Christian Salenson, L’école catholique est-elle laïque ?, Septembre 2016

Rentrée chefs d’établissement

DDEC Marseille

19-20 septembre 2016

 

 

 

 

 

L’Ecole catholique est-elle laïque ?

 

 

 

 

J’ai réservé la question de la laïcité pour ce matin car il me semble qu’elle est une des questions vives du moment sur laquelle nous devons faire preuve de vigilance car nous engageons les années à venir. En effet depuis une bonne dizaine d’années le contexte a changé et à la faveur des problèmes que pose la radicalisation de quelques jeunes qui se disent musulmans, la place des religions dans l’espace public en est affectée. Dans le contexte actuel, un durcissement de la laïcité ne manquerait pas de se répercuter sur l’enseignement catholique, y compris sur sa légitimité, voire son financement.

Nous assistons à des querelles vives autour de la compréhension de la laïcité. Je pense aux débats entre Jean-Louis Bianco, président de l’observatoire de la laïcité et plutôt dans l’esprit de la loi de 1905, propre de François Hollande et Manuel Valls, inscrit plutôt dans une laïcité antireligieuse, par conviction ou par jeu politique, je ne saurais dire. De même cet été dans les tribunes du monde, on a assisté à une joute entre Pena-Ruiz et Jean Bauberot, l’un et l’autre reconnus comme des spécialistes de la laïcité, le premier se présentant plutôt comme un philosophe de la laïcité, le second comme un historien.

Depuis toujours l’Ecole est en première ligne dans ces débats. Ce fut le cas au cours de l’histoire, depuis la demande de Montalembert au XIXe d’une école libre, jusqu’aux conflits des congrégations et lors de la loi de séparation des Eglises et de l’Erat et à notre époque la loi sur les signes religieux à l’Ecole. Inutile de rappeler donc que l’Enseignement catholique est largement concerné par ces débats, beaucoup contestant sinon sa légitimité, du moins son statut de service public et les financements afférents.

 

Je me propose de faire quelques remarques autour de la séparation du politique et du religieux, puis d’envisager quelques défis autour de la laïcité, de donner quelques repères, de resituer vis-à-vis de la liberté religieuse et enfin de faire quelques remarques autour de l’Ecole catholique et la laïcité.

 

Je vous propose donc que nous revenions au fondement de la loi de 1905 et à la question de la séparation du politique et du religieux. Puis nous pourrons regarder les défis de la laïcité aujourd’hui et essayer de dresser une typologie des différents courants d’opinion sur la laïcité. Puis je vous proposerai quelques points de repères sur la laïcité. J’essayerai de resituer la laïcité par rapport aux droits de l’homme et à la liberté religieuse et dans une dernière partie conclusive nous pourrons faire quelques remarques sur l’enseignement catholique et la laïcité.

 

 

  • La séparation du poliltique et du religieux

 

 

La République est laïque.

 

La constitution de 1958 définit la « La France comme une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée. [1]» Mais il faut remonter à la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat pour l’instauration de la laïcité. Cette loi régit toujours la laïcité en France. Elle confirme dans son article 1er la liberté de conscience et la liberté de culte[2], déjà présente dans l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 17892, et le libre exercice des cultes : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public.» On remarque déjà qu’il ne s’agit pas seulement de la liberté de conscience mais aussi de la liberté de culte. Nous reviendrons sur ce point.

Enfin, selon l’article 2 du même Titre 1er : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l’État, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l’exercice des cultes. » On remarquera à ce propos les exceptions significatives prévues dans la Loi elle-même qui nous donnent le sens et l’esprit de la Loi. En même temps que la loi affirme qu’elle ne salarie aucun culte, l’Etat finance dès 1905 des aumôniers pour les prisons, pour l’armée et pour les hôpitaux. On peut s’interroger sur les raisons de cette exception. Si l’Etat déclare sa neutralité par rapport aux religions, il se reconnaît la responsabilité de favoriser aux citoyens le libre exercice de leur religion. Les personnes qui sont dans l’incapacité de se rendre dans une église ou un temple, parce qu’elles sont consignées en un lieu, doivent pouvoir pratiquer leur religion. On comprend déjà que cette loi n’est pas une loi antireligieuse.

 

La loi de 1905, séparant les cultes et la République, instaure ainsi, en matière de religion, un régime libéral. Selon son rapporteur, Aristide Briand en énonce le principe : « toutes les fois que l’intérêt de l’ordre public ne pourra être légitimement invoqué, dans le silence des textes ou le doute sur leur exacte interprétation, c’est la solution libérale qui sera la plus conforme à la pensée du législateur. […] Le principe de la liberté de conscience et du libre exercice du culte domine toute la loi »3 De fait jusqu’à ce jour, habituellement les décisions de justice ont toujours favorisé la liberté d’expression de la religion dans l’espace public, moyennant le respect de l’ordre public. Autorisation des processions, des sonneries de cloches, possibilité pour les prêtres d’être en soutane dans la rue etc.

 

La séparation et dépendance du politique et du religieux

 

La loi de 1905 établit une séparation du politique et du religieux. Elle met fin à la tutelle de l’Eglise catholique et à son hégémonie sur la société française, déjà bien entamée sous la Révolution française mais dominante encore tout au long du XIXe siècle. Cette loi intervient dans un contexte tendu dans la société entre des courants très divers et très marqués. On ne peut tous les énoncer ici mais disons qu’il y a d’une part l’Eglise catholique qui dans la quasi unanimité de sa hiérarchie[3], entend bien ne pas perdre son pouvoir politique sur la société. Il y a d’autre part des courants antireligieux dont certains entendent combattre la religion jusqu’à son éradication complète (Emile Combes par exemple), d’autres veulent soumettre la religion à l’Etat en imposant aux Eglises de dépendre totalement de l’Etat (laïcité gallicane).

La loi de 1905 est une loi d’apaisement entre ces courants qui déchirent la société française. Elle est portée par deux hommes d’exception : Aristide Briand et Jean Jaurès qui réussiront à imposer cette loi qui respecte non seulement la liberté de conscience mais la liberté religieuse et qui en même temps dégage l’espace du politique sans le soumettre à un pouvoir religieux. La mise en œuvre fut compliquée. Cette séparation s’avèrera à terme extrêmement bénéfique à la société et chacun finira par accepter ce régime de laïcité. Les évêques de France affirmeront dans la lettre aux catholiques de France « le caractère positif de la laïcité », évidemment quand celle-ci n’est pas antireligieuse.

