Valérie Marmoy, Reprise du jeudi matin

Session sur l’enseignement du fait religieux : « Liberté religieuse et laïcité »

Valérie Marmoy

 

Ce que j’ai retenu du mercredi 16 mars 2016

Mon champ d’action à moi, c’est plutôt l’animation pastorale, et quand je dis que je m’intéresse au principe de laïcité, à sa mise en œuvre dans nos établissements, je m’attire parfois 2 formes de réactions. Ceux, qui loin de l’Eglise ou méfiant envers elle, pensent que je ne serai pas légitime, que ma vision et mon discours seraient forcément biaisés par ma foi, mon engagement et ma mission et ceux, qui tout prêt de l’Eglise, pensent que ce n’est pas mon rôle de me positionner dans ce domaine-là, qui ne concerne pas ma foi, mon engagement et ma mission.

Alors certes je suis adjointe en pastorale et croyante, mais aussi femme, citoyenne, épouse, mère, sœur, amie, collègue de travail, fan de littérature russe et de magazines féminins, joggeuse et contemplative, enfin multiple comme chacun d’entre nous, multiple et libre, libre d’être multiple. Et d’après ce que j’ai compris, le lieu de la laïcité c’est aussi le lieu de la liberté, le lieu où on n’enferme pas dans des cases.

Dominique Santelli nous l’a dit, Apres Charlie, l’école s’est retrouvée en 1ere ligne ; et l’enseignement catholique s’est mobilisé activement, avec la nation. Utilisons ce cadre laïque dans laquelle notre liberté s’exerce, celle de ne pas être neutre, de dire notre vision de l’homme et de l’éducation.

Faisons-le avec notre spécificité, avec l’originalité de notre engagement, avec notre projet chrétien d’éducation, pour une formation intégrale de la personne. Faisons le pour permettre aux élèves de comprendre l’exigence du respect dû à chacun, qui est le fondement de la laïcité. Faisons le pour apprendre à réfléchir sur nos différences, quelle qu’elles soient, réflexion nécessaire face à l’hétérogénéité de nos communautés éducatives. Faisons le pour devenir un laboratoire de fraternité.

Mettre l’accent sur la dimension pastorale de la laïcité ; toute seule je ne n’aurais pas osé aller aussi loin, même si c’est Vatican II qui nous le dit. La pastorale, nous parle des relations entre l’église et le monde, l’église et les hommes d’aujourd’hui. La laïcité nous parle de ça aussi et elles se retrouvent au même endroit dans nos écoles. N’enseignons pas la laïcité mais vivons la, en distinguant pour ne pas confondre, en distinguant pour unir.

La laïcité, ce n’est pas un projet de société, elle est nécessaire mais elle n’est pas suffisante. Si certains d’entre nous peuvent en avoir, l’Eglise elle n’a pas d’états d’âme sur la laïcité ; et elle l’écrit dans sa lettre aux catholiques de France :

« À chacun de nous de prendre ses responsabilités, en cherchant à ne pas réveiller des querelles anciennes, et en faisant un bon usage de la laïcité elle-même. Pour notre part, au titre de notre citoyenneté et de notre foi, nous voulons contribuer au vouloir-vivre de notre société, et y montrer activement que l’Évangile du Christ est au service de la liberté de tous les enfants de Dieu. »

Éduquer à la laïcité oui mais, merci à Christian Salenson de m’avoir appris que j’en avais, selon notre génie propre ; à l’aide de notre patrimoine éducatif, à l’aide de notre tradition d’audace. Souvenons-nous de nos congrégations, qui se sont mobilisées pour ceux que personne ne voulait éduquer, les pauvres, les filles et même les filles pauvres ! L’anthropologie chrétienne, c’est le respect absolu de la personne humaine, nos élèves sont des personnes sacrées, pas parfaites, avec le droit de se tromper, d’échouer. Comment est vécue la fraternité dans nos écoles ? Dans les conseils de classe, à la vie scolaire, lors de l’orientation. Comment les pauvretés sont accueillies ? Le contraste devient vite insoutenable si ce qu’on dit ne s’incarne pas dans ce qu’on vit.

