LAÏCITE, VALEURS DE LA REPUBLIQUE, LIBERTE RELIGIEUSE
Christian Salenson
Un lien étroit unit la laïcité et la liberté religieuse. La laïcité garantit la liberté religieuse. La liberté religieuse fonde la laïcité. Je voudrais montrer l’interaction et l’interdépendance des deux qui agit alors comme un critère de jugement sur l’une et sur l’autre. Je le ferai en rappelant quelques points essentiels sur la laïcité qui à mes yeux au moins sont comme des conditions pour un vivre ensemble, dans l’esprit de la loi de 1905. J’évoquerai plus rapidement les valeurs de la république pour en venir assez vite à la liberté religieuse, son histoire, sa définition, les évolutions et le discours de l’Eglise catholique sur la liberté religieuse. Enfin en conclusion je ferai quelques remarques sur la laïcité et la liberté religieuse dans les établissements
La laïcité
Mais je voudrais rappeler en commençant ce que l’on disait en ouvrant la session et énoncer quelques points. Et tout d’abord la nécessité du politique pour les religions. Les religions ont besoin du politique ; Le politique a besoin de la religion. La laïcité est un principe politique qui gère les opinions philosophiques et les religions dans la société
La séparation et dépendance du politique et du religieux
L’histoire et l’actualité montrent les drames nés de la confusion contre le politique et la religion. La laïcité est une des formes qu’a prise la séparation du politique et du religieux. Cette séparation est de la responsabilité du politique qui doit empêcher les religions de devenir hégémonique et laisser l’État gérer la vie de la société. La séparation est aussi de la responsabilité des religions qui doivent empêcher le politique de vouloir les instrumentaliser. Après les attentats du 11 septembre, l’administration Bush a tenté l’instrumentalisation des confessions chrétiennes contre l’islam, à laquelle Jean Paul II s’est ouvertement opposée en convoquant la deuxième rencontre d’Assise du 24 janvier 2002 et en invitant de nombreux responsables religieux en particulier musulmans et en élaborant ensemble le décalogue de la paix. La séparation du politique et du religieux est une nécessité. Toutefois la séparation n’est ni l’ignorance ni l’exclusion. Le politique et le religieux grandissent à portée l’un de l’autre, un lien très fort les unis qu’il serait aisé de montrer dans l’histoire des religions et l’un a besoin de l’autre particulièrement dans la construction de la paix. L’apartheid du religieux ampute le politique et ne manquerait pas à terme de se retourner contre le politique.
Le politique a besoin du religieux
Les grands problèmes politiques ont une dimension religieuse : la paix par exemple et les religions inspirent les cultures et les sociétés. Parfois des hommes politiques éclairés le reconnaissent et le disent. Ainsi Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur et des cultes en exercice, s’exprimait ainsi il y a quelques mois à Strasbourg : « L’histoire politique ne doit pas nous dissimuler la réalité de certaines filiations. Certes, notre devise républicaine s’adresse à ceux qui croient au ciel, comme ceux à qui n’y croient pas. Pour autant, comme le relevait Jean-Paul II, notre devise nationale, « liberté, égalité, fraternité » rejoint bien à certains égards le message évangélique… » En affirmant cela, il disait ni plus ni moins que le politique, et en l’occurrence la République laïque puise ses valeurs dans les religions[1].
Ainsi la religion inspire le politique lui fournissant des valeurs éthiques susceptibles de devenir des valeurs républicaines, lui rappelant la valeur intrinsèque de l’être humain etc. et cela même lorsque le politique ne reconnaît pas avec la même probité que Bernard Cazeneuve la place prépondérante de la religion. On trouverait cette idée chez le philosophe allemand Jürgen Habermas. Il souligne « l’influence favorable qu’ont effectivement exercée les Églises et les mouvements religieux dans l’instauration ou la défense de la démocratie et des droits de l’homme » et cite entre autres Martin Luther King. Il souligne « les racines profondément religieuse de la plupart des mouvements sociaux et socialistes » [2]. On pourrait allonger la liste et faire valoir l’action politique du pape François se rendant à Lampedusa pour réveiller la conscience humaine sur le drame de la Méditerranée transformée en cimetière, son encyclique sur l’écologie intégrale avant la Cop 21, sa parole pour les migrants… dans une Europe qui est en crise non pas tant économique que culturelle et éthique. Angela Merkel sauve l’honneur de l’Europe !
Le religieux a besoin du politique
La religion a besoin des limites du politique. La religion peut fort bien vouloir instrumentaliser le politique. L’histoire en fournit de nombreux exemples. Il faut, pour le bien de la religion elle-même et de ses adeptes que ses prétentions soient limitées par le politique.
De plus, la religion vise l’Absolu et comporte par nature une part d’irrationalité ! Elle peut se croire et se présenter elle-même comme absolue. Il y a là une des grandes dérives des religions. Le politique doit la circonscrire afin qu’elle ne s’impose pas dans l’espace public de manière hégémonique.
Le politique doit aussi garantir la liberté religieuse de tous, veiller au respect des minorités et au droit de chacun de pratiquer le culte de son choix, particulièrement dans des sociétés pluri religieuses. Le politique veille à l’ordre public et impose aux religions le respect de l’ordre public, de la loi, de l’organisation sociale.
La limite des religions par le politique est une des conditions de la paix sociale mais aussi de la paix des individus, y compris des adeptes de la religion qui trouvent dans le politique une protection vis-à-vis de l’institution religieuse à laquelle ils appartiennent.
Tous laïcs !
La laïcité ne s’oppose pas à la croyance. Il n’y a pas dans la société ceux qui croient et les autres, les « laïcs » comme on l’entend dire parfois. En effet la laïcité en tant que principe juridique s’applique pour tous les citoyens. La République est laïque et donc tous les citoyens sont sous le régime de la laïcité.