 

Cette loi de séparation intervient dans les relations entre le politique et le religieux. Toutefois la séparation n’est ni l’ignorance ni l’exclusion. Le politique et le religieux grandissent à portée l’un de l’autre, un lien très fort les unis et l’un a besoin de l’autre particulièrement dans la construction de la paix. L’apartheid du religieux amputerait le politique et ne manquerait pas à terme de se retourner contre le politique.

 

Le politique a besoin du religieux

 

Les grands problèmes politiques sont des problèmes religieux. Parfois des hommes politiques éclairés le reconnaissent et le disent. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur et des cultes en exercice, à Strasbourg s’exprimait ainsi il y a quelques mois : « L’histoire politique ne doit pas nous dissimuler la réalité de certaines filiations. Certes, notre devise républicaine s’adresse à ceux qui croient au ciel, comme ceux à qui n’y croient pas. Pour autant, comme le relevait Jean-Paul II, notre devise nationale, « liberté, égalité, fraternité » rejoint bien à certains égards le message évangélique… » En affirmant cela, il disait ni plus ni moins que le politique puise ses valeurs dans les religions[4]. 

Ainsi la religion inspire le politique lui fournissant des valeurs éthiques susceptibles comme en France de devenir des valeurs républicaines, lui rappelant la valeur intrinsèque de l’être humain etc. et cela même lorsque le politique ne reconnaît pas avec la même probité que Bernard Cazeneuve la place prépondérante de la religion. On trouverait cette idée chez le philosophe Jürgen Habermas. Il souligne « l’influence favorable qu’ont effectivement exercée les Églises et les mouvements religieux dans l’instauration ou la défense de la démocratie et des droits de l’homme » et cite entre autres Martin Luther King. Il souligne « les racines profondément religieuses de la plupart des mouvements sociaux et socialistes » [5]. On pourrait allonger la liste et faire valoir à notre époque, ce que le pape François a dit sur l’écologie ou encore sur les migrants… dans une Europe qui est en crise non pas tant économique que culturelle et éthique ( et peut-être même sur la question du sens…) .

Le religieux a besoin du politique

 

La religion a besoin des limites du politique. La religion peut fort bien vouloir instrumentaliser le politique. L’histoire en fournit de nombreux exemples. Il faut, pour le bien de la religion elle-même et de ses adeptes que ses prétentions soient limitées par le politique. La religion vise l’Absolu et comporte par nature une part d’irrationalité ! Elle peut se croire et se présenter elle-même comme absolue. Le politique doit la circonscrire afin qu’elle ne s’impose pas dans l’espace public de manière hégémonique.

Le politique doit aussi garantir la liberté religieuse de tous, veiller au respect des minorités et au droit de chacun de pratiquer le culte de son choix, particulièrement dans des sociétés pluri religieuses. Le politique veille à l’ordre public et impose aux religions le respect de l’ordre public, de la loi, de l’organisation sociale.

La limite des religions par le politique est une des conditions de la paix sociale mais aussi de la paix des individus, y compris des adeptes de la religion qui trouvent dans le politique une protection vis-à-vis de l’institution religieuse à laquelle ils appartiennent.

 

Conclusion : la loi de 1905 instaurant la laïcité en fait un principe juridique politique qui permet de limiter les prétentions des religions à dominer l’espace public.

 

 

  • Défis actuels autour de la laïcité

 

 

Un changement est intervenu à la faveur de la globalisation du monde et des déplacements de population. Désormais la République française doit compter avec une religion qu’elle n’avait pas considérée jusqu’à ce jour. Elle aurait pu car il y a fort longtemps que la République compte parmi ses citoyens des croyants musulmans mais contrairement à ce que prévoyait la loi de 1905, la séparation des Églises et de l’Etat n’a jamais été appliquée dans les trois départements français d’Algérie avant la guerre d’indépendance.

 

Or cette religion a une inscription sociale différente et une autre visibilité que le catholicisme. Le christianisme a sa propre visibilité sociale, surtout dans sa version catholique. Il a organisé les espaces ruraux aussi bien qu’urbains par le nombre très grands de ses édifices, de ses croix sur les chemins ou les sommets etc. Il a donné de nombreux noms de lieux, de villes, de rues, de quartiers etc. mais les Français sont habitués à cela et souvent ne le remarquent même pas. L’islam a d’autres manières de se donner à voir : par le vêtement, par la nourriture et des règles alimentaires quasiment absentes de la religion chrétienne, par des modes de vie qui allient des coutumes culturelles à des pratiques religieuses, parfois fort difficiles à distinguer comme la question du voile par exemple.

 

La laïcité se trouve confrontée désormais à devoir vivre avec cette nouvelle diversité religieuse. La République a l’habitude de communiquer avec une religion très hiérarchisée, mais dans l’islam il n’y a pas de pape ni d’évêques… Le politique créera le Conseil Français du Culte musulman, sous l’égide du ministère de l’intérieur qui jusqu’à ce jour n’a pas réussi à s’imposer vraiment.

 

La question de l’islam est d’autant plus complexe qu’elle s’inscrit dans une longue histoire. Depuis la naissance de l’islam jusqu’à ce jour l’histoire a montré des grandes possibilités des rencontres et d’échanges – Bagdad au IXe, le règne d’Alphonse le sage, tout ce que l’occident a reçu des arabes au moment de l’âge d’or de la culture musulmane XIe XIIe siècle mais l’histoire est aussi blessée par des conflits tels que les croisades etc. L’histoire récente de la colonisation a été une humiliation du monde arabe[6]. On lui doit la naissance de la plupart des mouvements de réveil conservateurs d’aujourd’hui. Bref nous n’en avons pas fini avec notre histoire !

 

Les nouvelles laïcités

 

Face à cette situation nouvelle et en présence d’une laïcité mieux acceptée on assiste depuis une vingtaine d’années à des évolutions de la laïcité. J’en retiens trois pour ne pas se perdre dans les nuances.

 

Regain de laïcité antireligieuse

 

On assiste à la résurgence des vieux courants anticléricaux et plus largement antireligieux qui face à cette situation nouvelle voudraient saisir l’opportunité pour éradiquer les religions totalement de la vie de la société. Sans pouvoir refuser la liberté de conscience dans l’intime de chacun, ( mais comment le pourrait-on ? Aucune dictature athée même la plus féroce n’a jamais pu y parvenir) toute forme de religion doit être bannie de l’espace public : refus de toute visibilité, refus de financements des établissements catholiques d’enseignement qui participent au service public, athéisme d’Etat même dans le cas de Michel Onfray, dénoncé par la Libre Pensée elle-même. Certains de ces courants contestent la liberté religieuse bien qu’elle soit un droit de l’homme par un sophisme : puisque la religion aliène les hommes, il faut refuser la liberté religieuse pour les libérer de la religion. Il m’arrive de penser que l’intégrisme républicain est plus dangereux que l’intégrisme musulman ou catholique. Je les crois en tout cas de même nature : un refus de l’altérité.

