Chefs d’établissement
Marseille.
22 septembre 2005
Pour une Ecole catholique décomplexée
Christian Salenson
Directeur de l’ISTR
Je dois dire en commençant d’où je parle. Je ne connais pas l’enseignement catholique bien qu’il m’arrive de faire des formations initiales ou continues auprès d’enseignants de l’enseignement catholique. Je ne suis pas directeur d’un établissement même si j’ai été directeur d’un établissement d’enseignement supérieur lorsque j’étais supérieur du séminaire interdiocésain d’Avignon. Je parle de l’endroit qui est le mien à savoir la théologie chrétienne telle qu’on la pratique à l’ISTR de Marseille, à savoir en essayant de relever le défi que pose à la foi chrétienne la pluralité religieuse et l’indifférence religieuse. Car il ne s’agit pas uniquement d’enseigner la connaissance des religions, il convient aussi de dire comment la foi chrétienne considère les autres religions et quelles conséquences en tirer sur la compréhension qu’elle a d’elle-même. Je parle donc depuis cet endroit. Je sollicite donc votre indulgence au cas où je ne serais pas tout à fait accordé à votre pratique. Je vous laisse le soin de faire les rectificatifs nécessaires.
Je ne veux pas trop parler de moi. Mais je peux dire que je suis originaire des cévennes gardoises, d’une famille mixte catholique protestant, d’un milieu rural modeste porteur de la culture ancestrale des paysans cévenols. Je suis très marqué par cette identité terrienne et cet enracinement dans un terroir. Je dois à cette origine d’attacher une grande importance à l’enracinement personnel. J’aime ma culture native fort différente de celle que j’ai acquise par les études, la formation et l’expérience. Mais elle a rendu possible cette acquisition et elle continue de me nourrir même si ma vie n’a pas grand chose à voir avec ce que j’en ai vécu. J’en ai conclue que plus quelqu’un acceptait ses racines, plus il pouvait s’ouvrir à d’autres choses, la solidité de son enracinement lui offre la possibilité de plus de s’ouvrir à d’autres réalités et à la nouveauté que la vie ne manque pas de proposer. En revanche j’ai remarqué que les personnes qui essayaient d’être autre chose que ce qu’elles sont, qui font l’impasse sur leur origine, qui se poussent du col, font du strabisme sur ce qu’elles pourraient devenir, cultivent péniblement leur image mais sont souvent très vulnérables.
Il en va de même pour les institutions. Une institution a aussi une identité, elle a une histoire, un passé, des marques, un enracinement. Or l’école est une institution ! et quelle institution ! et l’ecole catholique aussi ! C’est la raison pour laquelle j’aurai voulu intituler cet exposé : « pour une école catholique sans complexe. » Le « sans complexe » porte aussi bien sur l’école et on pourrait dire : Pour une ecole sans complexe ! que sur le terme de catholique et on pourrait dire catholique sans complexe. Ni l’un ni l’autre ne sont gagnés ! Voudrions nous fragiliser cette institution ? Il faudrait se faire des complexes sur ce qu’est l’école. Il faudrait s’en faire aussi sur son caractère propre. Faut-il ajouter que ce ne sont pas des fantasmes ? Je connais, (dans d’autres diocèses !), des enseignants, (mais pas des chefs d’établissement !), qui ont des complexes vis à vis de l’identité de l’école catholique.
N’attendez pas de moi pourtant que je vous tienne un discours identitaire ! Les discours identitaires signent la fragilité de ceux qui les tiennent. Regardez les intégristes musulmans, catholiques ou laiques. Ils nous font savoir les peurs et l’insécurité qui les anime. Ce serait faire bien des complexes que de tenir un discours bétonné sur l’identité de l’Ecole catholique. Nous n’avons pas besoin de cela. Je vais donc essayer de dire pourquoi l’Ecole catholique peut être une école, catholique et qu’elles sont les chances que, de l’extérieur, je vois. Puis si vous voulez j’essayerai de noter quelques défis, dont je sais bien que vous n’avez pas attendu aujourd’hui pour les noter.
Je voudrais d’abord faire quelques libres variations sur la culture tant il est impossible de dissocier l’école de la culture et de son état à un moment donné. Puis je voudrais évoquer la mission de l’école dans le contexte de laïcité et la manière dont on peut traiter le fait religieux dans tous ses états et pas uniquement sous la forme de son enseignement. Enfin je terminerai par trois remarques.
L’ecole dans la culture
L’école est dépendante de la culture dans laquelle elle se vit. Or notre culture est pétrie de valeurs, de références en provenance de la révélation chrétienne. Or La foi chrétienne a contribué à l’avènement de la culture occidentale, y compris d’ailleurs à l’existence même l’école, et pas uniquement dans le passé mais encore aujourd’hui même si elle a perdu de son assise sociale. Je ne reçois pas comme un signe positif pour l’état de santé de la France les débats qui ont eu lieu pour savoir si on devait mentionner les racines religieuses de l’europe dans la constitution que finalement les français n’ont pas votée. De même que l’amnésie sur des évènements de leur histoire personnelle ne sont pas bonnes pour les individus, l’amnésie ne produit rien de bon pour les sociétés non plus. Les trois grandes religions monothésites abrahamiques ont largement contribué à l’avènement de la culture occidentale, à des degrés divers selon qu’il s’agit du judaîsme, du christinaisme dans ses trois versions, catholiques, protestantes et orthodoxes ou de l’islam. J’aime bien citer Jean Pierre Chevènement. Chacun sait que ce n’est pas un père de l’Eglise ! Voilà ce qu’il écrivait quand il était ministre de l’intérieur et des cultes : .. et pour faire bonne mesure avec les ministres de l’intérieur voilà ce qu’a écrit Sarkozy. Il dit que la république ne peut pas donner de l’espérance et que l’on a besoin des religions dans la république.