Certes le principe de laïcité tel qu’il est inscrit dans la loi de séparation des Eglises et de l’Etat a été porté par des courants qui n’étaient pas religieux, encore que ce point mériterait bien des nuances. Jean Jaurès qui fut auprès d’Aristide Briand le défenseur de la loi de 1905 avait fait sa thèse de philosophie sur la métaphysique et s’il a combattu le cléricalisme, ce fut aussi en fin connaisseur de l’Evangile[3]. Mais enfin la loi a dû être imposée à l’Église catholique qui a refusé de toutes ses forces mais qui a dû s’y soumettre au point de départ contre son gré puis qui y a trouvé son compte et qui aujourd’hui affirme « le caractère positif de la laïcité ». La loi a aussi été imposée aux courants antireligieux comme cela a été rappelé précédemment et le combat n’en fut pas moins difficile que pour l’imposer à l’Eglise.
La laïcité n’est pas la religion de ceux qui sont sans religion. La laïcité doit veiller à ce que tout le monde, ceux qui croient au ciel et ceux qui n’y croit pas[4] selon l’expression d’Aragon, puisse vivre librement dans une société démocratique. Un ministre du gouvernement a été particulièrement maladroit en disant en France la laïcité est la religion de tous les français. Non ! la laïcité n’est ni une religion, ni une opinion de quelques-uns sans quoi on ne voit pas pourquoi cette religion ou cette opinion s’imposerait à tous. On comprend que de tels propos fassent beaucoup de mal à la laïcité. Jean Bauberot, précédemment cité, grand spécialiste de la laïcité en France, titulaire de la chaire « histoire et sociologie de la laïcité à l’Ecole pratique des hautes études, à écrit un ouvrage il y a déjà 10 ans qu’il a intitulé « L’intégrisme républicain contre la laïcité [5]».
Neutralité de l’Etat, pas de la société
La laïcité suppose la neutralité de l’État comme le dit la loi de 1905. « L’Etat ne salarie ni ne subventionne aucun culte ». Voilà pourquoi il est demandé aux agents de l’État de faire preuve de la plus grande neutralité dans l’exercice de leur fonction. Toutefois cette neutralité n’est pas une neutralité de la société. La société n’est pas neutre[6] ! On y débat ! Toutes les opinions et toutes les croyances ont le droit de s’exprimer et de participer au débat démocratique. Or on assiste à une dérive qui voudrait neutraliser l’espace public. Il en va ainsi quand on veut interdire le voile à l’Université. La liberté veut que chacun s’habille comme il veut dans l’espace public et que si le voile gène certaines personnes, cela relève de leur sensibilité et de leurs opinions mais ne peut faire l’objet d’une réglementation puisque cela ne porte pas atteinte à l’ordre public.
Sphère privée, sphère publique
Force est de constater que nous ne sommes pas à l’abri de dérives en ce domaine. Certains verraient d’un bon œil un reflux de la religion dans l’intime des individus, réduisant ainsi la liberté religieuse à la liberté de conscience. L’affirmation récurrente selon laquelle la religion relève du domaine privé instille cette idée fausse. Si on entend par là que chacun a droit à son opinion personnelle et que l’Etat est affranchi de la tutelle des religions, alors cette expression peut se comprendre. En effet l’Eglise catholique qui était de droit public – et même un service public – avant la Séparation des Églises et de l’État est de droit privé, mais elle l’est au même titre que les syndicats ou les partis politiques ou les entreprises. Si on entend par sphère privée que les religions sont renvoyées à l’intime en leur contestant par principe leur action dans la sphère publique, leur participation au débat démocratique, alors cela n’est pas acceptable. Les religions n’ont jamais été du domaine privé, ne serait-ce que parce qu’elles ont un culte, des règles alimentaires ou autres, des manifestations publiques comme des processions, une éthique qui leur fait prendre parti pour les réfugiés en ce moment par exemple etc. qui les font apparaître dans l’espace public. Les religions n’accepteront jamais d’être du domaine privé, ce qui d’ailleurs serait en contradiction avec les droits de l’homme qui énonce que la liberté religieuse se vit « en public et en privé ». Or ce danger existe. On a vu et entendu des journalistes ou des citoyens tout étonnés que certains catholiques manifestent contre la loi dite du mariage pour tous. Indépendamment de l’opinion que l’on peut avoir sur cette loi, les gens ont le droit de manifester au nom de leur religion leur désaccord avec une loi. Après quoi, comme on est dans une démocratie, ils doivent accepter la loi à laquelle eux-mêmes en conscience se soustraient pour leur pratique personnelle. Ce qui n’est pas acceptable est la réaction d’un évêque qui s’est permis de dire qu’une fois votée cette loi ne serait pas légitime. Il a le droit de dire qu’elle n’est pas morale s’il estime que tel est le cas, mais pas de remettre en cause sa légalité.
