famille Rothschild permet d’entretenir ce mythe du juif riche et qui travaille de manière cachée : en 2019, une banque française a présenté sur son site, que cette famille était présente partout dans le monde et avait des intérêts dans l’ensemble du monde financier en étant présente dans toutes les banques centrales. Fausse nouvelle courante des réseaux sociaux, reprise sans précaution par la banque qui a présenté ses excuses.Les juifs constituent une communauté traversée par l’idée d’une solidarité entre elle et depuis la Seconde guerre mondiale envers Israël. Certes, toute population minoritaire a tendance à s’entraider et se protéger mutuellement comme on le voit, par exemple, dans les diasporas. Mais, outre que ce phénomène n’a pas les mêmes ressorts selon les populations concernées, il tend à oublier la diversité des communautés minoritaires. Si on prend la communauté juive française, l’évolution de la diversification sociale et culturelle est très nette dès 1791, date de la mise sur pied d’égalité des juifs et des chrétiens. Ce sont alors des Français juifs qui, s’intègrent en profitant de l’apparition de nouveaux métiers avec la Révolution industrielle. Ils font alors le pari d’une éducation moderne complétant l’enseignement religieux. Cette population acquiert ainsi un meilleur niveau de vie mais les Juifs d’Europe de l’est, chassés par les pogroms et les violences, vivent pauvrement comme les autres immigrés, italiens, espagnols, polonais. L’attachement au judaïsme évolue (comme ailleurs en Europe) : le Grand Sanhédrin, assemblée de rabbins et notables mise en place par Napoléon Ier, reconnaît la supériorité du Code civil sur les principes religieux. De fait, être juif n’est pas seulement être pratiquant (la pratique diminue comme dans le reste de la population), cela peut être simplement une référence culturelle ou familiale. De fait, les violences prennent une dimension moins collective en Europe de l’ouest mais individuelle alors que le caractère collectif de l’antisémitisme demeure en Europe orientale, y compris après la Shoah.Après celle-ci, est crée l’Etat d’Israël, résultat de la naissance d’une « nation juive ». Au 19ème, le mouvement nationaliste a touché l’ensemble des populations européennes qui s’inventent une conscience nationale, cherchant des identificateurs communs (la langue, l’histoire, la culture, etc.) oubliant la complexité et la diversité. Consciente de son caractère diasporique, sous la pression d’un antisémitisme moderne (l’affaire Dreyfus en est un exemple révélateur), une partie de la population juive adhère au mouvement sioniste. Celui-ci cherche la création d’un Etat juif (le peuple juif devient alors aussi une nation). C’est cette nation qui est alors combattue et la Shoah contribue à faire céder les Etats à l’idée de la création de l’Etat d’Israël en 1947. Cette naissance en novembre 1947 crée une opposition avec les Palestiniens. Leur soutien européen défend alors l’idée d’une inégalité de traitement diplomatique, économique, militaire, etc. entre Israeliens et Palestiniens : une partie de ce mouvement qualifié d’antisioniste reprend alors les mêmes clichés pour l’expliquer. On retrouve l’idée d’influence de la communauté juive sur le plan financier, la force du soutien de la diaspora juive mondiale qui influencerait les chefs d’Etat, etc. En 2008, un professeur d’histoire contemporaine à l’université de Tel-Aviv, Shlomo Sand, publie un livre intitulé « Comment le peuple juif fut inventé » montrant comment des communautés fondent des mythes pour se définir comme peuple (comme tous les autres peuples). Ce livre est fort bien accueilli (au-delà des débats éventuels) par des milieux antisionistes pour dire que la création d’Israël est alors une imposture. Ceux-ci oublient que les sionistes radicaux utilisent les mêmes arguments (la non-existence du peuple palestinien). Sur les musulmans.La représentation négative sur les musulmans se construit de la même manière ; cependant, aujourd’hui, la question de l’Islam reste essentielle dans celle-ci. En France, près de la moitié de la population sondée en 2011 considère les musulmans comme une menace. Comment alors l’expliquer ? Dans « Laïcité entre passion et raison », Jean Baubérot met en avant comme élément fondateur l’affaire du foulard de Creil en 1989 qui prend autant de place dans les médias que la chute du mur de Berlin. Dans un contexte tendu sur la question islamique ( la fatwa de Khomeiny contre les Versets sataniques de Salman Rushdie et la condamnation par certains imams de France de la chanson de Véronique Sanson Allah ), le 06 octobre 1989, le principal du collège refuse à trois jeunes collégiennes de rentrer dans l’établissement parce qu’elles portent un foulard. Le sujet donne naissance à une violente polémique entre :ceux qui refusent toute forme de communautarisme. Ainsi, le philosophe Guy Coq estime que cela traduit une volonté de s’emparer de l’espace de l’école laïque et crée ainsi une compétition entre les communautés religieuses. Pour lui, cela tue l’esprit de l’école soit accueillir l’humain