 

 

La laïcité ouverte

 

A l’opposé d’autres voudraient une laïcité ouverte. Sorte de blasphème pour certains, l’expression « laïcité ouverte » fut d’abord employée par Paul Ricoeur dans un contexte de débat sur le monopole de l’enseignement. Ricoeur était favorable à nationaliser les écoles privées sans les étatiser. Aujourd’hui l’expression a pris un autre sens. Elle est fréquemment employée dans les milieux croyants, de diverses religions ou des milieux humanistes. La « laïcité ouverte » se fonde sur l’idée de l’utilité sociale des religions et ses adeptes pensent qu’un État laïque aurait intérêt à reconnaître cette utilité.

 

L’ambiguïté de la laïcité ouverte, qui peut cachée une volonté hégémonique latente, est apparue par exemple lors du mariage pour tous. Que s’est-il passé ? On a assisté à deux débordements qui contreviennent à la laïcité et à l’esprit de la loi de 1905. Chacun a le droit de manifester son opposition à une loi, y compris au nom de ses convictions religieuses. Certains n’admettent pas qu’au nom des croyances certains manifestent dans l’espace public ! D’autres qui invoquent la laïcité ouverte (mais pas tous ceux qui s’en réclament) ont montré ses dérives possibles. Ce fut le cas de certaines autorités ecclésiastiques qui ont dit que la loi serait illégitime… L’Église peut avoir un jugement moral sur une loi mais ne décide pas de la légitimité d’une loi de la république.

 

La laïcité identitaire

 

La laïcité historiquement est un marqueur de gauche, bien qu’acceptée par tous les partis depuis longtemps. La laïcité identitaire est devenue à la période récente un marqueur de droite, mais d’une certaine droite : l’extrême droite et la droite extrême. La laïcité identitaire nait autour de la question du voile et du rapport à l’islam.

Suite aux attentats de New York de 2001et de la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle en 2002, l’idée est de la faire de la laïcité le projet politique de la droite [7]. L’idée est la suivante : les temps ont changé. L’Église a fait sienne une laïcité apaisée. La droite peut donc parler le langage de la laïcité sans perdre son électorat catholique. Désormais, le discours sur la laïcité peut être invoqué face à l’islam. Le discours sur la laïcité permettra aussi de faire le clivage avec l’extrême droite qui, sous la présidence de Jean Marie Le Pen, reste opposée au nom de l’histoire, à la laïcité. François Baroin propose que l’on crée une commission ad hoc. Ce sera fait un mois plus tard : la commission Stasi. La loi du 15 mars 2004, dite du voile, sera votée par la droite et une partie de la gauche. Elle permet à Chirac de réunir une large majorité.

La droite républicaine n’avait pas prévu le changement de posture de l’Extrême droite avec le remplacement de Jean Marie le Pen par Marine Le Pen qui va faire main basse sur la laïcité[8]. Pour l’extrême droite, la laïcité devient même un marqueur de droite extrême sous couvert d’identité française. Le parti de Marine Le Pen prône la limitation de la liberté religieuse. La laïcité identitaire renoue avec la vieille laïcité gallicane. La laïcité identitaire transgresse la neutralité de l’État au profit d’une idéologie identitaire à laquelle on attribue une valeur supérieure à la neutralité de l’État. Elle transforme la laïcité en outil de protection contre l’islam. Elle favorise l’inégalité des citoyens. Elle limite la liberté d’expression.

 

Dans le même temps Nicolas Sarkozy parle d’une laïcité positive. Il affirme les racines chrétiennes de la France, la supériorité du curé sur l’instituteur, de la morale chrétienne sur la morale laïque, ce qui a pour effet d’exciter les milieux de gauche, de cliver la droite républicaine entre deux courants différents : Sarkozy/Juppé Morano/Pécresse.

 

Personne n’est neutre et je n’échappe pas à la règle. Je vais donc prendre position dans le débat, en donnant quelques points qui me semblent des repères, en prenant appui sur trois instances que sont la loi de 1905 d’une part et d’autre art sur la liberté religieuse dans les droits de l’homme et la Convention européenne.

 

 

III- Points de repère sur la laïcité

 

 

Tous laïcs

 

La loi de 1905 permet d’affirmer que la laïcité ne s’oppose pas à la croyance. Il n’y a pas dans la société ceux qui croient et les autres, les laïcs comme on l’entend dire parfois. En effet la laïcité est un principe juridique qui s’applique à tous les citoyens. La République est laïque et donc tous les citoyens sont laïques, en ce qu’ils sont tous sous le régime de la laïcité. Certes le principe de laïcité tel qu’il est inscrit dans la loi de séparation des Eglises et de l’Etat a été porté par des courants qui n’étaient pas religieux, encore que ce point mériterait bien des nuances. Jean Jaurès qui fut auprès d’Aristide Briand le défenseur de la loi de 1905 avait fait sa thèse de philosophie sur la métaphysique et s’il a combattu le cléricalisme, ce fut aussi en fin connaisseur de l’Evangile[9]. Mais la loi a aussi été imposée aux courants antireligieux comme cela a été rappelé précédemment et le combat n’en fut pas moins difficile que pour l’imposer à l’Eglise.

 

La laïcité n’est pas la religion de ceux qui sont sans religion. La laïcité doit veiller à ce que tout le monde, ceux qui croient au ciel et ceux qui n’y croit pas[10] selon l’expression d’Aragon, puisse vivre librement dans une société démocratique, dans le respect de l’ordre public. Un ministre du gouvernement, particulièrement maladroit a dit qu’en France la laïcité est la religion de tous les français. Non ! la laïcité n’est ni une religion, ni une opinion de quelques-uns sans quoi on ne voit pas pourquoi cette religion ou cette opinion s’imposerait à tous. De tels propos font beaucoup de mal à la laïcité. Jean Bauberot, précédemment cité, grand spécialiste de la laïcité en France, titulaire de la chaire « histoire et sociologie de la laïcité à l’Ecole pratique des hautes études, à écrit un ouvrage il y a déjà 10 ans qu’il a intitulé « l’intégrisme républicain contre la laïcité [11]».