Les religions abrahamiques ont donc proclamé qu’il n’y a qu’un seul Dieu, unique. On ne mesure pas toujours la portée de cette affirmation. En faisant cela elles ont contribué à démystifier la nature et la création. Le soleil et la lune ne sont pas des dieux. Ces religions ont largement contribué à démystifier le monde. Elles ont libéré l’homme de la dépendance à des esprits et rendu possible une étude « objective » de la réalité. La science est née dans la culture façonnée par ces religions. Et comme toujours il y a un revers à la médaille. Elles ont permis une maitrise sur la nature : « soumettez la terre et dominez là » mais en retour n’ont-elles pas contribué à laisser défigurer le monde, à ne pas le respecter etc… La question de l’écologie est aussi posée d’une certaine manière aux religions abrahamiques. Ces religions sont là aussi en face d’un défi.
Ces religions ont contribué au progres. Dans ces religions il y a un au-delà de la vie, fondateur d’une espérance. Cet au-delà trace le sens de l’histoire. L’histoire a un commencement : Dieu créateur. Elle a un terme le jugement dernier. L’histoire va vers un au-delà meilleur puisqu’il s’agit du paradis, de la fin des temps. Ainsi il y a un progres de l’histoire qui va vers son accomplissement. Ces religions ont contribué à une culture occidentale qui a développé un certain sens de l’histoire. Dans la culture sécularisée, cela se traduira soit dans l’idéologie marxiste par les lendemains qui chantent, soit dans l’idéologie libérale par l’idéologie du progrés. Evidemment cela reste ambivalent. Que n’a-t-on pas fait pour le progrès ?
Dans le judaisme et dans le christianisme, plus encore qu’en islam, Dieu parle dans les évènements. Cela aussi a contribué à façonner un certain rapport aux évènements de la vie. Ils font l’objet de longs commentaires, ils sont le lieu d’une interrogation constante sur leur sens. C’est une caractéristique forte de notre culture.
Dieu créateur est l’origine et le terme de la vie. Les révélations bibliques et coraniques ont contribué à développer une éthique qui a beaucoup marqué notre culture. Une éthique de la personne. L’islam insite beaucoup sur le combat contre l’injustice. Cela fait partie de la première révélation mekkoise. On retrouve là les paroles vigoureuses de prophètes de l’Ancien testament ou encore les recommandations évangéliques de Jésus sur les pauvres. Ce sens de la personne humaine a beaucoup marqué la philosophie occidentale. Le sens du respect de la vie de son origine à son terme est porté par chacune de ces religions. Elles ont façonné une éthique.
Il y aurait beaucoup à dire ensuite sur ce que chacune a apporté à la vie en société : la devise de la république est sortie tout droit de l’évangile. Les apports musulmans dans le domaine de l’art et de la pensée. Etc …
En retour ces religions ont aussi contribué à faire beaucoup de mal à la culture. La division des chrétiens entre Orient et Occident, rupture consommée au XIème siècle avec Michel Cérulaire, avec un orgueil occidental que l’on retrouve tout au long de l’histoire. La division des chrétiens d’Occident au moment de la réforme en, particulier où pour la première fois le pouvoir politique doit trancher. La division des chrétiens n’est pas que la division des chrétiens c’est pour une part un processus de décadence qui est amorcé et un processus de division dans la culture, dont nous ne sommes pas sortis. Je tiens pour ma part que l’œcuménisme est prioritaire dans la vie de l’Europe.
L’inquisition. Qu’est ce que l’inquisition dans sa nature profonde ? Un certain rapport à la vérité. La vérité serait quelque chose que l’on possède, un savoir. On combat dès lors tout ce qui n’est pas ce savoir. Notre culture est-elle sortie de ce rapport à la vérité ?
L’école est très dépendante de la culture. Or notre culture a été grandement blessée. J’évoquais les blessures de l’histoire et la responsabilité des religions. Il y a aussi les barbaries du XXeme siècle qui ne sont pas le fait des religions. Le nazisme est une idéologie paienne qui vise à l’éradication du peuple juif au double titre de son élection et de ce qu’il est porteur de l’alliance mosaique, c’est à dire des dix commandements. La violence qui marque cette culture se donne à voir dans l’art du XXeme siècle. Comment l’école pourrait-elle vivre sereine dans une société qui ne l’est pas ?
Cette culture a un grand défi à relever : celui de l’altérité. Son histoire est une histoire problématique. Elle a toujours eu de la difficulté avec tous ceux qui sont autres. Ce fut l’altérité du juif insupportable dans la chrétieneté, ce fut la découverte des amériques et la difficulté à reconnaître une humanité comme la nôtre dans ces gens du nouveau monde. Puis ce fut la colonisation qui se poursuit aujourd’hui sous d’autres formes. Nous n’avons jamais fait le point dans la culture française sur la question coloniale. A peine si nous commençons à parler de la guerre d’Algérie. Or nous sommes aujourd’hui à nouveau en présence de l’altérité à cause de l’internationalisation des échanges. Est ce que la mondialisation sera une mondialatinisation comme disait Derrida, c’est à dire simplement une forme renouvellée de la colonisation, de l’hégémonie des démocraties occidentales sur le reste du monde ? Les peuples supporteront-ils cette ingérence ? L’histoire nous apprend que les mouvements fondamentalistes, voire intégristes musulmans sont nés en réaction contre la colonisation. Or ils se développent aujourd’hui. N’est ce pas le signe que ces peuples ressentent comme insupportables les comportements des pays occidentaux, les USA en, particulier. En disant cela je pense aux frères musulmans fondés en Egypte en 1927.
Face à ce défi de l’autre, de la considération de l’autre, de la prise en compte de l’altérité, que propose notre société ? Le discours sur la tolérance. Mais le discours sur la tolérance est un discours mou. La tolérance n’est qu’une tolérance ! On ne fait pas du lien social avec de la tolérance. Pire la tolérance dévitalise le sens du jugement chez les personnes. Voici ce qu’en dit Finkielkraut « Le nihilisme de la tolérance universelle nous fait un devoir de ne pas juger. Mais l’indistinction c’est la mort »[1] Apprendre justement à former le jugement.