et non le représentant d’une communauté. D’autres comme Régis Debray, Elisabeth Badinter ou Alain Finkielkraut y voir la défaite de l’esprit de l’école, la tolérance et le respect de l’autre. Ils mettent en avant qu’on ne peut accepter au nom de la diversité culturelle les combattants d’une idéologie religieuse. Au nom de la République et de ses valeurs, on refuse cette expression religieuse,ceux qui défendent l’idée d’une volonté intégratrice. Des sociologues ou des politiques comme Alain Touraine ou Harlem Désir pensent que l’école doit accueillir tout le monde et qu’elle peut avec son enseignement combattre les discours les plus récalcitrants à l’intégration.Cette affaire ne trouve qu’une solution juridique imparfaite et ambigüe (on interdit les signes ostentatoires religieux à l’école). Si pour l’école, la question s’est apaisée (la majorité des élèves voilées ont pris l’habitude de retirer le foulard à l’entrée), le débat s’est porté sur d’autres espaces : hôpitaux, lieux publics de toute sorte, universités, et même espace extérieur pour les plus hostiles à ces manifestations religieuses. Parfois, le débat porte sur les signes religieux des autres religions, mais celui-ci est porté par des défenseurs d’une laïcité intransigeante.Cette affaire des foulards de Creil crée alors l’idée d’une laïcité qui était heureuse depuis le conflit sur l’école privée en 1984 : l’Etat prend en compte la réalité et la valeur de cette dernière et ne cherche plus à l’absorber. Or, cette paix semble remise en cause par l’individualisation des comportements sur le plan religieux, notamment de la part des musulmans, les autres confessions semblant se soumettre aux règles communes. Un jeune sikh fut exclu en raison de son sous-turban (mais sa présentation par les médias relève plus de l’anecdotique amusant) : cela a permis au Conseil d’Etat de préciser, à nouveau (après 2004), en 2007 que le signe religieux refusé est celui qui montre l’ostensible de l’appartenance religieuse. Ainsi, les foulards apparaissent comme une remise en cause du collectif, du vivre-ensemble perçu comme le résultat d’un Etat laïque.Cependant, la question est plus complexe. En effet, elle relève plus d’une crise identitaire française. En effet, avant 1914, l’identité française se construit sur un combat laïque et trouve son expression la plus forte à la veille de la guerre. Mais, la guerre et les désenchantements qui la suivent, les conflits violents avant, pendant et après la Seconde guerre mondiale, la défaillance des institutions républicaines lors des crises de la guerre d’Algérie ou de mai 1968, etc. rendent plus fragiles la capacité à définir une identité nationale. Celle-ci trouve alors dans les musulmans un moyen de se rédéfinir. Jean Claude Kaufmann montre comment cette identité s’est reconstruite. Jusqu’à la fin du 20ème siècle, ce sont les institutions qui fixent les bornes de l’identité à travers une morale laïque ; l’individu sait comment se comporter et se construire à travers les chemins fixés par l’Etat. Cependant, l’Etat est devenu simplement gestionnaire et ses institutions se sont désacralisées comme l’école. De fait, c’est l’individu qui doit construire son identité et le collectif apparaît comme secondaire. La religion devient alors un choix possible de vie.Par ailleurs, la question sociale interfère avec le comportement individuel : l’exclusion territoriale et les difficultés d’intégration apparaissent comme des obstacles difficiles à surmonter. C’est pourquoi l’individu se sent rejeté dans le collectif et cherche alors à construire son identité dans un comportement extrême qui permette de l’identifier : la religion est alors un moyen de se distinguer.Les musulmans sont alors plus visibles (même si leur lecture religieuse reste très incomplète et partielle) et perçus comme des perturbateurs d’une identité qui se cherche sur le plan national. Celle-ci montre alors les musulmans comme un opposé, un contraire et si la tolérance n’est pas forcément remise en cause, elle demande une discrétion certaine et une expression religieuse encore plus individualisée. Cette vision oublie la réalité et la diversité des comportements sociaux, économiques et politiques des musulmans ; elle crée des représentations négatives.Bilan : Les représentations négatives des populations ayant une religion différente que la majorité des espaces où elles sont présentes ne s’appuient que rarement sur la religion à proprement dite. Même si les institutions religieuses refusent les discours négatifs, ceux-ci se construisent sur des schémas sociologiques ou identitaires qui prennent prétexte de la différence religieuse.CONCLUSIONLes violences contre les religions sont multiformes (détournement de leurs contenus ce qui permet de construire des images négatives ou de justifier une tentative d’élimination, volonté de les éliminer du champ territorial, politique ou identitaire) et ont des degrés différents (déportation ou massacres, exils, représentations négatives, combats politiques). Elles ont été et restent un champ de l’action, publique ou individuelle.