Sète
Jeudi 9 juin 2011
Enseignement catholique et Eglise
Christian Salenson
Directeur ISTR de Marseille
La question qu’il m’a été posée porte sur les liens entre l’enseignement catholique et l’Eglise. Quels sont les rapports que l’Enseignement catholique entretient avec l’ensemble de l’Eglise ? Quel est son rôle, sa place ?
Evidemment cette question est décisive pour l’enseignement catholique et pour l’Eglise mais elle n’est pas simple à traiter. La juste compréhension de la place de l’enseignement catholique est décisif pour l’enseignement catholique lui-même car il y va pour une part de son identité. Mais c’est décisif aussi pour l’Eglise qui doit considérer l’enseignement catholique dans ce qui le définit et ne pas lui demander ce qui ne relève pas de sa vocation propre, et qui, d’autre part, doit recevoir de l’enseignement catholique son expérience originale de la mission. On oublie souvent la réciproque ne considérant que ce que l’Eglise dit de l’EC.
La question s’est posée il y a quelques années de savoir si l’EC devait rester dans l’Eglise ou bien s’il fallait remettre à l’Etat les établissements afin qu’il gère seul la question de l’éducation. Certains évêques – l’évêque de Nimes de l’époque faisait partie de ceux-là – et un bon nombre de prêtres pensaient que l’Etat était désormais capable d’assumer les tâches d’éducation, de santé etc. et que l’Eglise devait se détacher de ces œuvres et réinvestir ses forces dans des besoins nouveaux là où l’Etat ne remplissait pas sa tâche : l’immigration par exemple. Finalement l’Eglise de France en décida autrement. Pourquoi ?
Parmi les raisons de fond qui furent alléguées, il y avait celle de la liberté de l’Enseignement. Deux systemes éducatifs garantissaient mieux la liberté et la responsabilité première des parents dans l’éducation de leurs enfants, toujours susceptibles d’être confisqués par des régimes forts ou des idéologies étatiques, y compris l’idéologie libérale.
Une autre raison fut que l’Enseignement catholique permettait de déployer des valeurs éducatives inspirées et irriguées par l’Evangile dans le domaine propre de l’éducation.
Enfin, l’Eglise, et en particulier quelques congrégations, firent valoir aussi leur service prioritaire des pauvres dans des quartiers défavorisés. Cela rejoignait une intuition de l’Eglise que l’on a vu à l’œuvre au cours de l’histoire. Elle fut soucieuse de donner une éducation progressivement à toutes les catégories de la population et particulièrement à ceux qui étaient culturellement démunis en raison de la fortune ou du sexe.
En plus de ces trois raisons – liberté et responsabilité des parents, éducation inspirée par l’Evangile, justice pour les plus défavorisés culturellement – d’autres raisons furent avancées mais aucune qui aurait consisté à dire que l’Ecole catholique est là pour faire du prosélytisme.
Nous sommes au cœur de la question. Il s’agit d’aller revisiter les raisons qui font que l’Eglise catholique tient à avoir des écoles, y est attaché, et a même pris le temps au lendemain du concile de se re-décider en ce sens. Je vous propose que nous revenions au sens de l’Enseignement catholique dans la mission de l’Eglise, à la fois sans complexe et sans se laisser égarer par les modes d’un moment.
Une question d’identité
Ce qui caractérise l’école catholique, c’est d’être catholique. Cela constitue son identité profonde. Si l’école catholique n’est plus catholique, ce n’est plus l’école catholique. Vous conviendrez avec moi, tout en m’excusant de cette lapalissade, qu’il est bon parfois de revenir à des évidences premières.
Evidemment lorsque l’on a dit cela , il faut encore s’entendre sur ce que désigne ce qualificatif de catholique ! Nous allons y venir mais permettez-moi toutefois de dire par la négative que l’affirmation de l’identité catholique de l’école ne laisse pas la place à des atermoiements, des hésitations, des doutes. Il s’agit d’habiter sans complexe cette identité. Une des forces qu’un homme ou une femme peut avoir dans la vie, c’est de savoir d’où il vient, qui il est, de le déployer et sur cette base-là il trouvera de nombreuses ressources et suffisamment de sécurité pour se renouveller au gré des événements de sa vie. Il en va de même pour une institution.