Il y a autre chose à faire que de tenir des discours sur la tolérance. Il faut lui préférer le dialogue. Le dialogue oblige à la prise en compte de l’autre pour lui-même. Il permet de faire la double expérience apparemment contradictoire, d’une part que l’autre est comme moi et d’autre part qu’il est autre que moi. On ne mesure sans doute pas combien dans la tache éducative l’apprentissage de l’altérité est formateur pour les personnes, pour le lien social et pour la culture. Mais il ne faut pas ignorer que nous avons contre nous des siècles de refus de l’altérité et une idéologie dominante qui considère que nous sommes supérieurs et que nous sommes dans la mondialisation ceux qui apportent les valeurs et les normes pour la réguler.
Il y aurait beaucoup à dire sur d’autres aspects de la culture moderne dans laquelle nous sommes. En particulier sur …
Le ressentiment contre tout ce qui est donné, y compris sa propre existence. Arendt. L’homme moderne a du ressentiement parce qu’il veut tout faire par lui-même. Or il y a du donné dans la vie… et pas que du conquis, de l’acquis etc … et donc de la gratitude.
II- La mission de l’école catholique dans un contexte de laïcité ?
Le cadre de la laïcité
Je présentais le rapport Debray à des enseignants. Deux enseignants dans la salle m’ont fait savoir que l’on était soit les tenants de la laïcité soit les tenants de la catholicité. L’un était tenant de la laïcité, l’autre de la catholicité. Lorsqu’il fut question de la pluralité religieuse, la question s’est redoublée. Celui qui était soi-disant tenant de la catholicité ne voyait pas ce qu’on pourrait avoir à faire avec les autres religions. Celui qui était soi-disant partisan de la laïcité ne voyait pas en quoi on pourrait prêter le moindre intérêt au fait religieux et donc à la pluralité religieuse. Le mot de Péguy n’a rien perdu de son actualité : « Nous naviguons entre deux bandes de curés : les curés laïques et les curés ecclésiastiques… »[2]
Historiquement la laïcité a été le moyen de l’émancipation de l’état de la tutelle de l’Eglise catholique et cela ne s’est pas fait sans les difficultés inhérentes aux grandes ruptures. La laïcité est fondamentalement l’organisation de l’espace qui rend possible un vivre ensemble dans le respect de tous et de chacun. La laïcité est un cadre juridique qui organise les relations des religions et du politique et qui permet dans une société donnée de veiller à ce que toutes les opinions et croyances puissent être respectées et s’exprimer. La laïcité n’est pas anticléricale ! Ce serait sa négation même. La laïcité est aussi un état d’esprit et une valeur. Elle veille positivement à ce que toutes les opinions philosophiques et religieuses puissent s’exprimer, à la seule condition qu’elles ne perturbent pas l’ordre public.
La laïcité a évolué au cours des années. Elle est passée d’une laïcité de combat à une laïcité d’abstention. Regis Debray appelle de ses vœux le passage d’une laïcité d’incompétence à une laïcité d’intelligence. La laïcité ne peut pas rejetter la religion en dehors de l’espace public sans porter atteinte à la foi des croyants qui entendent habiter l’espace public avec toutes leurs convictions. Les croyants ne voient pas pourquoi ils seraient les seuls à ne pas pouvoir s’exprimer, en tant que tels, dans le débat démocratique.
Que dit la théologie chrétienne de la laïcité[3]. Il est bien évident que la laïcité n’est pas le seul mode d’organisation possible de l’espace public et que le discours théologique n’a pas pour but de justifier un mode de vie ensemble. Mais il n’y a aucune raison de contester tant soit peu le principe de la laïcité du point de vue de la révélation chrétienne. Elle n’est pas vécue comme imposée de l’extérieur aux catholiques. Elle a de solides fondements dans la révélation chrétienne. Le fondement théologique est la liberté religieuse pour chaque homme, y compris celle de ne pas avoir de religion[4]. L’autre fondement bien connu est dans la distinction entre Dieu et César. Il appartient au politique de gérer l’espace politique. Aussi bien la laïcité que la foi chrétienne font obligation de ne pas porter atteinte à la conscience de qui que ce soit. L’authenticité de la foi chrétienne interdit tout prosélytisme. Et si on peut désirer faire connaître et partager sa foi à d’autres, les chrétiens croient que « la vérité ne s’impose que par la force de la vérité elle-même qui pénètre l’esprit avec autant de douceur que de puissance [5]» Que signifie que l’on envoie au catéchisme des petits musulmans ?
La laïcité offre aux croyants la garantie de la liberté de conscience et de la liberté de culte, c’est à dire la manifestation dans l’espace public de ses croyances. Le croyant attend que la société laïque lui garantisse la liberté de conscience et la liberté religieuse pour lui et pour les autres. Le croyant peut même trouver là une protection y compris vis-à-vis de sa propre religion. Les religions ne sont pas sans ambiguïtés, d’autant qu’elles touchent au sacré, à l’absolu et aux fondements même de l’existence. Elles peuvent se prendre pour l’absolu qu’elles désignent. Les religions, surtout si elles ont une longue tradition, ont leurs propres régulations internes contre leurs propres dérives. Ce sont les prophètes, les mystiques, la raison. Elles ont aussi besoin de garanties externes. Aujourd’hui le croyant attend de la laïcité qu’elle garantisse la liberté religieuse des autres, la sienne et l’espace inter religieux[6].
Évidemment la laïcité a ses propres perversions. Nous les connaissons. Ce sont les perversions même de la religion : cléricalisme, intégrisme, fondamentalisme mais on ne comprend pas un phénomène à partir de ses perversions.
L’école catholique a vocation à vivre pleinement la laïcité évidemment en ne cherchant pas à imposer sa foi, en garantissant la liberté de croire et de ne pas croire, de croire en chrétien ou en juif ou en musulman. Qu’elle vive pleinement la laïcité c’est-à-dire qu’elle offre un espace public où une diversité de croyances et d’opinions trouvent la possibilité de se vivre et de s’exprimer et non d’être brimées et forcées au silence. La laïcité se décline, à mes yeux, avec la pluralité reconnue, non pas tolérée mais acceptée et qui trouve les moyens de se dire. Mais sommes-nous vraiment catholiques quand nous disons cela ? C’est le point que je voudrais aborder à présent.