La reconnaissance par l’Eglise catholique de la laïcité
L’Eglise catholique après avoir refusé la loi de 1905 et la séparation des Eglises et de l’Etat a appris à vivre en régime de laïcité. Dans le même temps la loi de 1905 qui est une loi d’apaisement a protégé l’Eglise catholique contre les courants antireligieux. Ainsi tout au long du XXe siècle la laïcité a guidé les relations entre l’Eglise catholique et l’Etat, prenant des décisions de jurisprudence apaisées. Aussi dans La lettre aux catholiques de France, texte tout à fait officiel, les évêques malgré leur grande diversité ont pu reconnaître son caractère positif :
« A cet égard, la séparation de l’Eglise et de l’Etat, après un siècle d’expérience, peut apparaître comme une solution institutionnelle qui, en permettant effectivement de distinguer ce qui revient « à Dieu » et ce qui revient « à César », offre aux catholiques de France la possibilité d’être des acteurs loyaux de la société civile. Affirmer cela revient à reconnaître le caractère positif de la laïcité, non pas telle qu’elle a été à l’origine, lorsqu’elle se présentait comme une idéologie conquérante et anti-catholique, mais telle qu’elle est devenue après plus d’un siècle d’évolutions culturelles et politiques : un cadre institutionnel, et, en même temps, un état d’esprit qui aide à reconnaître la réalité du fait religieux ».
Conclusion de cette première partie.
Comme éducateurs nous sommes en charge de permettre à des générations d’enfants et de jeunes de pouvoir rentrer dans le monde, à la fois dans le respect de ce monde qui les précède et en même temps en pouvant apporter leur touche originale. Les deux aspects sont essentiels. Nous sommes répondants devant les enfants et les jeunes de ce monde comme le disait Hannah Arendt[7]. Nous devons donc les introduire à cette manière de vivre le rapport de séparation et de complémentarité du politique et du religieux, tel qu’il s’est construit dans la société française et donc les initier à cette dimension politique.
En faisant cela nous ne formons pas des citoyens. Nous formons des hommes et des femmes qui doivent apprendre à vivre non seulement la tolérance envers ceux qui sont différents, non seulement le respect mais à vivre l’altérité. Si nous formons des hommes et des femmes, nous formerons par la même occasion des citoyens, peut-être un peu moins formatés et à l’esprit plus critique[8]. Dans un monde en voie de globalisation dans la Modernité tardive dans laquelle nous nous trouvons, on peut espérer que les générations montantes sauront vivre plus sereinement que les générations actuelles l’altérité culturelle et religieuse. L’an dernier lors de la session sur le fait religieux au féminin, nous avions mis à jour l’interdépendance qu’il y a dans la manière de vivre l’altérité homme/femme, l’altérité culturelle et l’altérité religieuse. L’initiation à la laïcité est une des formes du projet éducatif de l’enseignement catholique en ce qu’on y apprend que l’identité est toujours relationnelle comme le disait Paul Ricoeur.
Les valeurs de la République
La laïcité pourtant ne suffit pas et en cela elle n’est pas à proprement parler une valeur. Il y a une ambiguïté autour du mot valeur qui désigne à la fois des valeurs morales à prétention universelle et les valeurs d’une société donnée à un moment de son histoire et en fonction de son idéologie. J’aime à dire que le travail n’est pas une valeur et encore moins une valeur chrétienne ! Le travail est une valeur de notre société, depuis l’avènements de la Bourgeoisie. Dans les récits fondateurs il apparaîtrait même plutôt comme une punition ! Au Moyen âge l’otium était la valeur prisée plus que le négotium. Un jour, peut-être proche, le travail n’aura plus la valeur sociale qu’il a aujourd’hui. Quand la révélation chrétienne valorise le travail ce n’est jamais le travail pour lui-même mais la création.
La laïcité n’est pas une valeur morale. Elle est un principe juridique et une manière d’être qui se présente comme une valeur sociale. Elle ne relève pas de l’éthique mais de l’ethos d’une société. Aussi elle a besoin de se vivre dans un contexte plus large qui lui donne du sens et là on peut parler de valeur quand on parle des valeurs de la République : liberté, égalité, fraternité. On ne vit pas durablement sur des principes juridiques, pas plus que sur des lois ou des règlements inflationnistes en notre temps. Aussi utiles soient-ils, ils ne sont pas suffisants. Cela vaut aussi pour les règlements intérieurs dans les établissements scolaires. La République a besoin pour vivre et pour avoir du souffle de se donner des valeurs. Les citoyens ont besoin d’avoir intégré ces valeurs. Ces valeurs elle les affiche au fronton des mairies et des bâtiments publics : liberté, égalité, fraternité.
L’enseignement catholique a tout pour être à l’aise avec la devise républicaine puisque ces valeurs font partie de l’anthropologie chrétienne qu’elles fondent pour une part son projet éducatif. Jean Pierre Chevènement qui n’est pas soupçonnable de collusion avec l’Eglise catholique l’avait dit en son temps, lorsqu’il était ministre de l’intérieur et des cultes :
« Les valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité qui ont inspiré le combat républicain sont pour une large part des valeurs chrétiennes laïcisées. La liberté et surtout l’égalité sont largement des inventions chrétiennes. S’agissant de l’égalité, on ne peut qu’admettre l’audace à proprement parler révolutionnaire des Evangiles, faisant surgir cette idée neuve, contraire à toutes les normes et les idées d’un monde romain à la culture fortement hellénisée. Quant à la fraternité, elle est une traduction, à peine une adaptation, de l’agapé du Nouveau testament.[9] »
Bernard Cazeneuve, précédemment cité, a récidivé lors des états généraux du christianisme à Strasbourg où il était invité. Dans une déclaration courageuse qui a dû lui valoir quelques remarques, il évoque les trois valeurs républicaines en regard de la révélation chrétienne, montrant d’ailleurs une connaissance du christianisme que beaucoup pourraient lui envier :
« Des figures telles que celle du Pasteur Dietrich BONHOEFFER ont magnifiquement témoigné de cet amour chrétien de la liberté, acceptant de subir le martyre plutôt que d’abdiquer face à la barbarie nazie.
De même, quand Saint Paul écrit aux Galates : « Il n’y a plus ni juif ni grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus l’homme et la femme, car tous, vous ne faites plus qu’un », comment ne pas y voir la racine première de l’égalité républicaine de tous devant la loi ?