N’allez pas croire pour autant qu’il s’agirait là de bétonner une identité identitaire. Elles peuvent être meurtrières pour reprendre le beau titre d’un roman de Maalouf. Notre histoire nous a appris, à nos dépens et dramatiquement, les dérives des identités exclusives. L’antijudaïsme a porté des fruits amers. Les faux débats sur l’identité – non-débats – récents nous ont montré que la tentation n’était pas éradiquée. Nous savons par ailleurs que des affirmations identitaires trop abruptes sont le signe infaillible de fragilités personnelles ou institutionnelles. Dans l’étude des religions nous connaissons bien cela : ceux qui vivent vraiment de la foi qu’ils confessent sont rarement ceux qui éprouvent le besoin de se justifier par des conduites traditionnalistes. Ce ne sont pas les mystiques qui opposent les religions les unes aux autres !
Dans la révélation chrétienne, nous avons normalement les antidotes voulues. L’identité y est toujours définie par la relation. L’identité chrétienne est de se reconnaître fils ou fille de Dieu. Donc une identité qui se définit à la fois dans une relation avec un ailleurs, une transcendance, un Autre qualifié de Père. D’autre part, et tout autant, l’identité filiale définit chacun comme le frère d’autres fils et filles et de tous les autres fils ou filles de Dieu. Chacun entrera dans cette universalité à la mesure de sa croissance personnelle.
Ces remarques étant faites. Chacun est appelé à habiter une sereine identité. Celui qui sait d’ou il vient, quelles sont ses racines, quelles sont les valeurs qui le portent est d’autant plus capable de s’ouvrir aux autres. Il est apte au dialogue et susceptible de créativité.
L’école catholique est catholique. Qu’est-ce à dire ?
Une école
L’école catholique est d’abord une école. Elle est même exclusivement une école. Sa fonction première est donc de participer à la fonction éducative de la société. Nous savons que sur le fait même de savoir si l’école est une institution éducative, des débats traversent la société et le corps enseignant. L’école a-t-elle pour finalité l’éducation ou bien l’instruction ? Le fait que le ministère en charge de l’ecole se nomme ministère de l’éducation nationale ne suffit pas, semble-t-il à trancher la question. Qu’est ce qui est au centre de l’école ? Certains diront : le savoir ! D’autres diront : l’élève. L’Enseignement catholique avec l’ensemble de l’Eglise dit : la personne humaine, nous refusant à enfermer l’enfant ou le jeune dans la condition d’élève.
Là l’Eglise prend parti et, d’une certaine manière, nous répondons déjà à la question que nous nous posons. L’Eglise fait le choix d’avoir des écoles parce qu’elle entend que dans ses écoles, se fasse une réelle éducation et pas uniquement une instruction savante.
De cela il faut conclure que la mission de l’école catholique, parce qu’elle est une école et que c’est sa réalité, est d’être un service d’éducation. Il faudra toujours revenir à ce fondement. Quand nous nous demanderons d’un établissement : cette école est-elle catholique ? Quel est son niveau de catholicité ? Nous ne regarderons pas d’abord le nombre de célébrations ou d’activités religieuses mais nous regarderons si elle est est catholique en tant qu’elle est une institution d’éducation. Pourquoi ? Parce que l’établissement n’est pas une paroisse mais d’abord une école et a pour finalité première l’éducation. En disant cela je ne néglige en rien les activités catéchétiques, de première annonce. Je rappelle simplement le cadre où elles prennent sens. La finalité éducative qui tient à la nature propre de l’école ne peut être détournée à d’autres fins. Nous avons connu des débats autour de cette question. Un évêque qui avait écrit sur ce sujet a dû modifier son texte. Il n’a pas dit qu’il s’était trompé par pudeur mais le fait de devoir corriger ses écrits en était l’aveu implicite.