 

 

Neutralité de l’Etat, pas de la société

 

La laïcité suppose la neutralité de l’État comme le dit la loi de 1905. « L’Etat ne salarie ni ne subventionne aucun culte ». Voilà pourquoi il est demandé aux agents de l’État de faire preuve de la plus grande neutralité dans l’exercice de leur fonction. Toutefois cette neutralité n’est pas une neutralité de la société. La société n’est pas neutre[12] ! On y débat ! Toutes les opinions et toutes les croyances ont le droit de s’exprimer et de participer au débat démocratique. Or on assiste à une dérive qui voudrait neutraliser l’espace public. Il en va ainsi quand on veut interdire le voile à l’Université ou bien dans la rue. La liberté veut que chacun s’habille comme il veut dans l’espace public et que si le voile gène certaines personnes, il ne porte pas atteinte à l’ordre public. (Il en va différemment de la Burka)

Cette volonté de neutralisation de l’espace public conduit à des comportements étonnants. Je pense à la question des crèches. Elles font partie de la culture provençale. Que signifie cette volonté d’éradication des crèches dans l’espace public ? Surtout que par ignorance on leur substitue des sapins qui sont un symbole religieux probablement plus forts que les santons.

 

Sphère privée, sphère publique

 

Force est de constater que nous ne sommes pas à l’abri de dérives en ce domaine. Certains verraient d’un bon œil un reflux de la religion dans l’intime des personnes, réduisant ainsi la liberté religieuse à la liberté de conscience.

Un manuel scolaire des éditions hatier a sucité la réaction de parents et d’enseignants car il définissait ainsi la laïcité : « En France la laïcité suppose le refus de toute expression religieuse dans l’espace public ». Jean Louis Bianco, président de l’observatoire pour la laïcité a dû réagir[13]. « Cette définition est inexacte. Si la liberté d’expression des appartenances religieuses peut être limitée dans des conditions définies par la loi (ordre public, sécurité, hygiène…) l’interdiction de toute expression religieuse dans l’espace public est en revanche contraire au principe constitutionnel de laïcité ». « La laïcité garantit aux croyants et aux non-croyants le même droit à la liberté d’expression de leurs convictions ». « Son enseignement ne doit souffrir aucune confusion ». La responsable Célia Rosentraub directrice générale des éditions Hatier a du reconnaitre son erreur en qualifiant la définition de « tronquée donc erronée », « malencontreuse erreur ». La nouvelle définition annoncée pour la prochaine édition n’est pas excellente  « la laïcité garantit la liberté de conscience ; chacun est libre de croire ou de ne pas croire dans le respect de l’ordre public ». Elle réduit la liberté religieuse à la liberté de conscience, ou la liberté de croire et oublie la liberté d’expression.

 

L’affirmation récurrente selon laquelle la religion relève du domaine privé instille cette idée fausse. Si on entend par là que chacun a droit à son opinion personnelle et que l’Etat est affranchi de la tutelle des religions, alors cette expression peut se comprendre. En effet l’Eglise catholique qui était de droit public avant la Séparation est de droit privé après la loi, mais elle l’est au même titre que les syndicats ou les partis politiques ou les entreprises. Elle n’est plus un service public ! Si on entend par sphère privée que les religions sont renvoyées à l’intime en leur contestant par principe leur action dans la sphère publique, leur participation au débat démocratique, alors cela n’est pas acceptable. Les religions n’ont jamais été du domaine privé, ne serait-ce que parce qu’elles ont un culte, des règles alimentaires ou autres, des manifestations publiques comme des processions, une éthique qui leur fait prendre parti pour les réfugiés en ce moment par exemple etc. des institutions nationales ou internationales, une contribution à la marche de l’humanité comme le montre François allant au Conseil de l’Europe, produisant une encyclique remarquée sur l’écologie, ou se rendant à Lampédusa ou à Lesbos, ce qu’aucun homme politique n’a fait ! Les religions relèvent de l’espace public. Les religions n’accepteront jamais d’être du domaine privé, ce qui d’ailleurs serait en contradiction avec les droits de l’homme qui énonce que la liberté religieuse se vit « en public et en privé ». Or ce danger existe. On a vu et entendu des journalistes commentateurs ou des citoyens tout étonnés que certains catholiques manifestent contre la loi dite du mariage pour tous. Indépendamment de l’opinion que l’on peut avoir sur cette loi, les gens ont le droit de manifester au nom de leur religion leur désaccord avec une loi et puis, comme on est dans une démocratie, ils doivent accepter la loi à laquelle eux-mêmes en conscience se soustraient pour leur pratique personnelle.

 

La reconnaissance par l’Eglise catholique de la laïcité

 

L’Eglise catholique après avoir refusé la loi de 1905 et la séparation des Eglises et de l’Etat a appris à vivre en régime de laïcité. Dans le même temps la loi de 1905 a protégé l’Eglise catholique contre les courants antireligieux. Ainsi tout au long du XXe siècle la laïcité a guidé les relations entre l’Eglise catholique et l’Etat, prenant des décisions de jurisprudence apaisées. Aussi dans la lettre aux catholiques de France, texte tout à fait officiel, les évêques malgré leur grande diversité ont pu reconnaître son caractère positif :

 

« A cet égard, la séparation de l’Eglise et de l’Etat, après un siècle d’expérience, peut apparaître comme une solution institutionnelle qui, en permettant effectivement de distinguer ce qui revient « à Dieu » et ce qui revient « à César », offre aux catholiques de France la possibilité d’être des acteurs loyaux de la société civile. Affirmer cela revient à reconnaître le caractère positif de la laïcité, non pas telle qu’elle a été à l’origine, lorsqu’elle se présentait comme une idéologie conquérante et anti-catholique, mais telle qu’elle est devenue après plus d’un siècle d’évolutions culturelles et politiques : un cadre institutionnel, et, en même temps, un état d’esprit qui aide à reconnaître la réalité du fait religieux ».

 

 

Les valeurs de la République

 

La laïcité pourtant ne suffit pas et en cela elle n’est pas à proprement parler une valeur. Il y a une ambiguïté autour du mot valeur qui désigne à la fois des valeurs morales à prétention universelle et les valeurs d’une société donnée à un moment de son histoire et en fonction de son idéologie. Le travail par exemple ! Le travail n’est pas une valeur morale et encore moins une valeur chrétienne ! Le travail est une valeur de notre société, depuis l’avènement de la bourgeoisie à partir de la Renaissance. Au Moyen âge l’otium était la valeur prisée plus que la négotium. Un jour, peut-être proche le travail ne sera plus une valeur sociale.

