Lydia Bozouklian, Le concept de citoyenneté inclusive au Liban à travers la fondation Adyan

Le concept de citoyenneté inclusive au Liban, à travers la fondation « Adyan »

 

 

  1. Présentation de la fondation ADYAN :

(« Adyan » en arabe, signifie : les religions.)

 

« Adyan » est une fondation libanaise, fondée en 2006 par des membres de confessions chrétiennes et musulmanes. Elle est enregistrée en tant qu’organisation non-gouvernementale et sans but lucratif (ONG). C’est donc une organisation indépendante qui travaille au Liban mais également sur un plan international.

 

A travers ses quatre départements, Adyan œuvre pour la valorisation de la diversité religieuse, et pour la promotion du vivre-ensemble et de la gestion de la diversité entre les individus et les communautés, aux niveaux sociaux, politiques, éducatifs et spirituels.

 

 

  1. Le département d’études interculturelles :

 

Le département d’études interculturelles est une unité académique, ayant pour but d’offrir une meilleure compréhension des questions religieuses, surtout dans leur rapport à la gestion de la diversité et à l’espace public.

 

L’enseignement en ligne par exemple, permet un partenariat avec des universités d’Europe et du monde arabe. Les cours étant intégrés dans chacun des programmes d’études des universités partenaires, ils préparent les étudiants à vivre, travailler et interagir dans un contexte mondial et multiculturel.

Des exemples d’e-cours :

  • Diversité religieuse et intégration dans la région méditerranéenne
  • Introduction au Dialogue interculturel et interreligieux
  • Minorités religieuses et vie publique en Europe et dans le monde arabe

 

  1. Le département d’éducation scolaire à la coexistence :

 

Le département d’éducation scolaire à la coexistence vise à favoriser le rôle de l’éducation comme un outil, pour la paix durable au Liban et à l’étranger.

 

Son principal objectif est de favoriser l’éducation à la citoyenneté inclusive, le pluralisme religieux et la coexistence dans les écoles.

 

  • Le département agit à différents niveaux et dans plusieurs domaines :

 

  • Il développe du matériel pédagogique qui traite de la citoyenneté, du pluralisme religieux et de la coexistence.
  • Il forme des jeunes dans leur rôle de citoyens actifs dans la construction de la paix.
  • Il met en avant la formation professionnelle pour les éducateurs.
  • Il participe à un programme de réforme publique.
  • Il fait des recherches et publications sur l’éducation à la Citoyenneté et à la coexistence.

 

  • Il a également mis en place les Clubs Alwan, pour l’éducation à la construction de la paix :

(« Alwan » signifie, couleurs, en arabe.)

 

Alwan est un programme mis en œuvre dans les écoles sous forme de clubs de jeunes pour les élèves du secondaire. Comme on l’a déjà dit, il vise à promouvoir le rôle des jeunes comme citoyens actifs pour la consolidation de la paix à travers:

 

  • Le renforcement du savoir, et de la compréhension de la diversité religieuse, l’histoire récente du Liban, et les mécanismes reliés à l’identité individuelle et collective.
  • La création de réseaux intercommunautaires, par le biais de voyages éducatifs et d’actions communes.

 

Ainsi, ces activités interclubs renforcent la collaboration entre jeunes de différentes régions et de différentes affiliations communautaires.

 

Alwan est actuellement mis en œuvre dans 32 écoles privées et publiques de différentes régions et milieux socioreligieux y compris les principales fédérations d’écoles privées.

 

D’ailleurs, en 2013, le programme Alwan a été choisi par les Nations Unis comme modèle international et a reçu le second prix du « Vivre ensemble pacifique dans un monde de diversités » ( Living Together Peacefully in a Diverse World) pour son programme d’éducation à la citoyenneté inclusive et à la coexistence.

 

 

  1. Le département de Solidarité et le département Média:

 

Les départements d’études interculturelles et d’éducation scolaire à la coexistence ont été mis en avant dans cet exposé, de par leur lien avec notre sujet, mais il faut savoir que dans les programmes du département de Solidarité, Adyan rassemble des personnes de différentes communautés, que ce soit lors d’un évènement spiritual ou de projets de solidarité sociale , en les aidant à découvrir leurs valeurs communes et à construire des relations authentiques.

 

Quant au département Media, il est très actif sur le plan de la communication : articles de journaux, reportages télévisés, interviews, documentaires, campagnes telle que celle de 2013 : « Our Diversity Enriches Us, it is the Beauty in Us » / Notre diversité, c’est ce qui nous enrichit, c’est la beauté qui est en nous.

Adyan est également présent sur You Tube, Twitter et Facebook.