Pour le dire clairement, l’école n’a pas comme but de faire la catéchèse ni de nouveaux adeptes pour l’Eglise se catholique. Elle a pour but de dispenser une éducation pour tous selon un mode propre d’éducation. Et quand elle fera de la catéchèse, quand elle proposera la foi chrétienne, ces propositions nécessaires se feront dans le cadre éducatif qui est sa mission propre. En aucun cas on ne pourra juger si une école est catholique au fait qu’elle propose de la catéchèse ou des activités de première annonce qui ont tout à fait leur place dans la fonction éducative mais on jugera d’une caractère catholique du école d’abord à la qualité éducative de cette école vécue par les enseignants, les personnels, les parents etc..
Fonction royale
La théologie nous aide à formuler et à fonder la finalité de l’école telle que je viens de l’énoncer. Dans l’Eglise il y a des fonctions diverses et si toutes sont inspirées par le même Esprit, tout le monde ne remplit pas la même fonction et aucun ne peut dire à l’autre qu’il n’a pas sa place ou lui demander de remplir une autre fonction que celle pour laquelle il est fait. Les trois principales fonctions de l’Eglise, du chrétien sont sacerdotale, prophétique et royale. Une école n’est pas un monastère cistercien, même si historiquement l’école a souvent grandi à l’ombre du cloître. Il est probable que la fonction sacerdotale, de prière, de louange et d’intercession soit plus prégnante dans un monastère que dans une école. L’école relève plus directement de la fonction royale, entendons par là la croissance humaine et spirituelle de personnes dans leurs capacités intellecturelles, affectives, culturelles, spirituelles etc… ce qui fait affirmer sans hésitation et sans risque de fausses interprétations que la finalité de l’école est « la promotion de la personne humaine dans toutes ses dimensions … » Si l’Eglise avait voulu dire que c’était la promotion de l’Eglise elle l’aurait dit ! Ce n’est pas cela qu’elle dit.
La finalité de l’Ecole
« Le but de l’Ecole est la promotion de la personne humaine dans toutes ses dimensions ». Telle est la manière dont l’Eglise définit la place de l’Ecole. Comment comprendre que l’Eglise définisse ainsi la rôle de l’ école ? N’y a-t-il pas mieux à faire ? Ne pourrait-elle en tirer profit pour elle-même ? N’y a-t-il pas le risque de tomber dans l’humanisme ? Autant de questions que nous entendons …
Dans certains pays comme le Maroc, j’ai vu des écoles catholiques entièrement composées d’enfants et d’enseignants musulmans, à l’exception d’une communauté de religieuse. Sans aller à l’étranger, on a chez nous, à Marseille par exemple, des écoles où le nombre de musulmans est impressionnant. Ces écoles sont-elles catholiques ? Evidemment on est dans des exemples à la limite et cela pose des questions spécifiques mais en rigueur de terme il faut répondre oui à la question et cela d’ailleurs nous renseigne sur la mission de l’Ecole.
En effet, nous ne pouvons comprendre cela que si nous comprenons que la mission de l’Eglise ne consiste pas uniquement ni d’abord à proposer la foi chrétienne et à recruter de nouveaux chrétiens. Elle a pour mission de participer à la réussite de l’humanité. Ce n’est pas annexe. Cela fait partie de sa mission essentielle. L’Ecole n’est pas le seul lieu où l’Eglise prend le parti de l’homme sans se préoccuper d’abord de l’annonce de l’Evangile. Les moines de Tibhirine n’ont jamais converti personne à la foi chrétienne. Sœur Emmanuelle au milieu des chiffonniers du Caire n’y était pas avec des arrières-pensées prosélytes ! Quand je prie l’office des psaumes le matin, je ne prie pas pour l’Eglise mais avec l’ensemble de l’humanité et en lien avec les autres croyants. Notre époque qui panique un peu devant la diminution des effectifs de l’Eglise insiste sur l’annonce. Pourquoi pas ? mais le critère ultime fourni par l’Evangile est le soin de l’homme.