On ne demande pas aux enseignants qui ont choisi nos écoles d’être chrétiens ou croyants mais de souscrire à notre projet, sous-tendu par cette anthropologie. Ce principe de laïcité, qui n’est pas une valeur, trouve son fondement dans les droits de l’homme, pour qui la liberté religieuse, la liberté d’expression, de conscience est un droit fondamental.

2015 : l’année du traumatisme ; qui nous a emmené à comprendre qu’il y avait un problème de fond qu’on ne percevait pas. Aujourd’hui tout le monde en est convaincu et on cherche à infléchir les discours sur une laïcité ferme, pour trouver des politiques qui rassemblent, imaginer ensemble des réponses.

Rodrigue Coutouly, proviseur de la vie scolaire au rectorat de Marseille a les pieds ds la glaise, ancré dans les quartiers nord de Marseille, et pourtant c’est lui qui le dit, les chefs d’établissement ne sont pas conscients de la gravité de la situation, ne soupçonnent pas la souffrance de leurs enseignants ; alors il travaille pour les aider, pour leur apporter des contenus qui répondent à leur demande sur le terrain. Ce concept de laïcité, tout le monde le revendique mais tout le monde n’y voit pas la même chose. Il est souvent instrumentalisé du point de vue politique et déformé du point de vue médiatique. Parlons de la  loi de 2004, dite du foulard : on a cru régler le problème ; on s’est attaqué au côté visible mais ça n’a pas changé la conscience religieuse des personnes.

Une partie des enseignants sont toujours persuadés que la religion n’a pas de place dans l’école publique ; Pourtant, aujourd’hui ce n’est plus possible de faire comme si ça n’existait pas. Un enseignant quel qu’il soit ne peut plus ne pas avoir un minimum de culture religieuse. Alors formons, déformons à travers le fait religieux ;

La manière dont les élèves de nos quartiers se perçoivent dans la société française s’est dégradée depuis 20 ans ; la question de leur place, de celle de leur famille est si dévalorisée qu’ils choisissent une identité extérieure, une identité religieuse. Pourtant, quand on les inclut, les élèves sont d’excellents formateurs pour les enseignants ; pour les autres élèves aussi ; pratiquer, apprendre le débat dans la classe est devenu un enjeu crucial car c’est par la controverse entre pair qu’on fera avancer la situation ;

L’Enseignement Catholique a un rôle important dans les quartiers nord ; nos écoles y jouent un rôle de service public essentiel pour maintenir les enfants dans la scolarité et la socialisation ; notre culture c’est la fraternité et là c’est la question d’être frères qui est cruciale.

On ne peut pas non plus, se passer d’un minimum de connaissances sur l’histoire pour comprendre les problématiques actuelles autour de la laïcité et notre spécificité française ; pas de commencement absolu mais un concept émergeant à partir de 1789. Avec l’idée d’un citoyen abstrait, dégagé de toute appartenance concrète religieuse.

Bonaparte lui, cherche à réconcilier la France catholique et la France de la révolution ;on parle de 1er seuil de laïcisation ; la loi est laïque mais la morale est religieuse ; les cultes reconnus sont un service public ;ce système pour fonctionner, a besoin de stabilité ce qui n’est pas le cas au 19eme siècle ; les conflits sont récurrents, avec ce qu’on a appelé le conflit des 2 Frances : 2 conceptions de l’identité nationale, 2 écoles 2 jeunesses qui ne peuvent se comprendre car chacune a une vision différente de la France.