Quant à la fraternité républicaine, elle est l’expression politique de la grande question biblique “Qu’as-tu fait de ton frère?”.
…Faire vivre les valeurs républicaines, qui sont aussi largement celles de l’évangile, constitue pour moi l’une des clés de ce renouveau que vous (les chrétiens) vous appelez de vos vœux. Même si elle est marquée par la sécularisation comme tous les pays occidentaux, même si elle a accueilli sur son sol les croyants de toutes confessions, qui contribuent eux aussi à sa richesse culturelle, la France est historiquement un pays de tradition chrétienne…
…Je n’ignore pas qu’en tenant de tels propos, je m’expose aux critiques de ceux qui estiment que la laïcité consiste pour l’État et ses représentants à ignorer l’existence du fait religieux, à redouter ses effets ou même à restreindre son expression dans l’espace public.
Telle n’est pas ma conception. Telle n’était pas non plus la conception des inspirateurs de la loi de 1905, je pense à Aristide BRIAND ou à Jean JAURES, qui désiraient une loi d’apaisement… « La Laïcité, comme l’a très bien dit Émile POULAT, c’est une société qui donne place à tous. »
…La laïcité n’interdit ni le dialogue, ni le respect mutuel entre l’État et les responsables des cultes. Je suis personnellement très attaché à ce dialogue… »
Conclusion de cette deuxième partie
Comme on l’évoquait dans l’ouverture de la session, les valeurs ne s’enseignent pas. On initie à des valeurs. On en fait l’apprentissage en les vivant. Elles ne sont pas un savoir qu’il suffirait d’enseigner pour qu’il soit effectif. Aussi pour initier à ces valeurs il faut qu’elles soient vécues, au moins partiellement. Tout le monde connaît ces valeurs mais tout le monde n’est pas initié à les vivre. Si certains les rejettent, cela peut venir du décalage trop grand entre ce discours et la réalité vécue. On peut même penser que marteler ce discours, à l’encontre de la réalité vécue ou perçue comme telle, pourrait produire l’effet inverse…
Aussi dans l’école, la manière dont les valeurs républicaines sont vécues est la condition essentielle pour que des enfants et des jeunes soient initiés à ces valeurs fondatrices de la République : l’éducation progressive à la liberté est plus importante que le confort du règlement ; apprentissage de l’égalité à laquelle les enfants et les jeunes sont très sensibles par un sens aigu de la justice ; initiation à la fraternité filles, garçons, entre cultures et religions, entre milieux sociaux quand on a la chance d’avoir de la mixité sociale.
III- La liberté religieuse
Le troisième volet de cette intervention porte sur la liberté religieuse. Elle a des racines lointaines dans l’histoire et sans anachronismes à condition de mettre les distinctions qui s’imposent, on peut remonter probablement jusqu’à Constantin.
Constantin et l’Édit de Milan
Constantin est l’auteur avec Licinius de l’Édit de Milan en février 2013. Cet événement politique majeur intervient au moment où Constantin[10] a été vainqueur de Maxence[11] au pont Milvius et est devenu de ce fait seul maitre de l’Occident et où Licinius[12] a été vainqueur de son côté de Maximin Daïa[13] et est devenu le seul maitre de l’Orient. Les deux empereurs se sont rencontrés à Milan et ont pris des décisions. Ainsi dans les rescrit de Licinius[14] lit-on : « Pendant que nous étions heureusement réunis à Milan, moi Constantin Auguste et moi Licinius Auguste, et que nous traitions ensemble de tout ce qui a rapport à l’intérêt et à la sécurité de l’État, parmi les choses qui nous sont apparues utiles au plus grand nombre, nous crûmes devoir assigner le premier rang à ce qui concerne le culte de la divinité[15] ».
Ainsi entrain de régler des questions politiques, la question religieuse leur paraît déterminante et ils vont mettre un terme aux persécutions dont régulièrement les chrétiens étaient victimes[16]. En effet l’Empire romain pratiquait une certaine liberté religieuse et laissait aux peuples conquis le droit de pratiquer leur culte et d’adorer leurs dieux. Il y avait cependant une double condition à cela : il fallait que ce soit les dieux d’un peuple et donc cette autorisation relevait d’un critère d’ethnicité et d’autre part que ce culte soit une tradition ancestrale. Or la religion chrétienne n’était pas liée à un peuple particulier depuis la séparation des chrétiens et des juifs au second siècle et que d’autre part elle manquait d’ancestralité pour la même raison. L’empire pouvait donc garantir la liberté religieuse des juifs car leur religion répondait à ces deux critères mais pas celle des chrétiens. Ainsi les chrétiens constituaient une anomalie juridique[17].
L’Édit de Milan est très novateur. Il déclare la liberté religieuse comme un droit de la personne[18]. Désormais chacun peut pratiquer la religion de son choix. Le texte le dit clairement : « C’est pourquoi nous avons cru, dans un dessein salutaire et très droit, devoir prendre la décision de ne refuser cette possibilité à quiconque, qu’il ait attaché son âme à la religion des chrétiens ou à celle qu’il croit lui convenir le mieux… ».
Cette liberté n’est pas réservée aux chrétiens. « La même possibilité d’observer leur religion et leur culte est concédée aux autres citoyens ouvertement et librement comme il convient à notre époque de paix … Ce qui a dicté notre action, c’est la volonté de ne pas paraître avoir apporté la moindre restriction à aucun culte ni à aucune religion ».