III la mission de l’Ecole catholique
N’y a-t-il pas incompatibilité entre la mission de l’Eglise et le régime de laïcité ? La mission de l’Eglise n’est-elle pas réduite à la portion congrue sitôt que l’école s’inscrit pleinement dans la laïcité, y compris dans un cadre où les opinions peuvent s’exprimer et les croyances diverses s’exprimer ?
Cela renvoie évidemment à la nature de la mission de l’Eglise. Le prosélytisme ne dit pas plus ce qu’est la mission de l’Eglise que le silence sur le fait religieux ne dit ce qu’est la laïcité. La mission avant d’être mission de l’Eglise est d’abord la mission de Dieu[7]. Le Père, qui est « l’Amour en sa Source »[8] a pour dessein de « rassembler à la table du royaume les hommes de toutes races, de tous pays, de toutes cultures ». Telle est la mission ! La mission de Jésus a consisté à annoncer le royaume de Dieu qui se réalise quand les boiteux marchent, les aveugles commencent à y voir et ceux qui sont morts à revivre[9]. De l’annonce du royaume est née l’Eglise. Le pape Jean Paul II a rappelé dans une encyclique sur la mission que l’Eglise n’était pas à elle-même sa propre fin mais le royaume de Dieu dont elle est le sacrement c’est à dire le signe et le moyen[10]. L’Eglise est donc un signe d’unité parmi les hommes. Telle est sa mission solennellement définie au concile Vatican II : l’Eglise est « en quelque sorte le sacrement, c’est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain »[11]. Jean Paul II a bien expliqué cela aux cardinaux et membres de la curie après la rencontre d’Assise en 1986[12]. « Dans ce grand dessein de Dieu sur l’humanité, l’Eglise trouve son identité et sa tache de « sacrement universel de salut ».
L’Ecole catholique est un « sujet ecclésial ». Cela fait partie de sa mission et de son identité la plus profonde, de son but de travailler à l’unité, concrètement par la rencontre des gens entre eux. Elle éduque à cette unité entre les hommes dans la pluralité des cultures. Elle est là pour que l’homme réussisse. Pour que l’enfant qui boite dans sa scolarité puisse continuer à marcher, pour que ceux qui entendent mal comprennent .. et pas uniquement les mathématiques ! bref elle travaille selon son caractère propre à l’avènement du royaume. Elle vit sa mission en ouvrant l’éducation à cette unité proposée par le Père à l’ensemble de l’humanité, unité à laquelle les hommes aspirent.
Sa mission est catholique. Le terme de catholique a une double signification. Il désigne tous les hommes ! L’école est catholique si elle est une école pour tous, y compris ceux qui professent une autre religion… et donc pas une école pour quelques-uns, ni pour n’importe qui ou pour personne, mais une école pour chacun. L’autre sens du mot est non plus extensif mais qualitatif. Il désigne non plus seulement tous les hommes mais la totalité de l’homme, dans toutes ses dimensions comme l’a bien explicité le cardinal de Lubac. L’école catholique ne s’adresse pas à des élèves mais à des personnes ! Le monde n’est pas l’Eglise et le monde entier n’a pas vocation à entrer dans l’église. Mais le monde entier a vocation à l’unité et l’Eglise à servir le monde. En agissant ainsi, l’Ecole catholique peut proposer la foi à ceux qui veulent ainsi travailler à l’avènement du royaume en devenant à leur tour disciple du Christ.
L’école catholique qui accueille vraiment des enfants d’horizons sociaux, religieux, d’opinions diverses et qui leur offre la possibilité de se parler, de se rencontrer, de se respecter, de dialoguer, est vraiment fidèle à sa mission. Or, en faisant cela elle est aussi fidèle à la laïcité. Pour être vraiment dans la laïcité, l’Eglise n’a pas à être moins missionnaire mais plus missionnaire. Ainsi la laïcité trouve écho dans la catholicité de l’école et sa catholicité l’appelle à vivre une laïcité qui considère la pluralité comme une chance. Là se trouve l’avenir de l’enseignement catholique. Les résultats du bac, aussi importants soient-ils ne suffisent pas à pérenniser l’école catholique. Sa catholicité justifie son existence… Et pas seulement aux yeux de la hiérarchie catholique ou de la communauté catholique mais aussi aux yeux de l’éducation nationale.
IV- Le fait religieux dans les établissements
Une grande distinction est à opérer entre d’une part l’apporche scientifique du fait religieux et d’autre part son approche théologique. Dans la première approche, il s’agit de la compréhension du fait religieux à partir des sciences : sociologie religieuse, histoire des religions, étude des phénomènes religieux communs à toutes les religions (pélerinage, jeûne, aumone. ..). Cela fait l’objet d’un enseignement.
A- L’enseignement de la culture religieuse
L’enseignement de la culture religieuse est un enseignement scientifique. Il peut prendre ou non la forme d’un cours. Dans tous les cas, toutes les disciplines sont concernées et l’enjeu n’est pas uniquement un enjeu de savoirs. On pourrait énoncer trois enjeux.
La nécessité de connaître les religions qui ont façonné l’Occident afin d’avoir accès au patrimoine et à la culture d’aujourd’hui qui reste profondément marquée par l’apport des religions et du christianisme en particulier. Il y va, pour une part, de l’identité culturelle. Que deviennent les peuples qui perdent la mémoire ?
La nécessité qu’il y a à connaître les religions qui sont présentes sur le territoire national pour contribuer au lien social. Rien n’est pire que l’ignorance de l’autre, de sa culture, de sa religion pour générer la peur, le rejet et parfois le conflit. Un français moyen aujourd’hui ne peut plus ignorer quelques fondements du christianisme, de l’islam et du judaïsme.
Enfin aborder la question des religions contribue aussi à poser la question du sens. Les religions n’ont pas le monopole du sens mais elles apportent leur contribution en ce domaine. Il est raisonnable de penser que ce soit un précieux service à rendre aux générations futures, de ne pas taire que l’on peut aussi donner un sens à sa vie et que l’expérience religieuse est un chemin praticable ! Contribuer à la question n’est pas donner la réponse.
