Laïcité et liberté religieuse
Ouverture de la session par Christian Salenson
Cette session participe a la promotion de la laïcité et des valeurs de la République au sein des établissements. L’enseignement catholique s’inscrit dans « la grande mobilisation pour les valeurs de la République » voulue par le gouvernement français au lendemain des attentats contre Charlie Hebdo et l’hyper Casher en janvier 2015. Texte de Balmant « L’un de ses postulats réside dans l’idée selon laquelle la laïcité ne constitue pas un projet de société, mais représente plutôt l’une des conditions de mise en œuvre de ce projet. Elle pourrait en effet se définir comme le principe politique et les conditions juridiques qui permettent la coexistence et plus encore la rencontre entre des personnes et des groupes d’identités différentes. Elle constitue un espace d’universalité fondé sur le respect de toutes les particularités ; elle vise en cela à empêcher ces particularités de se transformer en particularismes ; elle nécessite que chaque ancrage accepte la légitimité d’autres ancrages ; elle appelle donc l’ouverture à l’altérité. »
Nous n’avons pas d’état d’âme sur la la laïcité. Certes il nous faudra nous en expliquer car nous voyons bien que divers courants la traversent et même qu’elle est objet de stratégies politiciennes. Mais en ce début de session permettez-nous de rappeler l’engagement de l’Eglise qui reconnaît « le caractère positif de la laïcité », selon les termes même des évêques dans La lettre aux catholiques de France. L’enseignement catholique s’inscrit donc dans une approche positive de la laïcité, restant sauf le fait que celle-ci soit bien dans le prolongement de la loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État. Rappelons que la loi de 1905 fut voulue comme une loi d’apaisement entre des factions opposées, les courants antireligieux d’une part et d’autre part une Eglise nostalgique d’Ancien régime et en délicatesse avec la République. Cette loi a toujours reçu une interprétation positive tout au long du siècle dernier.
Oui à la laïcité
En même temps l’enseignement catholique ne peut se contenter de répéter comme un mantra ce mot de laïcité : laïcité, laïcité, laïcité. Pour le dire simplement : « éduquer à la laïcité » ne suffit pas et la question ne se pose pas dans l’enseignement catholique exactement en ces termes. Si l’enseignement catholique se mobilise sans problèmes pour les valeurs de la République et la laïcité, il ne peut le faire que selon son génie propre, garant de la sincérité de son engagement. Certes l’éducation à la laïcité est nécessaire mais elle n’est pas suffisante ou plus exactement elle ne suffit pas à elle-même. La question qui se pose à nous : que signifie éduquer à la laïcité dans l’enseignement catholique ? Certains pourraient voir dans cette formulation comme une restriction, une prudence qui dissimulerait des arrières pensées, des conditions posées à la laïcité que sais-je encore ? Il ne s’agit pas pour nous de réduire la laïcité ou de l’interpréter à notre manière mais de se ressaisir de ce beau principe républicain dans le caractère propre, de le croiser avec notre riche patrimoine éducatif et ainsi d’éduquer à la laïcité dans la cohérence éducative de l’enseignement catholique.
Rappelons que nous sommes détenteurs d’un riche patrimoine éducatif multiséculaire. L’enseignement catholique aujourd’hui est porteur de cette grande tradition dont il se nourrit, de l’audace de congrégations qui souvent dans des conditions difficiles et parfois contre les mentalités du temps ont fondé des établissements d’enseignement pour éduquer des enfants et des jeunes qui n’avaient pas accès à l’instruction réservée à quelques-uns. Des établissements furent créés pour des enfants de milieux sociaux défavorisées ou bien encore pour des jeunes filles qui en ces temps n’avaient pas droit à l’instruction réservée aux garçons. Elles ont participé à élever le niveau d’instruction au cours de l’histoire. Aucune nostalgie en évoquant cette belle histoire et on ne peut que se réjouir que l’éducation soit nationale et que la République assure ce service de la nation. Mais en rappelant cela, je ne fais que rappeler que s’est élaboré peu à peu un patrimoine éducatif dont nous héritons. Nous n’en avons pas fini d’aller puiser dans cette tradition, du neuf et de l’ancien, pour inventer aujourd’hui à frais nouveaux l’École dont nous avons besoin.