 

La laïcité n’est pas une valeur morale. Elle est un principe juridique qui se présente comme une valeur sociale. Elle ne relève pas de l’éthique mais de l’ethos d’une société. Elle n’a aucune universalité, contrairement à l’éthique ; on dit même parfois qu’elle est une exception française. Aussi elle a besoin des valeurs de la République : liberté, égalité, fraternité. On ne vit pas durablement sur des principes juridiques, des lois ou des règlements inflationnistes en notre temps. La République a besoin pour vivre de se reconnaitre des valeurs. Les citoyens ont besoin d’avoir intégré ces valeurs. Ces valeurs elle les affiche au fronton des mairies : liberté, égalité, fraternité.

 

L’Église catholique a tout pour être à l’aise dans la devise républicaine puisque ces valeurs font partie de l’anthropologie chrétienne. Jean Pierre Chevènement qui n’est pas soupçonnable de collusion avec l’Eglise catholique l’avait dit en son temps, lorsqu’il était ministre de l’intérieur et des cultes :

« Les valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité qui ont inspiré le combat républicain sont pour une large part des valeurs chrétiennes laïcisées. La liberté et surtout l’égalité sont largement des inventions chrétiennes. S’agissant de l’égalité, on ne peut qu’admettre l’audace à proprement parler révolutionnaire des Evangiles, faisant surgir cette idée neuve, contraire à toutes les normes et les idées d’un monde romain à la culture fortement hellénisée. Quant à la fraternité, elle est une traduction, à peine une adaptation, de l’agapé du Nouveau testament.[14] »

 

Bernard Cazeneuve a dit des choses semblables lors des états généraux du christianisme à Strasbourg. Dans cette déclaration courageuse qui a dû lui valoir quelques remarques de certains, il évoque alors les trois valeurs républicaines : « Des figures telles que celle du Pasteur Dietrich BONHOEFFER ont magnifiquement témoigné de cet amour chrétien de la liberté, acceptant de subir le martyre plutôt que d’abdiquer face à la barbarie nazie.

De même, quand Saint Paul écrit aux Galates : « Il n’y a plus ni juif ni grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus l’homme et la femme, car tous, vous ne faites plus qu’un », comment ne pas y voir la racine première de l’égalité républicaine de tous devant la loi ?

Quant à la fraternité républicaine, elle est l’expression politique de la grande question biblique “Qu’as-tu fait de ton frère?”.

Faire vivre les valeurs républicaines, qui sont aussi largement celles de l’évangile, constitue pour moi l’une des clés de ce renouveau que vous (les chrétiens) vous appelez de vos vœux. Même si elle est marquée par la sécularisation comme tous les pays occidentaux, même si elle a accueilli sur son sol les croyants de toutes confessions, qui contribuent eux aussi à sa richesse culturelle, la France est historiquement un pays de tradition chrétienne…

…Je n’ignore pas qu’en tenant de tels propos, je m’expose aux critiques de ceux qui estiment que la laïcité consiste pour l’État et ses représentants à ignorer l’existence du fait religieux, à redouter ses effets ou même à restreindre son expression dans l’espace public.

Telle n’est pas ma conception. Telle n’était pas non plus la conception des inspirateurs de la loi de 1905, je pense à Aristide BRIAND ou à Jean JAURES, qui désiraient une loi d’apaisement… « La Laïcité, comme l’a très bien dit Émile POULAT, c’est une société qui donne place à tous. »

…La laïcité n’interdit ni le dialogue, ni le respect mutuel entre l’État et les responsables des cultes. Je suis personnellement très attaché à ce dialogue…

 

Tout le monde connaît ces valeurs mais tout le monde n’est pas initié à les vivre. Si certains les rejettent, cela peut venir du décalage trop grand entre ce discours et la réalité vécue. On peut même penser que marteler ce discours, à l’encontre de la réalité vécue ou perçue comme telle, pourrait produire l’effet inverse.

 

IV- La liberté religieuse

Le quatrième volet de cette intervention porte sur la liberté religieuse. En effet la laïcité est en référence à un droit humain plus fondamental qui est la liberté religieuse et la liberté d’expression. La liberté religieuse a des racines lointaines dans l’histoire et sans anachronismes à condition de mettre les distinctions qui s’imposent, on peut remonter probablement jusqu’à Constantin.

 

Constantin et l’Édit de Milan

 

Constantin est l’auteur avec Licinius de l’Édit de Milan en février 313 qui va donner la liberté religieuse aux chrétiens mais aussi à tous les autres adeptes de religions. L’empire romain pratiquait une certaine liberté religieuse. Les Romains laissaient aux peuples conquis le droit de pratiquer leur culte et d’adorer leurs dieux. Il y avait cependant une double condition à cela : il fallait que ce soit les dieux d’un peuple et donc cette autorisation relevait d’un critère d’ethnicité et d’autre part que ce culte soit une tradition ancestrale. Or la religion chrétienne n’était pas liée à un peuple particulier depuis la séparation des chrétiens et des juifs au second siècle et que d’autre part elle manquait d’ancestralité pour la même raison. L’empire pouvait donc garantir la liberté religieuse des juifs car leur religion répondait à ces deux critères mais pas celle des chrétiens. Ainsi les chrétiens constituaient une anomalie juridique[15].

 

Ainsi dans le rescrit de Licinius[16] on lit: « Pendant que nous étions heureusement réunis  à Milan, moi Constantin Auguste et moi Licinius Auguste, nous avons cru, dans un dessein salutaire et très droit, devoir prendre la décision de ne refuser cette possibilité à quiconque, qu’il ait attaché son âme à la religion des chrétiens ou à celle qu’il croit lui convenir le mieux… ». « La même possibilité d’observer leur religion et leur culte est concédée aux autres citoyens ouvertement et librement comme il convient à notre époque de paix … Ce qui a dicté notre action, c’est la volonté de ne pas paraître avoir apporté la moindre restriction à aucun culte ni à aucune religion ».

 

 

Si l’Édit de Milan permet à la religion chrétienne une existence publique, chacun peut désormais changer de religion et se convertir, avoir la liberté de conscience et la liberté de croyance ainsi que la liberté de culte. Désormais il n’y a plus ni restriction, ni exclusion, ni discrimination[17]. Hélas, ce fut comme un « départ manqué [18]». Assez rapidement la religion chrétienne sera considérée comme l’unique religion, avec l’Edit de Thessalonique[19]. « Il avait la fraicheur d’une rose ; il en eut la destinée et la durée », dit Emile Poulat.[20]

 

Il faudra attendre la Déclaration des droits de l’homme en 1948 pour que soit clairement affichée la liberté religieuse comme une liberté fondamentale de l’être humain et dans l’Église catholique la Déclaration conciliaire Dignitatis humanis, en 1965.