Ce qui se joue lors de la séparation de l’église et de l’état en 1905 c’est la fin du lien concordataire qui donnait un statut semi officiel au catholicisme ; l’identité est certes, laïcisée mais c’est une rupture qui libère aussi les églises de la tutelle de l’état. C’est le 2eme seuil de laïcisation ;

Loi de 1905 extraits

Article 1

La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes …

Article 2 

La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte

 

Les 2 Frances se réconcilient ; la laïcité fait la preuve qu’elle garantit la liberté de conscience et en 1959, la loi Debré instaure le contrat qui subventionne les établissements privés ; la liberté des élèves est respectée et les programmes sont les mêmes que dans le public ; le conflit des 2 Frances est terminé. La laïcité est un bien commun à tous et un élément important d‘identité française ;

De 60 à 89 on avance vers le 3eme seuil : 62 fin de la guerre d’Algérie, 68 révolte étudiante, 75 fin des 30 glorieuses et immigration importante, au départ d’hommes seuls ;  89 le mur de Berlin tombe et crée les conditions d’une nouvelle donne mondialisée; Et puis Creil et le foulard, l’installation de personnes de pays dits musulmans est rendue visible.

C’est un rapide survol d’une histoire qui nous rend plus intelligent des faits que nous vivons aujourd’hui, lisez le sociologue Jean Baubérot et vous le serez encore plus.

Place au feu d’artifice Jean-Claude Ricci, juriste. J’avais un souvenir de bravitude, il n’a pas eu peur de nous entrainer vers l’hallalitude.

La laïcité : un principe juridique du droit français, qui ne s’applique qu’à l’état et ne s’impose que dans le service public. Un principe d’indifférence ou de neutralité de l’état en matière religieuse ; deux façons de voir : ignorer le religieux ou accepter toutes les religions ; il implique une distinction de Dieu et du temporel ; de Dieu et de César ; c’est une séparation qui n’a jamais existé dans l’histoire de l’humanité sauf dans l’Evangile. Jamais avant ni après, aucune religion en dehors du christianisme n’a séparé le spirituel et le temporel.

La laïcité c’est une vision chrétienne du politique ; le christianisme est une religion fortement intériorisée et l’état a cette vision de la religion. Va faire irruption dans notre paysage l’islam, qui lui est très extériorisé : l’alimentation, les tenues, la séparation des sexes et qui va demander des choses à l’état ; Vont faire irruption des musulmans qui peuvent êtres paniqués par la laïcité, agressés par la laïcité.

N’oublions pas non plus que le droit aussi s’internationalise, prime sur les droits nationaux et change la donne :

Convention européenne des droits de l’homme extraits

Art. 9 : Liberté de pensée, de conscience et de religion

Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.

La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Article 14 – Interdiction de discrimination

La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation.

 

Dernier point, où Marie-Laure Smilovici, nous apprend à savoir de quoi on parle avant de se gargariser des mots à la mode. 2 pièges dans lesquels ne pas se laisser entrainer lorsqu’on parle de laïcité : celui de l’islamisme et celui de l’islamophobie.

Loin d’avoir ses racines en Iran, le mot est bien de chez nous et ses origines plongent ds l’histoire coloniale. L’Islamophobie c’est la crainte ou la haine de l’islam et par extension la peur et l’hostilité à l’égard de tous les musulmans ; quelque chose de proche du racisme.

2 versants à cette idée : Loin de distinguer pour mieux unir, là on unit pour ne surtout pas distinguer : l’arabe, le noir, l’immigré, le jeune des banlieues, deviennent tous le musulman Comme souvent les femmes sont les premières victimes et l’idée se répand que l’islam est une religion dangereuse.

2eme versant, les islamistes eux même qui récupèrent ce terme pour désigner les personnes qui loin de pratiquer l’islamophobie, expriment simplement leur liberté d’opinion. Pensez à Salman Rushdie, aux caricaturistes

A chaque fois c’est le débat démocratique qui est perdant. L’islamisme n’est pas l’islam, c’est une idéologie politique au nom de laquelle on tue. L’islam lui, c’est un des 3 grands monothéismes. Victime collatérale de tout ça, la laïcité, qui peut entretenir une relation perverse avec l’islamophobie. Nous sommes dans une situation complexe, ou l’on peut très vite basculer. A nous de lutter contre les amalgames.