Ce patrimoine éducatif est l’expression d’une anthropologie chrétienne dont les fondements sont un respect absolu non pas uniquement de l’élève mais de la personne humaine, considérée comme sacrée et un sens de l’échec qui fait croire en une vie toujours possible. Cette espérance est un des piliers de l’anthropologie chrétienne et de l’éducation.
Voilà pourquoi le oui inconditionnel dit à la laïcité n’en est que plus fort dès lors qu’il n’est pas une concession faite à une régime politique particulier mais qu’il se trouve ressaisi dans l’anthropologie chrétienne et dans l’éducation que l’enseignement catholique se sent appelé à promouvoir. La question devient alors : en quoi éduquer à la laïcité fait sens aujourd’hui dans la conception de l’homme et du monde qui font le caractère propre. Et la réponse nous conduit alors vers une éducation à la laïcité qui loin d’être un repli quelconque ouvre sur une éducation à l’altérité que nous appelons de nos vœux. Le Oui dit à la laïcité est un oui dit à l’altérité. La capacité à vivre l’altérité est un des enjeux majeurs de la société pour aujourd’hui, à distance tout aussi bien du communautarisme que l’assimilationisme. Cette aptitude d’ouverture à l’autre est un des enjeux majeurs de la présence de la France dans le monde plus conséquente, alors que la tentation de l’égoïsme européen rend tous les jours plus fragile la construction européenne. Elle est un enjeu majeur de la croissance des individus non dans des identités closes, de sexe, de culture ou de religion mais dans des identités ouvertes, condition nécessaire pour une ouverture à la transcendance.
Les valeurs de la République
L’autre aspect que nous aurons à considérer durant cette session a trait aux valeurs de la République. On sait la préoccupation des dirigeants politiques d’éduquer à ces valeurs qui sont le fondement du pacte républicain. L’enseignement catholique comprend et soutient cette éducation, conscient des enjeux politiques pour la vie de la cité. Comme pour la laïcité, les valeurs de la République ne peuvent être juxtaposées mais doivent être reprises dans le projet éducatif de l’enseignement catholique. Deux préoccupations pourraient nous guider. D’abord qu’il ne suffit pas d’enseigner ces valeurs pour éduquer à ces valeurs. Pour le dire autrement, la transmission des valeurs, en règle générale, ne se fait pas d’abord par l’enseignement mais par mode d’initiation et/ou d’apprentissage. Ce qui n’exclut pas une part d’enseignement. Pour être initié à des valeurs il faut commencer par les voir vivre et en faire l’apprentissage pour soi. Alors, mais alors seulement, elles sont intégrées dans la conscience d’une personne. Or cela vient interroger directement la vie des établissements : comment est vécue la fraternité au sein des établissements. Ne répondons pas trop vite oui ou non car il s’en vit des choses positives. Comment les pauvretés sont accueillies, quelles que soient ces pauvretés, matérielles, intellectuelles, affectives ? Les valeurs de liberté, de fraternité, d’égalité sont convoquées dans les actes les plus ordinaires de la vie des établissements : conseil de classe, orientation, vie scolaire, animation de la classe etc. Ainsi il ne suffit pas d’enseigner des valeurs à des jeunes générations car ils ne peuvent se les approprier qu’en fonction de ce qu’ils en voient vivre. Il serait facile de dénoncer le décalage politique entre les discours sur ces valeurs et la manière dont elles sont vécues dans la société. Je ne me livrerai pas à cet exercice mais il est raisonnable de penser que si certains jeunes ont tant de mal à intégrer ces valeurs, cela tient dans une large mesure au contraste insoutenable entre ce qui est dit et ce qui est vécu.