 

La liberté religieuse à la période moderne …

 

Ce fut l’état de Virginie qui le premier adopta un texte qui instaure la liberté religieuse, en 1786 et un amendement de 1791 stipule que « Le Congrès ne fera aucune loi accordant une préférence à une religion ou en interdisant le libre exercice, restreignant la liberté d’expression, la liberté de la presse ou le droit des citoyens de se réunir pacifiquement et d’adresser à l’État des pétitions pour obtenir réparation de torts subis. » Chaque année, une journée, le 16 janvier est proclamée jour national de la liberté religieuse.

En France, la liberté religieuse est évoquée dans l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. » Ce qui a représenté un progrès majeur pour la liberté, en particulier à ce moment là pour les juifs. Il n’en alla pas de même pour les musulmans dans les colonies[21]. Puis la loi de séparation des Églises et de l’État en 1905. Enfin la Constitution française de 1958, « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. ». Ces différentes déclarations ne mentionnent pas explicitement la liberté religieuse ou la liberté de religion qui comprend non seulement le droit à la liberté de conscience, le droit à la liberté de culte mais aussi le droit à l’enseignement des religions par exemple. De ce point de vue la Convention européenne des droits de l’homme est plus explicite et plus avancée que les textes français. Elle reprend dans son article 9 en l’amendant, l’article 18 de la Déclaration Universelle : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites. »

Tout cela constitue d’authentiques évolutions du point de vue politique. Que se passe-t-il à ce moment-là du côté de l’Eglise catholique ?

 

 

L’évolution de l’Église à la période moderne[22].

 

L’Eglise catholique était opposée à la liberté religieuse. Depuis toujours, elle a défendue la liberté de conscience mais pas la liberté religieuse. Pie IX en 1864 trouvait que c’était « un délire de dire que la liberté de conscience et des cultes est un droit propre à chaque homme [23]». L’Église a longtemps combattu les droits de l’homme au nom des droits de Dieu. Les évolutions seront lentes d’abord avec Léon XIII (1878-1903)[24] qui demande « le ralliement à la République » attitude que beaucoup ne comprirent pas[25] ! Puis Pie XI (1922-1939) confronté aux deux grandes idéologies que furent le nazisme et le communisme se prononça plusieurs fois vis-à-vis des droits de la personne[26]. Ce fut le pape Jean XXIII qui apporté une évolution décisive[27] puis dans son sillage le concile Vatican II. en reprenant ce qu’avait dit Pie XII sur le fondement juridique de l’État va aborder plus explicitement la question de la liberté personnelle.

 

 

La déclaration Dignitatis humanae ?

 

« Le concile Vatican II déclare que la personne humaine a droit à la liberté religieuse ». En quoi consiste cette liberté ? « En ce que tous les hommes doivent être soustraits à toute contrainte de la part soit des individus, soit des groupes sociaux et de quelque pouvoir humain que ce soit, de telle sorte qu’en matière religieuse nul ne soit, dans de justes limites, forcé d’agir contre sa conscience, en privé comme en public, seul ou associé à d’autres. »

Cette définition de la liberté religieuse porte essentiellement sur le refus de toute forme de coercition soit pour empêcher soit pour forcer.

 

Le fondement

 

La question s’est posé du fondement de la liberté religieuse. Certains disaient que c’était une droit positif donc lié à la situation actuelle, d’autres un droit naturel, donc fondamental de la personne humaine. Ce point de vue a prévalu. « La dignité même de la personne humaine ». Il prend la forme juridique d’un droit civil et demeure dans sa nature un droit fondamental[28].

 

La liberté religieuse ne dépend en rien des contenus de croyances.

 

Le second point que nous devons relever dans la déclaration est donc que la liberté religieuse ne dépend en rien des contenus de croyances, ou des rapports qu’un sujet entretient avec le divin. Ce droit est un droit qui se rapporte exclusivement à la personne dans sa dignité. Il est pourrait-on dire a priori.

Ce qui d’ailleurs a des incidences sur les relations internes à l’Église et à toute communauté religieuse. Chacun a droit à cette liberté religieuse, y compris à l’intérieur de sa communauté d’appartenance et personne ne peut lui contester.

Sur cette base personne ne peut être contraint d’agir contre sa conscience mais aussi personne ne peut être empêché, y compris dans l’Église. Ce qui a des conséquences que l’on ne dit pas assez sur la capacité de tout un chacun de se déterminer ultimement en conscience y compris lorsque cela va à l’encontre de ce que demande l’Église. La décision morale n’est pas dans l’application de la loi mais dans le fait de suivre les dictées de sa conscience.

 

Liberté religieuse pour tous

 

Ceci implique que les êtres humains ne soient pas empêchés d’accomplir des actes extérieurs de culte individuels et communautaires, privés ou publics, de manifester et de diffuser une conviction à contenu religieux, de soumettre aux principes de leur foi toutes leurs activités

 

Cette liberté religieuse, dans la Déclaration, s’applique à tous les êtres humains : les croyants et les non-croyants. Elle se vit en privé et en public. Ceci signifie que la liberté religieuse se traduit dans une liberté de culte, publiquement affichée et aussi dans toutes sortes de manifestations publiques de la croyance, et en particulier par la participation au débat démocratique aussi comme croyant. Cette liberté religieuse qui est un droit de la personne est donc reconnue lorsque les individus agissent ensemble, et donc aux collectivités religieuses.

 

           

Laïcité, liberté religieuse et enseignement catholique

 

 

L’Ecole catholique est-elle laïc ? Nous retrouvons là le titre de cette intervention. A cela on peut répondre oui si on entend par là le respect de toutes les croyances mais aussi de tous les cultes, selon une laïcité dans l’esprit de la loi de 1905. Nous devons ajouter à cela que la laïcité n’est pas la neutralité mais bien l’expression des différences.

 

 

 

 

L’enseignement catholique doit garantir la liberté religieuse des enfants et des jeunes pour deux raisons au moins. En agissant ainsi, alors qu’il participe au service public de l’éducation, il s’inscrit dans la laïcité républicaine. D’autre part, en agissant ainsi il est fidèle à l’enseignement de l’Eglise catholique à laquelle il appartient et qui veut que l’on respecte la liberté religieuse, non seulement la liberté de conscience mais encore la liberté de culte et la liberté d’enseignement des religions.

Cette déclaration de principe à laquelle tout le monde peut souscrire est démentie dans certaines pratiques encore actuelles : obliger tout le monde à aller à la messe serait un manquement à la liberté religieuse ! II ne respecte pas l’enseignement de l’Eglise et quand on le justifie en disant que la messe c’est culturel, on bafoue la messe, qui est « la source et le sommet de la vie chrétienne », qui est pour les chrétiens, et dont je rappelle que dans la tradition de l’Eglise, les catéchumènes eux-mêmes ne pouvaient y avoir accès.