On peut distinguer, dans l’enseignement scientifique des religions, la connaissance des religions et la connaissance du phénomène religieux. Dans la connaissance des religions, il semble qu’il faille privilégier, quoique de manière non exclusive, les monothéismes abrahamiques. Dans la connaissance du phénomène religieux, une place particulière est à ménager au langage religieux en tant qu’il est un langage symbolique. L’espace et le temps sont structurés symboliquement. Les mythes et les rites fonctionnent dans un langage symbolique. La nature du langage religieux est d’être un langage du symbole. Cet apprentissage du langage symbolique est nécessaire pour lire les textes sacrés et entrer dans un minimum d’intelligence des rites religieux, intelligence dont ont été privés des générations précédentes.
Enfin, après en avoir dit les enjeux et le contenu, on est en droit d’attendre que cet enseignement soit objectif aussi bien par l’objectivité des enseignants que celle du contenu de l’enseignement. L’objectivité des enseignants qui ne peuvent disqualifier les religions ou une religion particulière s’acquiert aussi par la formation. L’objectivité des contenus, y compris des ouvrages : Peut-on enseigner qu’Abraham a vécu 1800 avant Jésus-Christ ?
B-Le fait religieux du point de vue de la révélation chrétienne
Il s’agit là non plus d’une connaissance scientifique du fait religieux mais de la prise en compte de la démarche théologique. Évidemment, elle ne s’oppose pas à la démarche scientifique. Nous ne nous enfonçons pas dans l’obscurantisme en passant sur le versant de la théologie ! Elle se nourrit aussi de la connaissance scientifique des autres religions et du phénomène religieux. Elle dialogue avec les sciences des religions et avec la philosophie de la religion. Mais la démarche est spécifique. Elle pense le fait religieux de l’intérieur de la révélation chrétienne. Or l’école catholique a la chance et l’avantage de pourvoir aborder le fait religieux aussi de ce point de vue.
Trois propositions
Le fait religieux du point de vue de la révélation chrétienne, dans le cadre de l’école peut être traité selon trois propositions. Elles sont traditionnelles et définissent les trois grandes fonctions pastorales de l’Eglise[13]. Deux d’entre elles font appel à la démarche confessante de la foi, une de ces fonctions peut être vécue par tous.
La première d’entre elles est la proposition explicite de la révélation chrétienne dans la Parole : la fonction prophétique. La foi chrétienne est proposée à ceux qui le souhaitent. Cette proposition se fait souvent sous la forme de la catéchèse, mais pas exclusivement. La catéchèse est une activité spécifique qui a pour but non pas d’enseigner le christianisme mais de proposer la révélation biblique à la foi des enfants et des jeunes. Ce n’est pas une démarche de culture religieuse mais une proposition de foi. Aussi on ne peut imaginer que l’on envoie en catéchèse obligatoire des enfants musulmans ou juifs. Sauf demande explicite de leur part, ce serait une atteinte à leur conscience, à la laïcité et à la foi chrétienne : « Les droits des parents se trouvent violés lorsque les enfants sont contraints de suivre des cours ne répondant pas à la conviction religieuse des parents ou lorsque est imposée une forme d’éducation d’où toute formation religieuse est exclue »[14]. La question est posée aujourd’hui dans l’enseignement catholique. Elle se pose et elle a déjà trouvé des éléments de réponse dans plusieurs mouvements d’église comme les guides-soleil, où se retrouvent des filles chrétiennes et des filles musulmanes, ou dans d’autres mouvements comme la Jeunesse Ouvrière Chrétienne ?
La seconde proposition est celle de la célébration. Cette fonction pastorale est désignée par le terme de fonction sacerdotale. Il s’agit de l’initiation à la prière et à la vie sacramentelle. Cette proposition prend la forme de célébrations effectives, de préparations et de célébrations des sacrements de l’initiation chrétienne. Elles s’adressent à ceux qui sont chrétiens ou qui souhaitent être initiés à la foi chrétienne. Dans l’église primitive on n’acceptait à l’eucharistie après la liturgie de la Parole que ceux qui étaient baptisés. Les catéchumènes sortaient de l’Eglise. Cet esprit de la liturgie pourrait présider à nos choix et nos manières de faire. Nous avons travaillé cette année à mettre en place une réflexion en vue de célébrations qui évitent le double écueil soit de la confusion en envoynat tous les enfants à la messe ! soit de l’exclusion en ne réservant la célébration qu’à ceux qui sont catholiques.
Ces deux premières grandes fonctions pastorales sont orientées ou font appel à la confession de foi. Ils peuvent inclure une vraie prise en compte de la pluralité religieuse … mais que de chemin à parcourir !!!
La troisième proposition est la fonction royale. Elle vise à travailler à l’établissement de ce que les évangiles appellent le royaume en nous donnant quelques caractéristiques : « les aveugles voient, les boiteux marchent, les sourds entendent, les morts ressuscitent.. » Le royaume se réalise pour une part dans l’accomplissement de l’homme. Les activités éducatives proposées aux élèves auront pour but de donner ce sens de l’homme, de la personne : course du CCFD, découverte d’autres cultures, sensibilisation aux problèmes mondiaux etc …mais rien ne remplacera la manière dont ce sens de l’homme est vécu dans les établissements. Certaines de ces activités peuvent et doivent être proposées à tous.
L’anthropologie chrétienne
L’école catholique déploie, dans le cadre éducatif qui est le sien, l’anthropologie caractéristique de la révélation. Elle ne nécessite pas de confesser explicitement la foi chrétienne. En revanche, il convient que l’école l’annonce clairement dans son projet, sans taire ses références à l’évangile et à la personne de Jésus-Christ. Pas de projet pédagogique Canada Dry ! Cela constitue son caractère propre et un lieu innovant en pédagogie.
La révélation chrétienne détermine quelques caractéristiques propres qui mériteraient chacune de longs développements :
L’ absolu de la personne humaine qui se fonde sur la création de l’homme à l’image de Dieu et sur l’unicité de chacun. Il a été dit au printemps dernier, que déclarer que l’élève est au centre du dispositif de l’école est un propos démagogique. Le théologien n’a pas à se prononcer sur les choix de l’éducation nationale, (qui d’ailleurs dans ce cas devrait changer de nom) mais du point de vue de la mission de l’église non seulement l’élève est au centre du dispositif mais plus encore que l’élève, la personne. Cet absolu de la personne vaut pour l’élève mais vaut pareillement pour les enseignants, le personnel éducatif, administratif ou des services.