Mais cela appelle une seconde préoccupation. Ces valeurs ne sont pas étrangères à l’anthropologie de l’enseignement catholique. Je rappelle à ce propos qu’il n’est pas demandé à des enseignants d’être chrétiens ni d’être croyants pour enseigner dans un établissement catholique. D’ailleurs comment pourrait-on mesurer la foi de quelqu’un ? Certainement pas à ce qu’il est capable ou non d’en dire ! Personnellement la phrase de saint Augustin me guide : « certains croient être dedans et sont dehors, d’autres croient être dehors et sont dedans ». En revanche, il est demandé à des enseignants de souscrire à l’anthropologie chrétienne qui est au fondement du projet éducatif de l’enseignement catholique. Je reviens aux valeurs de la République. Elles ne sont pas étrangères à l’anthropologie chrétienne. A vrai dire selon l’aveu même de plusieurs ministres de l’intérieur, Jean Pierre Chevènement en 1997 et Bernard Cazeneuve en 2015, elles sont tout droit sortis de l’Evangile. Donc l’enseignement catholique ne fait pas le grand écart entre le caractère propre et les valeurs de la République. Au contraire ! Pourquoi ne pas le dire ? La République en appelant à une mobilisation pour les valeurs de la République appelle les établissements catholiques d’enseignement à croire plus encore en leur projet éducatif et aux valeurs qui le fondent.
Liberté religieuse
Cette session a pour titre : « Liberté religieuse et laïcité ». Nous aurons l’occasion de nous en expliquer mais en cette conférence d’ouverture il est possible de dire ce qui a inspiré cet intitulé. Nous avons eu envie de problématiser la question. La laïcité est une spécificité française, dit-on souvent mais les autres pays européens et autres ne sont pas pour autant incapable d’organiser politiquement un vivre ensemble, dans le respect des minorités religieuses ou de pensée. Les démocraties occidentales se prévalent toutes d’avoir organisé ce vivre ensemble, y compris dans des pays où une religion est religion d’État comme en Grande Bretagne par exemple. La laïcité n’est donc pas le seul principe possible d’un vivre ensemble. Et d’ailleurs la Convention européenne ne parle pas dans ses textes de laïcité mais la laïcité est en cohérence avec ce que dit la Convention européenne. Nous demanderons au juriste de nous éclairer sur tous ces points.
Cette simple remarque fait comprendre que la laïcité ne doit pas être isolée. Ou encore que disons nous lorsque nous disons que la laïcité est une valeur ? Le mot valeur appliqué à la laïcité est ambigu. Si on entend par là une valeur morale, cela ne convient pas sauf à dire que les autres qui ne sont pas dans un régime de laïcité manquent de valeur morale. La laïcité est une valeur sociétale qui fonde la société française et par laquelle elle organise son vivre ensemble. Nous reviendrons sur tout cela au cours de la session, mais disons tout de suite qu’il faut que la laïcité ait un fondement hors d’elle-même. Elle le trouve dans les droits de l’homme. Les droits humains font de la liberté religieuse un droit fondamental. Il faudra le moment venu dire ce que l’on entend sous la notion de liberté religieuse. A cela s’ajoute la liberté d’expression qui est elle aussi un droit fondamental. Ainsi un être humain a droit à la liberté religieuse et à exprimer ce qu’il croit ou ce qu’il pense, à vivre sa religion ou à ne pas en avoir etc. Ainsi on comprend la laïcité sur la base de ce qui la fonde : la liberté religieuse. Nous aurons besoin de revenir que ce rapport entra la laïcité et la liberté religieuse et sur la manière aussi dont la liberté religieuse fait partie du projet éducatif. La liberté religieuse assure à la laïcité son fondement, son sens, sa légitimité et sa régulation.