 

L’enseignement catholique doit garantir la liberté religieuse de ceux qui croient en la foi chrétienne en leur donnant les moyens de connaître et de vivre leur foi. Et sur ce point nous n’en avons pas fini de chercher et d’inventer comment être au service de la foi des chrétiens et de ceux qui veulent la découvrir pour avoir la liberté de se positionner.

Elle doit garantir la liberté de ceux qui ne croient pas et de ceux qui croient en étant d’autres religions. Nous n’en avons pas fini avec cette question. La liberté religieuse, comme la laïcité ne sont pas des attitudes d’abstention ou de neutralité (seul l’Etat est neutre) mais des attitudes positives qui veulent promouvoir, selon le principe de la laïcité, la liberté religieuse comme liberté de conscience, liberté de culte, liberté d’enseignement. Je ne connais pas d’établissement qui puisse se satisfaire de la réponse qu’il apporte aujourd’hui à cette question. La plupart respectent la liberté de conscience. Mais qu’en est-il de la liberté de connaître la religion ? Nous pouvons poser ces questions dans l’enseignement catholique ! Est-ce que dans les établissements nous permettons à tous de pouvoir connaître sa religion ? L’École a pratiqué pendant des décennies une laïcité d’abstention comme dit régis Debray, qui ne se justifie plus aujourd’hui mais qui a aussi imprégné les établissements catholiques. Est-ce que chacun n’a pas le droit à un enseignement avec un regard critique de sa religion et de la religion de l’autre ? L’Ecole sort de cette incompétence là pour passer à une laïcité de compétence toujours dans le langage de Régis Debray par l’enseignement du fait religieux dans les disciplines. Est-ce suffisant ? Nous livrons de jeunes générations qui n’ont aucune connaissance de leur religion en pâture à n’importe quel discours de radicalisation qui est d’autant plus efficace qu’il rencontre l’ignorance. La même ignorance autorise toutes les caricatures et toutes les présentations fondamentalistes de l’islam.

 

Mais la laïcité vient rejoindre les pratiques éducatives. La laïcité n’est pas un but en soit. A l’École, elle est un moyen pédagogique et elle inspire la pédagogie. La laïcité vise une fin supérieure qui est celle d’un « vivre ensemble ». Or ce vivre ensemble ne peut se satisfaire ni durer uniquement par la tolérance qui est souvent une forme d’abstention. Le « vivre ensemble » n’est pas non plus une volonté d’intégration et encore moins lorsque ce discours se fait violent en prônant l’assimilation qui viserait à l’uniformité. Le « vivre ensemble » suppose la différence et l’encourage. L’éducation à la laïcité se présente alors comme un formidable chemin d’éducation par un véritable apprentissage de l’altérité.

 

 

 

Il est bon que la République interpelle l’Ecole et que l’enseignement catholique s’inscrive dans la grande mobilisation de la République. Il est tout autant nécessaire qu’elle le fasse avec son génie propre, son patrimoine éducatif, son anthropologie, et la formidable capacité créatrice que lui autorise son caractère propre. L’École catholique a des marges de liberté mais la liberté s’use quand on ne s’en sert pas !

 

 

 

Conclusion

 

La laïcité n’est pas une valeur éthique. Elle n’est pas non plus un droit fondamental de la personne humaine puisque d’autres pays tout aussi démocratiques que la France ne vivent pas sous le régime de la laïcité. Elle est une valeur sociale, un éthos qui se vit dans la société française et qui est héritée de son histoire. Elle est donc dans sa nature et dans l’esprit de la loi de 1905, un principe juridique qui garantit à tous la liberté de croire ou de ne pas croire, de pratiquer sa religion ou non, d’exprimer publiquement ses croyances et de manifester publiquement sa religion.

 

Ce principe juridique a son fondement dans la liberté religieuse reconnue aujourd’hui comme un droit humain fondamental et inaliénable. La laïcité est donc sous le regard de la liberté religieuse qu’elle permet de vivre dans la société française mais aussi à laquelle elle doit rendre des comptes.

 

L’Église catholique doit garantir la liberté religieuse des personnes et oeuvrer en ce sens, soit pour elle-même en bien des pays, soit pour la liberté religieuse des autres croyants ou de ceux ne croient pas.

 

Mais le politique interroge aussi l’Eglise catholique en lui donnant le cadre de la République laïque. Peut-être serait-elle moins respectueuse de la liberté religieuse si elle était livrée à elle-même… Peut-être aurait-elle la tentation de reconquérir une hégémonie ou de confondre la mission avec le prosélytisme. Et même certaines règles de l’Eglise ne sont probablement pas encore conformes avec cette liberté religieuse. Parfois la société est en avance sur l’Eglise quand on respect de l’Evangile. Je pense aux divorcés remariés, question qui fort heureusement grâce à François évolue non sans rencontrer les résistances que l’on sait !

Mais a contrario, la République doit résister aux sirènes et aux instrumentalisations politiques de la laïcité qui lui feraient porter atteinte à la liberté religieuse. Plusieurs fois déjà la France a été montré du doigt à cause de sa tendance à ne pas suffisamment respecter la liberté religieuse.

 

La liberté religieuse et la liberté d’expression sont les deux libertés les plus fragiles et demandent une vigilance constante.

 

 

 

 

 

 

Christian Salenson

 

 

 

 

 

[1] article 1er de la Constitution de 1958.

[2] Titre 1er Principes.

[3] Un seul évêque a exprimé un avis différent.

[4] Bernard Cazeneuve, le discours de clôture des débats aux États généraux du christianisme organisés par La Vie dans la cathédrale de Strasbourg. Octobre 2015.

[5] Jürgen Habermas, « religion et sphère publique », Entre naturalisme et religion, les défis de la démocratie, NRF essais Gallimard. P. 182-183.

[6] La guerre d’indépendance de l’Algérie a laissé des traces douloureuses dans l’histoire mais aussi – et c’est moins souvent dit – une culpabilité parce que la conquête de l’Algérie fut extrêmement violente : 700000 morts sur 2 million 8 soit ¼ de la population…

[7] . François Barouin fait un rapport « pour une nouvelle laïcité » qu’il remet à Raffarin premier ministre de l’époque

[8] La laïcité identitaire de droite est essentiellement opposée aux immigrés et aux musulmans. Chirac crée la Halde pour veiller à l’application de la loi. Quand la Halde refuse que l’on étende la loi aux Universités, aux personnes qui accompagnent les sorties scolaires etc. parce que discriminatoire, Sarkozy supprimera la Halde.