 

Il était essentiel de présenter Adyan et de mesurer son action au Liban, avant de vous parler du congrès international auquel j’ai participé en tant que représentante de l’ISTR, les 24 et 25 avril 2015 à Beyrouth.

Vous l’aurez compris, je n’interviens pas en tant que « spécialiste du Liban », mais en tant que témoin de ce congrès.

Je commencerai par vous faire partager des extraits d’un article paru au lendemain du Congrès, dans le journal libanais francophone L’Orient Le Jour.

 

 

  1. L’article du journal libanais francophone, L’Orient Le Jour, du 1er mai 2015 :

 

« A l’initiative de la Fondation Adyan,… un symposium international vient de se tenir à Beyrouth sur le thème de « l’éducation à la citoyenneté inclusive de la diversité (religieuse et culturelle) pour un vivre-ensemble pacifique ». L’événement était placé sous le patronage du ministre de l’Éducation nationale et a bénéficié de l’appui du gouvernement britannique. »

 

Il faut savoir que Adyan est soutenu par l’ambassade du Royaume Uni à Beyrouth, à travers le FCO : the United Kingdom ‘s Foreign and Commonwealth Office.

 

« Il s’est tenu en présence d’une trentaine de participants… »

Ces participants venaient des pays suivants : Liban, Egypte, Royaume Uni, Oman, Irak, Tunis, Palestine, France, Autriche, Grèce, Jordanie, Maroc.

  1. Repenser l’éducation civique :

 

« Il s’agit de repenser notre éducation civique, explique en substance Nayla Tabbara (43 ans)… »

Nayla Tabbara, est Professeur de sciences religieuses et islamiques, Co-fondatrice d’Adyan, Directrice du Département d’études interculturelles, et c’est aussi notre personne de référence à l’ISTR, qui a eu l’occasion de la recevoir. Et c’est d’ailleurs, Nayla Tabbara qui a invité l’ISTR à participer à ce congrès pour présenter le travail du Département d’Etudes et de recherches sur les religions à l’Ecole.

L’article fait référence au discours de la soirée d’ouverture qui avait un caractère très officiel de par la présence de personnalités ainsi que de la presse.

 

« Une éducation à la citoyenneté inclusive de la diversité, » et un développement d’ « une approche critique de l’extrémisme », s’imposent « désormais non seulement au Liban, mais partout dans le monde »

« La Fondation Adyan y travaille depuis des années, en coordination avec le Centre de recherche et de développement pédagogiques (CRDP) et le ministère de l’Éducation nationale.

En outre, un institut vient d’être lancé par la Fondation, pour le développement de programmes de formation,… [et il] se propose comme référence dans le monde arabe concernant l’éducation à la citoyenneté interculturelle, les religions et la chose publique, et enfin les relations interreligieuses et interculturelles. »

 

  1. Enquêtes :

 

« Pour bien cibler son approche, la Fondation Adyan a eu recours à des études de perception des professeurs et des élèves.

Ces études…, [menées par l’agence Ipsos] ont déjà donné des fruits sous la forme d’une « charte nationale » pour l’éducation à la citoyenneté, et d’un nouveau manuel pour les classes de première sur le thème « Philosophie et civilisation », qui sera utilisé pour la première fois à la prochaine rentrée scolaire.

Une formation adéquate est en cours pour un certain nombre de professeurs qui vont conduire cette expérience-pilote.

« Les concepts que nous développons ne seront pas seulement pour le Liban, précise Nayla Tabbara. Nous pressentons déjà que dans des pays comme l’Irak, la Palestine, la Tunisie ou Oman, ils feront la différence. »

« Même au Liban, cette approche pourrait être modulée en fonction des régions où se fait l’apprentissage. On n’apprend pas de la même façon à Beyrouth et au Akkar », nuance-t-elle. »

(La région du Akkar est une région pauvre, située au nord du Liban, près de la frontière syrienne)

 

  1. Un monde pluriel :

 

« Le monde entier devient un monde pluriel, explique encore Nayla Tabbara. Une citoyenneté inclusive de la diversité s’impose désormais aussi bien en Orient qu’en Occident.

En Europe, l’approche est multiculturelle. Nous voulons et nous travaillons à ce qu’elle devienne interculturelle. Un dialogue ou une communication superficielle sont apparus insuffisants. Il faut aussi travailler sur les mémoires, les aspirations profondes. »

« Au Liban, notre culture est un peu comme celle de l’Europe. Il y a coexistence, mais pas véritable connaissance de l’autre.