Un droit de la personne
L’Édit de Milan permet à la religion chrétienne une existence publique. Il demande que l’on rende les lieux de culte ou les édifices confisqués. Il offre donc une liberté de culte aux chrétiens et aux autres cultes, nombreux dans l’empire. Chacun peut désormais changer de religion et se convertir, avoir la liberté de conscience et la liberté de croyance ainsi que la liberté de culte. Désormais il n’y a plus ni restriction, ni exclusion, ni discrimination[19].
L’Édit de Milan ne fait pas du christianisme la religion d’État, comme on l’a eu dit parfois. Il faudra attendre pour cela l’empereur Théodose[20]. Cela ne dura pas longtemps. On a pu écrire de lui que ce fut comme un « départ manqué [21]». « Il avait la fraicheur d’une rose ; il en eut la destinée et la durée », dit Emile Poulat.[22]
Il faudra attendre la Déclaration des droits de l’homme en 1948 pour que soit clairement affichée la liberté religieuse comme une liberté fondamentale de l’être humain et dans l’Église catholique la Déclaration conciliaire Dignitatis humanis, en 1965.
La liberté religieuse à la période moderne …
Ce fut l’état de Virginie qui le premier adopta un texte qui instaure la liberté religieuse, en 1786[23]. En France, la liberté religieuse est évoquée dans l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. » Ce qui a représenté un progrès majeur pour la liberté, en particulier à ce moment là pour les juifs. Il n’en alla pas de même pour les musulmans dans les colonies[24].
La loi de séparation des Églises et de l’État en 1905, dit que « la République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public. » Selon l’article 1 de la Constitution française de 1958, « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. ». Il faut noter que dans ce dernier texte on parle de la liberté de croyance et non de la liberté de religion. Ces différentes déclarations ne mentionnent pas explicitement la liberté religieuse ou la liberté de religion qui comprend non seulement le droit à la liberté de conscience, le droit à la liberté de culte mais aussi le droit à l’enseignement des religions par exemple. De ce point de vue la Convention européenne des droits de l’homme est plus explicite et plus avancée que les textes français. Elle reprend dans son article 9 en l’amendant, l’article 18 de la Déclaration Universelle : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites. »
Tout cela constitue d’authentiques évolutions du point de vue politique. Mais que se passe-t-il à ce moment-là du côté de l’Eglise catholique ?
L’évolution de l’Église à la période moderne.
La condamnation
Pie IX nous fournira un bon point de départ pour comprendre cette évolution. En effet dans l’encyclique Quanta Cura, en 1864 citant son prédécesseur Grégoire XVI, il disait que c’était « un délire ! » Qu’est-ce qui est un délire ? de penser que la liberté de conscience et des cultes est un droit propre à chaque homme ; qu’il doit être proclamé et assumé dans tout État bien constitué, et que les citoyens ont droit à la pleine liberté de manifester hautement et publiquement leurs opinions quelles qu’elles soient, par la parole l’imprimé ou autrement, sans que l’autorité ecclésiastique ou civile puisse le réprimer [25]». Le propos est sans équivoque : la liberté de conscience et la liberté de culte sont proprement impensables.
Un siècle après, les Pères du concile Vatican II voteront la déclaration Dignitatis humanae sera aux antipodes de cette affirmation. Nous devons essayer de comprendre sur quoi va se jouer l’évolution.
Pourquoi cette condamnation ?
La liberté de conscience fait de la conscience, une conscience sans loi, consciencia ex lex, ce que condamna Léon XIII. Affirmer que la conscience est libre était une manière de nier un ordre moral transcendant et faire de la seule raison humaine « l’unique arbitre du vrai et du faux, du bien et du mal », comme le dit le Syllabus[26].
A cette condamnation de la liberté de conscience, il faut ajouter encore la condamnation de la liberté de culte. Pourquoi ? Parce que l’État autorise une pluralité de cultes et de religions, il se fait le seul juge et s’octroie des droits sur la vérité exorbitant puisqu’il décide si une religion est vraie ou ne l’est pas, peut avoir un culte public ou ne pas en avoir.
D’autre part l’Eglise a combattu longtemps contre les droits de l’homme parce qu’elle estimait qu’il y avait des droits supérieurs que sont les droits de Dieu.
Nous devons ajouter que tout cela se vivait dans un contexte polémique qui ne permettait pas le recul nécessaire. De plus même dans des pays comme la France affirmaient théoriquement la liberté de conscience et d’opinions, ils craignaient que les citoyens en usent en s’affirmant anarchistes, en refusant de combattre pour la nation, ou en manifestant leur hostilité à des valeurs républicaines.
L’évolution
Comment passe-t-on de Quanta cura à Dignitatis humanae ? Ne croyons pas qu’une religion évolue essentiellement par les pressions externes. Elle évolue essentiellement en trouvant des nouvelles cohérences internes.
La pape Léon XIII (1878-1903) posera quelques fondements que l’on peut brièvement résumer. Alors qu’il vit en plein moment de la séparation de l’Église et de l’État, il affirme d’abord la liberté de l’Église dont il sera un ardent défenseur. Ce faisant, il pose aussi en même temps la liberté de l’État et des gouvernants : « Il est de toute évidence que les chefs d’État sont libres dans l’exercice de leur pouvoir de gouvernement et que non seulement l’Église ne répugne pas à cette liberté mais qu’elle la seconde de toutes ses forces ».
Il combat dans le même temps toutes les formes du cléricalisme ad intra. L’Église n’appartient pas à un parti politique. Il s’opposera farouchement à la droite catholique monarchiste française et demandera « le ralliement à la République » attitude que beaucoup ne comprirent pas[27] !
Dans le même temps il affirme l’incompétence de l’État en matière religieuse qui n’a pas à interférer dans le fonctionnement de l’Église mais simplement à en assurer la liberté.