Il faut insister fortement et perdre tout complexe par rapport à cela. L’école n’est pas une œuvre de l’Eglise. Elle ne fait pas partie des « bonnes œuvres » ! Jean Paul II dit qu’elle est un sujet ecclésial. Elle est l’Eglise en acte quand elle fait ce qu’elle a à faire, quand elle promeut l’homme. A cela certains objecteront qu’il s’agit d’une forme d’humanisme à laquelle ils substituraient volontiers des formes plus religieuses. C’est un humanisme ! Il faut le revendiquer. Nous n’irons jamais assez loin dans cet humanisme car le Dieu révélé en Jésus est trés humaniste, Lui dont l’Ecriture dit qu’il s’est dépouillé du rang qui l’égalait à Dieu et qu’il s’est fait homme ! A contrario Jésus nous a mis en garde sur le fait de dire : « Seigneur, Seigneur .. et de ne pas faire la volonté du Père.
Or la volonté du Père est que tout homme soit sauvé ! et ne pensons pas uniquement dans l’au-delà. N’ayez pas de complexe ! Vous êtes au cœur de l’Evangile, simplement en faisant votre métier d’éducateur ! Le texte de Mt 15 est là pour vous enlever tout complexe si cela vous reprend ou si certains viennent trouber votre conscience. Vous connaissez ce texte. Il parle du jugement dernier. Le Christ dit : venez les bénis de mon Père. J’ai eu faim, vous m’avez donné à manger, j’ai eu soif vous m’avez donné à boire etc… On peut poursuivre la liste ; j’étais ignorant et vous m’avez enseigné… Ils sont étonnés de s’entendre dire cela : « Quand est-ce que tu as eu faim et que nous t’avons donné à manger ? et la réponse tombe sans ambiguité : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits c’est à moi que vous l’avez fait. Le Christ s’identifie à toutes ces personnes. C’est cela le critère d’entrée dans le Royaume. On appelle ce texte à juste titre : le jugement dernier. Il n’est pa sle jugement der,ier uniquement parce qu’il s’agit de la fin des temps mais aussi parce qu’il s’agit là du critère ultime de jugement. Le critère ultime de jugement de l’cole catholique est de savoir si tout enfant, tout jeune est respecté et aimé et que sa croissance, sa promotion mobilise toute la communauté éducative. Le critère est que le Christ lui-même s’est identifié à chacun d’eux…
Une école catholique décomplexée c’est donc une Ecole qui ne doute pas de son identité et des valeurs de l’Evangile et qui le dit ad extra ! mais aussi qui ad intra de l’Eglise n’a pas de complexe pour dire que sa mission est précisément de faire en sorte que ces jeunes puissent grandir dans toutes les dimensions de leur humanité. Et donc que les activités plus spécifiquement catéchétiques ou autres prennent leur place et leur sens sur l’horizon de la mission fondamentale de l’Eglise, mission royale car elle concerne tres précisément l’accueil et la croissance du Royaume.
Nous avons l’habitude de dire que l’Eglise désigne et indique quelle est la mission de l’Ecole mais réciproquement nous voyons très bien que l’école a quelque chose à dire, à rappeler et à apprendre à l’Eglise sur ce qu’est sa mission. De même qu’un monastère enseigne à l’Eglise toute entière sa mission de prière pour l’humanité ou que sœur Emmanuelle enseigne l’Eglise sur la dignité des pauvres.
Nous voyons aussi que le but de la mission de l’Eglise n’est pas la croissance de l’Eglise. Certes cela n’est pas exclu ! mais « L’Eglise n’est pas à elle-même sa propre fin , mais elle est au service du Royaume de Dieu dont elle est germe, signe et instrument. »
De cela il faut maintenant tirer les conclusions et faire comprendre aux enseignants comment ils participent à la mission évangélisatrice de l’Eglise. Mais auparavant je voudrais aborder la question de la dimension spirituelle.
La dimension spirituelle
La promotion de la personne humaine dans toutes ses dimensions, inclut la dimension spirituelle. La catéchèse, les célébrations, les activités d’éveil à la foi, la première annonce font partie de cette dimension spirituelle de l’homme et donc de sa promotion au même titre que le développement corporel, intellectuel ou éthique. Cependant, les activités pastorales n’épuisent pas l’ouverture à la dimension spirituelle qui se vit aussi bien à travers les différentes disciplines.