Dans certains domaines, le travail est entièrement à refaire. Nous avons grandi avec un livre d’éducation civique où la fierté que l’on peut tirer de l’identité libanaise était absente, perdue dans les programmes. »

Du discours de Nayla Tabbara, on réalise que les programmes mis en circulation étaient inspirés d’une philosophie ou d’une idéologie de l’intégration nationale, du nivellement identitaire, de la suppression de la diversité, « alors même que ce qui fait le Liban, c’est la diversité. Une philosophie politique de la participation plutôt que de la tolérance »… »

 

Nous voyons bien que dans ce discours d’ouverture, tous les mots ont leur importance : idéologie de l’intégration nationale, nivellement identitaire, suppression de la diversité, d’une part et, philosophie politique de la participation, d’autre part.

 

A travers cet article, on prend déjà bien la mesure de « la multi-dimension » sur laquelle Adyan travaille :

  • régionale, nationale et internationale
  • évidemment, toutes les dimensions religieuses
  • Elle prend en compte les différents acteurs : professeurs, étudiants mais travaille en partenariat avec le, Ministère de l’Education, ou bien le Centre pour la Recherche et le Développement, ou bien encore avec des partenaires comme, l’ambassade du Royaume Uni à Beyrouth ou bien encore l’ONU.

 

Ce congrès, c’est en quelque sorte un point culminant, qui sous-entend un long travail en amont, comprenant également d’autres congrès internationaux, tel que celui de novembre 2012 sur le thème : « Religion et Démocratie en Europe et dans le monde Arabe ».

 

Celui-ci s’est néanmoins fixé pour objectif d’examiner le rôle de l’éducation dans son action pour la paix et la coexistence.

Je vous rappelle son titre : « Intercultural Citizenship Education for Peace and Coexistence » / Education à la citoyenneté inclusive pour un vivre ensemble pacifique.

 

  • Le Congrès d’avril 2015 :

 

Le congrès présentait 4 volets :

 

  • Citoyenneté, pluralité et éducation en tant que concepts (ou en tant que débat conceptuel)
  • Citoyenneté inclusive en tant que paradigme pour les réformes de l’éducation dans les pays arabes ?
  • Partage d’expériences
  • L’éducation pour dé-radicaliser

 

J’ai fait le choix de mettre en avant le volet numéro 1, et de n’évoquer que le volet 2, parce que je ne voulais pas perdre le lien avec notre sujet : le concept de citoyenneté inclusive au Liban, et avec la question qui nous est posée en toile de fond, à savoir, en quoi cette éducation peut-elle contribuer « à une culture de la rencontre » ?

 

Le concept de citoyenneté a été abordé à travers plusieurs dimensions, et ce qui suit, n’est au fond qu’une vision personnelle empreinte probablement d’une perception « à la française » ainsi que de toutes les formations suivies à l’ISTR.

 

Tout d’abord, la citoyenneté abordée d’un point de vue culturel, appelons la, «la citoyenneté culturelle » où le combat mené, serait celui du droit à l’égalité sans mettre en avant l’identité. Cela évite ou éviterait tout monopole d’une minorité, partant du principe que l’hégémonie culturelle conduit à l’isolation et à l’exclusion. C’est pourquoi, il faut prendre en compte des facteurs comme la pauvreté, ce, pour empêcher le monopole des plus riches.

Dans cette optique, la sphère publique est celle qui unit ; elle doit rassembler des publics différents. De ce fait, coexister, c’est alors, trouver un système qui passe de la sphère privée à la sphère publique sans confrontation, sans exclusion, et sans violence. Il faut travailler ensemble pour défendre un intérêt commun, sans être isolé des autres : se voir les uns, les autres, et interagir, c’est-à-dire, se voir les uns, les autres, comme des composants sans tenir compte de la taille ou de la densité des différents composants.

 

Nous commençons à nous rendre compte que ce que l’on examine, c’est l’individu dans sa relation à l’autre. Rappelons qu’au Liban, une forme tribale a défini les frontières qui séparent un individu des autres, d’où « l’absence de citoyenneté », en quelque sorte.

La citoyenneté, ce serait alors de, maintenir ce qui caractérise le domaine privé, ne pas chercher à effacer ce domaine, et de garder cette caractéristique dans la sphère publique, en partant du principe que ce qui vous est étranger, n’est pas ennemi. D’où, l’émergence d’une autre dimension : « la citoyenneté sociale », c’est-à-dire ce qui permet à chaque individu de prendre une part active dans une société, comme si cette société était composée de « facteurs organiques ».