Cette doctrine de Léon XIII a contribué à préparer le terrain même si après homme de son temps, il ne tira pas toutes les conséquences de ces prémices et prit la défense d’un État confessionnel.
Pie XI (1922-1939) est confronté aux deux grandes idéologies que furent le nazisme et le communisme. Cela le conduisit à se prononcer plusieurs fois pour les droits de la personne. Ainsi par rapport au nazisme il écrivit : « l’homme comme personne possède des droits qu’il tient de Dieu et qui doivent demeurer vis-à-vis de la communauté hors de toute atteinte qui tendrait à les nier, à les abolir ou à les négliger[28] » Et dans l’encyclique Divini Redemptoris, il affirme que le vice profond de l’idéologie communiste est « qu’elle dénigre et méconnait les droits de la personne humaine, sa dignité et sa liberté [29]». Les bases étaient posées.
Le pape Jean XXIII reprenant ce qu’avait dit Pie XII sur le fondement juridique de l’État va aborder plus explicitement la question de la liberté personnelle et ne craint pas dans Pacem in terris de noter positivement ces évolutions de droit : « les hommes de notre temps ont acquis une conscience plus vive de leur dignité ; ce qui les amène à prendre une part active aux affaires publiques et à exiger que les stipulations du droit positif des États garantissent l’inviolabilité de leurs droits personnels… [30]»
Que dit Dignitatis humanae ?
Le concile Vatican II au n° 2 « déclare que la personne humaine a droit à la liberté religieuse ». En quoi consiste cette liberté ? « En ce que tous les hommes doivent être soustraits à toute contrainte de la part soit des individus, soit des groupes sociaux et de quelque pouvoir humain que ce soit, de telle sorte qu’en matière religieuse nul ne soit, dans de justes limites, forcé d’agir contre sa conscience, en privé comme en public, seul ou associé à d’autres. »
Les Pères conciliaires trouvèrent assez vite sur ce sujet un terrain d’entente à l’exception d’une minorité que l’on retrouvera après le concile et qui restera opposée à cette déclaration. Un débat pourtant les animait : est-ce que cette liberté est un droit positif comme le disait Jean XIII, ou bien un droit naturel. Par droit positif on entend la nécessité d’avoir des règles pour gérer la pluralité religieuse dans la société. La reconnaissance de la liberté religieuse se fait pour le bien de tous. Les tenants du droit naturel allaient beaucoup plus loin dans la reconnaissance de cette liberté religieuse puisqu’elle relevait de « La dignité même de la personne humaine ».
Ce fut ce dernier point de vue qui finit par recueillir l’assentiment de l’immense majorité de l’assemblée conciliaire. Le texte ajoute alors que ce droit doit être reconnu dans la société et qu’il devient alors un droit civil. Il prend la forme juridique d’un droit civil et demeure dans sa nature un droit fondamental[31].
La liberté religieuse ne dépend en rien des contenus de croyances.
Le second point que nous devons relever dans la déclaration est donc que la liberté religieuse ne dépend en rien des contenus de croyances, ou des rapports qu’un sujet entretient avec le divin. Ce droit est un droit qui se rapporte exclusivement à la personne dans sa dignité. Il est pourrait-on dire a priori.
Sur cette base, personne ne peut être contraint d’agir contre sa conscience mais aussi personne ne peut être empêché, y compris dans l’Église. Ce qui a des conséquences que l’on ne dit pas assez sur la capacité de tout un chacun de se déterminer ultimement en conscience y compris lorsque cela va à l’encontre de ce que demande l’Église. La décision morale n’est pas dans l’application de la loi mais dans le fait de suivre les dictées de sa conscience.
Liberté religieuse pour tous
Ceci implique que les êtres humains ne soient pas empêchés d’accomplir des actes extérieurs de culte individuels et communautaires, privés ou publics, de manifester et de diffuser une conviction à contenu religieux, de soumettre aux principes de leur foi toutes leurs activités
Cette liberté religieuse, dans la Déclaration, s’applique à tous les êtres humains : les croyants et les non-croyants. Elle se vit en privé et en public. Ceci signifie que la liberté religieuse se traduit dans une liberté de culte, publiquement affiché et aussi dans toutes sortes de manifestations publiques de la croyance, et en particulier par la participation au débat démocratique aussi comme croyant. Cette liberté religieuse qui est un droit de la personne est donc reconnue lorsque les individus agissent ensemble, et donc aux collectivités religieuses.
Et la vérité ?
Que devient la vérité dans cette déclaration sur la liberté religieuse. L’Eglise refusait la liberté au nom de de la vérité qu’elle affirmait détenir. L’Eglise va désormais défendre la liberté toujours au nom de la vérité, parce que la vérité pour être recherchée a besoin de la liberté. En affirmant que « La vérité ne s’impose que par la force de la vérité elle-même qui pénètre l’esprit avec autant de douceur que de puissance [32]», l’Eglise reconnaît que ce qu’elle considère comme la vérité ne saurait s’imposer en aucune manière. Et que « Si l’erreur n’a aucun droit la personne a des droits même quand elle se trompe[33] »
Laïcité, liberté religieuse et enseignement catholique
La laïcité n’est pas une valeur éthique. Elle n’est pas non plus un droit fondamental de la personne humaine. Beaucoup d’autres pays ne vivent pas sous le régime de la laïcité. Ils n’en sont pas moins des pays démocratiques avec des valeurs et dans le respect des droits humains.
Elle est une valeur sociale, un éthos qui se vit dans la société française et qui marque son histoire. Elle est donc dans sa nature et dans l’esprit de la loi de 1905, un principe juridique et un état d’esprit qui garantit à tous la liberté de croire ou de ne pas croire, de pratiquer sa religion ou non, d’exprimer publiquement ses croyances et de manifester publiquement sa religion.