La deuxième caractéristique est le rapport à l’échec. Il est probable que l’échec se doive d’être traité autrement dans une école dont le projet se fonde en dernière instance sur l’expérience pascale de la vie qui resurgit précisément de la mort. Il est probable que les taux de réussite aux examens nous renseignent moins sur la bonne marche d’un établissement catholique que la manière dont y est traité l’échec.
Pour mémoire il convient de mentionner le sens de l’histoire. Dieu parle dans l’histoire, dans les évènements. L’élève n’est pas anhistorique. Il est une personne qui hérite d’une histoire familiale, collective en plus de son histoire personnelle propre. Il faut mentionner aussi le rapport à la vérité qui laisse la place à l’ignorance et à l’erreur et qui ne prétend pas détenir la vérité, fut-elle scientifique !
Certes cette anthropologie peut se vivre aussi dans des établissements de l’enseignement public. Comme l’a écrit Jean Pierre Chevènement, il y a quelques années, les principes de la république : liberté, égalité fraternité, sont tout droit sortis de l’évangile[15]. On ne peut que se réjouir si la révélation chrétienne a contribué à l’avènement de la personne et s’il y a là un bien commun. J’ai bien peur que ce soit de moins en moins le cas dans une société ou le droit se substitue à la responsabilité morale et où les lois et les intérêts du marché sont en passe de devenir le critère ultime.
Il ne reste plus en terminant qu’à définir ce que recouvre le terme de pastorale puisque nous sommes désormais en possession des éléments essentiels. Elle se définit par les trois grandes fonctions évoquées ainsi que par la mise en œuvre de l’anthropologie chrétienne dans le projet éducatif et le projet d’établissement. La responsabilité pastorale de l’établissement est une responsabilité ecclésiale, dans laquelle les chefs d’établissement ont une place prépondérante. Quand la fonction pastorale est perçue, ils souhaitent s’adjoindre un animateur en pastorale. l’APS n’est plus alors d’abord un délégué à la catéchèse ou à des « activités religieuses » mais véritablement un adjoint au directeur pour l’ensemble du fonctionnement « catholique » de l’établissement.
V- Quelques points
Je voudrais faire trois variations autour de l’anthropologie chrétienne.
La liberté que donne l’éthique.
L’Ecole se doit de transmettre dans une société donnée un certain nombre de valeurs sociales dont la société a besoin pour sa reproduction et parfois tout simplement pour la production. Ces valeurs sociales constituent l’ethos d’un groupe ou d’une société donnée. L’Ecole transmet un éthos social. Par exemple la compétition est une valeur culturelle. Les instances de reproduction, et l’Ecole en particulier devront transmettre cette valeur comme référentielle. Cette valeur culturelle sera transmise de différentes manières dans l’acte d’enseignement par la mise en place d’instances d’évaluation, par l’émulation dans le groupe etc.. La reproduction de l’ethos culturel se fait à la fois dans l’acte d’enseigner : exercice de l’autorité, évaluation, organisation spatio-temporelle de la classe… et par l’enseignement des diverses disciplines, chacune apportant sa contribution particulière dans l’appropriation de la culture, dans la transmission de représentations, dans des rapports à la vérité etc .. La reproduction de l’ethos dominant se fait pour une bonne part à l’insu des enseignants eux mêmes. Ils ont été formé à cela : ils ont passé de nombreux concours et examens. Ils ont rarement eu de lieux dans leur formation initiale où ils ont pu réfléchir au rôle de reproduction qui leur est assigné. Or quand la société fonctionne mal et développe de la violence ou de l’exclusion, la même société se retourne vers les instances de reproduction de l’ethos. Les enseignants, sans pouvoir le dire ni en avoir une conscience claire, assument en terme de culpabilité, pour une part au moins, les dysfonctionnements sociaux. On peut comprendre leur demande de se replier sur une stricte fonction d’enseignement, même si elle est illusoire.
Or l’ethos culturel n’est pas l’éthique! La compétition est une valeur sociale mais n’est pas une valeur éthique ! L’ethos comme l’ethique est de l’ordre des valeurs. Mais dans le premier cas les valeurs sont sociales, dans le second elles sont morales. L’Ethos imite l’éthique et une société donnée présente ses valeurs culturelles et donc particulières comme si elles étaient universelles. Elles sont les valeurs d’un moment donné et qu’elles sont au service d’un certain nombre d’interets. Dans l’exemple de la compétition, on comprend tres vite qu’il y a des interets en jeu..
L’éthique vérifie l’éthos
L’Ecole catholique soumet ses pratiques à une éthique. L’Ethique est là pour juger de l’ethos. Certes la compétition a son importance et ses richesses. Elle conduit aussi au dopage sous toutes ses formes ! et au suicide des cadres-cleenex .. Certes les réussites au bac d’un établissement comptent mais on n’était pas obligé de s’inscrire dans ces comptages et on pourrait en tout cas en proposer d’autres dans la présentation des établissements. Il y a aussi des parents intelligents qui ont aussi d’autres critères pour leurs enfants !
Il en va de même pour des pratiques pédagogiques comme l’évaluation. De quoi les manières différentes d’évaluer sont-elles signes. Quelle éthique de la personne les sous tend? Quel sens de l’homme ces pratiques véhiculent .. C’est là que se joue le rôle de l’Ecole. le reste est la mise en scène ! Et que dire de l’exercice de l’autorité .. Dans la manière dont s’exerce l’autorité se transmet le juste rapport à la Loi. Les discours que l’on tient sur la Loi n’ont jamais servi qu’à rendre lisibles des comportements effectifs.