Cette session devrait nous permettre de nous faire une idée assez précise de la mobilisation pour les valeurs de la République et nous sommes très honorés de la présence de Rodrigue Coulouly.
Elle devrait nous permettre de mieux comprendre la laïcité et les courants qui la traversent, et aussi de l’actualité et en particulier du double piège qui la guette : d’une part l’islamophobie tenté d’instrumentaliser la laïcité contre l’islam et l’islamisme tenté d’instrumentaliser l’islam contre les valeurs de la République.
Nous essayerons aussi d’articuler la laïcité et les valeurs de la République avec la liberté religieuse
Le ministre de l’éducation précédent avait repris dans ses discours l’expression qui était en usage sous la troisième république de morale laïque. Cette expression a suscité bien des débats et n’a pas forcément apporté la clarté voulue. Nous demanderons au philosophe de nous éclairer sur cette notion, son intérêt et ses limites et son rapport aux valeurs de République.
Mais nous aurons besoin aussi du juriste pour nous éclairer du point de vue juridique sur le principe juridique de laïcité à l’aune de la loi française mais aussi de la Convention européenne.
Faire entrer les arts dans une session sur la laïcité et la liberté religieuse est un peu complexe ! Nous avons toutefois demandé à Dominique Chansel de nous conduire à travers le cinéma à voir cette notion. Cela contribuera aussi à donner un peu de légèreté, non sur le fond mais sur la forme, à une session qui s’annonce dense.
Après avoir fait un tel parcours nous serons en mesure vendredi et nous aurons déjà quelques critères en place pour entendre deux communications : la première dont le titre peut surprendre mais alors il nous apparaitra plus clairement : l’Ecole catholique est elle laïque ? et une seconde communication pour affiner nos critères d’analyse des discours qui sont en vogue dans la société : « critique d’une instrumentalisation de la laïcité ».
Pourtant tout cela n’honorerait pas vraiment le but poursuivi. Après tout, nous pourrions aussi proposer cette session à des infirmiers en hôpitaux ! Il est nécessaire de clarifier toutes ces notions et d’avoir l’intelligence des défis de ce temps mais il nous faut aussi les vivre concrètement dans les établissements. Nous avons opté pour des ateliers qui atteindre cette finalité. Par rapport aux années précédentes,nous avons repensé le système des ateliers afin qu’il soit plus performant. Nous vous proposerons deux temps d’ateliers et vous aurez le choix entre sept ateliers différents. Ils comporteront un temps d’apport conséquent à partir d’expériences vécues sur la thématique du carrefour et ce temps d’exposé inaugurera le deuxième temps qui sera un moment d’échanges et de débats nourris par l’apport qui aura été fait. Nous vous redirons tout cela en temps utile.
Il ne nous restera plus alors qu’à faire un exercice délicat : ressaisir à chaud ce qui aura été dit et à proposer des éléments d’une synthèse comme nous essayons de la faire chaque année.
Cette session annuelle est désormais une tradition. Chaque année depuis quatre ans le département d’Etudes et de Recherche sur les religions à l’Ecole de l’ISTR propose cette session sur le fait religieux. Elle a aussi pour but de réunir en une même session des chefs d’établissement, des enseignants et des APS et de permettre de se rencontrer et de vivre ensemble une même expérience. C’est dire si les temps de détente, les repas, les multiples moments sont propices à cette convivialité qui nous est chère !
Avec Dominique et l’équipe du département sur les religions à l’Ecole, nous avons une préoccupation qui préside à l’organisation de ces sessions. . Nous sommes toujours très soucieux que ceux qui ont pris du temps pour se former reçoivent assez de nourriture. Aussi nous espérons de tout notre cœur que vous trouverez la richesse intellectuelle, les clarifications conceptuelles, les perspectives éducatives et les encouragements dont vous avez besoin pour continuer à creuser le sillon d’une éducation qui est une des plus belles taches que l’on puisse remplir dans la société.