Ce principe juridique qui depuis un siècle organise la vie de la société française a son fondement dans la liberté religieuse reconnue aujourd’hui comme un droit humain fondamental et inaliénable. La laïcité, me semble-t-il, est donc sous le regard de la liberté religieuse qu’elle permet de vivre dans la société française mais aussi à laquelle elle doit rendre des comptes. Je n’ignore pas que cette opinion est contestée par ceux qui pensent que la religion est une aliénation et que donc la liberté religieuse ne s’applique pas. Certains comme Michel Onfray prône même non pas un Etat neutre mais un Etat athée. Tout cela n’est pas dans la loi et dans l’esprit de la loi de 1905 qui, en salariant des aumôniers de prisons d’hôpitaux et de lycées entendait tout mettre en œuvre pour que les croyants puissent pratiquer leur religion.
L’enseignement catholique doit garantir la liberté religieuse des enfants et des jeunes pour deux raisons au moins. En agissant ainsi, alors qu’il participe au service public de l’éducation, il s’inscrit dans la laïcité républicaine. D’autre part, en agissant ainsi il est fidèle à l’enseignement de l’Eglise catholique à laquelle il appartient et qui veut que l’on respecte la liberté religieuse, non seulement la liberté de conscience mais encore la liberté de culte et la liberté d’enseignement des religions. Cette déclaration de principe à laquelle tout le monde peut souscrire est démentie dans certaines pratiques encore actuelles : Envoyer tout le monde à la messe est un manquement grave à la liberté religieuse ! II ne respecte pas l’enseignement de l’Eglise et quand on le justifie en disant que la messe c’est culturel, on bafoue la messe, qui est « la source et le sommet de la vie chrétienne », qui est pour les chrétiens, et dont je rappelle que dans la tradition de l’Eglise, les catéchumènes eux-mêmes ne pouvaient y avoir accès.
L’enseignement catholique doit garantir la liberté religieuse de ceux qui croient en la foi chrétienne en leur donnant les moyens de connaître et de vivre leur foi. Elle doit garantir la liberté de ceux qui ne croient pas et de ceux qui croient en étant d’autres religions. Nous n’en avons pas fini avec cette question. La liberté religieuse, comme la laïcité ne sont pas des attitudes d’abstention ou de neutralité (seul l’Etat est neutre) mais des attitudes positives qui veulent promouvoir, selon le principe de la laïcité, la liberté religieuse comme liberté de conscience, liberté de culte, liberté d’enseignement. Je ne connais pas d’établissement qui puisse se satisfaire de la réponse qu’il apporte aujourd’hui à cette question. La plupart respectent la liberté de conscience. Mais qu’en est-il de la liberté de connaître la religion ? Nous pouvons poser ces questions dans l’enseignement catholique ! Est-ce que dans les établissements nous permettons à tous de pouvoir connaître sa religion ? L’École a pratiqué pendant des décennies une laïcité d’abstention comme dit régis Debray, qui ne se justifie plus aujourd’hui. Est-ce que chacun n’a pas le droit à un enseignement avec un regard critique de sa religion et de la religion de l’autre ? L’Ecole sort de cette incompétence là pour passer à une laïcité de compétence toujours dans le langage de Régis Debray par l’enseignement du fait religieux dans les disciplines. Est-ce suffisant ? Nous livrons de jeunes générations qui n’ont aucune connaissance de leur religion en pâture à n’importe quel discours de radicalisation qui est d’autant plus efficace qu’il rencontre l’ignorance. La même ignorance autorise toutes les caricatures et toutes les présentations fondamentalistes de l’islam.
Mais la laïcité vient rejoindre les pratiques éducatives. La laïcité n’est pas un but en soit. A l’École, elle est un moyen pédagogique et elle inspire la pédagogie. La laïcité vise une fin supérieure qui est celle d’un « vivre ensemble ». Or ce vivre ensemble ne peut se satisfaire ni durer uniquement par la tolérance qui est souvent une forme d’abstention. Le « vivre ensemble » n’est pas non plus une volonté d’intégration et encore moins lorsque ce discours se fait violent en prônant l’assimilation qui viserait à l’uniformité. Le « vivre ensemble » suppose la différence et l’encourage. L’éducation à la laïcité se présente alors comme un formidable chemin d’éducation par un véritable apprentissage de l’altérité.
Il est bon que la République interpelle l’Ecole et que l’enseignement catholique s’inscrive dans la grande mobilisation de la République. Il est tout autant nécessaire qu’elle le fasse avec son génie propre, son patrimoine éducatif, son anthropologie, et la formidable capacité créatrice que lui autorise son caractère propre. L’École catholique a des marges de liberté mais la liberté s’use quand on ne s’en sert pas !
[1] Bernard Cazeneuve, le discours de clôture des débats aux États généraux du christianisme, organisés par La Vie dans la cathédrale de Strasbourg. Octobre 2015.
[2] Jürgen Habermas, « religion et sphère publique », Entre naturalisme et religion, les défis de la démocratie, NRF essais Gallimard. P. 182-183.
[3] Eric et Sophie Vinson, Jaurès le prophète, mystique et politique d’un combattant républicain, Albin Michel, 2014. Il a écrit une thèse en métaphysique, De la réalité du monde sensible, publiée en 1891. Il passe l’agrégation de philosophie en 1881 et est classé troisième derrière Bergson.
[4] Louis Aragon, Les yeux d’Elsa, « la rose et le réséda ».