Dans les discours officiels, on y parle beaucoup de l’autonomie de l’enfant et de sa responsabilité. Ces discours sont allègrement repris ! Ils peuvent avoir l’apparence de promotion de la personne .. Ils sont surtout le reflet de l’ethos culturel. On y reconnait le langage de l’entreprise, ce qui en soi ne disqualifierait pas necessairement le discours si ce discours n’avait surtout l’inconvénient de centrer l’élève dans la subjectivité. L’enfant n’est pas autonome et n’a pas à l’être. Il n’a pas à se prendre pleinement en responsabilité. L’enfant n’est pas un adulte même si les adultes le souhaitent pour des raisons qui mériteraient examen. « C’est à l’école que l’enfant fait son entrée dans le monde. Or, l’école n’est en aucune façon le monde et ne doit pas se donner pour tel.. « [16] La liberté et la responsabilité demandent de longs processus d’apprentissage qui nécessitent des lieux protégés. Cette tache éducative demande de considérer l’enfant dans son processus de développement. Hannah Arendt a des analyses très pertinentes sur la démission que cela représente de considérer les enfants comme des adultes : « La ligne qui sépare les enfants des adultes devrait signifier qu’on ne peut ni éduquer les adultes ni traiter les enfants comme de grandes personnes ». L’ethos culturel se présente avec un certain aspect d’évidence précisément parce qu’il est ethos dominant d’une société donnée. Le discours sur l’autonomie et la responsabilité de l’enfant confond identité et subjectivité, individu et personne.
L’Ecole catholique transmet l’ethos culturel mais constamment corrigé et évalué à l’aune de l’éthique. Elle est éthique chrétienne en ce qu’elle pose en son fondement que chacun est unique, aimé de Dieu, désiré par Lui et que la personne humaine est sacrée. La valeur de la personne n’est pas chosifiée mais se fonde dans une relation transcendante. Cette valeur est d’autant plus absolue que son fondement lui-même est absolu. Toute atteinte portée à la personne humaine, de quelque manière que ce soit est une atteinte portée à Dieu selon le texte célèbre de Matthieu 25 : « J’ai eu faim et vous ne m’avez pas donné à manger, j’ai eu soif et vous ne m’avez pas donné à boire .. » Je pense à ces parents outrés profondément par une réflexion de chef d’établissement disant qu’il n’y avait rien à espérer de leur fils adolescent…Ils étaient d’autant plus outrés que la réflexion venait d’un chef d’établissement catholique. Inversément, certains comportements d’enseignants ou de chefs d’établissement structurent de manière décisive parfois des enfants ou des jeunes parce qu’ils donnent à entendre leur valeur incommensurable.
Le critère de jugement que donne l’anthropologie chrétienne
Il n’est pas demandé à des enseignants d’être des catholiques pratiquants, ni même d’avoir la foi. D’une part, on n’a jamais trouvé l’unité de mesure pour jauger la foi de quelqu’un. D’autre part, la foi est quelque chose qui varie au cours d’une vie et en plus comme le disait Augustin, « certains croient être dehors qui sont dedans et d’autres croient être dedans qui sont dehors. » En revanche, il est demandé de souscrire à l’anthropologie qui constitue pour une bonne part le caractère propre d’un établissement. J’énoncerai cette anthropologie en deux points qui vous sont connus et qu’il n’est peut-etre pas nécessaire de développer : Le sens de la personne humaine et le sens de l’échec.
En ce qui concerne le premier il est le but même de l’ecole catholique. « La personne de chacun, dans ses besoins matériels et spirituels, est au centre de l’enseignement de Jésus : c’est pour cela que la promotion de la personne humaine est le but de l’école catholique [17]» Cette définition de l’école catholique est la définition officielle de l’Eglise. On ne dit pas que l’école catholique a pour finalité de faire des petits catholiques mais de vraies personnes humaines. Cela commence à devenir très original dans une société qui est incapable de penser son développement autrement que par la consommation de biens de production, qui fait passer les actionnaires avant les ouvriers! Comment sont traités les élèves difficiles, comment on parle d’eux en conseil d’enseignants. Est-ce que le chef d’établissement tolère certaines paroles ou certains jugements… la place du personnel dans l’établissement etc … Ce sont des questions avec lesquelle on n’en a jamais fini…Telle est la responsbailité première d’un chef d’établissement. L’Aps, qui veille avec lui au caractère propre de l’établissement, doit être associé étroitement à cette vigilance. Cela passe avant l’organisation de la catéchèse dans sa responsabilité d’APS.
L’autre point que j’ai retenu est le sens de l’échec. La révélation chrétienne a un regard original sur l’échec. En effet Celui de qui les chrétiens se réclament est celui qui a souffert l’échec. Si quelqu’un a réellement échoué c’est bien Jésus de Nazareth. difficile d’échouer plus ! Il ne réunit que 12 apôtrres et quelques disciples qui, au moment où les évènements tournent mal, s’enfuient. Il est trahi par l’un des plus proches. Bref pour quelqu’un qui annonce une bonne nouvelle, on ne peut pas dire que ce soit le succés ! Et que dire quand on le voit cloué sur une poutre de bois, n’ayant même plus une apparence humaine. Or celui là même qui connaît la déréliction est celui qui se donne à expérimenter comme vivant et ressuscité par les disciples. Je ne developpe pas tout cela mais j’en retiens que pour la révélation chrétienne l’échec loin d’être un terme, une impasse est au contraire le lieu d’une vie nouvelle. Voilà un aspect de nouveauté qui se démarque quelque peu du sort que l’on réserve au maillon faible dans la société et que l’on célèbre médiatiquement à la télévision ! Il faudrait réfléchir plus longuement à tout cela ; j’en viens directement aux conséquences. L’échec dans l’école catholique d’une enfant, voire d’un enseignant, voire d’un chef d’établissement, ne peut pas être traité de la même manière qu’ailleurs. Comment est considéré l’échec scolaire ? Comment en parle-t-on dans les conseils d’enseignants ?
Je peux le dire positivement car je sais des enseignants, des chefs d’établissement qui le vivent ainsi, qui ne désespèrent pas de celui qui traverse l’échec, qui se tiennent à ses côtés, qui espèrent pour lui. Nous sommes pleinement dans la mission catholique de l’école catholique quand c’est ainsi que nous agissons. Cela ne se comptabilise pas … sauf qu’il est des personnes pour qui ce travail de l’ombre un jour produira du fruit…Et même que parfois il nous est donné de voir de petites résurrections. !
La liberté religieuse comme pierre de touche de la liberté.