 

En fait, toutes les caractéristiques de la société civile ont été analysées comme suit dans le contexte contemporain du monde arabe :

– une combinaison de sévères conditions économiques et politiques sous les régimes autoritaires

– un intérêt pour une citoyenneté individuelle

– la jeunesse, les femmes et les médias jouant un rôle

– la présence de minorités (ethniques, religieuses, sexuelles)

– la présence de réfugiés, en grands nombres

– quant à l’’éducation, on note 40% de la population en dessous de 18 ans avec une faible fréquentation de l’école ; des enseignants peu formés, recevant de bas salaires ; des moyens insuffisants et une pédagogie peu adaptée, essentiellement basée sur la mémorisation et non sur l’interaction.

 

Le futur est néanmoins envisagé avec la prise en compte d’une motivation civique forte. Le droit à la démocratie est vu comme « impulsé » par la présence de réfugiés et de minorités, entre autres.

Il y a une ouverture à une identité multiple, une citoyenneté à la fois multiculturelle et internationale (global citizenship). L’UNESCO, dans son canevas qui sert de guide aux programmes sur la citoyenneté « mondialisée», Global Citizenship Curriculum Guiding Framework (2015), prend en compte les identités locales, nationales, internationales ainsi que leurs interactions.

 

En ayant en tête ces caractéristiques, on peut alors examiner la question de la citoyenneté inclusive, vu  comme un changement nécessaire :

Il doit y avoir un équilibre entre espace national et espace mondial. C’est ce que l’on sous-entend aussi dans la citoyenneté inclusive de la diversité. Elle englobe dans la sphère politique, des valeurs humaines, elle met sur un même plan société civile et sphère publique où des personnes étrangères les unes aux autres, se rencontrent pour devenir des partenaires.

 

Il y a nécessité à surmonter les dimensions idéologiques de la citoyenneté : La question du besoin d’une nouvelle ligne de conduite, d’un nouveau modèle de citoyenneté se pose. On doit donner de l’importance à la dimension humaine, au développement culturel ; les cultures qui se mondialisent doivent rester ouvertes aux cultures locales.

On doit faire face à des questions telles que l’immigration en Méditerranée, le terrorisme.

 

La construction de l’individu doit passer par l’éducation. L’éducation doit à la fois être basée sur cette citoyenneté, et, doit former à cette citoyenneté. Cette citoyenneté, on ne la découvre pas, on la crée, on l’invente et comme c’est un processus, il y a aussi un processus d’expérimentation.

Il doit y avoir un « intra-dialogue », à l’intérieur du groupe lui-même et un « inter-dialogue ». La question, qui a été soulevée, c’est celle de savoir comment harmoniser tout cela, tout en reconnaissant quelquefois des impossibilités.

 

Je crois que ce qui ressort c’est que la citoyenneté dont il est question, passe par un agir qui permet à la sphère privé d’être présente dans la sphère publique et que c’est l’éducation qui permet à ce processus, de se mettre en place. C’est cette sphère privée qui regroupe les diversités. On dépasse la notion du vivre ensemble dans le respect de l’autre, sans pour autant la nier. On est dans la construction dont le résultat serait toutes les composantes à la fois. Et j’ajouterai, toutes les composantes agissantes, sans qu’aucune n’ait le monopole.

 

 

Et Adyan dans tout cela ?

 

Son but, on l’aura compris, c’est de réformer la politique de l’éducation en fournissant un cadre qui veut promouvoir la citoyenneté inclusive pour une coexistence solide et pacifique.

Les réformes pédagogiques, les réformes des programmes, et les réformes dans la formation des enseignants ne peuvent alors que s’imposer comme évidentes.

 

Malgré la complexité des mécanismes, Adyan a réussi à être un acteur dans la réforme de l’éducation parce que la fondation a mis en place un réseau de partenaires : l’UNESCO, le ministère de l’éducation et de la recherche libanais, tous les acteurs sociaux : parents, élèves, professeurs, écoles (plus de 32 écoles publiques et privées).

Elle s’est donnée les moyens : laboratoire de recherches, travail sur la formation des professeurs, campagne auprès des médias.

Elle montre sa capacité à agir, s’impliquer, s’adapter et se renouveler tout en restant cohérente. Elle peut tout aussi bien collaborer avec toutes les institutions religieuses du Liban sur un projet de matériel pédagogique utilisé dans des cours de culture religieuse (chrétienne et islamique), que travailler avec les institutions politiques pour élaborer une charte pour l’éducation au vivre ensemble. Et c’est d’ailleurs une lecture de cette charte que je vous invite à faire maintenant afin qu’à travers cet exemple, chacun puisse s’approprier en quelque sorte, ce concept.

 

 

Lydia Bozouklian.