[5] Jean Bauberot, L’intégrisme républicain contre la laïcité, Ed. de l’Aube, 2006. cole…ans l’ la réalité vécue.
les valeurs est trop souvent démentis dans les faits et que le décalage est trop grand entre cole…ans l’ la réalité vécue.
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[6] Cardinal Jean-pierre Ricard, Laïcité de l’Etat, laïcité de la société, conférence prononcée à Rome, le 27 septembre 2012.
[7] Hannah Arendt, la crise de la culture.
[8] Débat Robespierre / Condorcet.
[9] Jean Pierre Chevènement La laïcité positive fait partie du message de l’Europe allocution prononcée à Strasbourg le 23 novembre 1997.
[10] Empereur de 306-337.
[11] Empereur de 308 à 312
[12] Empereur de 308 à 324.
[13] Empereur de 310 à 313.
[14] En ce qui concerne l’Edit de Milan, Nous possédons deux versions, un rescrit en latin de Licinius, transmis par Lactance qui vivait à la cour impériale et un rescrit en grec pour les fonctionnaires de Palestine qu’Eusèbe de Césarée a conservé.
[15] Lactance, De mortibus persecutorum, XLVIII, 2-8.
[16] Cette politique religieuse des deux empereurs a des antécédents dans les décennies précédentes et ne constitue pas de ce fait une nouveauté radicale. Le père de Constantin, Constantin Chlore avait déjà pratiqué une politique de tolérance religieuse envers les chrétiens, de même Maxence en Italie et en Afrique etl déjà Constantin en Gaule. Il en allait différemment pour Maximin Gaia qui poursuivait une politique de persécution.
[17] En 311 l’édit de l’empereur Galère essaya de résoudre cette anomalie juridique. Il intégrait la religion chrétienne bien qu’elle ne soit pas celle d’un peuple, en faisant des chrétiens une exception religieuse. Moyennant quoi les chrétiens devront prier pour l’empereur. « Ils manifestent ainsi publiquement leur adhésion à la communauté du bien commun [17]»
[18] Marie-Françoise Baslez, « Le tournant constantinien », Le monde de la Bible, Hors série, printemps 2013.
[19] On s’est interrogé sur les raisons de cette véritable politique de tolérance et en particulier sur les raisons religieuses de cet Edit. Constantin n’est probablement pas aussi chrétien que ce que l’on a dit postérieurement. Il adore aussi le sol invictus. Il est plutôt hénothéiste.
[20] Les empereurs Théodose, pour l’Empire d’Orient et Gratien, pour l’Empire d’Occident, tous deux chrétiens, font de la foi catholique l’unique religion officielle et obligatoire de l’État, par l’Édit du 28 février 380, dit l’édit de Thessalonique : « Tous les peuples doivent se rallier à la foi transmise aux Romains par l’apôtre Pierre, celle que reconnaissent le pontife Damase et Pierre, l’évêque d’Alexandrie, c’est-à-dire la Sainte Trinité du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Les suites de l’Édit sont catastrophiques pour les tenants des anciens cultes païens.
[21] Cardinal Scola, « Les 1700 ans de l’Édit de Milan », La Documentation catholique, 3 février 2013, n° 2505, p. 119.
[22] Emile Poulat, Liberté et laïcité, Paris, Cerf, 1987, p. 69. Les faits sont là qui l’attestent : après la mort de Constantin : en 356, peine de mort pour ceux qui adorent les idoles ; 380 Édit de Thessalonique, le christianisme déclaré seule religion d’État ; 392 défense d’honorer les pénates ; 395 défense de se promener autour des temples païens ; 435 ordre de démolir les temples païens qui subsistent encore.
[23] Un amendement de 1791 stipule que « Le Congrès ne fera aucune loi accordant une préférence à une religion ou en interdisant le libre exercice, restreignant la liberté d’expression, la liberté de la presse ou le droit des citoyens de se réunir pacifiquement et d’adresser à l’État des pétitions pour obtenir réparation de torts subis. » Chaque année, une journée, le 16 janvier est proclamée jour national de la liberté religieuse.
[24] La différence entre la déclaration américaine et la déclaration des droits de l’homme est intéressante à remarquer. Dans la déclaration américaine Dieu est l’auteur des droits de l’homme et le garant de ces droits. Mais les révolutionnaires de 1789 ne pouvaient pas prendre ce risque car il fallait s’émanciper du monopole de la religion catholique qui était la seule religion depuis la révocation de l’Edit de Nantes par l’Edit de Fontainebleau en 1765, ce qui n’était pas le cas dans l’Amérique de la fin du XVIIe. Dire que Dieu est l’auteur des droits donnait un rôle trop important à l’Eglise catholique. Ils ont donc été déclarés en présence de l’Etre suprême faisant de celui-ci une sorte de président de séance, de témoin muet.
[25] Pie IX, Quanta cura, 8 décembre 1864.
[26] Pie IX, Syllabus, 1864.
[27] Le cardinal de Cabrières, cardinal de Montpellier par exemple qui se rendit à Rome pour demander des explications.
[28] Pie XI, Sur la situation de l’Église dans l’Empire allemand, 14 mars 1937.
[29] Encyclique sur le communisme athée , 19 mars 1937.
[30] Jean XXIII, Pacem in terris, n° 79.
[31] Il faut cependant dire qu’une minorité s’est opposée jusqu’au bout à cette conception du droit à la liberté religieuse. Ceux qui pensaient qu’en déclarant cela on donnait des droits à l’erreur au détriment de la vérité. Ainsi chacun en agissant selon sa conscience propre peut croire en de fausses divinités ou se comporter en se détournant du bien. Or l’Erreur n’a pas de droit.
[32] n° 1
[33] Cardinal Scola, Documentation catholique, n° 2505, 3 février 2013, p. 120.