 

[9] Eric et Sophie Vinson, Jaurès le prophète, mystique et politique d’un combattant républicain, Albin Michel, 2014. Il a écrit une thèse en métaphysique, De la réalité du monde sensible, publiée en 1891. Il passe l’agrégation de philosophie en 1881 et est classé troisième derrière Bergson.

[10] Louis Aragon, Les yeux d’Elsa, « la rose et le réséda ».

[11] Jean Bauberot, L’intégrisme républicain contre la laïcité, Ed. de l’ cole…ans l’ la réalité vécue.

les valeurs est trop souvent démentis dans les faits et que le décalage est trop grand entre cole…ans l’ la réalité vécue.

les valeurs est trop souvent démentis dans les faits et que le décalage est trop grand entre cole…ans l’ la réalité vécue.

les valeurs est trop souvent démentis dans les faits et que le décalage est trop grand entre

[12] Cardinal Jean-pierre Ricard, Laïcité de l’Etat, laïcité de la société, conférence prononcée à Rome, le 27 septembre 2012.

[13] La croix 08 :09/2016.

[14] Jean Pierre Chevènement La laïcité positive fait partie du message de l’Europe allocution prononcée à Strasbourg le 23 novembre 1997.

[15] En 311 l’édit de l’empereur Galère essaya de résoudre cette anomalie juridique. Il intégrait la religion chrétienne bien qu’elle ne soit pas celle d’un peuple, en faisant des chrétiens une exception religieuse. Moyennant quoi les chrétiens devront prier pour l’empereur. « Ils manifestent ainsi publiquement leur adhésion à la communauté du bien commun [15]»

 

[16] En ce qui concerne l’Edit de Milan, Nous possédons deux versions, un rescrit en latin de Licinius, transmis par Lactance qui vivait à la cour impériale et un rescrit en grec pour les fonctionnaires de Palestine qu’Eusèbe de Césarée a conservé.

[17] On s’est interrogé sur les raisons de cette véritable politique de tolérance et en particulier sur les raisons religieuses de cet Edit. Constantin n’est probablement pas aussi chrétien que ce que l’on a dit postérieurement. Il adore aussi le sol invictus. Il est plutôt hénothéiste.

 

[18] Cardinal Scola, « Les 1700 ans de l’Édit de Milan », La Documentation catholique, 3 février 2013, n° 2505, p. 119.

[19] Constantin introduira des changements qui contribueront à faire de la religion chrétienne, la religion dominante de l’empire. Il établira le rythme des fêtes chrétiennes. C’est ainsi qu’il imposera le rythme hebdomadaire et qu’il prescrivit le repos dominical en 321. Toutefois, ce jour s’appelle le jour du soleil et donc n’est pas à proprement parler le dimanche chrétien et à travers cette appelation que des langues ont gardé aujourd’hui, on y entend probablement la foi de Constantin dans le culte solaire. De plus ce fut sous Constantin que naquit la fête de Noël et qu’elle fut instaurée en 336 jointe à la fête du sol invictus.

[20] Emile Poulat, Liberté et laïcité, Paris, Cerf, 1987, p. 69. Les faits sont là qui l’attestent : après la mort de Constantin : en 356, peine de mort pour ceux qui adorent les idoles ; 380 Édit de Thessalonique, le christianisme déclaré seule religion d’État ; 392 défense d’honorer les pénates ; 395 défense de se promener autour des temples païens ; 435 ordre de démolir les temples païens qui subsistent encore.

 

[21] La différence entre la déclaration américaine et la déclaration des droits de l’homme est intéressante à remarquer. Dans la déclaration américaine Dieu est l’auteur des droits de l’homme et le garant de ces droits. Mais les révolutionnaires de 1789 ne pouvaient pas prendre ce risque car il fallait s’émanciper du monopole de la religion catholique qui était la seule religion depuis la révocation de l’Edit de Nantes par l’Edit de Fontainebleau en 1765, ce qui n’était pas le cas dans l’Amérique de la fin du XVIIe. Dire que Dieu est l’auteur des droits donnait un rôle trop important à l’Eglise catholique. Ils ont donc été déclarés en présence de l’Etre suprême faisant de celui-ci une sorte de président de séance, de témoin muet.

 

[22] Je ne parle pas des pays protestants mais la liberté religieuse y fut aussi en diffficulté exemple la Norvège. La domination danoise impose le luthéranisme dès 1537, en vertu du principe Cujus regio, ejus religio. Comme au Danemark, les activités catholiques sont proscrites, la langue danoise remplace le latin et devient la langue liturgique. Mais ces changements sont mal reçus par les couches pauvres de la population, qui restent encore attachées à certaines traditions catholiques jusqu’au début du XVIIe siècle. Certains évêques catholiques sont emprisonnés, beaucoup d’entre eux deviennent luthériens. En 1683 fut décidée la confiscation des biens des habitants restés fidèles au catholicisme.

[23] Pie IX, Quanta cura, 8 décembre 1864.

[24] « Il est de toute évidence que les chefs d’État sont libres dans l’exercice de leur pouvoir de gouvernement et que non seulement l’Église ne répugne pas à cette liberté mais qu’elle la seconde de toutes ses forces »

[25] Le cardinal de Cabrières par exemple qui se rendit à Rome pour demander des explications.

[26] Ainsi par rapport au nazisme il écrivit : « l’homme comme personne possède des droits qu’il tient de Dieu et qui doivent demeurer vis-à-vis de la communauté hors de toute atteinte qui tendrait à les nier, à les abolir ou à les négliger[26] » Et dans l’encyclique Divini Redemptoris, il affirme que le vice profond de l’idéologie communiste est « qu’elle dénigre et méconnait les droits de la personne humaine, sa dignité et sa liberté [26]».

[27] Jean XXIII d’ailleurs ne craint pas dans Pacem in terris de noter positivement ces évolutions de droit : «  les hommes de notre temps ont acquis une conscience plus vive de leur dignité ; ce qui les amène à prendre une part active aux affaires publiques et à exiger que les stipulations du droit positif des États garantissent l’inviolabilité de leurs droits personnels… [27]»

 

[28] Il faut cependant dire qu’une minorité s’est opposée jusqu’au bout à cette conception du droit à la liberté religieuse. Ceux qui pensaient qu’en déclarant cela on donnait des droits à l’erreur au détriment de la vérité. Ainsi chacun en agissant selon sa conscience propre peut croire en de fausses divinités ou se comporter en se détournant du bien. Or l’Erreur n’a pas de droit.