Une remarque s’impose. On ne confondra pas la dimension éthique ou morale et la dimension spirituelle. Ce point mérite une attention particulière dans l’époque hypermorale que nous vivons. Nous ne sommes pas sortis de la dictature des discours moralisants qui ont empoisonnés le XIX eme et le XXeme. Ils ont simplement changés d’objet. Il suffit pour s’en convaincre de regarder les discours sur l’écologie. L’écologie est devenue en quelques années un lieu où fleurissent des discours plus totalitaires les uns que les autres. On a même droit à une théologie de la rédemption à trois sous, qui n’a jamais réfléchi son propre discours, mais qui se présente comme un discours de salut puisqu’il s’agit rien de moins que de sauver la planète ! A coup sûr nous allons avoir droit au discours sur les sacrifices. Ces deux discours théologiques vont ensemble.
L’éthique a sa place. Il n’y a pas d’éthique chrétienne puisque l’Eglise énonce la Loi naturelle et qu’elle croit et affirme que l’impératif éthique, pour parler comme Kant, s’impose à tous au plus intime de sa conscience. Il n’y a pas d’éthique chrétienne mais il y a une manière chrétienne de vivre l’éthique. Nous n’avons pas le temps de commenter cela. Disons qu’il y a une éducation à une véritable éthique de la responsabilité et de la liberté qui doit permettre au sujet d’avoir suffisamment de développement de sa conscience pour juger des situations et résister au matraquage éthique de l’idéologie dominante.
La spiritualité est autre chose. Elle est de l’ordre de la question du sens. Elle suppose un développement de la vie intérieure. La spiritualité est ce qui donne le goût de la vie. Elle se joue dans tout les domaines : le savoir, l’expression artistique, la relation… Elle est ouverture à une transcendance. Elle ne se réduit pas à des valeurs.
L’éveil à la spiritualité se vit à travers l’étude à condition que l’on n’évacue pas la question du sens dans l’étude du texte de français au profit d’une mathématisation de l’étude littéraire… ou dans les autres disciplines. L’Eveil à la spiritualité se fait par l’intériorisation. Elle suppose de revenir sur l’expérience vécue, celle du groupe, celle d’un texte, celle d’une visite… Il s’agit pour la personne d’apprendre à vivre avec soi et même avec cet Autre que soi qui est en soi.
L’éthique ne suffit pas à donner du sens à sa vie. La spiritualité est le lieu où quelqu’un à la fois donne du sens à ce qui lui arrive et apprend à conduire sa vie, en tenant compte des valeurs mais aussi de la recherche de son bonheur et de la paix intérieure. Car la vie spirituelle est une quête de paix intérieure.
La mission pastorale
Après avoir qualifié la mission de l’Ecole dans sa singularité éducative, nous pouvons maintenant entrer dans ce que l’on désigne par l’expression de mission pastorale. La mission pastorale ne se réduit pas à des activités pastorales aussi utiles et nécessaires soient-elles. La pastorale désigne la mission du Christ pasteur qui conduit toute l’humanité vers la paix. « Le Seigneur est mon berger. Il me guide vers les eaux du repos. Si je traverse un ravin de ténèbres, je ne crains aucun mal ».
Il s’agit évidemment du Christ. Personne ne peut se prendre pour le Christ ! Mais celui qui a reçu une responsabilité pastorale va s’attacher à la vivre dans l’esprit du Christ pasteur ou comme on le dit pour les prêtres, dans une formule pas très poetique mais qui a du sens : à se laisser configurer à Lui comme pasteur. Cela va se traduire par un certain nombre d’attitudes pastorales telles qu’elles sont signifiées dans les ecritures bibliques.