Un dernier point pour conclure : la question de la liberté religieuse. Sous ce titre j’englobe la question du sens et la manière dont est traité la pluralité religieuse dans les établissements.
Fort heureusement la question de l’enseignement du fait religieux a été soulevé et abordé dans l’ensemble de l’enseignement. L’enjeu n’est pas uniquement une ignorance crasse des élèves, devrais-je dire des enseignants mais surtout sa conséquence. Je n’ai pas le temps de développer la question mais la religion est la fond de la culture. Cette ignorance opère une déculturation. Le processus de déculturation est suffisamment engagé pour que les plus éclairés de nos recteurs se soient mobilisés. Cela fait déjà quelques années.On sait cependant que même l’enseignement scientifique du fait religieux se heurte à de grandes inerties.
Pourtant il n’est qu’un aspect de la question. Je ne le developpe pas car je sais que demain René Nouilhat reprendra longuement cet aspect. Je lui attribue de l’importance. Il y a aussi et surtout la question du sens. Rien n’est pire que le discours sur la neutralité. La neutralité est celle de l’enseignant qui ne doit pas influencer par ses opinions personnelles les élèves… mais pas celle de l’élève qu’on ne doit pas faire taire quand il pose des questions sur le sens. Mais l’enseignement lui ne peut pas être neutre et les élèves non plus. La neutralité aboutit à une évacuation de la question du sens de l’espace scolaire. Ce qui ets lourd de conséquences. Et d’abord l’ennui ! Je tiens d’une inspectrice d’académie de la région parisienne une réaction vigoureuse devant la manière dont le français est enseigné. Même dans l’enseignement du français on évacue la question du sens, en se cantonant à la seule analyse du texte. On imagine l’ennui des élèves !!! Quel goût pour la littérature, les romans… ces plaisirs de tous les jours que nous offre la culture ! Autant dire que la question du sens aujourd’hui n’a plus beaucoup d’endroits où elle peut se dire. Il me semble que l’on ne peut pas, dans le même temps, évacuer la question du sens et s’étonner de certains comportements de jeunes. Une école qui neutralise le sens contribue à l’insensé de la société et du monde pour un nombre croissant de jeunes et d’adultes. Comment des jeunes peuvent vivre si la vie n’a pas de sens ?
La deuxième remarque porte sur la pluralité religieuse ; Elle est une chance pour aujourd’hui. J’ai suffisamment dit le problème de l’altérité dans notre culture.Or là nous avons les moyens de traiter l’altérité. Je sais bien que ce n’est pas simple et je n’ai de leçons à donner à personne. Mais l’altérité est là. Quand des enfants parlent arabes, ils ont vraiment beaucoup de chance. J’aimerais parler cette belle langue ! Je préfererais parler arabe qu’anglais. La culture est d’uen autre richesse ! Evidemment ils n’ont pas à parler arabe à un enseignant qui ne comprend pas cette langue mais on ne peut pas leur interdire d’utiliser cette langue. Au contraire il faut valoriser cette richesse culturelle qui est la leur.
Avec quelques enseignants l’an dernier nous avons créé un groupe de recherche sur la pluralité religieuse. et en particulier autour de la célébration dans les établissements catholiques. Comment prendre en compte sans confusion, sans syncrétisme, sans exclusion non plus l’ensemble des élèves dans leur diversité religieuse et nous mettons en place cette année une expérimentation.
Je crois qu’il y a une urgence à travailler ces questions là. Je serais prêt à poursuivre la recherche sur la manière de valoriser la pluralité culturelle et la pluralité religieuse dans les établissements catholiques. Il y a là une chance extraordianaire d’ouverture pour les jeunes.. etc …
Conclusion
Je conclue cet apport beaucoup trop long… La chance de l’école catholique est d’être catholique ! Intelligemment catholique ! En face du fait religieux, nous ne pouvons pas le traiter comme l’école publique. Elle a ses handicaps en ce domaine avec les répercussions sur la prise en compte de la pluralité culturelle. Les établissements catholiques ont la chance de pouvoir aborder ces questions en bénéficiant de l’engagement de l’Eglise et de son apport au monde en ce domaine. C’est une formidable aventure. Vous trouverez à vos côtés pour vous y aider l’ISTR.
[1] Le magazine littéraire « Hannah Arendt » Septembre 2005. p 34
[2] Charles Péguy : « Texte Posthume » Juin 1912 Œuvre en prose complète, La Pleiade, Tome 3, p. 668.
[3] Henri Madelin : « Christianisme et laïcité » Chemins de dialogue n° 8. p.99-114.
[4] Déclaration du concile Vatican II : « la liberté religieuse »
[5] Déclaration du concile vatican II « la liberté religieuse » N°1
[6] La république n’a pas pour vocation dans un régime de laîcité à intervenir dans le devenir des religions ni de leur évolution. Elle n’en a ni les compétences, ni le savoir-faire.
[7] Cette redécouverte de la mission comme « missio dei » au XXeme siècle a été reprise dans le concile vatican II Décret sur « l’activité missionnaire de l’Eglise » Principes doctrinaux n° 2-5 .
[8] Décret sur « l’Activité missionnaire de l’Eglise » n° 2
[9] Mt 11, 4-5.
[10] Encyclique du pape Jean Paul II « La mission du rédempteur » Chapitre 2
[11] Concile Vatican II : Constitution dogmatique sur l’Eglise N° 1
[12] « Discours du pape Jean Paul II aux cardinaux et à la curie romaine du 22 Décembre 1986 ». Revue Chemins de dialogue n° 20. p163-173
[13] Par exemple dans le texte de l’épiscopat français : « proposer la foi dans la société actuelle ».
[14] Concile Vatican II : Décret sur la liberté religieuse N° 5.
[15] Jean Pierre Chevènement, ministre de l’intérieur et des cultes : allocution prononcée le 23 Novembre 1997 lors de l’ordination épiscopale de Monseigneur Joseph Doré, archevêque de Strasbourg. Documentation catholique n° 2173. du 4 Janvier 1998.
[16] Hannah Arendt : la crise de la culture 1954 Gallimard pour la traduction française 1972.
[17] Discours au premier congres de l’école catholique en Italie Observatore romano du 24 novembre 1991. p. 4