La Bible fait une distinction entre le mercenaire et le pasteur. Dans une invective aux pasteurs d’Israel, que l’on trouve dans Ezéchiel et dans Jérémie, il leur est reproché d’avoir tondu les brebis à leur compte, de ne pas s’être occupé de la brebis chétive et de les avoir dispersées… et cela est assortie d’une promesse, celle d’avoir un jour un bon pasteur. On sait aussi que le mercenaire laisse tomber le troupeau dans l’adversité. Saint Augustin développera cela dans un celébre discours aux pasteurs.
La mission pastorale ne se caractérise donc pas par les indispensables activités religieuses mais par des attitudes. La pastorale caractérise donc la tâche de l’Eglise dans la mission de Dieu dans le monde. Elle caractérise aussi la manière d’accomplir cette tâche, à la manière du bon berger qui prend soin non seulement de son troupeau dans son ensemble mais aussi de chacun. Le troupeau est l’humanité tout entière. Le berger, le Christ est le berger de toute l’humanité et de toute humanité. Il y a un seul troupeau et un seul pasteur. En revanche il y a plusieurs bergeries. Toutes les brebis du Christ ne sont pas dans la bergerie catholique. De ceux-là aussi il est le Pasteur même si elle ne le connaissent pas et ne le désignent pas par le nom de Christ.
La mission pastorale du chef d’établissement
Quelle est la mission pastorale du chef d’établissement ? Nous comprenons bien que si cela consiste à veiller aux activités pastorales et à soutenir l’APS, c’est plus fondamentalement veiller à ce que l’ensemble de la vie de l’établissement soit inspirée par cette attitude pastorale.
Il est lui-même le « chef » d’établissement. Le chef n’est pas le patron mais la tête. Une tête sans corps et sans membres n’a pas beaucoup d’intérêt ! C’est même plutôt répugnant ! Le Chef c’est le Christ bon berger. Le chef d’établissement n’est pas le Christ ! Ca se saurait … mais il est le signe du Christ qui conduit le troupeau. Il est le signe du Christ tête. Il est le signe du Berger unique. Et donc lui-même essaie de vivre de ce signe. C’est essentiellement un signe !
N’allez pas vous mettre des charges trop lourdes sur les épaules ? Vous en avez assez ! Il vaut mieux commencer par regarder comment vous étes déjà ces pasteurs. Quand vous veillez à la vie de l’établissement, à sauvegarder des emplois, à faire des horaires où vous essayez de respecter les besoins des uns et des autres. Et aussi quand vous recevez un jeune et que vous l’inscrivez. Quand vous lui donnez la parole. Quand vous encouragez un enfant… etc… Quand vous vous faites du souci pour un enseignant…
L’Evangile c’est le quotidien. Vous êtes déjà des pasteurs…
Quand on commence à mettre trop de poids sur les épaules de quelqu’un ou sur les siennes propres ce n’est pas bon signe du point de vue de l’Evangile. Jésus ne nous dit jamais de travailler ! Jésus nous invite plutôt à nous décharger du poids qui écrase nos épaules : « Venez à moi vous tous qui peinez sous le poids du fardeau et moi je vous procurerai le repos ». Celui qui veut être bon pasteur doit commencer par prendre soin de lui et par se décharger de ce qui est trop lourd. Il mettra sa confiance en un Autre et dans les autres. On s’épuise souvent en vain. Nietzsche parle des trois métamorphoses : passer du chameau qui porte la charge à « l’enfant qui joue et rit et danse ». Je regrette que cette parabole ne soit pas dans l’Evangile sous cet forme mais l’Esprit y est.
Pour ce que je vois vivre, je trouve que les chefs d’établissement manquent moins de conscience professionnelle que de ressourcement personnel. Le poids des choses trop lourdes entraine plus vers le divertissement que vers le ressourcement et cela crée un cercle vicieux.
La mission pastorale de l’enseignant.
L’enseignant aussi a une mission pastorale quelle que soit son appartenance religieuse déclarée. A ce propos, on fera bien de ne pas prendre trop au sérieux les déclarations de foi, d’agnosticisme ou d’incroyance. Elles sont relatives à l’idée que chacun se fait de Dieu ou de la foi et qui est toujours déformée. En plus ceux qui disent qu’ils croient sont traversés par le doute. Pas de foi sans doute ! Et ceux qui disent qu’ils ne croient pas doutent aussi parfois de leur incroyance. Bref ces grandes déclarations ne sont jamais très pertinentes ! Et puis c’est vraiment un peu trop confortable de dire que l’on est agnostique – c’est à dire que l’on ne sait pas – dans un domaine aussi mystérieux que la foi !
« Le but de l’école est la promotion de la personne humaine dans toutes ses dimensions… » Cette définition est une condition pour être enseignant dans l’EC. Une personne catho-catho et raciste n’aurait pas sa place dans l’EC quelles que soient ses lettres de noblesse dans l’Eglise. En revanche l’école travaille à l’avènement du Royaume de Dieu et comme le disait Jésus : ceux qui ne sont pas contre Lui sont avec Lui. Aux disciples du baptiste qui ne savent pas si Jésus est le Messie attendu, il leur dit : « rapportez à Jean ec que vous voyez : les aveugles voient, les boiteux marchent, les sourds entendent, la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres. »
Or cette expérience-là est une expérience que font les enseignants. Ils savent ce que cela veut dire que quelqu’un de sourd qui se met à entendre ou qu’un enfant qui boite parce qu’il a pris quelques coups dans la vie se mette à marcher… fut-ce en claudiquant. Ils sont même parfois témoins de petits miracles ; certains même ressuscitent là où on ne s’y attendait plus ! Ce ne sont pas des analogies. C’est la réalité du « Royaume qui est parmi nous à la manière d’un levain dans la pâte ».
Un des problèmes de notre société et que l’on retrouve à l’école consiste à mettre la pression aux gens, de manière fort moralisatrice d’ailleurs, sans jamais leur dire que ce qu’ils font est bien. Or la plupart des enseignants sont très attentifs à leurs élèves. Ils ont le souci de leur développement. Ils sont heureux de ces petites victoires du quotidien. Il manque de personnes pour le leur dire… mais il est vrai qu’ils ne se font pas toujours du bien dans les salles de profs !
Même s’il y a quelques mercenaires, ou plus exactement, même si en chacun il peut y avoir quelques attitudes mercenaires, la plupart d’entre eux et la plupart du temps ils sont plutôt les bons bergers. Ils connaissent chacun par leur nom. Ils ne font pas que les compter. Ils prennent du temps avec celui qui est blessé, malgré les effectifs. Ils leur ouvrent des portes car le bon pasteur n’enferme pas dans quelque bergerie que ce soit mais il conduit les brebis dehors. Ils les conduisent à découvrir autre chose du monde, de la vie, du sens…
Un des aspects de la mission pastorale du chef d’établissement consiste peut-être à encourager tous ces pasteurs que sont les enseignants, à faire valoir ce qu’ils font de positif.
Conclusion
La chance de l’école est d’être ouverte à tous et donc d’être en plein vent. La mission de l’école est le rappel d’une dimension essentielle de la mission de l’Eglise. L’Eglise est ordonnée à la mission de Dieu qui veut que tous les hommes soient sauvés. Je suis venu pour qu’ils aient la vie et qu’ils aient la vie en abondance.Jn 10, 10. Une Eglise qui réduirait sa mission a sa propre survie d’une part trahirait la mission de Dieu le Père et d’autre part glisserait sur la pente de sa propre disparition. Comme le disait Barth : « une Eglise préoccupée d’elle-même porte déjà les stigmates de la mort ». Cela vaut pour l’école et pour l’enseignement catholique en général. Nous avons une mission autrement plus belle et exaltante. Celle de participer à cet amour de Dieu pour tout homme, pour toute femme et de vouloir que chacun puisse s’avancer sur les chemins de sa vie dans la liberté de l’Esprit. Nous avons été choisis pour cela non en vertu de nos compétences ou de quelques mérites que ce soit de notre part mais par pur amour de Dieu pour nous. Il nous a associé à travers ce travail de chef d’établissement à sa mission, sans charger nos épaules mais en nous proposant d’entrer dans une amitié avec Lui qui ne manquera pas de nous rendre la charge moins lourde.